La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/03/1999 | LUXEMBOURG | N°10747

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 mars 1999, 10747


N° 10747 du rôle Inscrit le 10 juin 1998 Audience publique du 1er mars 1999 Recours formé par les époux … KEMP et … BINSFELD, Schifflange, …, Bridel contre deux actes de vente conclus avec l’Etat et une décision de refus du ministre des Travaux publics de rétrocession des terrains ainsi acquis pour cause d’utilité publique en matière de contrat et de rétrocession

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10747 et déposée au greffe

du tribunal administratif en date du 10 juin 1998 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat insc...

N° 10747 du rôle Inscrit le 10 juin 1998 Audience publique du 1er mars 1999 Recours formé par les époux … KEMP et … BINSFELD, Schifflange, …, Bridel contre deux actes de vente conclus avec l’Etat et une décision de refus du ministre des Travaux publics de rétrocession des terrains ainsi acquis pour cause d’utilité publique en matière de contrat et de rétrocession

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10747 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juin 1998 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, aux noms 1. des époux … KEMP, retraité, et … BINSFELD, sans état, demeurant ensemble à L-…, 2. de Madame … 3. de Madame … appelés ci-après « les consorts BINSFELD », tendant en ordre principal à l’annulation de deux actes de vente conclus entre l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg d’une part et Monsieur …, ayant demeuré à Bridel, … , ainsi que Madame …, d’autre part, portant sur les lots A, B et C d’un terrain sis à Bridel, inscrit au cadastre de la commune de Kopstal, section A, lieu-dit « Auf der Berck », formant parties du numéro 843/2312 d’une contenance totale de 17,31 ares, ainsi qu’en ordre subsidiaire contre la décision du ministre des Travaux publics du 10 avril 1998 portant refus de la rétrocession aux demandeurs des terrains ci-avant acquis par l’Etat;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 novembre 1998;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN aux noms des demandeurs en date du 3 décembre 1998;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 janvier 1999;

Vu la prise de position complémentaire déposée au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, en date du 11 février 1999 sur demande expresse du tribunal;

1 Vu le mémoire complémentaire du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 février 1999 sur demande expresse du tribunal;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Messieurs les délégués du Gouvernement Guy SCHLEDER et Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 18 janvier et 22 février 1999.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Considérant que la loi modifiée du 16 août 1967 ayant pour objet la création d’une grande voirie de communication et d’un fonds des routes, prévoit dans son article 6 le programme général des travaux de grande voirie parmi lesquels elle énumérait avant un changement législatif intervenu le 27 juillet 1997 in fine à son septième tiret « une route reliant Strassen à Mersch, avec contournement des grandes localités et jonctions aux routes principales »;

Que d’après l’article 8 de ladite loi du 16 août 1967 « l’Etat est autorisé à poursuivre l’acquisition et l’expropriation pour cause d’utilité publique des immeubles nécessaires à la construction et à l’aménagement de la voirie, objet de la présente loi »;

Que suivant courrier du 15 septembre 1969 émanant du président du comité d’acquisition auprès du ministère des Finances, Monsieur…, ayant demeuré à Bridel, …, a été contacté en ces termes « Monsieur, Votre terrain situé au Bridel au lieu-dit « Auf Berck » sous le numéro cadastral 843/2312 tombe sous l’emprise de la nouvelle route du Nord. L’Etat est disposé à acheter dès à présent ce terrain, et le comité d’acquisition, chargé de s’occuper des conditions d’achat, aimerait s’entretenir avec vous à ce sujet.

Je vous prie à cet effet de prendre part à une réunion qui aura lieu le mercredi 1er octobre à 17 heures dans la maison communale à Kopstal.

Veuillez agréer, …… »;

Que le terrain en question, d’une contenance totale de 17 ares 31 ca, avait été subdivisé en trois lots A, B et C suivant plan dressé par le géomètre de l’Etat … en date du 20 mars 1968;

Que suivant acte de donation reçu en date du 1er avril 1968 par Maître Roger WURTH, notaire de résidence à Eich, les époux … ont conféré à leur fille …, le lot A prédésigné d’une contenance de 4 ares 97 ca;

Que par actes de vente conclus à Bridel le 22 janvier 1970 et à Luxembourg le 24 janvier suivant, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a acquis de la part de Monsieur … d’une part et de Madame … d’autre part respectivement les lots B et C, ainsi que le lot A 2 formant ensemble le numéro cadastral 843/2312 d’une contenance totale de 17 ares 31 ca prédésigné;

