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29/04/1999 | LUXEMBOURG | N°10645

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 avril 1999, 10645


N° 10645 du rôle Inscrit le 27 mars 1998 Audience publique du 29 avril 1999

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Recours formé par BRECHER LUXEMBOURG & DEUTSCHLAND GMBH contre un bulletin émis par le bureau d’imposition Sociétés V en matière d’impôt sur le revenu des collectivités

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10645 et déposée le 27 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain STEICHEN, avocat inscrit à la lis

te I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société BRECHER LUXEMBOUR...

N° 10645 du rôle Inscrit le 27 mars 1998 Audience publique du 29 avril 1999

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Recours formé par BRECHER LUXEMBOURG & DEUTSCHLAND GMBH contre un bulletin émis par le bureau d’imposition Sociétés V en matière d’impôt sur le revenu des collectivités

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10645 et déposée le 27 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain STEICHEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société BRECHER LUXEMBOURG & DEUTSCHLAND GMBH, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation d’un bulletin d’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 1991, émis le 2 décembre 1993;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 1998;

Vu la note complémentaire déposée au greffe du tribunal administratif par Maître Alain STEICHEN en date du 3 février 1999;

Vu les pièces versées en cause et plus paY.culièrement le bulletin entrepris;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Alain STEICHEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

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La société BRECHER LUXEMBOURG & DEUTSCHLAND GMBH, anciennement …, établie et ayant son siège social à L-…, dénommée ci-après « BLD », spécialisée dans la vente de concasseurs, représentée par son gérant Monsieur Roger X., déposa le 11 mai 1992 sa déclaration de l’impôt sur le revenu des collectivités concernant l’année 1991. Par lettre du 27 avril 1993, le bureau d’imposition sociétés V demanda des renseignements complémentaires au sujet de sa déclaration d’impôt de l’année 1991 et sollicita la communication de certaines annexes, demande à laquelle BLD faisait suite par courrier du 24 mai 1993. Le bureau d’imposition en question procéda ensuite à une vérification fiscale des livres comptables de BLD le 22 juin 1993. En date du 13 juillet 1993, une réunion eut lieu dans les bureaux de la fiduciaire …, en charge des intérêts de BLD.

Il ressort d’une lettre du 22 juillet 1993 adressée par le bureau d’imposition à BLD que « lors de la vérification fiscale de vos livres comptables, conformément au paragraphe 162 1 alinéa 9 de la loi générale des impôts par les vérificateurs Monsieur … et Madame …en date du 22 juin 1993 en présence de Monsieur X. et de Madame …, il a été constaté que votre comptabilité n’est pas conforme quant à la forme et quant au fond. Votre comptabilité présente en effet les défauts suivants: - comptabilisation en bloc ne permettant pas un contrôle efficace - pièces comptables classées pêle-mêle sans indication de comptabilisation ni de numéros de référence - en général la comptabilité ne se présente pas d’une façon claire et nette (…) ».

Par lettre du 27 juillet 1993, la prédite fiduciaire communiqua les informations et documents qui manquaient au bureau d’imposition pour clôturer les impositions des années 1989 à 1992. Suite à un entretien téléphonique que le vérificateur Madame … a eu avec le gérant Monsieur Roger X. concernant des prêts que ce dernier aurait accordés à Monsieur … pour le compte d’une société de droit allemand Y., BLD transmetta les photocopies des ordres de virements, chèques ou débit en compte concernant ces transactions.

Le bureau d’imposition Sociétés V émit en date du 2 décembre 1993 le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités ayant trait à l’année 1991. En bas du prédit bulletin a été apposée la notice suivante: « détail concernant l’imposition: - Distribution cachée de bénéfice, voir explication sur le bulletin de la retenue sur les revenus de capitaux -

l’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants: les machines dites Brechanlagen constituent des marchandises pour l’entreprise et ne sont par conséquent pas amoY.ssables, d’où la reprise de l’amoY.ssement de 7.293.293.- Les acomptes sur machines 1990 sont à considérer comme recettes, en supposant que ces acomptes payés en 1990 se rapportent à des machines vendues en 1991 - La location des machines 1991 n’est pas à considérer comme telle, mais comme acomptes reçus de clients - L’aménagement des bureaux à Niederanven constitue une charge à amoY.r sur la durée du bail, soit 9 années. (1990-2000) - La différence du bénéfice réalisé sur la vente des machines résulte de la valeur la plus élevée des machines vendues, due à la reprise de l’amoY.ssement en 1989 et 1990 ».

