N° 10753 du rôle Inscrit le 12 juin 1998 Audience publique du 1er mars 1999 Recours formé par Madame … ARAKELOVA, Luxembourg contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 1998 par Maître Mathis HENGEL, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … ARAKELOVA, de nationalité géorgienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 11 mars 1998 lui refusant le permis de travail;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Mathis HENGEL au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 1999 pour compte de Madame … ARAKELOVA;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stéphane MAAS et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 février 1999.
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Par courrier de son mandataire datant du 16 décembre 1997, Madame X., née [en] 1927, sans état, demeurant à L-1660 Luxembourg, 6A, Grand-Rue, a sollicité, un permis de travail pour Madame … ARAKELOVA, née [en] 1950 en Géorgie, en indiquant vouloir engager cette dernière en qualité de dame de compagnie pour une période illimitée aux conditions du salaire social minimum luxembourgeois. Une déclaration d’engagement documentant cette demande et datée du 11 novembre 1997 fut jointe à cette demande.
Le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après appelé “ le ministre ”, refusa de faire droit à cette demande en obtention d’un permis de travail par arrêté ministériel du 11 mars 1998 au motif que: “ - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 2.549 ouvriers non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement à 1 l’administration de l’emploi; - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (EEE); - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur; -recrutement à l’étranger non-autorisé;- augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’administration de l’emploi durant les cinq dernières années: 3.526 en 1993, 4.643 en 1994, 5.130 en 1995, 5.680 en 1996 et 6.537 en 1997. ”.
A l’encontre de cette décision, Madame ARAKELOVA fit déposer en date du 12 juin 1998 un recours en annulation.
Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours la demanderesse fait exposer avoir été depuis de nombreuses années au service de Madame X. en Grèce, avant que celle-ci ne quittât son pays d’origine pour des raisons de santé suite à une attaque cardiaque pour venir s’installer au Grand-Duché de Luxembourg où réside sa fille Madame … et son époux, ceci afin de leur éviter les nombreux et imprévus allers et retours Luxembourg-Grèce. Elle fait valoir ensuite qu’en raison de l’âge avancé et de l’état de santé de Madame X., celle-ci ne serait plus disposée à s’habituer à une autre personne qu’à elle-même et qu’elle serait devenue indispensable au cours des années pour les soins journaliers et ce jour et nuit. Dans la mesure où elle aurait toujours été au service de Madame X. avant de venir à Luxembourg, elle estime qu’il n’y aurait pas en l’espèce création d’un nouveau poste et que partant la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits à l’administration de l’emploi, ci-après appelée “ ADEM ”, ne serait pas influencée par le fait qu’elle travaille auprès de Madame X., étant entendu qu’elle serait la seule personne entrant en ligne de compte pour occuper l’emploi en question.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement conclut, outre à la disponibilité sur place de personnes bénéficiant d’une priorité à l’embauche susceptibles de remplir l’emploi en question, à l’existence d’un empêchement légal à la formation d’un contrat d’emploi entre Madame X. et la demanderesse, en ce que l’employeur, en l’occurrence Madame X., aurait omis de déclarer vacant le poste en question, conformément aux dispositions de l’article 9 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’Emploi, ainsi que de l’article 4 du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.
Le représentant étatique signale en outre que la demanderesse n’a jamais habité le Grand-Duché de Luxembourg, ni encore bénéficié d’un visa d’entrée pour le territoire grand-
ducal, pour soutenir qu’elle est à considérer comme ayant été recrutée à l’étranger sans l’autorisation préalable de l’ADEM requise en vertu des dispositions de l’article 16 de la loi modifiée du 21 février 1976 précitée.
Les dames X. et ARAKELOVA s’étant placées à travers leur demande prévisée du 16 décembre 1997 dans le cadre d’une relation de travail, il n’appartient en tout état de cause pas au tribunal de requalifier le cas échéant la relation existante entre ces deux personnes, qui d’après le mandataire de la demanderesse reposerait essentiellement sur des liens d’amitié et d’affection.
