N° 11223 du rôle Inscrit le 31 mars 1999 Audience publique du 6 avril 1999
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Recours formé par Monsieur … AMAD, alias X.
contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mars 1999 par Maître Stéphane LATASTE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Yves HUBERTY, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … AMAD, alias X., ayant été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 mars 1999 ordonnant une mesure de placement à son égard;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal le 1er avril 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Yves HUBERTY et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Il ressort d’un procès-verbal daté au 11 mars 1999 établi par la brigade « Service Spécial Aéroport » de la gendarmerie grand-ducale qu’en date du 11 mars 1999, à l’aéroport du Findel, lors d’un contrôle des passagers qui s’apprêtaient à prendre l’avion en direction de Londres, une personne a présenté un passeport néerlandais N° … établi au nom de X. , né le 6 février 1960 à Aksarary (Irak). L’examen dudit passeport a révélé qu’il était falsifié. Par ailleurs, un contrôle au « Système d’Information Schengen » a révélé que ledit passeport avait été signalé par les autorités néerlandaises comme ayant été volé. Dans la matinée du 12 mars 1999, l’intéressé a déclaré s’appeler en réalité … AMAD, né le 3 mai 1970 à Bagdad (Irak).
Par arrêté du ministre de la Justice du 12 mars 1999, notifié le même jour à Monsieur … AMAD, celui-ci a été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
1 La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:
« Considérant que l’intéressé s’est présenté à l’aéroport du Findel en date du 11 mars 1999 sous l’identité de X. , né le 6 février 1960 à Aksaray, pour se rendre à Londres;
- qu’il a fait usage d’un passeport néerlandais volé et signalé au SIS sous le numéro N0000000587198;
- qu’il est démuni de toutes pièces d’identité et de voyage valables;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays;
- que l’éloignement immédiat n’est pas possible;
Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son éloignement ».
En date du 19 mars 1999, le ministre de la Justice sollicita la reprise de l’intéressé auprès des autorités néerlandaises sur base de l’article 10 paragraphe 1er point c) de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, signée à Dublin, le 15 juin 1990, ci-après dénommée la « Convention de Dublin », approuvée par une loi luxembourgeoise du 20 mai 1993.
Par requête déposée le 31 mars 1999, Monsieur … AMAD, alias X. a introduit un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de placement du 12 mars 1999.
Quant aux faits, le demandeur fait préciser qu’il serait de nationalité irakienne, mais d’origine kurde, qu’il aurait été persécuté de ce chef par les autorités au pouvoir en Irak; qu’il aurait quitté son pays pour s’installer en Europe et qu’il aurait introduit une demande d’asile aux Pays-Bas. Il fait ajouter que « désireux de trouver le plus rapidement possible un emploi, il a décidé de quitter les Pays-Bas à destination de la Grande-Bretagne via le Grand-
Duché ».
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est également recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur invoque en premier lieu une imprécision des motifs contenus dans la décision ministérielle entreprise équivalent à une absence de motivation, en relevant que le ministre de la Justice a utilisé comme seul motif des « formules générales et abstraites prévues par la loi, et ce sans préciser les raisons de fait concrètes permettant de justifier la décision ».
Concernant la prétendue absence de motivation de la décision entreprise, il échet de relever que loin de reprendre de prétendues formules passe-partout qui seraient prévues par la loi, l’arrêté ministériel du 12 mars 1999 énonce expressément le fait que le demandeur s’est présenté à l’aéroport du Findel en date du 11 mars 1999 sous une fausse identité; qu’il a fait usage d’un passeport néerlandais volé et signalé au « SIS », qu’il était démuni de toutes pièces d’identité et de voyages valables, qu’il se trouvait en séjour irrégulier au pays et que l’éloignement immédiat n’est pas possible.
2 Sous ce rapport général, le moyen tiré d’une absence de motivation doit être rejeté, dès lors que, par l’énoncé des éléments de fait se trouvant à sa base, la décision déférée est motivée.
Le demandeur reproche encore plus spécialement à la décision litigieuse de ne préciser ni en quoi il y aurait un risque de fuite de sa part ni pourquoi son éloignement immédiat n’est pas possible.
