N° 11191 du rôle Inscrit le 12 mars 1999 Audience publique du 22 mars 1999
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Recours formé par Madame … NJAGALOVA contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mars 1999 par Maître Chris SCOTT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Fernando DIAS SOBRAL, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Madame … NJAGALOVA, de nationalité bulgare, actuellement placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 mars 1999, prolongeant d’un mois une mesure de placement, instituée par décision ministérielle du 5 février 1999 à son égard;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Nathalie SARTOR, en remplacement de Maître Chris SCOTT et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Par décision du ministre de la Justice du 5 février 1999, notifiée le même jour à Madame … NJAGALOVA, née le 19 mai 1980, de nationalité bulgare, celle-ci a été placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
Par décision ministérielle du 2 mars 1999, la mesure de placement a été prorogée pour une nouvelle durée maximum d’un mois, à partir de sa notification. Ladite décision lui fut notifiée le 5 mars 1999.
La décision de prorogation de son placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:
« Considérant que l’intéressée s’est présentée à l’aéroport du Findel en date du 5 février 1999 sous l’identité de X., née le 23 mai 1974 à Budapest, pour se rendre à Varna;
- qu’elle a fait usage d’un passeport hongrois falsifié;
1 - qu’elle est démunie de toutes pièces d’identité et de voyage valables;
- qu’elle se trouve en séjour irrégulier au pays;
- que l’éloignement immédiat n’est pas possible;
Considérant qu’il échet dès lors de proroger le placement pour une durée maximum de 1 mois à partir de la notification ».
Par requête du 12 mars 1999, Madame NJAGALOVA a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle de prorogation de son placement.
Elle fait valoir que la décision entreprise serait entachée d’illégalité au motif que les conditions prévues par l’article 15, paragraphe (2) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, ne seraient pas remplies en l’espèce. Elle fait plus particulièrement valoir qu’il n’existerait aucune nécessité absolue permettant de justifier une reconduction par le ministre de la Justice de la mise à la disposition du gouvernement initialement prise en date du 5 février 1999.
Par ailleurs, elle estime que le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig ne constituerait pas l’établissement approprié tel que visé par l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.
Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il existerait une nécessité absolue, au sens de l’article 15, paragraphe (2) de la loi précitée du 28 mars 1972 de procéder à une prorogation de la décision de placement initiale au motif qu’à la suite d’une demande formulée en date du 19 février 1999 auprès de l’ambassade de la République de Bulgarie à Bruxelles en vue de l’obtention d’un laissez-passer en faveur de Madame NJAGALOVA, afin que le gouvernement soit en mesure d’exécuter la mesure de refoulement prise à son encontre, les autorités diplomatiques bulgares n’auraient pas encore fourni de réponse et que partant l’éloignement de Madame NJAGALOVA ne serait toujours pas possible en raison de ces circonstances de fait.
Quant à la notion d’établissement approprié, telle que prévue à l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, le représentant étatique soutient qu’à la suite de l’appel interjeté par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre le jugement du tribunal administratif du 11 mars 1999 ayant statué sur la mesure de placement prise à l’égard de Madame … NJAGALOVA en date du 5 février 1999 et par lequel le tribunal a décidé qu’en l’espèce le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig ne constituait pas un établissement approprié tel que visé par les dispositions précitées de la loi de 1972, en confirmant la décision de placement pour le surplus, ledit jugement n’aurait pas encore autorité de chose jugée et que partant cette jurisprudence ne saurait être invoquée dans la présente affaire concernant la prorogation de la mesure de placement initialement prise. Il y aurait partant lieu de se référer dans ces circonstances à la jurisprudence de la Cour administrative, telle qu’elle résulte d’un arrêt du 11 mars 1999 dans une affaire opposant le ministre de la Justice à Madame Youra CHARAPTCHIEVA BORISLALOVA (n°s 11167C et 11171C du rôle, non encore publié) ayant décidé que « le placement dans une partie déterminée des locaux du Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig n’est pas à qualifier d’illégal, à défaut d’autres locaux appropriés ».
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi précitée du 28 mars 1972 institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour 2 connaître du recours en réformation. Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est également recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse invoque en premier lieu que la prorogation de la décision de placement initialement prise en date du 5 février 1999 ne serait pas absolument nécessaire et que partant la condition essentielle posée par l’article 15, paragraphe (2) de la loi précitée du 28 mars 1972 ne serait pas remplie en l’espèce.
