N°s 10545 et 10940 du rôle Inscrits les 2 février et 6 octobre 1998 Audience publique du 8 avril 1999
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Recours formé par Monsieur … contre un bulletin de l’impôt sur le revenu émis par le bureau d’imposition Luxembourg VIII de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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Vu la requête, inscrite sous le numéro 10545 du rôle, déposée en date du 2 février 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland ASSA, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-… tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année fiscale 1990, émis en date du 26 octobre 1995 par le bureau d’imposition Luxembourg VIII de l’administration des Contributions directes;
Vu la requête complémentaire, inscrite sous le numéro 10940 du rôle, déposée en date du 6 octobre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland ASSA, préqualifié, au nom de Monsieur …, préqualifié, visant à amplifier la requête déposée en date du 2 février 1998;
Vu le mémoire en réponse, intitulé « Observations sur le recours formé par le sieur … concernant le bulletin de l’impôt sur le revenu 1990 N°10545 du rôle » déposé en date du 11 novembre 1998 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur en date du 18 novembre 1998;
Vu le mémoire, intitulé « Observations sur la requête du sieur … déposée le 6 octobre 1998 et portant le n°10940 du rôle », déposé en date du 1er décembre 1998 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maîtres Roland ASSA et Philippe ONIMUS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
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1 Le 26 octobre 1995, le bureau d’imposition Luxembourg VIII de l’administration des Contributions directes adressa à Monsieur … un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année fiscale 1990. Ce bulletin fut émis à la suite d’un contrôle sur place effectué par deux vérificateurs de l’administration des Contributions directes, lequel a amené le bureau d’imposition à procéder à la taxation du bénéfice commercial réalisé par Monsieur … au cours de l’année 1990 par redressement de l’évaluation de l’immeuble dans lequel Monsieur … exploite une bijouterie et par le refus d’admettre la déductibilité parmi les créances irrécouvrables d’un montant de 5.867.590.- francs pour marchandises volées.
Contre ledit bulletin de l’impôt sur le revenu, Monsieur … introduisit le 24 novembre 1995 une réclamation devant le directeur de l’administration des Contributions directes.
En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, Monsieur … a introduit le 2 février 1998 un recours en réformation sinon en annulation contre le bulletin précité du 26 octobre 1995.
Le 6 octobre 1998, Monsieur … a encore fait déposer une requête complémentaire par rapport à la requête initiale du 2 février 1998, tout en demandant que les deux requêtes soient jointes. Subsidiairement, il demande la jonction « des deux rôles n°10545 et 10940 ».
Quant à la compétence Les paragraphes 228 et 211 de la loi générale des impôts, ci-après dénommée « LGI », ensemble l’article 8 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ouvrant un recours au fond contre le bulletin critiqué, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.
Quant à la recevabilité Lors des plaidoiries, le délégué du gouvernement a demandé acte de ce que la qualité de l’administration des Contributions directes pour figurer en tant que partie à l’instance serait contestée.
Il est vrai que l’administration des Contributions directes n’est pas une personne publique ni une autorité, mais un simple corps de fonctionnaires. Cette constatation ne saurait cependant porter à conséquence en l’espèce au regard de la recevabilité du recours, étant donné que le recours en matière administrative n’est pas dirigé contre l’administration, mais contre un acte administratif, ce dont le demandeur ne s’est pas mépris en spécifiant que son recours est dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1990 émis le 26 octobre 1995 à son encontre.
Il convient encore de relever que la deuxième requête, déposée par le demandeur en date du 6 octobre 1998, n’introduit pas une instance nouvelle et distincte par rapport à celle introduite par l’effet du dépôt de la requête initiale en date du 2 février 1998. En effet, la deuxième requête s’analyse en une requête ampliative visant à apporter des précisions concernant les conclusions en annulation contenues dans la requête initiale. Comme le tribunal n’est pas saisi de deux instances séparées, il n’existe aucune nécessité à examiner si, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, une jonction serait à prononcer. La deuxième requête est à considérer comme appartenant à l’instance introduite par la requête initiale. Etant 2 donné que les deux requêtes ont été introduites dans les formes et délai de la loi, le recours est recevable.
