N° 11140 du rôle Inscrit le 23 février 1999 Audience publique du 4 mars 1999
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Recours formé par Monsieur … CUELLO, alias X.
contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 1999 par Maître Stéphane LATASTE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Yves HUBERTY, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … CUELLO, alias X., de nationalité argentine, actuellement placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 janvier 1999 ordonnant une mesure de placement à son égard;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 février 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal le 26 février 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Yves HUBERTY et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Il ressort d’un procès-verbal établi le 28 janvier 1999 par le service de recherche et d’enquête criminelles, section des moeurs, de la police de Luxembourg qu’une personne, qui s’était identifiée sous le nom de X., de nationalité mexicaine, né le 6 avril 1970, a été contrôlé le même jour à Luxembourg-Gare/Bonnevoie par des agents de la police de la circulation et qu’il a été amené au commissariat de police de Luxembourg-Ville en vue d’y être entendu par deux agents de la section des moeurs précitée en présence d’un interprète. Le contrôle policier a eu lieu à la suite d’une information reçue de tierces personnes ayant observé Monsieur X.
roulant à bord d’un motocycle immatriculé à Trèves en Allemagne et suivant une camionnette immatriculée en Italie, à bord de laquelle se trouvaient deux personnes. Ces informations ont été soumises à la police par un employé de banque qui a constaté que les deux occupants de la 1 camionnette ont pénétré dans l’agence de la banque dans laquelle ils ont changé quelques dollars des Etats-Unis d’Amérique, dans un contexte qui a suscité une attention particulière de la part de l’employé de banque au vu du comportement suspect des personnes en question. A l’arrivée des agents de police, la camionnette a disparu et ils ont seulement pu intercepter Monsieur X.. A la suite d’une vérification faite quant à l’immatriculation du motocycle, ils ont pu constater que ce dernier a été volé deux jours auparavant à Trèves.
Au cours d’un interrogatoire de Monsieur X. au commissariat central de Luxembourg-
Ville, il a pu être constaté que la personne en question n’était en possession ni de papiers d’identité ni d’un quelconque autre document et il a avoué n’avoir pas d’argent ni de bagages avec lui. Ses papiers auraient été volés soit en France soit au Luxembourg, mais il n’aurait pas déposé plainte contre ce prétendu vol.
Interrogé sur son itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, Monsieur X. a déclaré que trois semaines avant son contrôle policier précité, il serait venu par avion de Mexico-City à Paris, qu’il y aurait séjourné quelques jours avant de venir au Luxembourg par train. Toutefois, il était incapable d’indiquer le nom de l’aéroport à Paris où il aurait atterri ou le nom de la gare à laquelle il aurait pris le train en direction de Luxembourg. Le billet d’avion ainsi que le ticket du train n’étaient plus en sa possession. Depuis son arrivée à Luxembourg-Ville, deux semaines avant l’interrogatoire précité, il aurait vécu au centre de la Ville. Il a encore déclaré que la mendicité lui aurait procuré les seules ressources nécessaires pour vivre.
En ce qui concerne le motocycle, il a indiqué qu’un inconnu le lui aurait prêté sans qu’il puisse ni donner l’identité de l’inconnu en question ni fournir d’autres détails en relation avec ce prétendu prêt du motocycle volé en Allemagne. Enfin, il a déclaré qu’il serait venu au Luxembourg en tant que touriste dans le cadre d’un tour d’Europe.
Comme il a été constaté que Monsieur X. se trouvait en séjour illégal au pays, le parquet a pris une mesure de rétention à son encontre le 28 janvier 1999.
Par décision du ministre de la Justice du 29 janvier 1999, notifiée le même jour à Monsieur X., celui-ci a été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:
« Considérant que l’intéressé a été contrôlé en date du 28 janvier 1999 par la police de Luxembourg;
- qu’il est démuni de toutes pièces d’identité et de voyage valables;
- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays;
- que son éloignement immédiat n’est pas possible;
Considérant que des raisons tenant à la sauvegarde de l’ordre public nécessitent que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son rapatriement ».