Par courrier daté du 17 décembre 1993, adressé au directeur de l'administration des Contributions directes, la fiduciaire …, introduisit au nom et pour compte de BLD une réclamation à l’encontre du prédit bulletin dans la mesure où le bureau d’imposition a considéré que l’amoY.ssement d’une créance de BLD à l’encontre de Y. devait être considéré comme une distribution cachée de bénéfices à hauteur de 7.254.663.- francs.

En l’absence d’une décision directoriale à la suite de la susdite réclamation du 17 décembre 1993, BLD, par le biais de son mandataire, a introduit le 27 mars 1998 une requête tendant à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités relatif à l’année 1991.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle entretiendrait d’étroites relations commerciales avec Y.. Les deux sociétés auraient été constituées en 1989 et la société allemande servirait de relais pour les clients allemands qui ne veulent pas traiter avec une firme luxembourgeoise, en l’occurence BLD. Y. serait détenue par BLD, en précisant que « l’actionnaire de Y. », Madame Eliane STORCK, serait salariée auprès de BLD et qu’elle aurait agi à titre fiduciaire pour cette dernière lors de l’acquisition des parts sociales dans Y..

Dans le cadre de ces relations, Y. aurait joué le rôle d’intermédiaire commercial pour BLD sur le marché allemand. Il est encore précisé que BLD aurait été le fournisseur quasi unique de Y..

Dans cette optique, des avances de fonds auraient été accordées par BLD afin de donner à Y.

les moyens financiers pour développer ses activités en Allemagne (il s’agirait en l’occurrence 2 d’un montant de 2.456.091.- francs au titre de l’année 1990). Par ailleurs, d’autres avances de fonds auraient été faites directement par le gérant de BLD en son nom personnel pour parer aux problèmes de trésorerie ponctuels que Y. aurait dû affronter (il s’agirait en l’occurrence d’un montant de 4.543.909.- francs au titre des années 1989 et 1990).

Il se serait avéré par la suite que la stratégie commerciale qui consistait à se servir de Y.

comme « tremplin pour l’Allemagne » s’était soldée par un échec en raison notamment « des malversations manifestes et permanentes de Monsieur …, associé à la Y. ». Monsieur X.

aurait même engagé une action judiciaire contre Monsieur … auprès du « Landgericht … ».

La demanderesse fait ensuite exposer que la créance qu’elle détenait sur Y. serait devenue irrécouvrable en raison de la « mise en faillite de Y. ». La créance aurait alors été comptabilisée dans les états financiers de BLD comme charge de l’exercice 1991.

Dans son recours, BLD fait contester l’analyse faite par le bureau d’imposition Sociétés V qui a vu dans l’amoY.ssement de cette créance une distribution cachée de bénéfices, en exposant que « Nous contestons l’analyse faite par l'administration des Contributions directes, et ce à hauteur de 7.000.000.-francs (la différence de LUF 254.663 n’est pas critiquée par nous) ».

A ce titre, elle fait valoir que le prêt de 7.000.000.- francs accordé par BLD à Y. se subdiviserait en deux parties. Il serait composé, d’une part, d’une avance de 4.543.909.- francs accordée par Monsieur X. personnellement et, d’autre part, d’une avance de 2.456.091.- francs accordée directement par BLD à Y.. Elle conclut que la distribution cachée de bénéfices pourrait au maximum s’élever au montant avancé par Monsieur X. et remboursé par BLD, soit 4.543.909 francs. Le bureau d’imposition aurait donc « fait une erreur manifeste sur le montant de 2.456.091.- francs » Concernant le montant de 4.543.909.- francs, elle fait valoir que s’il y avait eu une distribution cachée de dividendes, elle aurait nécessairement eu lieu au moment où BLD avait remboursé à Monsieur X. les fonds avancés par ce dernier à Y.. Or, ce remboursement aurait été effectué le 28 décembre 1990 alors que le bureau d’imposition mettrait en cause ce remboursement comme distribution cachée de dividendes au titre de l’exercice 1991. Elle soulève que conformément à l’article 100 de la Constitution et à l’article 1er de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », qui énoncent le principe de l’annualité de l’impôt, chaque exercice fiscal doit être apprécié individuellement. Le bureau d’imposition n’aurait dès lors pas le droit de « rattraper » une erreur qu’il aurait commise lors de l’établissement du bulletin d’imposition relatif à l’année 1990 à l’occasion de l’établissement du bulletin d’imposition relatif à l’année 1991.

