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01/03/1999 | LUXEMBOURG | N°10699

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 mars 1999, 10699


Numéro 10699 du rôle Inscrit le 12 mai 1998 Audience publique du 1er mars 1999 Recours formé par la société anonyme MJ COLLECTIONS, Luxembourg contre une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme en matière d’autorisations de faire le commerce

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10699, déposée le 12 mai 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles DURO, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme MJ COLLECTIONS, établie et...

Numéro 10699 du rôle Inscrit le 12 mai 1998 Audience publique du 1er mars 1999 Recours formé par la société anonyme MJ COLLECTIONS, Luxembourg contre une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme en matière d’autorisations de faire le commerce

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10699, déposée le 12 mai 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles DURO, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme MJ COLLECTIONS, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation, et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme du 12 février 1998 rejetant sa demande en obtention d’une autorisation d’établissement, ainsi que, subsidiairement et pour autant que de besoin, d’une décision confirmative du même ministre du 10 avril 1998 rendue sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 1998;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 1998 par Maître Charles DURO au nom de la société anonyme MJ COLLECTIONS;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Thierry LALLEMANG, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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La société anonyme MJ COLLECTIONS, ci-après appelée « la société MJC », fut constituée par acte notarié Paul DECKER du 19 août 1993 et exploitait à l’adresse de son siège social de l’époque, …, un commerce de textiles et d’accessoires sous l’enseigne commerciale « X. ».

Sur base d’une autorisation afférente, la société MJC a procédé à la liquidation de ce commerce pour cessation complète de l’activité commerciale durant la période du 14 mai 1996 au 13 mai 1997.

Par convention de cession d’actions du 4 septembre 1997, les actionnaires de la société MJC ont cédé l’intégralité des 3.800 actions pour moitié à Madame A., demeurant à B-…, et pour moitié à Madame B., demeurant à B-… Lors d’une assemblée générale extraordinaire tenue en date du 28 octobre 1997, les nouveaux actionnaires acceptèrent la démission des anciens membres du conseil d’administration et du commissaire aux comptes, leur accordèrent décharge de leurs mandats et nommèrent Madame B., Madame A. et la société belge C.

nouveaux administrateurs de la société MJC.

Par demande du 4 décembre 1997, Madame A. a sollicité pour compte de la société MJC l’autorisation d’établissement pour la « vente d’articles de couture de prêt-à-porter et accessoires ».

La commission prévue par l’article 2 de la loi du 28 décembre 1988 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, ci-après appelée « la loi d’établissement », avisa négativement cette demande en date du 19 janvier 1998 en signalant que la liquidation pour cessation complète de l’activité emportait une renonciation légale à ce commerce pour une période de deux ans.

Par décision du 12 février 1998, le ministre des Classes moyennes et du Tourisme a rejeté ladite demande d’autorisation au motif que « la S.A. MJ COLLECTION a obtenu une autorisation de liquidation pour cessation complète de l’activité commerciale pendant une période d’une année s’étendant du 14 mai 1996 au 13 mai 1997. Conformément à l’article 11 de la loi du 27 novembre 1986 réglementant certaines pratiques commerciales et sanctionnant la concurrence déloyale telle qu’elle a été modifiée par la loi du 14 mai 1992, la liquidation pour cessation complète de l’activité commerciale exercée implique la renonciation à ce même commerce pendant une période de deux ans au moins. Aucune nouvelle autorisation d’établissement ne saurait donc être délivrée à la société en question avant le 14 mai 1999 ».

Suite à un recours gracieux du 24 février 1998, la commission prévisée a réexaminé la demande en date du 9 mars 1998 et déclaré maintenir son avis antérieur. Le ministre a pareillement confirmé sa position par lettre du 10 avril 1998 en déclarant « devoir maintenir (sa) décision du 12 février 1998, la société requérante étant la même que celle bénéficiaire de la vente en liquidation ».

Par requête déposée le 12 mai 1998, la société MJC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre principalement de la décision ministérielle du 12 février 1998 et subsidiairement, pour autant que de besoin, contre la décision confirmative du 10 avril 1998.

L'article 2, alinéa 6 de la loi d’établissement, dans la teneur lui conférée par la loi du 4 novembre 1997 portant modification des articles 2, 12, 22 et 26 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 concernant le droit d’établissement, entrée en vigueur le 28 novembre 1997, dispose que les décisions ministérielles concernant l'octroi, le refus ou la révocation des autorisations prévues par la loi en question peuvent faire l'objet d'un recours en annulation. Un 2 recours de pleine juridiction n'étant pas prévu en la matière, mais la loi prévoyant expressément un recours en annulation, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est par contre recevable en tant que dirigé contre les deux décisions des 12 février et 10 avril 1998, la dernière étant purement confirmative de la première et faisant ainsi corps avec elle.