2 Il ressort d’un procès-verbal établi en date du 29 janvier 1999 par la section police des étrangers et des jeux du service de police judiciaire de la gendarmerie grand-ducale, que lors d’un interrogatoire de Monsieur X. à la date précitée, ce dernier a avoué porter l’identité véritable de … CUELLO, célibataire, né le 6 mars 1970 à Cordoba en Argentine, et contrairement à sa déclaration faite aux agents de police la veille, il a déclaré qu’il aurait voyagé en date du 2 janvier 1999 de Cordoba à Sao Paulo au Brésil pour se rendre ensuite à Rome en Italie. A Rome il aurait séjourné auprès d’un ami dont il ne connaîtrait que le prénom. Il a encore précisé qu’il aurait été contrôlé par les autorités italiennes et, comme il n’aurait pas pu présenter des papiers d’identité, les agents de police italiens auraient pris ses empreintes digitales. En date du 26 janvier 1999, il serait venu avec son ami italien de Rome à Luxembourg, par train, et cet ami aurait été en possession non seulement de son ticket de train mais également de son passeport argentin. Cet ami se serait enfui au moment où il aurait remarqué son arrestation par des agents de police. Les agents-enquêteurs ont encore noté d’autres contradictions dans le récit de Monsieur CUELLO, notamment quant à un prétendu voyage effectué ensemble avec son ami de Luxembourg à Trèves, et quant au vol du motocycle par son ami à Trèves. Monsieur CUELLO n’a pu fournir aucune indication quant aux occupants de la camionnette précitée au sujet de laquelle les agents-enquêteurs ont pu constater qu’elle appartenait à une ressortissante argentine, domiciliée à Rome, connue pour recel. Monsieur CUELLO a encore déclaré qu’il souhaiterait se rendre en Espagne, où il aurait séjourné antérieurement. Son billet d’avion vers l’Argentine serait toujours en possession de son ami italien, dont il ne connaîtrait ni le nom de famille ni l’adresse.
En date du 18 février 1999, le ministre de la Justice a contacté l’ambassade de la République argentine à Bruxelles, en lui faisant parvenir une fiche signalétique contenant notamment les empreintes de Monsieur CUELLO, ainsi que deux photos, en la priant de délivrer un titre d’identité ou un laissez-passer permettant le rapatriement de Monsieur CUELLO vers l’Argentine.
Il ressort d’un troisième procès-verbal établi en date du 25 février 1999 par la section police des étrangers et des jeux du service de police judiciaire de la gendarmerie grand-ducale, qu’en date du 24 février 1999, Monsieur CUELLO, alias X. a contacté, en présence d’un officier de police judiciaire, l’ambassade argentine à Bruxelles, à la suite d’une demande formulée dans ce sens par ladite ambassade, en vue de constater s’il s’agit en l’espèce d’un ressortissant argentin. Comme le fonctionnaire de l’ambassade a informé l’officier de police judiciaire luxembourgeois de ce que le passeport de Monsieur CUELLO se trouverait en Italie et comme entretemps Monsieur CUELLO a pris un avocat au Luxembourg, ce dernier a été chargé de contacter le frère de Monsieur CUELLO en Argentine afin d’intervenir auprès de l’ami italien afin que celui-ci transmette le passeport de Monsieur CUELLO à Luxembourg. En attendant cette transmission du passeport, l’ambassade argentine a informé les autorités luxembourgeoises qu’à ce stade, elle n’émettrait pas encore un laissez-passer.
Par requête déposée le 23 février 1999, Monsieur CUELLO alias X. a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle de placement du 29 janvier 1999.
Par arrêté ministériel du 24 février 1999, le placement de Monsieur CUELLO alias X. a été prorogé pour une nouvelle durée d’un mois.
3 En vertu de l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée du 29 janvier 1999. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
La demande en annulation de la décision de placement, présentée en ordre subsidiaire, est partant à déclarer irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur invoque une imprécision des motifs contenus dans la décision ministérielle critiquée équivalent à une absence de motivation, en relevant que le ministre de la Justice a utilisé comme seul motif des « formules générales et abstraites prévues par la loi, et ce sans préciser les raisons de fait concrètes permettant de justifier la décision ».
