N° 10775 du rôle Inscrit le 29 juin 1998 Audience publique du 10 mars 1999
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Recours formé par Madame … VON DEWITZ, Luxembourg, contre une décision de la ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle en matière de délivrance de diplômes
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Vu la requête déposée le 29 juin 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Romain ADAM, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … VON DEWITZ, employée privée, demeurant à L-
…, tendant à l’annulation d’une décision de la ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle du 6 avril 1998 lui refusant la délivrance du diplôme d'éducatrice graduée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 1999 au nom de la demanderesse;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge rapporteur en son rapport ainsi que Maître Christiane TRAUSCH, en remplacement de Maître Romain ADAM, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 mars 1997, Madame … VON DEWITZ, employée privée, demeurant à L-…, détentrice depuis 1984 du diplôme d'éducatrice prévu par la loi modifiée du 14 mars 1973 portant création d'instituts et de services d'éducation différenciée, adressa à la ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle, ci-après désignée par "la ministre", une demande de délivrance d'un diplôme d'éducatrice graduée tel que prévu par l'article 34 de la loi du 6 août 1990 portant organisation des études éducatives et sociales.
Par courrier du 28 avril 1997, les services du ministère de l'Education nationale lui firent savoir qu'avant de pouvoir participer aux activités d'enseignement préparant aux épreuves supplémentaires pour l'obtention du diplôme d'éducatrice graduée, elle était tenue de passer, avant l'inscription définitive, des épreuves linguistiques conformément aux dispositions de l'article 7 du règlement grand-ducal du 14 octobre 2 1996 déterminant le programme et les modalités des épreuves supplémentaires pour l'obtention du diplôme d'éducateur gradué par les titulaires du diplôme d'éducateur ayant suivi le régime d'études prévu par la loi modifiée du 14 mars 1973, précitée, et le 30 mai suivant, elle fut invitée à subir des épreuves dans les langues française et luxembourgeoise.
Dans sa réponse du 5 juin 1997, Madame VON DEWITZ déclara refuser se soumettre aux épreuves en question, étant donné qu'à son avis, elle avait déjà antérieurement fait preuve de connaissances linguistiques suffisantes, et que son expérience professionnelle de vingt années aurait montré qu'elle n'avait jamais éprouvé des problèmes en raison de connaissances insuffisantes du français et du luxembourgeois.
Comme suite à un courrier émanant de son mandataire et dans lequel elle revendiquait d'une part la dispense du test linguistique et d'autre part directement l'obtention du diplôme d'éducatrice graduée, la ministre lui communiqua son refus par un courrier du 6 avril 1998.
C'est contre cette décision de refus que Madame VON DEWITZ a introduit, le 29 juin 1998, un recours en annulation.
La demande ayant été introduite dans les formes et délai de la loi, elle est recevable.
Au fond, Madame VON DEWITZ estime que le test linguistique auquel elle a été invitée de se soumettre est contraire aux dispositions du droit européen. A l'appui de sa thèse, elle entend se baser sur le règlement CEE n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 qui interdit ou rend inopérantes toutes mesures législatives, réglementaires ou administratives d'un Etat membre qui limitent ou subordonnent à des conditions non prévues pour les nationaux, la demande et l'offre de l'emploi, l'accès à l'emploi et son exercice par les étrangers, ou qui, bien qu'applicables sans exception de nationalité, ont pour but ou effet exclusif ou principal d'écarter les ressortissants des autres Etats membres de l'emploi offert. Concernant les connaissances linguistiques, elle souligne que les exigences afférentes visent un objectif particulier et que la connaissance linguistique doit être strictement nécessaire pour atteindre cet objectif.
Dans la mesure où, dès lors, une telle exigence ne peut se justifier qu'en raison de la nature de l'emploi à pourvoir, et que l'article 8 de la loi du 6 août 1990, précitée, prévoit le test comme condition préalable à une formation et l'obtention d'un diplôme, qui donne cependant accès à des emplois de natures différentes, voire à toute une profession, au lieu d'être cantonné à un emploi précis qui requiert des connaissances linguistiques propres, la disposition légale afférente serait contraire aux termes et à l'esprit du règlement CEE n° 1612/68.
Les professions d'éducateur et d'éducateur gradué telles que prévues par la loi du 6 août 1990, précitée, assurent l'éducation différenciée des enfants qui, en raison de leurs particularités mentales, caractérielles ou sensorielles, ne peuvent suivre l'enseignement ordinaire ou spécial. L'éducation en question s'adresse à des enfants et jeunes, handicapés, inadaptés ou en difficulté d'intégration (v. projet de loi portant entre autres réforme de la formation des éducateurs, exposé des motifs, doc. parl. n° 3 3144, p. 2). - Le personnel qui assure cette éducation doit pouvoir s'occuper de manière individualisée, et pour le moins sans barrière linguistique, des enfants qui lui sont confiés. Le luxembourgeois est notamment indispensable dans l'éducation des jeunes enfants (phase d'acquisition et du développement du langage) et dans le travail avec les personnes handicapées (v. projet de loi précité, commentaire des articles, sub article 8, p. 24). Le français est tout aussi indispensable au vu du pourcentage de la population étrangère résidant au Luxembourg dont la langue véhiculaire commune tend de plus en plus à devenir le français.
C'est partant à tort que la demanderesse estime que la profession d'éducateur gradué ne constituerait pas un emploi de nature à exiger des connaissances linguistiques spécifiques. Il est au contraire indispensable que tout éducateur gradué qui entend exercer sa profession au Luxembourg ait des connaissances suffisantes en luxembourgeois et en français.