Que ces actes de vente ont été approuvés par le ministre des Finances en date du 5 février 1970, ainsi que par le ministre des Travaux publics le 11 février suivant;

Que Monsieur … BINSFELD est décédé à Bridel en date du 14 novembre 1973 tandis que son épouse, Madame … est décédée à Luxembourg le 18 janvier 1996, laissant leurs trois enfants communs, savoir Madame …, sans état, …, demeurant à L-…; Madame … BINSFELD, …, demeurant à L-…, ainsi que Madame … BINSFELD, demeurant à L-…, appelés ci-après les consorts BINSFELD;

Que suite à une requête afférente du mandataire des consorts BINSFELD du 23 juillet 1992, le ministre des Travaux publics, en date du 27 janvier 1994, a déclaré qu’il ne lui était pas possible de faire droit à leur demande de rétrocession des terrains prédésignés cédés à l’Etat en 1970 « jusqu’au moment où la loi sur sur le fonds des routes a été modifiée »;

Qu’il a précisé que « cette modification s’impose du fait qu’à l’état actuel de notre législation le point de départ de la route du Nord est Strassen alors qu’il est prévu de la faire partir depuis l’échangeur du Kirchberg.

Dès que la situation juridique sera régularisée, je serai disposé à reconsidérer ma décision »;

Que déjà par courrier du 10 novembre 1992, le Premier Ministre avait informé les requérants de ce que leur requête du 23 juillet 1992 avait été transmise pour avis à l’administration des Ponts et Chaussées, lequel avis ne lui était pas encore parvenu à l’époque;

Que néanmoins le Premier Ministre de préciser qu’« en principe, si l’administration des Ponts et Chaussées estime que les terrains en question ne sont plus nécessaires à la construction d’une route, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient rétrocédés aux anciens propriétaires »;

Que par la loi du 27 juillet 1997 autorisant le Gouvernement a procéder à la construction d’une route reliant Luxembourg à Ettelbruck « les dispositions du septième tiret de l’alinéa 1er de l’article 6 de la loi modifiée du 16 août 1967 » précitées ont été abrogées (article 9), étant donné que la nouvelle loi est venue autoriser le Gouvernement à procéder à la construction d’une nouvelle route de Luxembourg à Ettelbruck à partir de Senningerberg via Waldhof et Mersch (article 1er), la construction de cette route étant réalisée dans les conditions et suivant les modalités de la loi modifiée du 16 août 1967 précitée (article 2);

Qu’en invoquant cette nouvelle situation, les consorts BINSFELD ont réitéré leur demande de rétrocession auprès du ministre des Travaux publics en date des 21 octobre 1997 et 4 février 1998;

Que le ministre a pris position suivant courrier du 10 avril 1998 comme suit: « Suite à votre requête sous rubrique je suis au regret de vous informer que je ne suis pas disposé à rétrocéder les terrains en question, lesquels ont été acquis à l’amiable par l’Etat en dehors de toute procédure d’expropriation.

3 En effet après examen approfondi j’ai pu me rendre compte que l’article 51 de la loi du 15 mars 1979 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique (abrogeant l’ancienne loi du 17 décembre 1859), ne s’applique pas.

Pour que l’article 51 précité puisse jouer il faut être en procédure d’expropriation.

Or, tel n’est pas le cas puisque dans le contexte de la loi modifie du 16 août 1967 sur le fonds des routes, la formalité prévue à l’article 9 est déterminante.

Cet article prévoit qu’un règlement grand-ducal approuve les plans des parcelles et la liste des propriétaires à exproprier.

Aucun règlement grand-ducal n’ayant été pris pour emprendre des terrains sis à Bridel, il faut conclure que l’acquisition des terrains de vos clients s’est faite indépendamment des dispositions de la loi de 1967.