Concernant la prétendue absence de motivation de la décision critiquée, il est échet de relever que loin de reprendre de prétendues formules passe-partout qui seraient prévues par la loi, l’arrêté ministériel du 29 janvier 1999 énonce non seulement expressément notamment le fait que le demandeur était, au moment du contrôle policier, démuni de toutes pièces d’identité et de voyage valables, qu’il n’avait pas de moyens d’existence personnels et qu’il se trouvait partant en séjour irrégulier au pays, mais il se réfère en outre au procès-verbal précité du 28 janvier 1999.
Le demandeur reproche encore à la décision critiquée de ne pas indiquer les circonstances de fait qui empêcheraient l’exécution de la mesure d’éloignement qui aurait été prise à son encontre.
S’il est vrai que la décision de placement critiquée omet de relever ces circonstances, de sorte qu’elle est partiellement entachée d’un défaut de motivation, le juge administratif peut toutefois substituer à la décision viciée, sans la réformer, des motifs légaux qui se dégagent de la loi ou des éléments du dossier et qui justifient la décision (v. F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 2e éd., 1996, n°s 290 et s.).
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que l’exécution de la mesure d’éloignement était impossible en raison du défaut du demandeur d’être en possession de papiers d’identité et de voyage valables et qu’en attendant que, d’une part, les démarches faites auprès de l’ambassade de la République argentine à Bruxelles en vue de l’obtention d’un laissez-passer en faveur de Monsieur CUELLO, et, d’autre part, des démarches faites par le demandeur lui-même auprès de son frère en vue de l’obtention de son passeport, aient abouti, le ministre de la Justice a estimé être dans l’impossibilité de procéder à son éloignement vers un autre Etat.
4 La décision déférée a partant été dûment motivée, d’une part, par l’énonciation des éléments de fait se trouvant à sa base et, d’autre part, par la substitution partielle de motifs retenus ci-avant et le moyen tiré d’une absence de motivation doit donc être rejeté.
Concernant la justification, au fond, de la mesure de placement, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.
Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de l’intéressé est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, « …. 2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour; … 4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis … ».
Le demandeur critique l’arrêté ministériel déféré en ce qu’il ne se fonde pas sur une décision d’éloignement préalablement prise en estimant encore que la simple insuffisance de moyens personnels propres ne saurait « constituer un motif suffisant pour fonder une mesure de placement ».
Il convient de relever que le « fait » visé par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui doit ressortir du procès-verbal, n’est pas la mesure d’éloignement, mais la ou les causes justificatives qui sont à la base d’une mesure d’éloignement. Il convient donc en premier lieu de vérifier la légalité de la mesure de refoulement, condition préalable à la légalité de toute décision de placement.
En l’espèce, il ressort d’un rapport du service de recherche et d’enquête criminelles -
section moeurs de la police de Luxembourg du 28 janvier 1999 que le demandeur n’était ni en possession de papiers de légitimation et de visa, étant rappelé qu’il est de nationalité argentine, ni de moyens personnels.
Le défaut de papiers de légitimation valables et du visa requis ainsi que le défaut d’être en possession de moyens personnels sont des motifs légaux justifiant une mesure de refoulement, susceptible de servir de base à la mesure de placement prise en exécution de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972.
Les conditions justifiant un refoulement ayant été vérifiées par le tribunal, il appartient encore à ce dernier d’analyser si une décision de refoulement a été effectivement prise par le ministre de la Justice.
Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du 5 moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 sont remplies et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.
C’est partant à tort que le demandeur fait exposer que le ministre de la Justice aurait omis de prendre une décision d’éloignement préalablement à la décision de placement.
Loin de pouvoir constituer un motif justifiant une mesure de placement, l’insuffisance ou l’inexistence de moyens personnels suffit à elle seule pour constituer un motif légal permettant de justifier une mesure de refoulement qui est susceptible de se trouver à la base d’une mesure de placement. L’argumentation erronée présentée par le demandeur tendant à dire que l’insuffisance de moyens personnels ne saurait constituer un motif suffisant pour fonder une mesure de placement doit partant être écarté.
Il se dégage des considérations qui précèdent que Monsieur CUELLO est sous le coup d’une décision de refoulement légalement prise et justifiée, qui constitue une base légale de la décision de placement.