Etant donné que, même si une décision de placement omet de relever des circonstances de fait rendant un éloignement immédiat impossible voire si elle omet de préciser en quoi consiste le danger de fuite, de sorte qu’elle serait, le cas échéant, partiellement entachée d’un défaut de motivation, le juge administratif peut toujours substituer à la décision viciée, sans la réformer, des motifs légaux qui se dégagent de la loi ou des éléments du dossier et qui justifient la décision (v. F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 2e éd., 1996, n°s 290 et s.), le tribunal procédera à l’examen de ces deux reproches de motivation incomplète ci-après dans le cadre de l’examen de la justification au fond de la mesure de placement.
Au fond, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.
Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Le demandeur critique l’arrêté ministériel déféré en ce qu’il ne se fonde pas sur une décision d’éloignement expresse et légalement justifiée.
Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de l’intéressé est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, « …. 4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-
ci est requis … ».
Le « fait » visé par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui doit ressortir du procès-verbal, n’est pas la mesure d’éloignement, mais la ou les causes justificatives qui sont à la base d’une mesure d’éloignement. Il convient donc en premier lieu de vérifier la légalité de la mesure de refoulement, condition préalable à la légalité de toute décision de placement.
En l’espèce, il ressort du procès-verbal précité daté au 11 mars 1999 de la gendarmerie grand-ducale que le demandeur n’était pas en possession de papiers de légitimation valables et de visa requis, étant rappelé qu’il a déclaré être de nationalité irakienne.
3 Le défaut de papiers de légitimation valables et de visa requis est un motif légal justifiant une mesure de refoulement, susceptible de servir de base à la mesure de placement prise en exécution de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972.
Les conditions justifiant un refoulement ayant été vérifiées par le tribunal, il appartient encore à ce dernier d’analyser si une décision de refoulement a été effectivement prise par une autorité y habilitée.
A défaut de décision séparée, aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 sont remplies et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé.
En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement.
Le moyen tiré de l’inexistence d’une décision d’éloignement expresse manque de fondement et doit être écarté.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur était sous le coup d’une décision de refoulement légalement prise et justifiée, qui constitue une base légale de la décision de placement.
La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que l’exécution de la mesure d’éloignement était impossible en raison du fait que le demandeur n’était ni en possession de papiers d’identité ni d’un titre de séjour, que ce soit pour un Etat membre de l’Union Européenne ou encore pour un Etat tiers. Il ressort encore du dossier que l’identité du demandeur est pour le moins incertaine, en raison notamment de la fausse identité empruntée, de sorte que l’administration est en droit de procéder en outre à des mesures de vérification supplémentaires. Comme pour le surplus le demandeur a déclaré avoir introduit une demande d’asile aux Pays-Bas et que l’instruction de son dossier est toujours en cours, de sorte que la procédure spéciale prévue par la Convention de Dublin a dû être entamée et une demande de reprise adressée aux autorités néerlandaises et comme ces mesures requièrent un certain délai, il a valablement pu être estimé que sur base de toutes les circonstances de fait exposées ci-
avant, l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement était rendue impossible.
Le reproche tiré de ce que les démarches des autorités luxembourgeoises en vue de son éloignement sont inexistantes sinon insuffisantes et tardives n’est pas fondé, dès lors qu’il ressort du dossier administratif que le 19 mars 1999 une demande de reprise a effectivement été adressée aux autorités néerlandaises. Par lettre du 1er avril 1999, les autorités néerlandaises ont informé le ministre de la Justice de que qu’ils acceptaient de faire droit à la demande de reprise formulée et que les services luxembourgeois étaient invités à contacter leurs homologues néerlandais pour convenir des date, heure et lieu de transfert. Compte tenu des éléments du dossier, le tribunal arrive à la conclusion qu’au stade actuel, la demande de reprise envoyée à l’autorité compétente étrangère en date du 19 mars 1999 s’analyse en une démarche 4 appropriée et on ne saurait reprocher aux autorités luxembourgeoises un manque de diligences si les autorités néerlandaises n’ont répondu qu’en date du 1er avril 1999.