Veuillez agréer ….. »;

Considérant que par recours déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 1998 les trois soeurs BINSFELD préqualifiées ensemble Monsieur …, époux de Madame … BINSFELD, également préqualifiés, ont déposé un recours en annulation pour violation de la loi et excès de pouvoir portant en ordre principal, d’après le libellé utilisé, contre les deux actes de vente précités des 22 et 24 janvier 1970, ainsi qu’en ordre subsidiaire contre la décision ministérielle de refus de rétrocession prérelatée du 10 avril 1998;

Quant à la compétence du tribunal Considérant qu’en premier lieu le représentant étatique soulève « l’irrecevabilité du recours pour incompétence du tribunal administratif de connaître du litige » tirée de l’article 84 de la Constitution en ce qu’il porterait sur des droits civils lesquels devraient être entendus comme étant « les droits privés proclamés par la Constitution, consacrés et organisés par le code civil et les lois complémentaires »;

Que suivant l’arrêt Procola de la Cour européenne des droits de l’homme du 28 septembre 1995 le droit au respect des biens revêtirait un caractère civil;

Que par ailleurs l’action en rétrocession tendant à voir entrer dans leur patrimoine le terrain précédemment vendu à l’Etat s’approcherait d’une action réelle dans le chef des demandeurs actuels, tombant ainsi sous la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire;

Qu’en ordre subsidiaire le recours serait encore irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, de même que pour forclusion à agir en ce qu’il est dirigé contre les actes de vente conclus en 1970;

Que plus subsidiairement encore le recours serait irrecevable, sinon non fondé pour autant que dirigé contre la décision de refus de rétrocession du 10 avril 1998;

4 Que dans leur mémoire en réplique les demandeurs font préciser qu’en ordre principal la demande en annulation est dirigée contre « la décision administrative du Gouvernement de procéder à l’acquisition du fonds litigieux en vue d’être incorporé à l’assiette d’une autoroute » à l’exclusion de l’acte translatif de propriété dressé par l’administration de l’enregistrement et des domaines;

Que si la demande en annulation des ventes conclues en 1970 relèverait ainsi de la compétence des seuls tribunaux civils, le tribunal administratif serait seul compétent pour statuer sur la validité de la décision du Gouvernement d’acquérir le fonds litigieux, aucun recours devant une autre juridiction n’étant admissible à ce titre;

Que dans son mémoire en duplique le représentant étatique demande le rejet de la requête en annulation reformulée par les demandeurs dans leur mémoire en réplique comme constituant sinon une demande nouvelle, du moins un moyen nouveau;

Que subsidiairement il souligne que l’existence propre d’une décision préalable à l’acquisition du fonds litigieux resterait à être établie, ni sa date, ni son contenu n’ayant été spécifiés en l’espèce par les demandeurs;

Que plus généralement la vente étant un contrat consensuel, parfait par l’accord des parties sur la chose et sur le prix, la qualité d’un cocontractant, en l’espèce l’Etat, ne serait pas de nature à changer quoi que ce soit ni à la nature du contrat, ni à sa formation;

Considérant qu’il est constant en cause que le terrain litigieux, considéré en ses lots A, B et C, fait partie de l’assiette de la route appelée à relier Strassen à Mersch suivant le septième tiret de l’article 6 de la loi du 16 août 1967 telle qu’elle était en vigueur en 1970 au moment de la conclusion des contrats de vente actuellement déférés;

Qu’il est patent que l’autorisation de l’Etat pour suivre l’acquisition du terrain en question lui est conférée par le législateur à travers l’article 8 de ladite loi du 16 août 1967 cité en début du présent jugement;

Considérant qu’il ne résulte d’aucune pièce versée au dossier, ni d’aucune indication fournie par ailleurs, que les ventes en question auraient été conclues sur une autorisation préalable expresse et spécifique émanant du Gouvernement, sinon des ministres des Finances et des Travaux publics de l’époque tel que cela est allégué dans leur mémoire en réplique par les parties demanderesses;

Que le mandataire des parties demanderesses d’avouer à l’audience que la distinction ainsi opérée avait effectivement un caractère artificiel;

Qu’il échet de constater à toutes fins que les deux actes de vente en question ont été dressés sous la forme administrative, au soin de l’administration des Domaines, bureau de Capellen, étant entendu que les conventions en question ne sont devenues définitives qu’après avoir été approuvées par le ministre du Trésor et le ministre des Travaux publics, les approbations en question étant intervenues en dates des 5 et 11 février 1970;

Qu’à titre complémentaire il importe de relever que les pourparlers ayant abouti aux ventes en question ont été entamés, d’après les pièces versées, suivant le courrier prérelaté du 5 15 septembre 1969 du président du comité d’acquisition auprès du ministère des Finances, invitant Monsieur … BINSFELD à prendre part à une réunion en vue de l’acquisition par l’Etat des terrains en question dans le cadre des projets de construction de la route du Nord, dont ils étaient appelés à former une partie de l’assiette;

