N° 10943 du rôle Inscrit le 8 octobre 1998 Audience publique du 22 mars 1999
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Recours formé par Monsieur … FAIGNAERT, (B) Renaix contre une décision du ministre de la Justice en matière d’inscription sur la liste des experts assermentés
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Vu la requête inscrite sous le numéro 10943 du rôle, déposée le 8 octobre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FAIGNAERT, …, demeurant à B-
…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 juillet 1998 portant rejet de sa demande d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés en matière répressive et administrative;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 février 1999 par Maître Louis TINTI au nom du demandeur;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 mars 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 1999.
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Considérant qu’ayant été agréé en qualité de traducteur pour les langues française, néerlandaise, anglaise et chinoise (mandarin) auprès du tribunal de première instance de Bruxelles, ainsi qu’auprès du parquet de la Cour d’appel de Bruxelles, Monsieur … FAIGNAERT, premier traducteur auprès de la Cour des comptes belge, demeurant à B-…, a posé sa candidature en vue de l’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, en matière répressive et administrative auprès des autorités judiciaires et administratives luxembourgeoises, dans le cadre des dispositions de la loi du 7 juillet 1971 1 portant en matière répressive et administrative, institution d’experts, de traducteurs et d’interprètes assermentés et complétant les dispositions légales relatives à l’assermentation des experts, traducteurs et interprètes;
Que cette demande a été rejetée par décision du ministre de la Justice du 8 juillet 1998 libellée comme suit:
« Monsieur, Je me réfère à votre demande en vue de votre inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés.
Le nombre des experts, traducteurs et interprètes assermentés et le nombre de demandes d’admission sur la liste des experts a très fortement augmenté depuis le début des années 1990. Cette constatation a incité le Ministère de la Justice à instaurer en 1996 un groupe de travail en vue de préparer une réforme de la législation en matière d’experts et à tenir en suspens les candidatures introduites auprès du Ministère de la Justice.
Le Ministère a repris depuis peu l’examen des demandes déposées. En ce qui concerne votre cas particulier, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande étant donné que le Ministère ne prend en considération que les demandes émanant de personnes résidant au Luxembourg, celles-ci étant seules disponibles pour accepter à tout moment les missions qui peuvent leur être confiées par les autorités judiciaires ou administratives.
Le présent refus est susceptible d’un recours en annulation devant le tribunal administratif, recours qui doit être intenté par requête signée par un avocat de la liste I dans un délai de trois mois de la réception de la présente.
Veuillez agréer, …. »;
Que contre cette décision de refus, Monsieur FAIGNAERT a fait déposer en date du 8 octobre 1998 un recours en annulation pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits;
Qu’il fait valoir à la base de son recours qu’il serait contraire à la loi et au bon sens de faire dépendre l’admissibilité d’un postulant sur la liste des interprètes assermentés de sa situation géographique, analysée en son lieu de résidence;
Que la loi du 7 juillet 1971 précitée prévoyant elle-même en son article 3 que les autorités judiciaires et administratives concernées peuvent avoir recours à des traducteurs ou interprètes non assermentés dans la mesure où ceux figurant sur la liste, pour cause notamment d’éloignement ou d’impossibilité de recourir promptement à leurs services, ne sauraient être utilement contactés;
Qu’il découlerait de cette même disposition que l’éloignement de l’expert ne serait pas un élément d’appréciation quant à son admissibilité comme expert, traducteur ou interprète assermenté;
2 Qu’en fait il serait difficile de trouver dans la liste des experts assermentés des traducteurs maîtrisant la langue néerlandaise ou la langue chinoise (mandarin), de sorte que sa candidature répondrait à un besoin des tribunaux et des avocats;
Qu’en droit la décision déférée reposerait sur une erreur d’appréciation manifeste et créerait une inégalité non justifiée basée sur la distance géographique, sinon la résidence;
Que la décision déférée irait encore à l’encontre du principe de la libre prestation de services consacré par les articles 59 et suivants du Traité de Rome;
Considérant que le délégué du Gouvernement expose que la loi du 7 juillet 1971 ne préciserait pas les conditions auxquelles l’inscription sur la liste est subordonnée, de sorte à laisser ainsi au ministre de la Justice un pouvoir d’appréciation quant aux critères à appliquer;
Que le ministre aurait, en dehors des conditions d’honorabilité et de qualification professionnelle, posé des exigences de disponibilité dans le chef du candidat demandant l’inscription sur la liste en question en vue d’être en mesure de répondre à tout moment à une demande d’une autorité judiciaire ou administrative ayant besoin de l’assistance d’un expert assermenté;
