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03/05/1999 | LUXEMBOURG | N°10544

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 1999, 10544


N° 10544 du rôle Inscrit le 2 février 1998 Audience publique du 3 mai 1999

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Recours formé par la société à responsabilité limitée GUTLAND s. à r.l.

contre un bulletin émis par le bureau d’imposition Sociétés 4 en matière de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10544 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 février 1

998 par Maître Paul BEGHIN, assisté de Maître Jean SCHAFFNER, tous les deux avocats inscrits à la liste I du...

N° 10544 du rôle Inscrit le 2 février 1998 Audience publique du 3 mai 1999

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Recours formé par la société à responsabilité limitée GUTLAND s. à r.l.

contre un bulletin émis par le bureau d’imposition Sociétés 4 en matière de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10544 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 février 1998 par Maître Paul BEGHIN, assisté de Maître Jean SCHAFFNER, tous les deux avocats inscrits à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée GUTLAND s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’un bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour l’année 1988, émis par le bureau d’imposition Sociétés 4 en date du 13 mai 1993, suite au silence gardé par le directeur de l’administration des Contributions directes postérieurement à une réclamation introduite auprès de lui en date du 5 août 1993;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 1998;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Jean SCHAFFNER ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

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La société anonyme GUTLAND S.A., établie et ayant son siège social à L-…, constituée le 28 novembre 1972, a, d’après l’article 3 de ses statuts, « … pour objet la promotion immobilière, l’achat, la vente, la mise en valeur, la location d’immeubles, l’administration d’immeubles et de sociétés immobilières, les activités de conseil en matière immobilière, au Luxembourg et à l’étranger … ».

Lors d’une assemblée générale extraordinaire du 23 décembre 1975, les actionnaires de la société anonyme GUTLAND ont décidé de porter le capital initial de 1.000.000.- francs à 10.000.000.- francs.

1 Le capital social de la société (anonyme GUTLAND) a encore été augmenté à 25.000.000.- francs par une décision de l’assemblée générale extraordinaire du 25 mars 1983.

En date du 29 juillet 1985, les actionnaires de la société anonyme GUTLAND ont décidé de transformer la société GUTLAND en une société à responsabilité limitée, dénommée ci-après « GUTLAND », tout en maintenant le capital social à 25.000.000.- francs. Lors de la refonte des statuts, la société a gardé le même objet social que celui de la société anonyme.

Par une décision prise par les actionnaires de GUTLAND lors d’une assemblée générale extraordinaire du 23 décembre 1988, le capital social a été réduit à 7.500.000.- francs.

Il ressort du bilan dressé au 31 décembre 1988, que GUTLAND possédait à cette date un capital social de 7.500.000.- francs, une réserve légale de 750.000.- francs et des résultats reportés de 5.818.178.- francs. Il se dégage encore du compte de profits et pertes au 31 décembre 1988, que GUTLAND avait, au cours de l’exercice en question, des activités sociales très réduites. Il se dégage par ailleurs du compte-courant d’actionnaires que ce dernier s’élevait au 12 octobre 1988 à un montant en capital de 19.091.753.- francs et à un montant en intérêts de 885.020.- francs. Ce compte a été apuré, d’une part, par la réduction du capital social décidée par les actionnaires en date du 23 décembre 1988 et, d’autre part, par un versement de 2.476.773.- francs au 12 octobre 1988, ramenant ce compte à 0.- francs au 31 décembre 1988.

Il ressort de la déclaration de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux, établie par GUTLAND en date du 26 septembre 1988, qu’en date du 31 décembre 1987, la société avait alloué des dividendes pour un montant de 7.310.000.- francs et qu’une retenue d’impôt de 17,65% équivalant à 1.290.000.- francs avait été effectuée. Aucune déclaration n’a été faite à ce titre pour l’année 1988, étant donné que d’après les explications non contredites du mandataire de GUTLAND, des dividendes n’ont pas été distribués au cours de l’année en question.