Considérant qu’il se dégage de l’ensemble des développements qui précèdent qu’aucune autorisation gouvernementale préalable distincte n’a été requise, ni a fortiori établie en l’espèce, l’Etat tirant ses qualité et pouvoir ex lege, plus précisément des dispositions combinées des articles 6 et 8 de la loi du 16 août 1967;

Considérant que les deux ventes globalement analysées portent sur le transfert des droits de propriété respectifs de Monsieur … BINSFELD, auteur des soeurs BINSFELD, ainsi que de Madame … sur les terrains litigieux au profit de l’Etat, de sorte que l’annulation demandée des ventes en question tendant à voir rentrer dans le patrimoine des parties demanderesses, chacune en ce qui la concerne et agissant qualitate qua, les droits de propriété en question, a pour objet des droits civils au sens de l’article 84 de la Constitution et que le recours relève dès lors en son ordre principal de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire;

Considérant que le tribunal est par voie de conséquence incompétent pour connaître du recours en son volet principal, sans qu’il ne faille analyser plus en avant le distinguo proposé dans leur mémoire en réplique par les parties demanderesses;

Considérant que la demande en rétrocession de terrains acquis par l’Etat dans les limites de l’utilité publique, en présupposant une non-affectation suivant leur destination, pose comme préliminaire l’existence, sinon la subsistance d’une acquisition étatique, dont la mise à néant est réclamée;

Que dans cette mesure la demande en annulation des ventes opérées en 1970 aurait encore été de nature à faire obstacle à une demande en rétrocession;

Considérant que si les terrains acquis par l’Etat pour travaux d’utilité publique ne reçoivent pas cette destination, un avis est publié par l’Etat faisant connaître les terrains « qu’il est dans le cas de vendre »;

Que dans les trois mois de cette publication les anciens propriétaires qui veulent acquérir la propriété des dits terrains sont tenus de le déclarer, à peine de déchéance, le tout conformément à l’article 51 de la loi modifiée du 15 mars 1979 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique, procédures restées constantes à l’égard de l’Etat depuis l’article 54 de l’ancienne loi du 17 décembre 1859 ayant régi la même matière et ayant existé mutatis mutandis en Belgique à partir de la loi belge du 17 avril 1835 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique applicable au moment de sa promulgation à de larges parties du Grand-

Duché d’alors et ayant servi de modèle à la législation luxembourgeoise précitée;

Qu’aux termes de l’alinéa 2 dudit article 51 , « à défaut de publication de cet avis, les anciens propriétaires ou leurs ayant-droits, peuvent demander la remise desdits terrains;

cette remise sera ordonnée en justice sur la déclaration de l’expropriant qu’ils ne sont plus destinés à servir aux travaux pour lesquels ils avaient été acquis »;

6 Considérant qu’il est constant en cause que l’action en rétrocession proprement dite à engager contre l’Etat et se traduisant en une action en remise des terrains litigieux suivant l’article 51 sous analyse, relève des juridictions de l’ordre judiciaire;

Considérant cependant que le recours subsidiaire en annulation déféré ne s’analyse point comme une action en rétrocession prise comme telle, laquelle se meut, d’après le texte même de la loi, autour des deux questions angulaires consistant d’une part dans la déclaration de l’autorité publique concernée que les terrains en question ne sont plus destinés à servir aux travaux pour lesquels ils avaient été acquis et d’autre part dans les modalités de rétrocession parmi lesquelles essentiellement l’indemnité à servir par les anciens propriétaires à l’autorité en question;

Considérant qu’en l’espèce le recours subsidiaire est dirigé contre un acte posé par un représentant étatique, le ministre des Travaux publics, dans le ressort duquel se trouve la réalisation des projets de la grande voirie de communication financés par le fonds des routes, énonçant que les conditions à la base de l’exercice de l’action en rétrocession prévues par l’article 51 de la loi modifiée du 15 mars 1979 ne seraient pas remplies en l’espèce et refusant ainsi la saisine utile des juridictions de l’ordre judiciaire sur cette base;

Considérant que le refus ministériel s’analyse à l’égard des parties demanderesses comme un acte d’une autorité administrative ayant une portée circonscrite de nature individuelle et faisant éminemment grief;

