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22/02/1999 | LUXEMBOURG | N°11121

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 février 1999, 11121


N° 11121 du rôle Inscrit le 11 février 1999 Audience publique du 22 février 1999

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Recours formé par Madame … ATU AMOS contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 février 1999 par Maître Paul WINANDY, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Yvette NGONO YAH, avocat inscrit à la liste

II du même tableau, au nom de Madame … ATU AMOS, sans état connu, de nationalité libérienne, ...

N° 11121 du rôle Inscrit le 11 février 1999 Audience publique du 22 février 1999

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Recours formé par Madame … ATU AMOS contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 février 1999 par Maître Paul WINANDY, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Yvette NGONO YAH, avocat inscrit à la liste II du même tableau, au nom de Madame … ATU AMOS, sans état connu, de nationalité libérienne, actuellement placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 1999 ordonnant une mesure de placement à son égard;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Yvette NGONO YAH et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Il ressort d’un procès-verbal établi le 14 janvier 1999 par le service des moeurs de la police de Luxembourg que Madame … ATU AMOS, née le 1er octobre 1974, de nationalité libérienne, a été contrôlée le même jour à Luxembourg-Gare et, comme il a été constaté qu’elle se trouvait en séjour illégal au pays, le parquet a pris une mesure de rétention à son encontre.

Par décision du ministre de la Justice du 15 janvier 1999, notifiée le même jour à Madame ATU AMOS, celle-ci a été placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:

« Considérant que l’intéressée a été contrôlée par la gendarmerie de Luxembourg en date du 14 janvier 1999;

- qu’elle s’adonne à la prostitution, partant à une activité lui procurant des moyens d’existence sans être en possession d’une autorisation de séjour;

- qu’en conséquence elle se trouve en séjour irrégulier au pays;

- qu’elle ne dispose pas de moyens d’existence;

1 - qu’elle est démunie de toutes pièces d’identité valables;

- Considérant que son éloignement immédiat n’est pas possible;

Considérant que des raisons tenant à la sauvegarde de l’ordre public nécessitent que l’intéressée soit placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son rapatriement.» Les 15 et 20 janvier 1999, elle a été entendue par un agent du service de police judiciaire.

Une demande de reprise a été adressée aux autorités belges le 8 février 1999.

Par arrêté ministériel du 10 février 1999, notifié le 15 février 1999, le placement de Madame ATU AMOS a été prorogé pour une nouvelle durée d’un mois.

Par requête déposée le 11 février 1999, Madame … ATU AMOS a introduit un recours en réformation contre la seule décision ministérielle de placement du 15 janvier 1999.

A l’appui de son recours, elle fait valoir que la mesure de placement dans un centre pénitentiaire serait injustifiée et disproportionnée par rapport à la gravité des faits lui reprochés, dès lors qu’elle ne se serait rendue coupable d’aucune infraction et qu’elle ne représenterait aucun danger pour l’ordre public. Elle conteste à ce titre s’être livrée à la prostitution, mais elle avoue ne pas être en possession d’une pièce d’identité valable.

Elle reproche au ministre de ne pas l’avoir informée ni quant à la date de son éloignement du territoire luxembourgeois ni quant à la destination de son éloignement. Elle fait encore préciser qu’elle avait introduit une demande d’asile en Belgique, sur base de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève », mais qu’en instance d’appel, sa demande a été déclarée non fondée en date du 16 mars 1997. Elle considère dès lors qu’elle « doit être remise aux autorités Belges en vue de son éloignement » et « qu’il appartient au ministre de la Justice sur base des pièces non contestables de solliciter la reprise de la requérante par les autorités Belges ».

Lors des plaidoiries, elle a encore insisté sur le fait qu’elle ne veut en aucun cas être éloignée dans son pays d’origine, étant donné qu’à cause du « régime de terreur » actuellement en place, sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées.

Le représentant étatique conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse, étant donné que l’arrêté qui fait l’objet du présent recours, ayant été remplacé par celui du 10 février 1999, ne serait plus « valable ».