Quant au fond La logique juridique impliquant que l’examen de la légalité externe d’un acte précède l’examen de sa légalité interne, le tribunal est appelé en premier lieu à examiner le moyen du demandeur tiré de la méconnaissance par le bureau d’imposition des prescriptions du paragraphe 205 alinéa (3) LGI.
Dans ce contexte, exposant que le courrier informatif daté au 20 octobre 1995 - qui était un vendredi - ne lui serait parvenu que le lundi subséquent, à savoir le 23 octobre 1995, qu’il l’aurait immédiatement transmis à son conseil fiscal et comptable, que ce dernier aurait informé le préposé responsable en date du 25 octobre 1995 de son intention d’y répondre, que le bulletin litigieux a été émis le 26 octobre 1995, le demandeur soutient que ce faisant le bureau d’imposition compétent l’aurait privé de son droit de prendre position.
Le délégué du gouvernement, tout en admettant que « le rapport du contrôle sur place a été communiqué au contribuable pour information seulement, sans lui laisser le temps de formuler des observations », soutient que le contrôle sur place du 3 octobre 1996 a été suivi d’une entrevue au cours de laquelle le demandeur et son conseil ont été entendus par le préposé du bureau d’imposition en leurs observations sur les contestations et conclusions des vérificateurs, de sorte que l’imposition aurait été arrêtée à bon escient et que le paragraphe 205 alinéa (3) LGI n’aurait pas été violé.
Le paragraphe 205 alinéa (3) LGI dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».
Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.
La notion de « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable doit être interprétée de façon objective en ce sens qu'elle englobe toutes les hypothèses dans lesquelles le bureau d'imposition envisage de retenir un élément de droit ou de fait de nature à influer sur la décision d'imposition et qui s'écarte de la situation telle que déclarée par le contribuable, pourvu que cet élément soit de nature à affecter le principe d'imposabilité ou la cote d'impôt tels qu'envisagés par le paragraphe 232 (1) LGI. Elle ne vise par contre pas les erreurs purement matérielles, notamment de calcul, dans les déclarations du contribuable (cf. trib. adm.
7 janvier 1998, Pas. adm. 1/99, V° Impôts, VI. Procédure administrative, n°76, p. 142).
Il est constant en cause que les redressements - affectant la cote d’impôt -, auxquels le bureau d’imposition a procédé, suite au contrôle sur place, revêtent un caractère substantiel (« wesentliche Abweichung »).
3 Le droit du contribuable d'être entendu avant la prise d'une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, doit être considéré comme un droit élémentaire face à l'administration fiscale, destiné à protéger les droits de la défense du contribuable. Dans la mesure où la violation de ce droit est invoquée et prouvée devant le tribunal dans le cadre d'un recours ayant pour objet une cote d'impôt ou le principe d'imposabilité, elle entraîne l'annulation des bulletins d'impôt émis au terme de la procédure ainsi viciée (trib. adm. 7 janvier 1998, Pas. adm. 1/99, V° Impôts, VI.
Procédure administrative, n°75, p. 142).
Le paragraphe 205 alinéa (3) LGI n’exige pas que la communication au contribuable se fasse dans une forme déterminée. S’il est vrai que la forme écrite est préférable, notamment au regard des exigences ultérieures de preuve, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit pas de la forme exclusive requise par le législateur.
En l’espèce, le droit du contribuable d’être informé sur les divergences substantielles avant la prise d’un bulletin d’impôt s’insère dans le cadre plus particulier d’un contrôle sur place prévu par le paragraphe 162 alinéa (9) LGI. Dans ce contexte et sur base de ce qui précède, le contribuable est en droit de recevoir communication du résultat du contrôle sur place et des points sur lesquels le bureau d’imposition entend s’écarter de sa déclaration d’impôt en raison des constatations et conclusions tirées dudit contrôle.
En l’absence d’une exigence de forme inscrite dans la LGI, voire dans l’ordonnance du 9 novembre 1925 sur l’exécution des contrôles sur place, il y a lieu d’admettre que l’information du contribuable, conformément au paragraphe 205 alinéa (3) LGI peut prendre la forme d’un entretien avec celui-ci suite au contrôle, mais que le contenu essentiel d’un tel entretien - dont la communication effective au contribuable du résultat du contrôle et des conséquences qui s’en dégagent, ainsi que la faculté pour ce dernier d’y prendre position dans un délai raisonnable, doit être établi à suffisance de droit.