2 Il est constant que Madame … ARAKELOVA, de nationalité géorgienne, est une étrangère ressortissante d’un Etat tiers à l’Espace Economique Européen, ci-après appelé “ EEE ”.Elle ne saurait partant bénéficier du principe de la priorité à l’embauche de ressortissants de l’EEE tel que prévu par le règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs et l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.
l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main-
d’œuvre étrangère, qui dispose que “ l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi ” et constitue la base habilitante de l’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 lequel dispose que “ l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution et à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats partis à l’accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612-68 concernant la libre circulation des travailleurs ”.
Il s’ensuit que la référence à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’EEE contenue dans la décision déférée se justifie, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité géorgienne.
L’article 4 du règlement grand-ducal modifié précité du 12 mai 1972 interdit l’occupation d’un travailleur étranger, non muni d’un permis sans avoir au préalable fait une déclaration à l’administration de l’emploi relative au poste de travail à occuper.
S’il est vrai que la déclaration de poste vacant ainsi exigée peut être introduite concomitamment à la déclaration d’engagement, voire se dégager de cette dernière (cf. trib.
adm. 14.7.97, Pas. adm. 1/99, v° Travail sub 2. Permis de travail, n° 16 et autres références y citées), il y a néanmoins lieu de constater qu’en l’espèce Madame X., plutôt que de déclarer un poste vacant avec indication du profil recherché, a demandé au ministre par courrier de son mandataire du 16 décembre 1997 d’accorder un permis de travail en faveur de la seule demanderesse en spécifiant qu’ “ il est sûr et certain que Madame X., vu son état de santé, ne peut plus s’habituer à une autre personne, de sorte que le permis de travail de Madame ARAKELOVA est indispensable ”.
Il se dégage du libellé de cette demande, ainsi que de la requête introductive d’instance précisant que “ si Madame X. ne pourra pas employer la requérante au Luxembourg, ou bien elle n'emploiera personne, ou bien elle retournera en Grèce avec la requérante ”, que l’employeur n’avait à aucun moment l’intention d’engager un autre candidat que la seule demanderesse.
Compte tenu de ce refus avoué d’office d’accepter un quelconque autre candidat proposé le cas échéant par l’ADEM, le poste en question est à considérer comme n’ayant pas été utilement déclaré vacant par l’employeur, alors que toute tentative de l’ADEM d’assigner à l’employeur des candidats bénéficiant de la priorité à l’embauche aptes à occuper le poste en cause s’en trouverait de toute façon vouée à l’échec.
L’omission de déclarer le poste vacant constitue un empêchement légal à la formation du contrat d’emploi, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au 3 travailleur étranger. Il s’ensuit qu’en retenant comme motif de refus du permis de travail que le poste de travail en question n’a pas été déclaré vacant par l’employeur, le ministre a légalement motivé sa décision.
En l’espèce, il découle encore des informations fournies en cours d’instance par le délégué du Gouvernement et non autrement contestées par la partie demanderesse ni dans son mémoire en réplique, ni lors des débats à l’audience, que Madame ARAKELOVA ne dispose pas d’un titre de séjour valable pour résider au Luxembourg.
Il est encore constant que la partie demanderesse n’a pu fournir aucune pièce sur son statut légal en Grèce, ni sur la nature juridique de sa situation par rapport à Madame X., ni sur la durée de celle-ci, ni encore sur les conditions déterminant sa présence auprès d’elle. Dans ces conditions et compte tenu des informations fournies par le représentant étatique, la demanderesse est partant à considérer comme ayant été recrutée à l’étranger au sens des dispositions de l’article 16 (1) de la loi précitée du 21 février 1976, applicable au moment de la prise de décision.
Ledit article imposant une condition supplémentaire à l’employeur qui veut recruter un travailleur à l’étranger, à savoir celle de solliciter préalablement l’autorisation auprès de l’ADEM non remplie en l’espèce, c’est encore à juste titre que la décision déférée mentionne parmi les motifs de refus le recrutement à l’étranger non autorisé (cf. Cour adm. 10.11.1998, n°10864 du rôle, Pas. adm. 1/99, v° Travail sub. Permis de travail, n°25).
Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’arrêté ministériel déféré du 11 mars 1998 est légalement justifié et que le recours en annulation laisse partant d’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le dit non justifié;
partant en déboute;
laisse les frais à charge de la demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er mars 1999 par:
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Schmit Delaporte 4