Que le refus ministériel ainsi prononcé, nettement délimité, se révèle être ainsi un préalable à la mise en oeuvre de l’action en rétrocession proprement dite, par rapport à laquelle il constitue un acte détachable, de sorte que par exception aux règles de compétence fixées par les articles 84 et 95bis de la Constitution, la juridiction administrative reste compétente pour connaître de la régularité de pareil acte de nature administrative, intervenant comme préalable au support nécessaire à la réalisation d’un rapport de droit privé et portant sur une parcelle faisant actuellement partie de la propriété domaniale étatique (cf. Cour administrative, 12 mars 1998, Centre commercial de Soleuvre, n° 10497C du rôle, Pas. adm. 01/99, V° Compétence n° 28 page 51 et autres références y citées);

Considérant qu’il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation tel qu’introduit en ordre subsidiaire contre la décision ministérielle de refus portant sur un préalable au principe de l’engagement de l’action en rétrocession en la matière;

Quant à la recevabilité du recours Considérant que sur demande du tribunal le mandataire des parties demanderesses a précisé que les époux … et … BINSFELD sont mariés sous le régime de la communauté universelle avec attribution de la totalité au survivant, suivant contrat de mariage passé en date du 30 novembre 1981 par devant Maître Joseph KERSCHEN, notaire de résidence à Luxembourg-Eich;

Que dans la mesure où les droits actuellement revendiqués par Madame … BINSFELD, même en ce qu’ils découlent des successions respectives de ses père et mère, tombent dans la communauté en vertu de l’article 1526 du code civil, Monsieur … justifie à suffisance des qualité et intérêt à agir en l’espèce;

7 Considérant que l’intérêt à agir des soeurs BINSFELD est patent, dès lors que leur action tend à faire réintégrer dans leur patrimoine des terrains représentant une valeur patrimoniale certaine, de sorte que le défaut d’intérêt y afférent invoqué en ordre subsidiaire par le représentant étatique relativement aux contrats de vente conclus en 1970 est également à écarter dans la mesure où il aurait visé le préalable actuellement déféré à l’action en rétrocession ci-avant dégagé;

Considérant que le recours introduit par ailleurs suivant les formes et délai prévus par la loi est recevable;

Quant au fond Considérant que les parties demanderesses font valoir que suivant la conjuguaison des articles 6 et 8 de la loi modifiée du 16 août 1967 précitée d’une part avec l’article 54 de la loi du 17 décembre 1859 précitée applicable lors des ventes en question, disposition reprise dans l’article 51 de la loi du 15 mars 1979 également précitée, l’action en rétrocession doit être possible chaque fois que l’Etat a acquis dans un but d’utilité publique et suivant autorisation légale des terrains, même si cette acquisition n’est pas intervenue dans le cadre de la procédure d’expropriation proprement dite;

Qu’admettre le contraire reviendrait à punir l’administré déférant aux pressions de l’Etat et cédant à l’amiable les fonds en question d’après l’utilité publique invoquée du moment, étant donné que l’Etat pourrait par la suite impunément garder parmi les propriétés domaniales les terrains en question, même si, comme en l’espèce, la destination à laquelle ils étaient affectés est venue à défaillir;

Que l’Etat n’étant point un marchand immobilier, l’acquisition par lui opérée de biens immobiliers ne saurait dépasser le cadre de l’affectation nécessaire à la destination d’utilité publique autorisée par le législateur dans la mesure des projets d’intérêt général à réaliser, de sorte que la rétrocession s’imposerait en l’espèce au vu de la formulation générale de l’article 8 de la loi du 16 août 1967 visant indistinctement l’acquisition et l’expropriation pour cause d’utilité publique des immeubles nécessaires à la construction et à l’aménagement de la voirie concernée;

Considérant que le représentant étatique, tout en reprenant la motivation développée dans la décision ministérielle déférée, met l’accent sur la distinction opérée selon lui par le législateur dans le cadre de l’article 8 de la loi modifiée du 16 août 1967 précitée, en ce qu’il y aurait lieu de ne pas mélanger d’une part l’acquisition de terrains pouvant être opérée en dehors de toute expropriation et d’autre part l’expropriation pour cause d’utilité publique, laquelle procédure une fois engagée serait de nature à déboucher sur deux issues distinctes, à savoir l’acquisition de terrains de gré à gré, sinon l’expropriation proprement dite;

Qu’un éventuel droit à rétrocession ne serait de nature à pouvoir être déclenché que dans la seule limite de la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique engagée;