Que cette autorité serait libre d’avoir recours à des experts non inscrits à la liste, dans la mesure où la mission à conférer ne marquerait pas un degré d’urgence spécifique, tandis qu’en cas d’urgence caractérisée la disponibilité se révélerait être une qualité essentielle;
Que si l’expert habitait à l’étranger, cette disponibilité ne serait plus donnée;
Que l’intérêt du fonctionnement optimal des services judiciaires ou administratifs serait ainsi la mesure de la règle posée;
Qu’en fait la liste actuelle comporterait dix personnes susceptibles de servir de traducteur dans la langue néerlandaise et trois pour la langue chinoise, étant entendu que la candidature de Monsieur FAIGNAERT n’aurait pas été refusée au motif qu’il n’y a pas de besoin dans les spécialités en question, mais en raison de sa non-disponibilité;
Que le représentant étatique d’ajouter qu’un autre argument à la base de la décision déférée consisterait dans le fait que d’après l’article 2, alinéa 2 de la loi du 7 juillet 1971 précitée les experts sont soumis à la surveillance du procureur général d’Etat et que dès lors seraient seules susceptibles d’être admises sur la liste en question des personnes dont la garantie requise du sérieux et de l’honorabilité justifiant leur statut d’expert, de traducteur ou d’interprète assermenté, pourrait à tout moment être contrôlée;
Que dans la mesure des exigences posées par ce contrôle, seules des personnes résidentes seraient éligibles;
Que les particuliers ayant, à côté des autorités judiciaires et administratives, accès à la liste en question, la décision ministérielle serait inspirée exclusivement de considérations en rapport avec le fonctionnement des services et du souci de présenter au public une liste de personnes offrant toutes les garanties d’honorabilité et de qualification nécessaires;
3 Que les personnes inscrites sur la liste publiée au Mémorial ayant par ailleurs le statut d’auxiliaires de la justice, l’argument tiré de la violation de l’article 59 du Traité de Rome serait à son tour à écarter, étant entendu que l’intéressé serait libre d’offrir ses services au Grand-Duché et même d’être appelé comme expert non assermenté par les autorités, tout en ne figurant pas sur ladite liste;
Considérant que la partie demanderesse réplique qu’elle a apprécié l’opportunité de son recours par rapport aux seuls éléments contenus dans le libellé même de la décision déférée et que les arguments complémentaires invoqués en cours d’instance par le représentant étatique seraient dès lors à écarter comme étrangers au cadre de ladite décision;
Considérant que ni la loi du 7 juillet 1971 précitée, ni aucune autre disposition ne prévoient un recours de pleine juridiction en la matière, de sorte que le recours en annulation, introduit par ailleurs suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable;
Considérant au fond que d’après l’article 1er de ladite loi du 7 juillet 1971 « le ministre de la Justice peut, en matière répressive et administrative, désigner des experts, des traducteurs et des interprètes assermentés, chargés spécialement d’exécuter les missions qui leurs seront confiées par les autorités judiciaires et administratives »;
Considérant que dans les matières répressive et administrative, à l’exclusion notamment des matières civile et commerciale, le ministre de la Justice s’est dès lors vu conférer un pouvoir qui, loin d’être discrétionnaire, d’après les auteurs de la loi, se trouve être conditionné par des critères objectifs résultant en premier lieu des besoins des destinataires que sont les autorités judiciaires et administratives ainsi désignées par le législateur et précisées dans l’exposé des motifs du projet de loi en question (cf. doc. parl. 1422 page 3);
Que le procureur général d’Etat figure à cet instar comme interlocuteur à la fois du ministre de la Justice et des autorités judiciaires concernées, étant entendu que conformément aux dispositions de l’article 2 de ladite loi, l’expert assermenté sera soumis à la surveillance dudit procureur général d’Etat, dont l’avis préalable est également impérativement requis avant toute décision de révocation de l’inscription sur la liste en question;
Considérant qu’il est patent qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, une décision administrative de refus doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique lui servant de fondement et des circonstances de fait à sa base;
Qu’une omission de motivation suffisante n’est cependant pas sanctionnée par une annulation automatique, la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consistant en principe dans la suspension des délais de recours, cette décision restant valable en tant que telle et l’administration pouvant compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif;
Qu’en l’espèce les motifs communiqués à la partie demanderesse lui ont permis d’entamer utilement son recours judiciaire et ceux complémentairement avancés par le représentant étatique sont à prendre en compte par le tribunal dans le cadre du contrôle juridictionnel par lui exercé, de sorte que la décision déférée n’encourt pas l’annulation du fait de l’énonciation en cours d’instance d’éléments de motivation complémentaires;