C'est encore à tort que la demanderesse estime qu'en raison du fait que l'exigence des connaissances linguistiques s'étend à toute une profession au lieu d'être limitée à un emploi précis, elle serait contraire au droit communautaire. En effet, la disposition légale querellée de contrariété au droit communautaire s'applique aux deux fonctions d'éducateur et d'éducateur gradué qui, l'une et l'autre, présupposent de manière indispensable la connaissance des trois langues véhiculaires du pays, à savoir le luxembourgeois, le français et l'allemand.
C'est finalement à tort que Madame VON DEWITZ querelle de contraire au droit communautaire la disposition précitée, étant donné qu'elle s'applique non seulement à ceux qui entendent exercer la fonction d'éducateur gradué, mais même, au préalable, à ceux qui veulent suivre les études afférentes. Etant donné, en effet, que d'une part, toutes les fonctions visées par les études afférentes exigent la connaissance des trois langues véhiculaires du pays, et que, d'autre part, la formation afférente se déroule, pour une partie essentielle, de manière pratique au contact avec les enfants et jeunes à éduquer, les études en question ne sauraient être utilement suivies que si les candidats ont une connaissance suffisante des trois langues dans lesquelles ils vont plus tard exercer leur métier.
Madame VON DEWITZ reproche encore à la décision attaquée d'être en contradiction avec la directive 92/51/CEE du Conseil du 18 juin 1992, transposée en droit national par un règlement grand-ducal du 2 juin 1994, qui a institué un système général qui a pour objectif de permettre la reconnaissance dans un Etat membre d'accueil, de la qualification professionnelle acquise dans un Etat membre d'origine, afin d'y exercer une profession réglementée dans l'Etat membre d'accueil. Elle estime pouvoir profiter de son expérience professionnelle acquise au cours de sa carrière d'éducatrice, en tant que détentrice du diplôme d'éducatrice lui délivré en 1984 sur base des dispositions de la loi du 14 mars 1973, précitée. Selon elle, en effet, l'autorité luxembourgeoise ne saurait exiger d'un migrant ayant subi une formation d'éducateur dans un autre Etat membre de l'Union européenne d'une durée inférieure d'une année à celle requise au Luxembourg, que la preuve d'une expérience professionnelle de deux ans pour l'exercice de la profession d'éducateur gradué. Pour autant que de besoin, elle demande au tribunal de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des communautés européennes quant à l'interprétation des dispositions du Traité de Rome 4 ayant trait à la libre prestation des services avec la décision attaquée, sinon avec l'article 8 de la loi du 6 août 1990, et au besoin de l'article 1er du règlement grand-
ducal du 14 octobre 1996 déterminant le programme et les modalités des épreuves supplémentaires pour l'obtention du diplôme d'éducateur gradué par les titulaires du diplôme d'éducateur ayant suivi le régime d'études prévu par la loi modifiée du 14 mars 1973, précitée.
Le droit communautaire n'a pas vocation à s'appliquer à un ressortissant communautaire qui ne se trouve pas et ne demande pas à se trouver dans une situation de circulation entre Etats membres. Une situation interne à un Etat membre n'intéresse pas un droit conçu pour la circulation entre Etats membres (v. trib. adm. 16 décembre 1998, Pas. adm. n° 1/1999, V° Lois et règlements, n° 4). L'article 3 de la directive 92/51/CEE, invoquée par la demanderesse, prévoit que lorsque, dans un Etat membre d'accueil, l'accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession d'un diplôme, l'autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant d'un Etat membre, pour défaut de qualification, d'accéder à cette profession ou de l'exercer dans les mêmes conditions que les nationaux.
En l'espèce, la demanderesse a fait ses études d'éducatrice au Luxembourg et y a exercé la profession afférente depuis 1984. Elle ne se trouve dès lors pas dans une situation de migration telle qu'exigée pour que le droit communautaire lui soit applicable. Ce qu'elle réclame en réalité, c'est la mise sur un pied d'égalité du diplôme luxembourgeois d'éducatrice avec un diplôme quelconque étranger, non autrement qualifié, combiné avec son expérience professionnelle acquise au Luxembourg, en vue d'échapper aux épreuves supplémentaires prévues pour obtenir le diplôme luxembourgeois d'éducatrice graduée. S'il est vrai que le système communautaire de reconnaissance mutuelle des diplômes tend à prévoir l'exercice d'une profession réglementée dans un pays moyennant reconnaissance du diplôme acquis dans un autre Etat membre, le cas échéant en tenant compte de l'expérience professionnelle du postulant, il n'entend pas dispenser le détenteur d'un diplôme national donné, voulant se faire délivrer un autre diplôme national d'une valeur supérieure, de se soumettre aux épreuves supplémentaires légalement prévues, en se prévalant de l'expérience professionnelle acquise dans le même Etat membre. Accepter une telle revendication reviendrait à remettre en question, d'une manière générale, l'existence d'une hiérarchie de diplômes dans une même branche, différenciée par des études de niveaux de difficulté gradués.
C'est partant à tort que la demanderesse s'estime victime d'une violation du droit communautaire. Il n'y a pas eu davantage violation de l'égalité devant la loi, étant donné qu'elle s'est fait appliquer le régime applicable à tout résident sur le territoire luxembourgeois voulant accéder à la profession d'éducateur gradué.
Le recours laisse partant d'être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, 5 au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 10 mars 1999 par:
M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Ravarani