A titre subsidiaire, elle conteste que le remboursement de la dette de Y. par BLD à Monsieur X. s’explique uniquement par son statut d’associé. Elle estime que Monsieur X.

n’aurait pas avancé les fonds en tant qu’associé, mais dans le cadre d’un mandat, étant donné qu’il était le gérant de BLD. Il aurait agi en tant que mandataire légal de BLD et non pas à titre privé. Le financement de Y. par BLD, cette dernière étant la société mère, ne pourrait pas non plus prêter à critique vu les liens commerciaux étroits qui existaient entre eux, étant entendu que « l’une ne pourrait fonctionner sans l’autre ». Ce serait dans le cadre de cette interdépendance que Monsieur X. aurait agi à titre de gérant de BLD et qu’il aurait « avancé les sommes servant tant aux besoins de l’une qu’aux intérêts de l’autre ». Quant au fait que Monsieur X. aurait avancé personnellement les fonds à Y. lorsque cette dernière avait des 3 problèmes de trésorerie, ceci s’expliquerait par le mode de gestion de ces deux sociétés, étant donné que faute de temps et en raison d’un « certain relâchement dans la gestion administrative », Monsieur X., qui rendait souvent « visite » à Y., aurait accordé des avances par le débit de son compte bancaire plutôt que de passer par BLD.

A titre plus subsidiaire, elle fait exposer que Monsieur X. aurait agi dans le cadre d’une gestion d’affaires pour BLD. Le code civil imposerait dès lors l’obligation au géré d’indemniser le gérant pour tout préjudice personnel qu’il aurait subi et notamment de lui rembourser toutes les dépenses utiles et nécessaires qu’il aurait engagées en tant que gérant.

Le délégué du gouvernement limite ses observations à deux points en relevant en premier lieu que « si le remboursement avait effectivement eu lieu pendant l’année d’imposition 1990, la reprise au titre de l’année litigieuse ne serait pas fondée » et en deuxième lieu « quant au fond, les allégations concernant la qualité en laquelle l’associé-

gérant de la recourante a contracté la créance litigieuse contre la société Y. sont contredites par les pièces jointes au recours desquelles il résulte qu’au contraire l’associé a agi à titre personnel ».

A la demande du tribunal, le mandataire de BLD a déposé certaines pièces qui manquaient dans le dossier fiscal, et, à cette occasion, il a également déposé une note de plaidoiries supplémentaire.

Dans cette note, la demanderesse fait valoir que la charge comptable critiquée par le bureau d’imposition, et qui résulterait du fait que la créance de BLD envers Y. serait irrécouvrable, aurait trait à la livraison d’un concasseur (Brechanlage) par BLD à Y.. Elle expose à ce sujet que Y. n’aurait pas eu les moyens financiers de régler le prix d’achat de cette installation à BLD. Y. aurait alors, dans un premier stade, cédé l’installation à une tierce entreprise, en l’espèce une entreprise Z., pour ensuite transférer la créance qu’elle détenait sur cette entreprise à BLD. Comme l’entreprise Z. serait devenue insolvable, BLD aurait récupéré l’installation, en raison d’une clause de réserve de propriété, pour la revendre à une autre société, à savoir l’entreprise A.. Le produit de cette vente aurait été enregistré au chiffre d’affaires de BLD et aurait partant augmenté le bénéfice de BLD. Il n’y aurait dès lors pas eu une distribution cachée de dividendes, mais une vente de marchandises qui a engendré un bénéfice.

Au voeu des dispositions combinées des articles 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif et des paragraphes 228 et 235 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », le tribunal administratif est compétent pour statuer comme juge du fond sur les recours contre des bulletins de l’impôt sur le revenu en cas de silence du directeur suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable. Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par BLD. Le recours ayant été déposé dans les formes et délai de la loi, il est également recevable.

Le recours est basé sur ce que le bureau d’imposition Sociétés V aurait à tort qualifié de distribution cachée de dividendes l’amrtissement d’une créance effectué à hauteur du montant de 7.000.000.- francs.