4 Considérant d’un autre côté que le tribunal ne peut tenir compte que des motifs expressément invoqués, voire de ceux se dégageant des éléments et pièces du dossier, à l’exclusion de ceux expressément écartés par l’autorité administrative;
Considérant que les arguments tenant au besoin des autorités administratives et judiciaires concernant les traducteurs dans les matières renseignées ont été expressément exclus comme motifs à la base de la décision déférée par le représentant étatique dans son mémoire en réponse;
Que même si ces éléments de fait avaient le cas échéant pu être susceptibles de constituer des motifs légaux valables à la base de la décision a qua (cf. trib. adm. 23 juillet 1998, TONNEAU, n°s 9657 et 9819 du rôle, Pas. adm. 1/99, V° Experts n° 1, p. 101), ils ne sauraient en l’occurrence servir de la sorte, vu l’attitude prise par l’autorité administrative concernée;
Considérant que l’augmentation du nombre de candidatures de même que l’information de l’institution en 1996 d’un groupe de travail en vue de préparer une réforme de la législation en la matière, sans indication de l’état actuel du dossier, ainsi que celle que le ministère a repris depuis peu l’examen des demandes déposées, tout en représentant des explicitations d’un intérêt certain, n’en constituent cependant pas une motivation suffisante pouvant justifier le refus déféré;
Considérant que les exigences de disponibilité se résolvant, d’après les motifs indiqués dans la décision déférée, en la nécessité d’une résidence au Grand-Duché de Luxembourg manquent de caractère pertinent;
Considérant en effet que malgré l’exiguïté du territoire national, la disponibilité calculée en tant que proximité géographique ne saurait résulter nécessairement de la qualité de résident, étant donné que le non-résident demeurant dans des régions frontalières. somme toute peu éloignées du siège des autorités judiciaires ou administratives concernées, sera nécessairement plus disponible que le résident demeurant dans des parties du Grand-Duché plus éloignées du siège en question;
Considérant que si la ligne suivie par le ministère répondait aux critères et buts posés par la loi du 7 juillet 1971, aucune personne non résidente ne devrait figurer sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés;
Que force est de constater, en ayant égard à la dernière liste coordonnée publiée en date du 31 mars 1995 au Mémorial B, que des dizaines d’experts, de traducteurs ou d’interprètes ne résident pas au Grand-Duché de Luxembourg, certains d’entre eux y ayant même été admis de date relativement récente;
Considérant que la loi du 7 juillet 1971 prévoit elle-même en son article 3 que les autorités judiciaires et administratives concernées peuvent avoir recours à des traducteurs ou interprètes non assermentés dans la mesure où ceux figurant sur la liste, pour cause notamment d’éloignement ou d’impossibilité de recourir promptement à leur service, ne sauraient être utilement contactés;
5 Considérant que le représentant étatique a encore précisé que la condition de disponibilité était posée au-delà des questions d’honorabilité et de qualification professionnelle;
Que dans cette mesure la référence faite au pouvoir de contrôle du procureur général d’Etat doit s’analyser essentiellement par rapport à l’activité proprement dite de l’expert, de traducteur ou d’interprète assermenté visée en l’espèce;
Que le contrôle en question est nécessairement celui s’exerçant par rapport à l’accomplissement par le candidat en question, une fois admis, des missions lui conférées respectivement par les autorités judiciaires et administratives;
Que dans la mesure où les missions ainsi visées sont ancrées pour l’essentiel, d’un point de vue géographique, au territoire du Grand-Duché de Luxembourg, ne fût-ce qu’à travers la localisation des autorités mandantes et leurs champs de compétence respectifs, ainsi que celle des dossiers nécessairement déposés en leurs sièges et bureaux, y compris les pièces relatives aux expertises, traductions et interprétations à livrer, les possibilités matérielles du contrôle à exercer par le procureur général d’Etat se trouvent être données à suffisance dans le chef d’un résident d’un pays limitrophe tel le demandeur, compte tenu des possibilités d’entraide judiciaire et administrative existant pour le surplus;
Considérant que l’exigence de disponibilité, telle que formulée par la décision ministérielle déférée, ne répondant pas aux critères posés par la loi du 7 juillet 1971 ensemble les buts lui assignés par ses auteurs, la décision déférée encourt l’annulation pour violation de la loi, sans qu’il faille analyser plus loin la question de savoir dans quelle mesure le traducteur ou l’interprète assermenté est à considérer comme prestataire de services au sens de l’article 59 du Traité CEE;
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
au fond le dit justifié;
partant annule la décision ministérielle déférée et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 mars 1999 par:
M. Delaporte, premier vice-président M. Schockweiler, vice-président M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.