En l’espèce, il ressort du dossier fiscal et des informations qui sont à la disposition du tribunal, que, dans le cadre de l’instruction de la déclaration de l’impôt sur le revenu faite par Monsieur … pour l’année fiscale 1990, entrée au bureau d’imposition Luxembourg VIII en date du 8 janvier 1993, le préposé dudit bureau informa Monsieur … par lettre du 14 septembre 1995, que sa comptabilité serait soumise à un contrôle conformément au paragraphe 162 alinéa (9) LGI. Ledit contrôle sur place a été effectué par deux vérificateurs en date du 3 octobre 1995. Un rapport de vérification a été dressé en date du 19 octobre 1995.
Il se dégage encore des éléments du dossier et des déclarations à l’audience qu’une entrevue a eu lieu le 4 octobre 1995 entre le préposé du bureau d’imposition et Monsieur … accompagné de son comptable. En l’absence, même suite à la demande afférente du tribunal, d’une quelconque pièce documentant le contenu de cette entrevue, le tribunal ne peut toutefois vérifier si le droit d’information de Monsieur … a été respecté par ce biais, de sorte que ladite entrevue ne saurait valoir comme suffisant aux exigences du paragraphe 205 alinéa (3) LGI.
Il est encore constant que, par lettre du 20 octobre 1995, le préposé du bureau d’imposition compétent a transmis une copie du prédit rapport de vérification à Monsieur ….
Ladite lettre précise notamment qu’elle est à considérer comme constituant « une information en ce qui concerne les bases d’imposition retenues par le bureau d’imposition pour établir la cote d’impôt de l’exercice fiscal 1990 » et que « les différences entre les montants déclarés 4 dans votre déclaration pour l’impôt commercial communal et le bulletin d’impôt sont relevés en fin de rapport ». Le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année en question a été émis le 26 octobre 1995.
La lettre du 20 octobre 1995 adressée par le préposé du bureau d’imposition compétent à Monsieur … et par laquelle lui a été transmise une copie du rapport de vérification précité, s’analyse ainsi en une communication informative telle qu’exigée par la disposition légale précitée. Cependant, étant donné que la communication doit être faite afin de permettre au contribuable de faire connaître ses observations éventuelles, le bureau doit avoir soin de réserver un délai de réponse utile au contribuable, préalablement à la prise du bulletin d’impôt correspondant. Accepter le contraire reviendrait à vider l’exigence légale de toute sa substance.
Il se dégage des faits de l’espèce, ci-avant retracés, qu’en communiquant, par lettre du 20 octobre 1995, les redressements projetés des bases d’impositions pour établir la cote d’impôt de l’exercice fiscal 1990, - même abstraction faite de ce qu’il s’agissait d’un vendredi, de sorte que le courrier n’a pas pu parvenir au contribuable avant le lundi suivant, 23 octobre 1995 - le bureau d’imposition a omis de respecter un délai utile, préalablement à la prise du bulletin d’impôt correspondant en date du 26 octobre 1995.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours est justifié.
Même si le tribunal est saisi au fond de conclusions tendant à la réformation du bulletin querellé, le recours doit aboutir uniquement à l’annulation de l’acte en question, l’affaire étant à renvoyer dans son ensemble à l’administration pour nouvel examen, au cas où, comme en l’espèce, l’administration a commis une irrégularité à laquelle le tribunal ne saurait remédier.
Par conséquent, le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1990 émis le 26 octobre 1995 encourt l’annulation, sans qu’il y ait lieu à analyser les autres moyens invoqués par le demandeur, pareille analyse étant devenue superflue.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en réformation recevable, le dit également partiellement fondé, partant annule le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1990 émis le 26 octobre 1995 à l’encontre du demandeur, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes, condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
5 M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 8 avril 1999, par le vice-président, en présence de Mme.
Wiltzius, greffier assumé.
s. Wiltzius s. Schockweiler 6