Que pareille procédure présupposerait d’après l’article 9 de la loi modifiée du 16 août 1967 que les plans des parcelles et la liste des propriétaires à exproprier seraient approuvés par règlement grand-ducal, le Conseil d’Etat entendu;

8 Qu’en l’espèce pareil règlement grand-ducal n’aurait jamais été pris de sorte que ce serait à juste titre que le ministre des Travaux publics a exclu l’action en rétrocession sur base des termes mêmes de l’article 51 de la loi modifiée du 15 mars 1979 visant expressément l’hypothèse où l’acquisition a été opérée par « l’expropriant » présupposant ainsi une procédure d’expropriation engagée;

Considérant qu’au fond il est constant en cause que relativement aux terrains litigieux aucune procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique proprement dite n’a été engagée;

Considérant qu’il est également patent que les actes de vente conclus en dates des 22 et 24 janvier 1970 sont le résultat des démarches effectuées par le président du comité d’acquisition près du ministère des Finances mettant en avant les dispositions de la loi du 16 août 1967 et notamment l’article 6 septième tiret suivant lequel le terrain en question était appelé à faire partie de l’assiette de la route du Nord ayant dû relier Strassen à Mersch;

Considérant que le tribunal est amené à retenir à partir des éléments du dossier lui soumis, ensemble les explications fournies, que les consorts BINSFELD ont consenti aux ventes en question, du moins pour une part essentielle, au regard du fait que leur terrain n’était de toute façon plus constructible du fait des projets de grande voirie ancrés par le législateur à travers la loi précitée du 16 août 1967, alors qu’il apparaît par ailleurs que les parents BINSFELD avaient l’intention de faire parvenir à chacune de leurs trois filles un des trois lots composant le terrain en question, telle que cette intention a été concrétisée par la première donation entre vifs passée le 1er avril 1968 par devant notaire au profit de leur fille Edith, étant entendu que la question des mobiles ainsi dégagés est appelée à rester en tant que telle sans incidence sur le problème juridique posé;

Considérant qu’au moment des ventes passées le droit de la rétrocession était conditionné par les dispositions de l’article 54 de la loi du 17 décembre 1859 libellé comme suit: « Si les terrains acquis pour l’Etat pour travaux d’utilité publique ne reçoivent pas cette destination, un avis publié de la manière indiquée en l’article 12, titre II de la présente loi, fera connaître les terrains que le Gouvernement est dans le cas de revendre. Dans les trois mois de cette publication, les anciens propriétaires qui veulent réacquérir la propriété desdits terrains sont tenus de le déclarer, à peine de déchéance »;

Considérant qu’il ressort à la fois du libellé et de l’économie du texte sous analyse que le droit de rétrocession n’était ouvert à l’époque que relativement aux seuls terrains acquis pour l’Etat à l’exclusion de ceux acquis pour des communes ou sections de commune, des établissements publics ou même des particuliers, lesquels, d’après l’article 2 de ladite loi du 17 décembre 1859 pouvaient également avoir qualité d’engager une procédure en expropriation sous respect des conditions afférentes;

Que ce texte ouvrait le droit à rétrocession chaque fois que les terrains en question avaient été acquis pour travaux d’utilité publique et qu’ils n’ont pas reçu cette destination;

Considérant que le texte ayant employé le terme « acquis » ne se limitait ainsi pas, à sa base, à la seule hypothèse d’une expropriation proprement dite pour cause d’utilité publique, 9 voire à la seule acquisition intervenue dans le cadre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique;

Considérant en effet que l’article 54 sous rubrique s’est directement inspiré de l’article 23 de la loi belge du 17 avril 1835 précité dont le libellé est identique, à part le renvoi relatif à l’avis porté à l’alinéa 1er;

Que la rétrocession peut être demandée par le propriétaire exproprié, aussi bien après une cession amiable que lorsqu’il y a eu expropriation judiciaire (Les Novelles, droit administratif, tome 7, 2ième édition, 1980, n° 348 et références y citées);

Considérant que d’après l’article 8 de la loi du 16 août 1967, dans la mesure de la voirie y prévue, dont la rue du Nord ayant dû englober le terrain litigieux dans son assiette, l’Etat est autorisé à poursuivre indifféremment l’acquisition et l’expropriation pour cause d’utilité publique des immeubles nécessaires à la construction et à l’aménagement afférents;