Aux termes du paragraphe 171 AO, il incombe au contribuable de fournir la preuve de l’exactitude des déclarations d’impôts.

4 Il convient dès lors d’examiner si, en l’occurence, la preuve des allégations de la demanderesse a été rapportée à suffisance de droit.

Force est de constater que la demanderesse fournit deux versions diamétralement opposées pour justifier l’existence d’une charge amortissable dans son chef.

La deuxième version des faits, telle qu’exposée par la demanderesse dans sa note de plaidoiries du 3 février 1999, est à écarter, étant donné qu’elle est formellement contredite par les données telles qu’elles ressortent du dossier fiscal, des documents comptables ainsi que des explications fournies par le comptable de BLD, la fiduciaire…. En effet, lors de la vérification des livres comptables, BLD a été priée de fournir des explications au sujet du montant de 7.000.000.- francs enregistré en tant que charge au titre de l’année 1991. Par lettre du 27 juillet 1993, la fiduciaire … fournit les explications suivantes: « Le montant de LUF 7.000.000.-

enregistré en charges en 1991 représente une annulation presque totale de la créance envers Monsieur … et son entreprise Y.. En effet, lors du commencement des activités de BLD il fut accordé des prêts à ce Monsieur afin de promouvoir la vente de concasseurs en Allemagne (…) ». Il ressort par ailleurs des écritures comptables que le compte 004670 intitulé « débiteurs divers » fait état de divers prêts qui auraient été accordés au courant des années 1989 et 1990 soit à Y. soit à Monsieur …. C’est ce compte qui a ensuite été crédité du montant de 7.000.000.- francs, lorsque BLD a fait valoir au titre de l’année 1991 une charge d’amortissement s’élevant au prédit montant. Il est dès lors exclu que ces prêts puissent avoir trait à une livraison d’un concasseur.

Par ailleurs, il convient encore de préciser que les explications fournies par la demanderesse dans le cadre de cette deuxième version des faits font état d’une opération de reprise d’une installation, en vertu d’une clause de réserve de propriété, suivie d’une vente, de sorte qu’il ne saurait exister de créance à amoY.r du chef du non-paiement de l’installation en question. Il ne pourrait donc s’agir que d’une annulation d’une créance, étant donné que l’installation qui a engendrée la créance a pu être récupérée et vendue avec bénéfice à une tierce entreprise.

Quant à la version des faits initialement présentée et sur laquelle le bureau d’imposition s’est basé lors de l’établissement du bulletin, il est constant que le bureau d’imposition a procédé au redressement de la somme de 7.254.663.- francs. Il ressort du bilan fiscal établi par le bureau d’imposition à l’issue du contrôle fiscal qu’il avait effectué, qu’il s’agit des ajouts hors bilan ayant trait à « l’amortissement d’une créance non admis pour le montant de 7.000.000.- francs, intérêts débiteurs sur compte courant non admis pour le montant de 54.663.- francs et reprise part privée de frais de voiture pour le montant de 200.000.-

francs ». Il est encore constant que la demanderesse accepte comme distribution de dividendes le montant de 254.663.- francs et le tribunal en prend acte.

Selon les explications fournies par la demanderesse, la somme de 7.000.000.- francs se subdiviserait en deux montants, à savoir, d’une part, en un prêt de 4.543.909.- francs accordé par Monsieur X. personnellement respectivement à Y. et à Messieurs Ra.. ou Ro.. …, actionnaires de Y. et, d’autre part, en un prêt de 2.456.091.- francs accordé directement par BLD à Y. ou à Monsieur ….

Il convient donc en premier lieu d’examiner la déductibilité du montant de 4.543.909.-

francs dans le chef de BLD.

5 A ce titre, la demanderesse fait valoir qu’au courant de l’année 1990, elle s’est fait céder par Monsieur X. une créance du montant de 4.543.909.- francs et qu’elle aurait en conséquence remboursé ce montant à Monsieur X. en date du 28 décembre 1990. Au courant de l’année 1991, il se serait avéré que la créance qu’elle détenait sur Y. était irrécouvrable, de sorte qu’elle a procédé à son amoY.ssement intégral au titre de l’exercice 1991.