La mesure de placement critiquée n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.
Il convient de rappeler que le demandeur n’était en possession ni de documents d’identité ni d’un titre de séjour, que ce soit pour un Etat membre de l’Union Européenne ou encore pour un Etat tiers. Il ressort encore du dossier que l’identité du demandeur est pour le moins incertaine, en raison notamment des différentes identités empruntées au cours de ses interrogatoires par les autorités luxembourgeoises, tel que cela ressort des procès-verbaux versés au dossier, de sorte que l’administration est en droit de procéder en outre à des mesures de vérification supplémentaires, notamment auprès des autorités de son prétendu pays d’origine, en l’espèce l’Argentine, ce même indépendamment de la question de savoir si le demandeur était ou non en possession de documents d’identité au moment de la prise de la décision querellée. Comme pour le surplus, tel que cela ressort encore des pièces du dossier, le rapatriement du demandeur nécessite, à défaut de pièces d’identité et de voyage valables, et au cas où son identité peut être établie, la délivrance par l’ambassade de son pays d’origine d’un laissez-passer en vue de le rapatrier dans ledit pays d’origine et comme ces mesures requièrent un certain délai, il a valablement pu être estimé que sur base de toutes les circonstances de fait exposées ci-avant, l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement a été rendue impossible.
Le demandeur conteste qu’il existe un danger réel qu’il se soustraie à la mesure de rapatriement et qu’un tel danger ne résulterait ni de la décision critiquée ni du dossier administratif en relevant qu’il n’aurait opposé aucune résistance à la police au moment de son arrestation. Par ailleurs, il soutient que la mesure critiquée serait « totalement disproportionnée » en estimant que le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig ne constituerait pas un établissement approprié tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 au motif que ledit établissement pénitentiaire serait exclusivement destiné à héberger des détenus au sens du droit pénal, condamnés à une peine privative de liberté par une juridiction répressive ou se trouvant en détention préventive sur base d’une décision prise par le juge d’instruction. Comme, d’une part, aucune décision pénale ne serait 6 intervenue à son encontre et qu’il n’existerait, d’autre part, aucune enquête pénale à son détriment, le ministre de la Justice ne serait pas autorisé, en l’absence de tout texte légal ou réglementaire, à décider son placement dans un centre pénitentiaire par voie d’une simple décision administrative. Du fait que la décision d’incarcérer une personne au centre pénitentiaire serait exclusivement réservée au pouvoir judiciaire, le ministre aurait violé l’article 12 de la Constitution. Tout en estimant que le pouvoir exécutif aurait l’obligation de mettre en place une infrastructure spécifique et appropriée pour accueillir les personnes se trouvant sous le coup d’une mesure de placement prise sur base de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, il souhaite être placé, à titre tout à fait subsidiaire, au Centre Pénitentiaire Agricole de Givenich, en soutenant que ledit centre constituerait indubitablement un établissement plus approprié au sens de l’article 15 précité que le Centre Pénitentiaire de Schrassig.
Une mesure de placement, surtout au Centre Pénitentiaire, ne se justifie qu’au cas où il existe dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure ou qu’elle constitue un danger pour l’ordre public.
En l’espèce, il échet de relever qu’il ressort des éléments du dossier que le demandeur a fait usage de différentes identités pendant son séjour au Grand-Duché de Luxembourg, que les déclarations qu’il a faites aux autorités sont contradictoires et qu’au moins l’une des deux histoires présentées aux policiers est complètement fausse, qu’il circulait à bord d’un motocycle volé en Allemagne et qu’il ne possède aucune adresse fixe au Luxembourg.
Il existe partant, dans le chef du demandeur, un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieure.
Il convient de relever par ailleurs que les faits ressortant du dossier à charge du demandeur caractérisent le comportement d’un étranger susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics et que ce comportement justifie dans les circonstances de l’espèce qu’il soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg afin d’éviter un danger de fuite et en vue de garantir qu’il soit à disposition des autorités en vue de son éloignement ultérieur. La demande présentée à titre subsidiaire, par le demandeur, en vue d’obtenir son transfert au Centre Pénitentiaire Agricole de Givenich est donc à écarter au motif que ledit centre n’offre pas toutes les garanties nécessaires et requises en l’espèce afin d’éviter, d’une part, une fuite du demandeur et, d’autre part, le risque qu’il compromette la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. Dans les circonstances de l’espèce, le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig est à considérer comme constituant un établissement approprié tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.