Que l’article 8 en question prévoit donc expressément la possibilité de l’acquisition avant toute procédure d’expropriation proprement dite;

Que le but avoué du législateur de l’époque était de constituer dans le chef de l’Etat un outil flexible et efficace en vue de l’acquisition des terrains nécessaires à la réalisation de la grande voirie projetée par la loi de 1967 en question dans la mesure de l’utilité publique ainsi délimitée en ce que « l’emprise du terrain indispensable doit pouvoir se faire rapidement, de plus cette emprise doit être définitive et soustraite comme telle aux aléas de procédures judiciaires. Il est en effet inconcevable qu’à un moment quelconque ou en un endroit quelconque, l’exécution de travaux de voirie de cette envergure puisse être mise en question voire même arrêtée par des questions de procédure » (cf. doc. parl. 1209 exposé des motifs, page 4);

Considérant que d’après l’article 37 de la loi du 16 août 1967 « pour autant qu’il n’en est autrement disposé par la présente loi, sont applicables les articles … 54 … de la loi du 17 décembre 1859 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique »;

Considérant qu’à défaut de disposition contraire il se dégage nécessairement de la combinaison des articles 8 et 37 de la loi du 16 août 1967 ensemble l’article 54 de la loi du 17 décembre 1859 ainsi visé, que le droit à rétrocession prévu en cette dernière disposition s’appliquait également pour les acquisitions opérées par l’Etat avant toute procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique et intervenues conformément à l’article 8 en question;

Considérant que dans la mesure où le droit à rétrocession des consorts BINSFELD résulte, quant à son origine, de la situation légale ayant régi les ventes de 1970, il se dégage de la conjugaison des articles 8 et 37 de la loi du 16 août 1967 précitée, ensemble l’article 54 de la loi du 17 décembre 1859 prévisée, que c’est à tort que le ministre en a refusé le principe même;

Considérant toutefois que l’action en rétrocession étant déclenchée que par la constatation ultérieure de la non-affectation des terrains acquis par l’Etat pour travaux d’utilité publique à leur destination prévue, elle est encore conditionnée par les dispositions légales afférentes applicables au moment où ce constat doit intervenir;

10 Considérant qu’en l’espèce le constat de non-affectation en question se dégage des dispositions de la loi du 27 juillet 1997 précitée en ce qu’elle est venue, à travers son article 9, abroger les dispositions du septième tiret de l’alinéa 1er de l’article 6 de la loi modifiée du 16 août 1967 précitées, relatives à la route ayant dû relier Strassen à Mersch;

Considérant que par voie de conséquence le principe même de l’action en rétrocession n’est définitivement donné que si la législation applicable au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 10 août 1997 l’a prévu encore;

Considérant que cette législation en vigueur est constituée par les articles 8 et 37 de la loi modifiée du 16 août 1967 précitée ensemble l’article 51 de la loi modifiée du 15 mars 1979 ayant abrogé celle du 17 décembre 1859 l’ayant précédée en la matière (article 55);

Considérant que l’article 56 de la loi modifiée du 15 mars 1979 dispose que « chaque fois qu’une loi antérieure à la présente renvoie à la législation abrogée, ce renvoi doit s’entendre dorénavant comme portant sur les dispositions correspondantes de la présente loi »;

Considérant qu’il découle de l’article 56 en question que le renvoi opéré par l’article 37 de la loi modifiée du 16 août 1967 à l’article 54 de la loi abrogée du 17 décembre 1859 doit s’entendre comme se portant actuellement sur ledit article 51 de la loi modifiée du 15 mars 1979;

Considérant que l’article 51 en question dispose en son alinéa 1er que « si les terrains acquis par l’expropriant pour travaux d’utilité publique ne reçoivent pas cette destination, un avis publié de la manière indiquée à l’article 10 de la présente loi, fait connaître les terrains que l’expropriant est dans le cas de revendre. Dans les trois mois de cette publication, les anciens propriétaires qui veulent réacquérir la propriété desdits terrains sont tenus de le déclarer, à peine de déchéance »;

Considérant que la partie défenderesse s’empare du changement de texte opéré ayant introduit la notion d’« expropriant » pour insister que l’action en rétrocession serait conditionnée par l’existence d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique déclenchée au moment des ventes à l’Etat intervenues;

Considérant que le terme « expropriant » prêtant ainsi à discussion, il échet d’en délimiter la portée au regard de l’intention du législateur déterminée à partir des travaux parlementaires ayant abouti aux textes définitivement promulgués et sanctionnés;