Concernant le reproche que les faits à la base de la décision litigieuse seraient inexacts, en ce que la demanderesse ne se serait pas livrée à la prostitution, il relève que la demanderesse avait fait l’objet d’un contrôle d’identité dans le cadre d’un contrôle des prostituées à la gare. Il ressortirait par ailleurs clairement d’un rapport dressé le 14 janvier 1999 par la section des moeurs de la police qu’elle s’adonnait au « commerce de la chair » dans le quartier de la gare.

Il fait cependant valoir que cette question serait d’ordre subsidiaire, alors qu’il serait constant que la demanderesse se trouvait au pays démunie de tout document d’identité valable.

2 Le délégué du gouvernement estime dès lors que les conditions prévues par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère, pour permettre une mesure de refoulement, sont remplies, dans la mesure où elle n’est pas en possession de papiers de légitimation.

Concernant la question de la compétence des autorités belges pour reprendre la demanderesse, le délégué du gouvernement soutient que la Belgique serait compétente en application de la loi du 20 mai 1993 portant approbation de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés Européennes, signée à Dublin, le 15 juin 1990, dénommée ci-après « la Convention de Dublin », pour traiter la demande d’asile ainsi que pour reprendre la demanderesse qui se trouve en séjour irrégulier dans un autre Etat membre. En application de la Convention de Dublin, les autorités luxembourgeoises avaient adressé une demande de reprise aux autorités belges le 8 février 1999 et elles étaient dès lors obligées d’attendre leur réponse avant de procéder à l’éloignement de la demanderesse.

Il conclut qu’en présence d’un étranger en séjour irrégulier au Luxembourg et eu égard aux circonstances de fait rendant impossible un refoulement immédiat, l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 serait applicable et les conditions fixées seraient remplies en l’espèce.

Quant à la recevabilité du recours S’il est vrai que la décision de placement prise à l’égard de la demanderesse a pris fin après l’écoulement du délai d’un mois prévu par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, soit le 15 février 1999, et que le ministre de la Justice a prononcé une décision de prorogation de la mesure de placement, qui ne fait pas l’objet du présent recours, celui-ci est néanmoins valablement introduit contre la seule mesure de placement du 15 janvier 1999, étant donné qu’au moment de l’introduction du recours, soit le 11 février 1999, cette mesure déployait encore tous ses effets, de sorte que la demanderesse possédait, au jour de l’introduction de son recours, un intérêt à attaquer la prédite mesure de placement. Il convient également de relever que la décision de placement initiale est à la base de la décision de prorogation subséquente et si elle est illégale, ce vice affecte également les décisions de placements subséquentes, dans la mesure où elles tirent leur existence légale de la mesure de placement initiale.

Par ailleurs, la demanderesse garde en tout état de cause un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en oeuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé, le cas échéant, aux particuliers par les décisions en question.

Etant donné que l’article 15, alinéa 9 de la loi précitée du 28 mars 1972 institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, la demande en réformation dirigée contre la décision ministérielle entreprise du 15 janvier 1999 est recevable pour avoir été introduite par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond 3 Le tribunal est en premier lieu appelé à examiner le domaine d’application de la loi précitée du 28 mars 1972 respectivement de la Convention de Dublin, pour examiner si elles sont compatibles entre elles et si elles ne comprennent pas des dispositions contradictoires, dans la mesure où dans le cas d’espèce, elles sont d’application concomitante.

Il convient de relever, d’un côté, que la loi précitée du 28 mars 1972 a pour vocation de réglementer l’entrée et le séjour des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg, le contrôle médical des étrangers, ainsi que l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère et ses dispositions sont, en principe, applicables à toute personne qui ne rapporte pas la preuve qu’elle possède la nationalité luxembourgeoise. L’article 15 de ladite loi dispose plus spécifiquement dans son alinéa 1er que « lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de ladite loi] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ». Ledit article 15 organise encore, entre autres, la procédure d’une telle mesure de placement et il énonce les droits dont bénéficie l’étranger qui en est frappé.

