Numéro 10922 du rôle Inscrit le 24 septembre 1998 Audience publique du 5 mai 1999 Recours formé par Monsieur … PEFFER, Rameldange contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d’imposition Luxembourg I de la section personnes physiques de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10922, déposée le 24 septembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain STEICHEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … PEFFER, …, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’un bulletin de l'impôt sur le revenu du 8 février 1996 émis par le bureau d'imposition Luxembourg I de la section personnes physiques de l’administration des Contributions directes, la réclamation introduite le 6 mai 1996 au nom de ce dernier étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin déféré;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Alain STEICHEN, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … Peffer, …, demeurant à L-…, a déclaré, dans le cadre de sa déclaration pour l'impôt sur le revenu de l’année 1992, le montant de LUF … comme perte d’exploitation de l’année 1991 déductible en tant que dépense spéciale du total des revenus nets ajustés.
Par bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1992 du 8 février 1996, le bureau d'imposition Luxembourg 1 a refusé la déduction de cette perte d’exploitation au motif que « le report de pertes ne peut pas être accordé en l’absence d’une comptabilité régulière prescrite par l’article 114 LIR y relatif ».
Par courrier de son mandataire du 6 mai 1996, Monsieur PEFFER a réclamé devant le directeur de l’administration des Contributions directes contre ce bulletin d’impôt.
En l’absence de décision directoriale, Monsieur PEFFER a introduit à l’encontre dudit bulletin d’impôt ainsi critiqué un recours en réformation par requête déposée le 24 septembre 1998.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée Abgabenordnung (AO), et de l’article 8 (3) 3. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin d’impôt en l’absence de décision du directeur ayant tranché sur les mérites d’une réclamation préalablement introduite devant lui contre ce même bulletin. Ayant été déposé, conformément à l’article 97 (2) de la loi précitée du 7 novembre 1996, après le 1er juillet 1997, le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est par conséquent irrecevable.
Le demandeur reproche au bureau d'imposition le non-respect du paragraphe 205 AO l’obligeant, avant de prendre une décision préjudiciable pour le contribuable, à indiquer à ce dernier les points litigieux pour lui permettre d’apporter les explications nécessaires relativement aux éléments contestés. Il renvoie en outre aux paragraphes 171 (2) et 207 AO qui recommanderaient à l’administration fiscale de demander la communication des livres comptables lorsque ceux-ci suscitent des interrogations quant à leur régularité.
Le délégué du Gouvernement entend résister à ce moyen en soutenant que la procédure prévue par le paragraphe 205 (3) AO s’appliquerait exclusivement à des questions ayant trait à la matérialité des faits soumis à imposition, tels qu’ils se dégagent des déclarations d’impôt soumises par le contribuable, à l’exclusion des questions de droit qui seraient réservées au bureau d’imposition par le paragraphe 166 AO. Dans la mesure où le bureau d'imposition n’aurait en l’espèce pas mis en doute la régularité ou l’exactitude de la comptabilité du recourant, mais se serait limité à la qualifier au regard de l’article 114 LIR, point sur lequel ce dernier n’avait en conséquence pas à être entendu préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, mais aurait été informé à suffisance de droit par la motivation précise de ce dernier.
Le paragraphe 205 (3) AO dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».
Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en sa défaveur par rapport à sa déclaration. Etant destinée à protéger les droits des contribuables, tout en contribuant à éviter des réclamations et recours ultérieurs, cette formalité doit être qualifiée de substantielle et sa violation, dûment invoquée devant le tribunal, entraîne l’annulation des bulletins d’impôts émis au terme de la procédure ainsi viciée, dans la mesure de la « wesentliche Abweichung » établie en cause (trib. adm. 7 janvier 1998, Clees, Weiler, n° 10112, Pas. adm. 1/99, v° Impôts, n° 75).