Lors de l’audience, le mandataire de la partie demanderesse a précisé que Y. n’a pas été déclarée en état de faillite, mais qu’elle aurait été liquidée, sans pouvoir cependant préciser la date de sa mise en liquidation ou de la clôture de la liquidation. Il est soutenu que cette liquidation était inévitable, étant donné que l’associé et gérant de la société Y., Monsieur GOLDMANN, s’était rendu coupable de « malversations manifestes et permanentes ». Le tribunal constate dès lors que la déduction du prêt à charge de l’exercice 1991 ne trouvait pas sa raison d’être dans la mise en faillite de Y., comme la demanderesse le soutient dans sa requête introductive d’instance, mais qu’il pouvait tout au plus s’agir d’un abandon ou d’une renonciation de créance de la part de BLD.

Il ressort des éléments du dossier fiscal que le prêt de 4.543.909.- francs se décomposait en 13 virements ou versements, dont 2 ont été libellés au nom de Y. et 11 au nom de Monsieur Ro… ou Ra… … et portant comme motif de paiement « Privates Darlehen ». Dès lors seulement 2 des 13 versements ou virements ont été effectués au profit de Y.. La partie demanderesse soutient que ces prêts auraient néanmoins été effectués dans l’intérêt de BLD, sans cependant fournir des précisions à ce sujet, sinon de soutenir de manière générale que BLD envisageait de développer ainsi son réseau commercial en Allemagne. La charge de la preuve concernant ces allégations en vertu desquelles les prêts ont été accordés dans l’intérêt de BLD et qu’il s’agissait dès lors bien d’une dépense provoquée exclusivement par l’entreprise, appartient à la partie demanderesse. A défaut d’éléments pertinents et concrets, qui documenteraient cette analyse des faits, qui est par ailleurs contraire au motif de paiement retenu sur 11 des 13 virements constitutifs du prédit prêt, le tribunal considère qu’il n’est pas établi que les virements ou versements effectués à titre privé par Monsieur X. et repris au titre d’une cession de créance par BLD, avaient été effectués au profit de Y., c’est-à-dire qu’ils servaient « à ses besoins ». Il n’a par ailleurs pas été prouvé que les prêts en question, de même que les deux virements effectués au profit de Y., étaient effectués dans l’intérêt de BLD et que cette dernière a pu en tirer un quelconque avantage.

Comme l’activité d’un dirigeant de société doit être dictée par l’intérêt de la société et non par son intérêt personnel, les dépenses faites par le dirigeant dont le lien avec l’intérêt de la société n’est pas établi, ne sauraient être prises en compte pour la détermination du résultat imposable de celle-ci. Ainsi, la reprise par BLD, au titre d’une cession de créance, des prêts élevés que son dirigeant, dans un laps de temps de deux ans, avait accordés à titre personnel à des personnes privées, ainsi que, dans une moindre mesure, à Y., sans pour autant exiger la moindre garantie de ces derniers, constitue une opération dont l’intérêt pour BLD n’est pas établi. BLD n’est donc pas autorisée à amoY.r fiscalement cette créance en diminuant ainsi son revenu imposable de la somme de 4.545.909.- francs. En effet, l’opération telle que menée en l’espèce, à savoir le rachat en date du 28 décembre 1990 de la créance à Monsieur X. que ce dernier détenait contre Messieurs Ra… et Ro… … et Y., pour figurer ensuite au titre de l’année 1991 dans les écritures comptables de BLD en tant que charge intégralement déductible, à cause du caractère prétendument irrécouvrable de cette créance, est une opération contraire à l’intérêt social de BLD. La reprise de la créance litigieuse par BLD ne s’explique dès lors que par le statut d’associé majoritaire de Monsieur X. dans cette société.

6 L’interprétation de l’article 164, alinéa 3 LIR, qui dispose que « les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité », va dans le sens qu’est considérée comme une distribution cachée de bénéfices l’opération consistant à reprendre au profit d’un associé une créance, quoique l’irrécouvrabilité de la créance était à prévoir au moment de sa reprise.

En l’espèce, la reprise de la créance litigieuse et le remboursement y afférent ont eu lieu le 28 décembre 1990, tandis que la créance reprise a été amoY.e pour irrécouvrabilité au cours de l’exercice 1991 par BLD. Au vu de la situation de Y., telle qu’exposée par la partie demanderesse, il était déjà évident au moment de la cession de créance que celle-ci serait irrécouvrable. L’opération globale s’analyse ainsi en une distribution cachée en faveur de Monsieur X..