La société demanderesse conteste l’interprétation que le ministre a donnée de l’article 11 de la loi modifiée du 27 novembre 1986 réglementant certaines pratiques commerciales et sanctionnant la concurrence déloyale et plus particulièrement le contenu qu’il entend conférer à la notion de commerçant y visée. Elle soutient que l’article 11 prévisé doit être lu au vu du texte de la loi d’établissement et qu’il conviendrait de rapprocher les deux textes légaux. Ainsi que le démontreraient les articles 3 et 5 de la loi d’établissement, celle-ci mettrait avant tout l’accent sur le commerçant personne physique et une personne morale ne pourrait jamais exercer son activité commerciale sans le concours d’une personne physique, laquelle doit disposer de l’autorisation de faire le commerce et gérer la société. D’après la société demanderesse, le commerçant au sens de la loi d’établissement serait ainsi toujours une personne physique. S’il est en conséquence vrai que la société MJC existe toujours stricto sensu, on ne saurait plus admettre une identité de commerçant dans son chef, l’ancien gérant détenteur de l’autorisation d’établissement ayant, à l’instar de tous les anciens actionnaires, quitté la société pour laisser leurs places aux nouveaux actionnaires, les dames BOUCKAERT, qui seraient sans lien aucun avec le commerce abandonné. La société demanderesse considère encore qu’elle ne tombe pas dans le champ des interdictions spécifiques prévues aux alinéas 2 et 3 de l’article 11 prévisé, vu l’absence d’identité de commerçant avant la liquidation d’une part et après la cession des actions d’autre part. Ce serait donc à tort que le ministre a refusé de faire droit à sa demande.

Dans un second ordre d’idées, la société demanderesse se fonde sur le but principal de la loi précitée du 27 novembre 1986 tendant à mettre fin aux abus constatés plus spécialement à l’occasion des ventes en liquidation et des ventes en solde. Il ressortirait des données de l’espèce que la société MJC n’a commis aucun abus et n’avait aucune intention d’en commettre, étant donné que le commerçant auquel avait été délivrée l’autorisation d’établissement sous la configuration de l’ancien actionnariat s’était effectivement retiré de toute activité commerciale. Elle constituerait par contre une entité toute nouvelle, représentée par les actionnaires A. et B., qui n’aurait plus rien à voir avec l’ancienne, sauf que le nom n’a pas changé, et qui voudrait commencer à exercer une activité commerciale. En outre, la société demanderesse avance qu’un acte de concurrence déloyale s’apprécie toujours par rapport à une zone géographique délimitée. Etant donné que l’ancien commerce liquidé de la société MJC était localisé à … et que le nouveau commerce serait exploité à …, aucun risque de concurrence déloyale face aux autres commerçants d’… ne saurait être admis du chef du nouveau commerce qui serait situé dans une zone géographique différente.

Enfin, la société demanderesse soulève la non-conformité à la Constitution, et notamment à son article 11 (6), des alinéas 2 et 3 de l’article 11 prévisé en renvoyant aux considérations du Conseil d’Etat dans les travaux parlementaires relatifs à la loi modifiée du 27 novembre 1987 insistant sur l’atteinte trop incisive de ces dispositions à la liberté du commerce et les difficultés par elles engendrées.

L’article 11 de la loi précitée du 27 novembre 1986 dispose:

3 « Les liquidations pour cessation complète ou cessation d’une ou plusieurs branches de l’activité commerciale exercée impliquent pour le commerçant la renonciation au commerce ou aux branches commerciales concernées pendant une période de deux ans au moins.

Pendant cette période, il lui est également interdit de reprendre ou de recommencer le même commerce ou les mêmes branches commerciales par l’intermédiaire d’une société dans laquelle il serait associé.

Cette même interdiction vaut pour les associés d’une société en liquidation qui voudraient reprendre ou recommencer le même commerce sous forme individuelle ou sous le couvert d’une autre société commerciale ».

Ni ledit article 11 ni aucune autre disposition de la loi prévisée du 27 novembre 1986 ne prévoient une définition autonome de la notion de commerçant, de sorte qu’il y a lieu d’appliquer le droit commun en la matière.