De l’autre côté, la Convention de Dublin a pour objet de déterminer l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile, au sens de la Convention de Genève, présentée dans l’un des Etats membres de l’Union Européenne, ainsi que de déterminer les conditions de la reprise d’un étranger dont il a rejeté la demande d’asile et qui se trouve irrégulièrement dans un autre Etat membre.

Il se dégage de la juxtaposition respectivement des dispositions de la Convention de Dublin, de celles de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 et de celles auxquelles ce dernier renvoie, que ces textes ont non seulement des objets différents, mais encore qu’il n’existe pas de contrariété de principe entre ces dispositions. En d’autres termes, le processus de détermination de l’Etat membre qui, en vertu de la Convention de Dublin, est responsable de l’examen de la demande d’asile, processus qui est engagé dès qu’une demande d’asile est introduite pour la première fois auprès d’un Etat membre, ne tient pas en échec le recours à une mesure de placement, décidée dans le respect des dispositions légales nationales afférentes.

Il convient partant, en l’espèce et dans un premier temps, de vérifier l’existence d’une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure, étant donné qu’il s’agit des conditions pour la légalité de toute décision de placement, au sens de l’article 15, alinéa 1er, précité.

Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de Mademoiselle ATU AMOS est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, «sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, … «4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis; (…) ».

Il ressort du procès-verbal dressé le 14 janvier 1999 par le service de recherche et d’enquête criminelles, section moeurs, du commissariat central de Luxembourg que Madame ATU AMOS a fait l’objet d’un contrôle en date du même jour à Luxembourg-Gare, « welche sich dort prostituierte bzw. dort auf Kundenfang war » et que les brigadiers ont constaté 4 qu’elle n’était ni en possession de papiers de légitimation valables ni ne disposait du visa requis, étant rappelé qu’elle est de nationalité libérienne.

Le défaut de papiers de légitimation valables et du visa requis est un motif légal justifiant à lui seul une mesure de refoulement, sans qu’il y ait besoin de vérifier la légalité des autres motifs énoncés dans la décision litigieuse.

Il se dégage des considérations qui précèdent que Madame ATU AMOS est sous le coup d’une décision de refoulement légalement prise et justifiée, qui constitue une base légale de la décision de placement.

La mesure de placement attaquée n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.

Il convient de relever que Madame ATU AMOS n’était en possession ni de documents d’identité valables, ni d’un titre de séjour, que ce soit pour un autre Etat membre de l’Union Européenne ou encore pour un Etat tiers.

Il est encore constant que la demanderesse avait introduit une demande d’asile, au sens de la Convention de Genève, en Belgique. Or, comme le processus de détermination de l’Etat membre qui, en vertu de la Convention de Dublin, est responsable de l’examen de la demande d’asile, est engagé dès qu’une demande d’asile est introduite pour la première fois auprès d’un Etat membre et comme une prise en charge, au sens de la Convention de Dublin, implique des démarches nécessaires auprès de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le ministre de la Justice a valablement pu estimer qu’une circonstance de fait a rendu impossible l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement.

Une mesure de placement, surtout au Centre Pénitentiaire, ne se justifie cependant qu’au cas où il existe encore, dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision d’éloignement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieur ou qu’elle constitue un danger pour l’ordre public.

En l’espèce, il échet de relever que ni les éléments épars du dossier administratif ni les informations dont dispose le tribunal n’établissent un risque de fuite de nature à compromettre ultérieurement la mesure d’éloignement. Il n’est par ailleurs pas établi que Madame ATU AMOS constitue un danger pour l’ordre public, étant précisé que la prostitution en elle-même n’est pas constitutive d’une infraction. La décision de placement n’était dès lors pas légalement justifiée.

Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate de la demanderesse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare justifié;

5 partant annule la décision ministérielle du 15 janvier 1999, ordonne la mise en liberté immédiate de Madame … ATU AMOS, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président Mme Lamesch, juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 22 février 1999, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11121
Date de la décision : 22/02/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-02-22;11121 ?

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