Le tribunal n’est en l’espèce saisi que du volet de la déductibilité fiscale, au titre de l’exercice 1991, dans le chef de BLD de la charge afférente à cette distribution cachée.

Sur base de l’article 164 alinéa 3 et étant donné qu’il ne s’agit pas d’une créance qui a été reprise dans l’intérêt de la société, c’est dès lors à juste titre que le bureau d’imposition a refusé l’amortissement de la créance à hauteur du montant de 4.543.909.- francs.

Concernant la déductibilité du montant de 2.456.091.- francs, le tribunal constate qu’il ressort des écritures comptables du compte intitulé « débiteurs divers », que seulement une écriture avait trait à une créance que BLD détenait à l’encontre de Y., et ceci à hauteur de 315.000.- francs. Pour le surplus, il s’agissait de prêts accordés à Messieurs Ro… …, associé de Y., …, collaborateur de Y. et…, collaborateur salarié de Y., ainsi que d’une créance du paiement d’une dette de TVA allemande.

Concernant la prétendue créance de TVA du montant de 1.517.040.- francs détenue par BLD à l’encontre de l’administration des Finances allemande, TVA qui a fait l’objet de l’amortissement au même titre que ces prédits prêts, il ressort d’une lettre du 17 décembre 1993 adressée par la fiduciaire … au bureau d’imposition que « cette TVA a été payée par BLD à la frontière allemande et relative à l’importation d’une machine qui n’a pas encore fait l’objet d’une vente. Dès que la vente sera réalisée la TVA devrait être remboursée par l’administration des finances allemande ». L’opération s’analyse donc en un paiement de TVA par BLD lors de l’importation d’une machine. En règle générale, la TVA a un caractère neutre et, en principe, ne se répercute pas sur le bénéfice imposable. Le tribunal constate ainsi qu’il ne s’agit pas d’une créance irrécouvrable qui doit être amortie au titre de l’année 1991, de sorte que le montant de la TVA indûment déduit en tant que charge de l’exercice 1991 doit être réintégré dans les résultats de BLD. A défaut d’éléments à cet égard, le montant de la TVA en cause ne saurait toutefois être assimilé à une distribution cachée de bénéfice dans le chef de Monsieur X..

Concernant les différents prêts accordés directement par BLD, cette dernière n’a pas fourni d’explications ni quant aux motifs qui l’ont amené à accorder des prêts à ces personnes privées et à Y., ni quant au caractère irrécouvrable de ces prêts. Les prêts ainsi alloués par BLD doivent dès lors être qualifiés d’avantages en espèces qui ne trouvent pas de contrepartie équivalente dans le chef des différentes personnes visées ou dans le chef de Y..

7 S’il est de principe que l’administration fiscale n’a pas à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, néanmoins faut-il que l’activité, qui engendre des dépenses dans son chef, soit dictée par l’intérêt de la société.

Dans le cas d’espèce, et à défaut d’avoir fourni des explications cohérentes au sujet de l’emploi exact des fonds qui ont été prêtés à des personnes privées et à Y., ces prêts doivent être considérés comme constituant des libéralités consenties à une autre société et à des personnes liées à cette société avec laquelle le dirigeant a des liens personnels. Ces dépenses ont été effectuées à des fins étrangères à l’entreprise BLD, de sorte qu’elles ne sauraient être prises en compte en tant que dépenses d’exploitation pour la détermination du résultat imposable de celle-ci.

C’est dès lors à juste titre que le bureau d’imposition a refusé l’amortissement de la créance à hauteur du montant de 2.456.091.- francs.

Il n’est cependant pas établi que Monsieur X. ait bénéficié de façon directe ou indirecte de ce montant, de sorte qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’une distribution cachée de bénéfices au titre de l’article 164 (3) LIR. Le dit montant de 2.456.091.- francs ne constitue ainsi pas une distribution cachée de bénéfices mais une dépense d’exploitation non déductible à imposer le cas échéant auprès des bénéficiaires des prédites sommes.

Il s’ensuit des développements qui précèdent que le recours tendant à voir reconnaître la déductibilité de la somme litigieuse de 7.000.000.- francs laisse d’être fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, donne acte à la partie demanderesse qu’elle accepte comme distribution cachée de bénéfices le montant de 254.663.- francs;

au fond dit le recours non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, Mme Lamesch, juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 29 avril 1999, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10645
Date de la décision : 29/04/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-04-29;10645 ?

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