Conformément à l’article 2 alinéa 2 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, une société anonyme constitue une individualité juridique distincte de celle des associés et peut en conséquence, à l’instar d’une personne physique, devenir sujet de droits et d’obligations et participer à la vie économique générale en posant des actes juridiques. D’après l’article 1er du code de commerce, celui qui exerce des actes de commerce et en fait sa profession habituelle est commerçant. Au voeu de l’article 1er de la loi précitée du 10 août 1915 une société anonyme est commerciale par sa seule forme.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu’une société anonyme ayant la capacité juridique d’accomplir des actes de commerce est commerçant tant par sa création sous cette forme sociale que du fait qu’elle accomplit des actes de commerce à titre de profession habituelle.

La personnalité juridique distincte d’une société anonyme et son indépendance face aux actionnaires s’opposent au moyen de la société demanderesse tendant à faire admettre dans son chef l’existence d’une entité nouvelle du fait du changement complet de l’actionnariat.

Cette acception n’est point non plus infirmée par les dispositions de la loi d’établissement. Force est de constater d’abord que celle-ci à son tour ne définit pas la notion de commerçant. Ensuite, la société demanderesse entend tirer des articles 3 et 5 de cette loi des conclusions erronées. S’il est en effet bien vrai que l’alinéa 2 dudit article 3 précise que, s’il s’agit d’une société, les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles s’apprécient en la personne du chef d’entreprise ou de la personne chargée de la gestion ou la direction de l’entreprise, il n’en reste pas moins que c’est la société en sa qualité de commerçante qui est titulaire de l’autorisation d’établissement, la condition de la gestion par une ou plusieurs personnes physiques déterminées satisfaisant aux conditions d’accès à l’activité étant due à la particularité qu’une personne morale ne peut agir qu’à travers ses organes. Pareillement, le caractère strictement personnel de l’autorisation d’établissement, prévu par l’article 5 de la loi d’établissement, vaut tant pour l’autorisation délivrée à une personne physique que pour celle octroyée à une société.

Il s’ensuit que l’article 11 de la loi précitée du 27 novembre 1986 est applicable à la société demanderesse qui doit être qualifiée de commerçante distincte de ses actionnaires ou 4 dirigeants au sens de cette disposition. Il ressort des travaux parlementaires relatifs à la loi du 27 novembre 1986 (cf. doc. parl. 3006, commentaire des articles, p. 4, ad article 16; 30061, avis du Conseil d’Etat, p. 36) que l’alinéa 1er de l’article 11 formule le principe général de la renonciation de droit aux commerces ou branches commerciales pour lesquelles le commerçant a déjà bénéficié d’une autorisation de liquidation pour cessation complète de l’activité. La société demanderesse, ayant antérieurement bénéficié d’une autorisation de liquidation pour cessation complète de l’activité pour les branches du textile et de l’accessoire ayant pris fin le 13 mai 1997, se voit ainsi empêchée par l’article 11 alinéa 1er susvisé d’ouvrir avant le 14 mai 1999 un commerce de « vente d’articles de couture de prêt-à-porter et accessoires » se situant dans la même branche commerciale, cette interdiction ne se trouvant aucunément énervée par le changement de l’actionnariat et de la direction après l’abandon de l’activité.

L’argument de la société demanderesse tendant à limiter le champ territorial de cette limitation légale de son activité à une zone géographique déterminée doit être rejeté en présence du texte formel de l’article 11 alinéa 1er susvisé, dont la généralité des termes n’autorise pas une telle interprétation par le juge.

Il ressort encore des travaux parlementaires prévisés que les alinéas 2 et 3 de l’article 11 de la loi précitée du 27 novembre 1986 constituent des dispositions anti-abus destinées à empêcher des manoeuvres frauduleuses, impliquant notamment des sociétés qualifiées en principe de commerçant autonome, afin de contourner la limitation légale établie à l’alinéa 1er.

La société demanderesse ne rentre cependant dans aucune des hypothèses prévues par ces textes, étant donné qu’elle ne représente ni un commerçant tendant à reprendre un commerce par l’intermédiaire d’une autre société dans laquelle elle serait associée, ni un associé d’une autre société liquidée se proposant de reprendre un commerce sous forme individuelle ou sous le couvert d’une autre société. Les alinéas 2 et 3 de l’article 11 prévisé ne trouvant pas application en l’espèce, le moyen d’inconstitutionnalité soulevé à leur encontre est sans pertinence et doit ainsi être écarté.

Il s’ensuit de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, laisse les frais à charge de la société demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er mars 1999 par:

5 M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. DELAPORTE 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 10699
Date de la décision : 01/03/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-03-01;10699 ?

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