N° 11225 du rôle Inscrit le 1er avril 1999 Audience publique du 30 avril 1999
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Recours formé par Madame … OSMANOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11225 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er avril 1999 par Maître Michel MOLITOR, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Sandrine DAMY-
CHOMETON, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Madame … OSMANOVIC, née …au Monténégro en Yougoslavie, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 octobre 1998, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse le 29 avril 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sandrine DAMY-CHOMETON et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 juillet 1998, Madame OSMANOVIC, de nationalité yougoslave, née … au Monténégro (Yougoslavie), sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, sollicita oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Madame OSMANOVIC fut entendue en date du 28 juillet 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 9 septembre 1998, le ministre de la Justice informa Madame OSMANOVIC, par lettre du 8 octobre 1998, notifiée le 5 novembre 1998, que sa demande en obtention du statut de réfugié avait été 1 déclarée manifestement infondée aux motifs suivants: « (…) il ressort de votre dossier que votre demande qui n’a été introduite que 7 ans après votre arrivée au Luxembourg a uniquement été faite dans le but de prévenir une expulsion imminente et ne repose sur aucun fait crédible.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile (…) ».
Le 4 décembre 1998, Madame OSMANOVIC introduisit un recours gracieux contre la décision ministérielle de refus précitée du 8 octobre 1998.
Par requête déposée le 1er avril 1999, Madame OSMANOVIC a formé un recours en réformation et subsidiairement en annulation contre la prédite décision ministérielle.
Lors de son audition du 28 juillet 1998, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, la demanderesse a notamment déclaré qu’elle a « essayé la voie régulière d’avoir un permis de travail et une autorisation de séjour, comme cette voie menait à rien, je suis forcée de demander l’asile politique, car je vis depuis 7 ans à Luxembourg. Je ne veux en aucun cas retourner en Yougoslavie. D’abord j’étais en visite chez la famille, puis la situation en Croatie puis en Bosnie est devenue mauvaise en raison de la guerre. J’ai alors trouvé du travail et je ne voulais plus retourner ». Elle a encore précisé que la situation au Monténégro « était aussi mauvaise que 2 de mes voisins se sont suicidés en raison de leurs problèmes avec la police, il y avait les fouilles pour les armes et les interrogations de la police ». Questionné sur ses intentions de retourner dans son pays, elle a répondu ne plus vouloir y retourner, même si la situation s’améliorait, étant donné que « la politique là-bas ne changera jamais ».
Par ailleurs, elle a déclaré ne pas avoir été accusée ou condamnée pour un crime ou un délit, qu’elle n’a pas été incarcérée avec ou sans jugement, qu’elle a cependant « peur de la situation politique », étant donné que « tout le monde se sauve du pays et il n’a pas de lois là-
bas. Comme tout le monde se sauve de là-bas, vous pouvez voir que je dis la vérité ». Elle n’a pas entrepris une action quelconque qui pourrait entraîner des persécutions contre elle, en précisant que « quand j’étais là-bas la situation était normale, maintenant la situation ne l’est plus », qu’elle a peur de la politique des Serbes, qu’elle n’a pas d’opinions politiques, - « je sais seulement ce que j’entends et ça me fait peur ». Questionnée au sujet de ce qu’elle avait entendu, elle a répondu « j’ai entendu qu’ils sont maltraités, que les femmes sont violées et que tout ça est illégal ».
Dans son recours elle a encore précisé que sa crainte de subir des persécutions en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance à la population musulmane serait d’autant plus grande, depuis qu’elle a mis au monde un enfant, né le 26 octobre 1998, dont le père est d’origine bosniaque. Elle soutient que cette crainte serait justifiée, eu égard au fait que les couples d’origine mixte et leurs enfants seraient traités mal dans l’ensemble de l’ex-
Yougoslavie. Ses craintes seraient encore justifiées par le fait qu’un des membres de sa famille, à savoir Monsieur Fadil OSMANOVIC, se serait suicidé en raison des harcèlements et des violences que sa famille et lui même auraient subis de la part de la police serbe. Par ailleurs, plusieurs autres membres de sa famille auraient fui leur pays et obtenu le statut de réfugié en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne.
2 Elle conclut à la réformation sinon à l’annulation de la décision critiquée pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.
Elle reproche au ministre d’avoir fait un examen superficiel et insuffisant des faits et de ne pas avoir pris en considération les craintes réelles de persécution résultant de son appartenance à la communauté musulmane et de la naissance de son enfant, dont le père est bosniaque. Enfin, elle soutient qu’on ne saurait la sanctionner pour avoir attendu 7 années avant d’introduire sa demande en obtention du statut de réfugié.
Le délégué du gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif que la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, ne prévoit pas de recours au fond en la matière.
Quant au fond, il estime que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande en obtention du statut de réfugié politique de la demanderesse manifestement infondée, au motif que les craintes basées sur la situation de couple mixte ne seraient pas fondées, dès lors que le dossier administratif révélerait que le père de l’enfant vit en Allemagne et qu’il n’existe plus de contact entre la demanderesse et l’intéressé et qu’il ressortirait de l’acte de naissance versé en cause que le père de l’enfant ne l’a pas reconnu.