Le bureau d’imposition Sociétés 4 de l’administration des Contributions directes émit le 13 mai 1993 un bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour l’année 1988, fixant la retenue d’impôt à effectuer par GUTLAND au titre de l’exercice en question à 3.088.750.- francs au motif qu’« à défaut de raisons économiques sérieuses, la réduction du capital social de 25.000.000.- francs à 7.500.000.- francs en date du 23 décembre 1988 est à considérer, du point de vue fiscal, comme distribution de bénéfice passible d’une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux ».

Contre le bulletin précité, GUTLAND introduisit, par lettre du 5 août 1993, une réclamation auprès de l’administration des Contributions directes, en soutenant principalement que la réduction du capital social serait motivée par une réduction de l’activité de la société et qu’elle serait partant justifiée pour des raisons économiques. Elle soutenait encore dans la prédite lettre qu’à son avis le paragraphe 205 alinéa 3 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », n’aurait pas été respecté.

Par une déclaration datée du 10 août 1993, GUTLAND a renoncé à toute prescription en cours concernant plus particulièrement la retenue d’impôts sur les revenus de capitaux pour l’année 1988.

2 Au voeu des dispositions combinées des articles 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif et du paragraphe 228 AO, un recours de pleine juridiction est prévu contre les décisions du directeur en matière de détermination de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux, de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit au nom de GUTLAND. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le recours en réformation formé au nom de la demanderesse, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Les questions de procédure étant à analyser avant les questions ayant trait au fond, le tribunal est tout d’abord amené à examiner le moyen invoqué par la demanderesse quant à une prétendue violation du paragraphe 205, alinéa 3 AO. La demanderesse estime en effet qu’il y aurait en l’espèce violation de la disposition précitée au motif que le bureau d’imposition aurait dû obtenir, avant de procéder au redressement, une prise de position du contribuable en vue du redressement projeté, ceci afin de garantir le caractère contradictoire de la procédure d’imposition. En l’espèce, le défaut par le bureau d’imposition de respecter le paragraphe 205 alinéa 3 en question constituerait un vice de forme grave l’ayant mise dans l’impossibilité de justifier les raisons économiques qui l’ont obligée à réduire son capital social, et d’expliquer les raisons pour lesquelles cette réduction ne saurait être considérée comme constituant une distribution cachée de bénéfices au titre de laquelle elle aurait dû effectuer une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux.

Le délégué du gouvernement rétorque qu’en l’espèce, il n’y aurait pas eu violation du paragraphe 205 alinéa 3 AO, au motif que cette disposition légale serait propre à la procédure d’imposition par déclaration contrôlée, mais ne s’appliquerait pas à une action d’office telle que la poursuite du tiers responsable d’une retenue d’impôt. Il soutient encore que cette disposition ne garantirait un droit d’être entendu qu’en ce qui concerne les constatations en fait et non pas aux questions de droit qui seraient expressément réservées au bureau d’imposition en vertu du paragraphe 166 AO. En l’espèce, le bureau d’imposition se serait contenté de qualifier des faits déclarés par la demanderesse et d’y appliquer la loi d’impôt et partant il n’aurait pas été tenu de communiquer sa décision avant de la notifier.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».

Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO ne saurait toutefois trouver application en l’espèce, étant donné que la demanderesse n’a pas soumis de déclaration d’impôt au bureau d’imposition, par rapport à laquelle ce dernier aurait pu retenir des éléments de droit ou de fait 3 susceptibles d’influer sur la décision d’imposition, en s’écartant de la situation telle que déclarée par le contribuable.

La demanderesse, en se basant sur le paragraphe 205 alinéa 3 AO, a nécessairement entendu invoquer l’obligation générale incombant au bureau d’imposition de l’entendre, préalablement à la décision d’imposition, sur l’interprétation juridique qu’il entendait accorder aux faits, découlant, implicitement mais nécessairement, du paragraphe 204 alinéa 1er AO.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO constitue en effet une application du principe général du droit pour le contribuable d’être entendu par le bureau d’imposition (« Anspruch auf Gehör »), tel qu’il résulte du paragraphe 204 alinéa 1er AO. L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible de fixer une imposition correcte de la situation patrimoniale d’un contribuable (v.