Quant à la prétendue violation de l’article 12 de la Constitution, qui dispose, entre autres, que « hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les 24 heures », il échet de relever que cet article, nonobstant le fait qu’il se trouve sous le chapitre II « des Luxembourgeois et de leurs droits », bénéficie, en principe, également aux ressortissants étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en vertu de l’article 111 de la Constitution, qui dispose que « tout étranger qui se trouve sur le territoire du Grand-Duché, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi ».
7 Comme l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose qu’un étranger peut, sous certaines conditions, être placé dans un établissement approprié, sur décision du ministre de la Justice, cette procédure constitue une exception établie par la loi, telle que visée à l’article 111 de la Constitution, et partant la procédure de la mise à disposition du gouvernement, légalement établie, constitue une exception, en ce qui concerne les étrangers séjournant sur le territoire luxembourgeois, à l’article 12 de la Constitution. Le moyen afférent présenté par le demandeur est partant à abjuger.
De même, le moyen tendant à établir une violation du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, en ce que seul le pouvoir judiciaire serait habilité à prendre des mesures de placement, de détention ou d’incarcération à l’exclusion du pouvoir exécutif, est également à écarter étant donné que ce principe n’a pas pour objet d’attribuer des compétences aux différents pouvoirs faisant partie de l’organisation du système politique de l’Etat luxembourgeois, alors qu’il a simplement pour finalité d’assurer que chaque pouvoir exerce, en toute indépendance et sans l’ingérence d’un autre pouvoir, les compétences qui lui sont dévolues par la Constitution. Il ne ressort d’aucun élément du dossier que ce principe ait été violé en l’espèce, étant rappelé que les articles 12 et 111 de la Constitution autorisent la loi à prévoir et organiser des mesures de placement à l’encontre d’étrangers séjournant au Luxembourg, à prendre par un pouvoir autre que le pouvoir judiciaire.
Par ailleurs, il y a lieu de faire droit à la demande présentée par Monsieur CUELLO tendant à faire acter qu’il se réserve le droit d’introduire un recours quant à l’arrêté ministériel du 24 février 1999 portant prorogation de la mesure de placement.
Enfin, le demandeur a présenté une offre de preuve afin d’établir par témoignage les faits suivants: « Au Centre Pénitentiaire de Schrassig et en date du 22 février 1999, sans préjudice quant à la date exacte, Monsieur … CUELLO a fait des démarches pour retrouver ses pièces d’identité.
A cet effet, il a contacté par voie téléphonique, notamment son frère, Monsieur Claudio Gabriel CUELLO, demeurant à Cordoba en Argentine, pour que ce dernier lui organise la restitution de ses documents d’identité se trouvant en Italie, sans préjudice de lieux plus exacte ».
Cette offre de preuve est à écarter alors qu’elle n’est ni pertinente ni concluante, puisqu’elle tend à prouver des faits, plus particulièrement la collaboration de Monsieur CUELLO avec les autorités luxembourgeoises en vue de retrouver son passeport qui serait détenu par une tierce personne en Italie, qui ne sont susceptibles de constituer une justification ou, au contraire, d’établir l’illégalité ni de la décision de refoulement en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 ni de la décision de placement prise en vertu de l’article 15 de la même loi. En outre, les faits qui sont offerts en preuve ne sont pas contestés par le délégué du gouvernement, tel que cela ressort des plaidoiries.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
8 donne acte au demandeur qu’il se réserve le droit d’introduire un recours contentieux contre l’arrêté ministériel du 24 février 1999 portant prorogation de la mesure de placement du 29 janvier 1999;
reçoit le recours en réformation en la forme;
écarte l’offre de preuve comme n’étant ni pertinente ni concluante;
au fond déclare le recours en réformation non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 4 mars 1999 par M. Campill, premier juge, délégué à cet fin, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 9