Au voeu du paragraphe (2) de l’article 15 précité, « la décision de placement .. peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».
Le tribunal est amené à analyser si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’en l’espèce une nécessité absolue rendait la prorogation de la décision de placement inévitable.
Il ressort de la décision entreprise ensemble les explications fournies par le délégué du gouvernement à la fois dans son mémoire en réponse ainsi que lors des plaidoiries, que le ministre de la Justice a été dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat de l’intéressée étant donné que malgré les démarches faites auprès de l’ambassade de la République de Bulgarie à Bruxelles, un laissez-passer n’a toujours pas été délivré par les autorités bulgares permettant de procéder à l’exécution de la décision de refoulement prise à l’encontre de Madame NJAGALOVA.
S’il est vrai que le placement dans un établissement approprié d’une personne faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou de refoulement peut se révéler être indispensable au cas où la personne en question risque de se soustraire à l’exécution de la mesure d’éloignement et au cas où son éloignement immédiat est impossible en raison d’un défaut de papiers d’identité permettant sa remise à des autorités étrangères, il n’en reste pas moins que le ministre de la Justice doit veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer que la personne intéressée puisse être éloignée du territoire luxembourgeois dans les meilleurs délais, afin d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée. A défaut d’entreprendre les démarches nécessaires et d’assurer le refoulement de la personne intéressée dans les plus brefs délais dès son placement dans un établissement approprié, et de limiter ainsi au minimum la privation de liberté de l’intéressé par sa mise à la disposition du gouvernement, les conditions posées par le paragraphe (2) de l’article 15 précité permettant de justifier la prorogation d’une mesure de placement ne sont pas remplies dans la mesure où il n’existe pas de nécessité absolue de continuer à retenir la personne en question. Il se dégage encore de l’article 15, paragraphe (2) de la loi précitée du 28 mars 1972, que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et qu’elle ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire.
En l’espèce, alors même que la mesure de placement initiale a été prise en date du 5 février 1999 à l’encontre de Madame NJAGALOVA et qu’elle a été incarcérée en date du même jour au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, ce n’est que le 19 février 1999 que le ministre de la Justice a sollicité un laissez-passer auprès de l’ambassade de la République de Bulgarie à Bruxelles. Le 11 mars 1999, à savoir presque trois semaines après la prédite demande, l’ambassade de Bulgarie a transmis au ministre de la Justice un questionnaire à remplir par la demanderesse en vue d’établir de manière plus précise des données la concernant personnellement et concernant plus particulièrement sa situation familiale. Ce questionnaire a 3 été retourné à l’ambassade en date du même jour. Lors de l’audience du 18 mars 1999, à laquelle l’affaire a été plaidée, le délégué du gouvernement a informé le tribunal, d’une part, que Madame NJAGALOVA était toujours incarcérée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig et, d’autre part, que le ministre de la Justice restait toujours dans l’attente d’une réponse de la part de l’ambassade de Bulgarie à Bruxelles.
Le tribunal relève que les autorités compétentes disposaient d’un mois en vue d’entreprendre toutes les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de Madame NJAGALOVA du territoire luxembourgeois, étant donné que pendant la période du 5 février au 5 mars 1999, celle-ci se trouvait à la disposition du gouvernement. S’il est vrai qu’au cours de cette période, une démarche isolée a été faite auprès de l’ambassade de Bulgarie à Bruxelles, après deux semaines d’incarcération au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, en vue d’obtenir un laissez-passer permettant son éloignement du territoire luxembourgeois, il ne ressort pas du dossier que des démarches auraient été faites avec la diligence nécessaire en vue d’éviter une incarcération prolongée de Madame NJAGALOVA.
A défaut par le délégué du gouvernement de justifier autrement les raisons tirées d’une nécessité absolue de procéder à une prorogation de la mesure de placement à l’encontre de la demanderesse, le tribunal doit constater qu’il n’existe aucune nécessité absolue de procéder à une reconduction de la mesure initiale et il y a partant lieu de déclarer le recours justifié, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués par la demanderesse à l’appui de son recours.
Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle de prorogation de la mesure de placement est à réformer pour les considérations exposées ci-dessus, et d’ordonner la mise en liberté immédiate de la demanderesse.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare justifié;
partant annule la décision ministérielle du 2 mars 1999;
ordonne la mise en liberté immédiate de Madame … NJAGALOVA;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président 4 M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 22 mars 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5