Becker, Riewald, Koch: Reichsabgabenordnung, Kommentar, Band II, Carl Heymanns Verlag, 1965, 6. Das Recht auf Gehör, page 288 et s.) Le principe général du droit découlant du paragraphe 204 alinéa 1er AO, en vertu duquel le contribuable a le droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration ou lui fixant une imposition sur base des informations et documents qui sont à la disposition du bureau d’imposition, doit être interprété comme comportant un droit élémentaire au profit du contribuable face à l’administration fiscale, découlant à la fois du principe du contradictoire et des droits de la défense durant la phase précédant l’établissement d’un bulletin d’impôt, pareille façon de procéder étant de plus de nature à éviter des réclamations et recours ultérieurs.

Le droit à la consultation du contribuable par le bureau d’imposition ne s’applique pas exclusivement à des questions ayant trait à la matérialité des faits soumis à imposition, mais également aux questions de droit, tenant à l’interprétation à donner aux dispositions légales ou réglementaires et à la qualification juridique des faits. Pour que l’obligation prévue par la disposition précitée trouve application, il suffit que le bureau d’imposition entende s’écarter de manière notable d’une situation existante, découlant des informations et documents qui sont en sa possession, peu importe que cette divergence de vue porte sur des questions de fait ou sur des questions de droit. S’il est vrai, comme le soutient le délégué du gouvernement, que le paragraphe 166 alinéa 2 AO dispose notamment qu’il appartient exclusivement au bureau d’imposition de décider de l’imposabilité d’une situation, il n’en demeure pas moins que le contribuable, sans avoir évidemment le pouvoir de prendre une décision d’imposition, a intérêt, tout comme pour une divergence de vues existant quant aux éléments de fait susceptibles d’influer sur la décision d’imposition, à présenter son argumentation devant le bureau d’imposition quant à l’interprétation ou à l’application de certaines dispositions légales ou réglementaires ou encore par rapport à la qualification juridique des faits par rapport à sa situation fiscale, ceci afin d’éviter des réclamations et recours ultérieurs.

La formalité se dégageant du principe général énoncé ci-avant étant ainsi destinée à protéger les droits des contribuables, tout en contribuant à éviter des réclamations et recours ultérieurs, elle doit être qualifiée de substantielle. Dans la mesure où la violation de cette formalité a été invoquée devant le tribunal dans le cadre d’un recours ayant pour objet une cote d’impôt ou le principe d’imposabilité, elle entraîne l’annulation des bulletins d’impôt émis au terme de la procédure ainsi viciée.

4 En l’espèce, la demanderesse n’a pas soumis de déclaration de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour l’année 1988, faute de distribution de dividendes au cours de l’année en question, en estimant que la réduction du capital social de 17.500.000.- francs n’était pas à considérer comme constituant une telle distribution. Le bureau d’imposition, en procédant à une interprétation divergente des faits tels qu’ils se présentent à lui à la suite du dépôt, par la demanderesse, d’une déclaration pour l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année civile 1988, a omis d’informer celle-ci, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt déféré, qu’il se proposait de requalifier la réduction du capital social comme distribution de bénéfices passible d’une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux. Il a ainsi mis la demanderesse dans l’impossibilité de justifier les raisons économiques sérieuses qui, à son avis, justifieraient l’opération accomplie et partant ses droits de la défense ont été violés.

Le tribunal administratif peut, dans le cadre d’un recours en réformation, se limiter à prononcer l’annulation du bulletin déféré au cas où, comme en l’espèce, une formalité substantielle n’a pas été respectée lors de l’instruction du dossier par le bureau d’imposition. Il s’ensuit que le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux pour l’année 1988, émis le 13 mai 1993, encourt l’annulation, de sorte que l’analyse des autres moyens invoqués devient superflue.

La demande de GUTLAND en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 75.000.- francs n’est pas fondée, les conditions de l’article 131-1 du code de procédure civile n’étant pas remplies.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare partiellement justifié;

annule le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour l’année 1988, émis le 13 mai 1993;

renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes;

déclare la demande en allocation d’une indemnité de procédure non fondée;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge 5 Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 3 mai 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s.

Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10544
Date de la décision : 03/05/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-05-03;10544 ?

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