2 Il est indifférent à cet égard que cette divergence de vue porte sur des questions de fait ou sur des questions de droit, dont celle de la qualification des faits (Becker, Riewald, Koch, Reichsabgabenordnung-Kommentar, Band II, 9e édit, ad § 204 AO, Anm. 6 al. (10)). Force est en effet de constater que le paragraphe 205 (3) AO ne fait pas une telle distinction et qu’il n’appartient pas au juge administratif de distinguer là où la loi ne distingue pas. En outre, s’il est bien vrai, comme le soutient le délégué du Gouvernement, que le paragraphe 166 (2) AO dispose notamment qu’il appartient exclusivement au bureau d’imposition de décider de l’imposabilité d’une situation, il n’en demeure pas moins que le paragraphe 205 (3) AO ne contient aucun renvoi au paragraphe 166 (2) AO pour en faire une exception par rapport à la procédure de consultation du contribuable. Par ailleurs, on ne saurait dénier que le contribuable, dans sa déclaration d’impôt, ne se confine pas à indiquer des éléments de fait, mais opère, d’une manière au moins implicite, certaines qualifications de ces éléments qui s’analysent en des questions de droit, de sorte que les questions de fait et de droit sont pour le moins enchevêtrées dans ce document émanant du contribuable et sur lequel le bureau d'imposition se fonde pour asseoir son obligation fiscale. Le contribuable, sans avoir de ce chef le pouvoir de prendre une décision d’imposition, a cependant intérêt, tout comme pour une divergence de vues existant quant aux éléments de fait susceptibles d’influer sur la décision d’imposition, à présenter son argumentation devant le bureau d’imposition quant à l’interprétation ou à l’application de certaines dispositions légales ou réglementaires par rapport à sa situation fiscale, ceci afin d’éviter des réclamations et recours ultérieurs.
Il s’ensuit que le paragraphe 205 (3) AO s’impose tant en ce qui concerne les questions de fait que les questions de droit.
Il se dégage des pièces versées par le demandeur, non autrement contestées en cause, que celui-ci a déposé avec sa déclaration d’impôt pour l’année 1992 les annexes préimprimées dûment remplies concernant les professions des médecins et médecins-dentistes, un tableau d’amortissement, un relevé des acquisitions d’immobilisations amortissables, ainsi que plusieurs documents par lui confectionnés tendant à expliciter certains frais professionnels. Le bureau d'imposition n’a par contre sollicité du demandeur ni la présentation de sa comptabilité, ni une prise de position de sa part sur la question de savoir si la comptabilité par lui tenue constitue une comptabilité régulière.
Le bureau d'imposition a ainsi décidé que le report de pertes ne pouvait être accordé en l’absence de comptabilité régulière sans avoir préalablement questionné le demandeur sur la nature exacte de sa comptabilité et sans lui avoir permis par la-même de prendre utilement position par rapport à la question de la conformité de cette comptabilité à l’article 114 LIR, laquelle conditionne le report de la perte antérieure par lui déclarée.
Le tribunal est ainsi amené à constater que le demandeur a été privé de son droit consacré par le paragraphe 205 (3) AO à être entendu sur la question de savoir si la comptabilité par lui tenue constitue une comptabilité régulière dans le chef d’un contribuable exerçant une profession libérale, conformément aux dispositions de l’article 114 LIR et des paragraphes 160 à 162 AO.
Par ailleurs, le paragraphe 171 (2) AO, en obligeant le contribuable à soumettre pour inspection sa comptabilité sur demande au bureau d’imposition, confère au bureau d'imposition une base légale suffisante pour solliciter la présentation de la comptabilité complète telle que tenue par le contribuable, dès lors que des questions de qualification y relatives sont soulevées.
3 En présence de la violation de la formalité substantielle contenue au paragraphe 205 (3) AO, le bulletin déféré du 8 février 1996 encourt l’annulation sans qu’il y ait lieu d’analyser plus loin les autres moyens présentés par le demandeur.
PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en réformation recevable, le dit également fondé, partant annule le bulletins de l’impôt sur le revenu pour l’année 1992 déféré et renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, et lu à l'audience publique du 5 mai 1999 par le premier vice-président en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
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