Selon le délégué du gouvernement la demande de Madame OSMANOVIC ne repose sur aucun fait crédible de nature à justifier l’octroi du statut sollicité.
Quant au recours en réformation L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demande d’asile déclarée manifestement infondée, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.
Quant au recours en annulation Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement… ».
Au voeu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996, une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Le paragraphe 2) lettre e) dudit article 6 précise que tel est notamment le cas lorsque le demandeur, « ayant eu largement au préalable l’occasion de présenter une demande d’asile, [a] présenté la demande en vue de prévenir une mesure d’expulsion imminente ».
3 Il ressort d’une déclaration d’arrivée faite par Madame … OSMANOVIC, le 3 avril 1992 à la commune de Rambrouch, qu’elle a déclaré être entrée sur le territoire du Grand-
Duché de Luxembourg à la même date du 3 avril 1992, tandis qu’un procès-verbal n°271/97 dressé par le commissariat de police de Diekirch le 20 juin 1997 renseigne que Madame OSMANOVIC a déclaré résider en fait déjà depuis le mois d’août 1991 au Luxembourg. Lors de son audition du 28 juillet 1998, elle a confirmé cette dernière information, en indiquant séjourner au Luxembourg depuis 7 ans.
Lors des plaidoiries et sur question afférente du tribunal, le mandataire de la demanderesse a confirmé que sa mandante séjournerait au pays depuis 1991, sans préjudice quant à la date exacte.
Il ressort encore des éléments du dossier que Madame OSMANOVIC a exercé différents emplois (d’abord dans une boucherie du 15 juillet 1992 au 29 mars 1995; ensuite comme aide ménagère et garde d’enfants du 6 mai 1995 jusqu’à une date - non précisée, mais postérieure au 17 mai 1995 -, enfin, dans une entreprise de nettoyage) sans être en possession d’un permis de travail, tel que cela se dégage notamment des décisions de refus du ministre du Travail et de l’Emploi des 25 juillet 1995, 19 juillet 1996 et 30 juillet 1997.
Le tribunal relève encore que Madame OSMANOVIC a présenté différentes demandes en obtention d’une autorisation de séjour (en date des 24 novembre 1993, 15 février 1995, 17 mai 1995, 28 août 1995, 2 mai 1997 et 5 janvier 1998) qui se sont toutes soldées par des décisions de refus (décisions du ministre de la Justice des 23 mai 1995, 19 septembre 1995 -
confirmée, sur recours gracieux, le 23 octobre 1995 -, 10 juin 1997, confirmée sur recours gracieux, 10 décembre 1997 et 9 février 1998).
En outre, il ressort notamment d’un rapport n°271/97 du commissariat de police de Diekirch du 20 juin 1997 que « wie im Schreiben vom 10.6.1997 des Justizministeriums, Serv.
des Etrangers, erwähnt, adressiert im Original an Maître E. R. aus Diekirch, informationshalber an die Polizei in Diekirch versandt, mit der Aufforderung OSMANOVIC aufzufordern das Land sofort zu verlassen, wurde dieser Aufforderung am Freitag, dem 20.06.1997, gegen 10.00 Uhr, nachgekommen. (…) ».
Il ressort encore d’un rapport n°814 de la brigade de gendarmerie de Redange/Attert du 13 octobre 1997, que « (…) OSMANOVIC wurde mitgeteilt, dass sie das Grossherzogtum binnen 15 Tagen verlassen müsste, jedoch hat es den Anschein, dass derselben dies bereits mehrmals mitgeteilt wurde.
Seitens der Gendarmerie Rambrouch wurde überprüft, dass OSMANOVIC wirklich zu Koetschette bei ihrem Onkel wohnhaft ist und auch noch bis dato sein dürfte; jedoch erhielt besagte Stelle keinen Einlass in das betreffende Haus. Trotz der gesetzten Frist dürfte OSMANOVIC also noch hierlands verweilen.
Hiesigerseits wurde sich auf Gegenwärtiges beschränkt und dortiger Stelle zurückgereicht um ev. eine definitive Ausweisung der besagten OSMANOVIC in die Wege leiten resp. eine andere Entscheidung zu treffen. » 4 Sur base des considérations qui précèdent, ensemble le fait que, lors de son audition du 28 juillet 1998, la demanderesse a clairement reconnu avoir introduit sa demande en obtention du statut de réfugié faute d’avoir pu obtenir des autorisations de séjour et de travail au Luxembourg et pour éviter de devoir retourner en Yougoslavie, le ministre a valablement pu conclure que Madame OSMANOVIC, qui, au moment de l’introduction de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié politique, séjournait au Grand-Duché de Luxembourg depuis 7 années, avait eu largement l’occasion de présenter une demande d’asile et que sa seule motivation de présenter sa demande était de prévenir une mesure d’expulsion imminente, ceci constituant partant un recours abusif aux procédures en matière d’asile.
Etant donné que la demanderesse est restée et reste toujours en défaut de présenter des explications satisfaisantes relativement à son recours tardif et abusif aux procédures en matière d’asile, son recours est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique extraordinaire du 30 avril 1999, par le premier juge, délégué à cette fin, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 5