Pour le surplus, le moyen tiré d’un défaut de motivation n’est donc pas non plus fondé, dès lors que même si la décision de placement critiquée a omis de relever l’ensemble de ces circonstances de fait précitées, le tribunal, en procédant par substitution - partielle - des motifs retenus ci-avant, a pu vérifier que la décision déférée se trouve suffisamment motivée et justifiée quant à l’existence d’une impossibilité immédiate de procéder à un éloignement de l’intéressé.
Une mesure de placement, surtout au Centre Pénitentiaire, ne se justifie qu’au cas où il existe encore dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure ou qu’elle constitue un danger pour l’ordre public.
Le demandeur conteste qu’il ait existé un danger réel qu’il se soustraie à la mesure de rapatriement et qu’un tel danger ne résulterait ni de la décision entreprise ni du dossier administratif en relevant qu’il n’aurait opposé aucune résistance à la police au moment de son arrestation. Il soutient encore ne pas constituer un danger pour l’ordre public, étant donné qu’il n’a pas commis d’acte compromettant ni la sécurité ni la tranquillité ni encore la salubrité publiques. Par ailleurs, il soutient que la mesure entreprise serait disproportionnée en estimant que le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig ne constituerait pas un établissement approprié tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, au motif que ledit établissement pénitentiaire serait exclusivement destiné à héberger des détenus au sens du droit pénal, condamnés à une peine privative de liberté par une juridiction répressive ou se trouvant en détention préventive sur base d’une décision prise par le juge d’instruction.
A défaut de passé pénal, d’inscription au « Système d’Information de Schengen », d’enquête pénale en cours et eu égard au fait qu’il ne s’est pas opposé à son arrestation, le ministre de la Justice ne serait pas autorisé, en l’absence de tout texte légal ou réglementaire, à ordonner son placement dans un centre pénitentiaire par voie d’une simple décision administrative. Sur ce et en ajoutant que le Centre Pénitentiaire serait surpeuplé et que les conditions hygiéniques y seraient mauvaises, il estime que le placement dans le Centre Pénitentiaire constituerait un traitement inhumain et dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés publiques. S’il en conclut principalement à sa remise en liberté pure et simple, il sollicite encore, en ordre subsidiaire, à être transféré dans un autre établissement plus approprié, tel que par exemple un foyer ou un hôtel.
En l’espèce, il échet de relever qu’il ressort des éléments du dossier que le demandeur a fait usage d’une fausse identité pendant son séjour au Grand-Duché de Luxembourg, qu’il a usé d’un faux passeport et qu’il ne possède aucune adresse fixe au Luxembourg, Il existe partant, dans le chef du demandeur, un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieure. Il s’en dégage que, par substitution des motifs ci-avant retenus, la décision litigieuse est suffisamment motivée et également justifiée sous ce rapport.
Il convient de relever par ailleurs que les faits ressortant du dossier à charge du demandeur caractérisent le comportement d’un étranger susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics et que ce comportement justifie dans les circonstances de l’espèce qu’il soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg afin d’éviter un danger de 5 fuite et en vue de garantir qu’il soit à disposition des autorités en vue de son éloignement ultérieur. La demande présentée à titre subsidiaire, par le demandeur, en vue d’obtenir son transfert dans un local plus approprié est donc également à écarter au motif que, dans les circonstances de l’espèce, seul le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig offre toutes les garanties nécessaires et requises afin d’éviter, d’une part, une fuite du demandeur et, d’autre part, le risque qu’il compromette la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. En d’autres termes, en l’espèce, le Centre Pénitentiaire est à considérer, sans qu’il y ait lieu d’y procéder à une visite des lieux comme sollicité par le demandeur, comme constituant un établissement approprié tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 et que la décision de placement ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare non justifié, partant le rejette;
laisse les frais à charge du demandeur.
Ainsi jugé par:
M. Ravarani, président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique extraordinaire du 6 avril 1999 par le président, en présence de M.
Wiltzius, greffier assumé.
s. Wiltzius s. Ravarani 6