Considérant qu’il appert que le projet de loi originaire déposé sous le numéro 1732 en date du 4 octobre 1973 comportait un article 51 sensiblement comparable à l’article 54 de la loi du 17 décembre 1859 non autrement modifié à cet égard;

Que l’article 51 du projet originaire disposait en son alinéa 1er « si les terrains acquis par l’Etat pour travaux d’utilité publique ne reçoivent pas cette destination …. »;

Que le Conseil d’Etat, dans son premier avis du 29 mai 1973, n’avait que quelques observations d’ordre rédactionnel à faire valoir;

11 Que c’est par contre suite à une réunion jointe de la commission des travaux publics et de la commission juridique de la Chambre des Députés du 26 janvier 1977 qu’un membre de la commission juridique, a proposé un amendement à l’article 51 du projet de loi sous rubrique ayant notamment pour objet de tenir compte de la discordance entre d’une part les personnes ayant qualité pour engager et mener à bien une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique et d’autre part la limitation du droit à rétrocession à la seule hypothèse d’une acquisition étatique, ainsi que ce point avait déjà été souligné ci-avant;

Que c’est de la modification de texte ainsi proposée que résulte la substitution aux termes jusque-là contenus aux alinéas 1er et 2 de l’article 51, à savoir « l’Etat » et « le Gouvernement » de la notion d’« expropriant » scellant ainsi le moule du texte définitivement voté;

Considérant que la modification ainsi proposée par la Chambre des Députés est uniquement expliquée par le renvoi opéré entre parenthèses comme suit « l’expropriant (voir l’article 2: a) Etat b) communes, c) établissements publics ou d’utilité publique, d) particuliers » (Doc.Parl. 17324 p.2);

Considérant qu’aucune autre indication ne résulte des travaux parlementaires concernant la modification ainsi opérée, les commentaires se cristallisant autour des alinéas 4 et 5 ajoutés audit article 51 et ayant un objet autre;

Considérant que force est de conclure des conditions de genèse de l’article 51 qui précèdent que l’intention du législateur, en introduisant le terme « expropriant », n’a pas été celle de limiter l’action en rétrocession à la seule hypothèse d’une expropriation pour cause d’utilité publique engagée, mais au contraire celle d’ouvrir le champ d’application de la rétrocession en question également aux hypothèses où les biens immobiliers en question ont été acquis par une personne autre que l’Etat et d’éliminer ainsi une discordance de textes ayant débouché jusque lors sur une inégalité certaine suivant les hypothèses posées;

Considérant qu’en application du principe général rebus sic stantibus ensemble les développements qui précèdent, il importe de retenir qu’également sous le régime de la législation applicable au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 27 juillet 1997 précitée, situation perdurant à l’heure actuelle, l’action en rétrocession prévue par l’article 51 de la loi modifiée du 15 mars 1979 reste ouverte en son principe dans l’hypothèse de l’acquisition de terrains acquis par l’Etat pour travaux d’utilité publique ne recevant plus cette destination, en dehors d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique déclenchée, du moment que l’acquisition est intervenue dans le cadre des prévisions de l’article 8 de la loi modifiée du 16 août 1967;

Considérant que par voie de conséquence la décision de refus préalable déférée encourt l’annulation pour cause de violation de la loi;

Considérant que les dispositions de l’article 51 de la loi modifiée du 15 mars 1979 ainsi délimitées ne sont plus de nature à appeler la question de leur conformité à la Constitution prise en ses articles 11 (2) et 16, de sorte que cette question est devenue sans objet, contrairement à l’hypothèse qui eût prévalu, si l’interprétation desdites dispositions proposée par la décision ministérielle déférée avait été retenue, et qu’aucune saisine de la Cour 12 Constitutionnelle ne s’impose, conformément à l’article 6 alinéa 2 a) et b) de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionelle;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours introduit en ordre principal;

se déclare compétent pour connaître du recours introduit en ordre subsidiaire et le dit recevable;

le dit également fondé;

partant annule la décision ministérielle déférée et renvoie l’affaire devant le ministre des Travaux publics;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais, à l’exception de ceux exposés par les demandeurs relativement à leur recours principal.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er mars 1999 par:

M. Delaporte, premier vice-président M. Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 10747
Date de la décision : 01/03/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-03-01;10747 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award