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18/02/1999 | LUXEMBOURG | N°10687

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 février 1999, 10687


N° 10687 du rôle Inscrit le 4 mai 1998 Audience publique du 18 février 1999

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Recours formé par Monsieur … RAMDEDOVIC et, sa soeur, Madame … RAMDEDOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10687 et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 1998 par Maître Max GREMLING, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no

m de 1. Monsieur … RAMDEDOVIC et 2. sa soeur, Madame … RAMDEDOVIC, demeurant ensemble à L-…, t...

N° 10687 du rôle Inscrit le 4 mai 1998 Audience publique du 18 février 1999

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Recours formé par Monsieur … RAMDEDOVIC et, sa soeur, Madame … RAMDEDOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10687 et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 1998 par Maître Max GREMLING, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1. Monsieur … RAMDEDOVIC et 2. sa soeur, Madame … RAMDEDOVIC, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2 octobre 1997 refusant à la demanderesse sub 2. une autorisation de séjour et l’invitant à quitter le pays et d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 3 février 1998 suite à un recours gracieux introduit le 22 décembre 1997 contre la décision initiale;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 30 avril 1998, portant signification de ladite requête à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 1998;

Vu la note versée au nom des demandeurs en date du 4 février 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Max GREMLING et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 juillet 1997, Monsieur … RAMDEDOVIC, agissant tant en son nom personnel qu’au nom de ses frères, Messieurs … RAMDEDOVIC, ainsi qu’au nom de sa mère, Madame … RAMDEDOVIC-… et de sa soeur, Madame … RAMDEDOVIC, introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de sa mère et de sa soeur précitées.

Une suite favorable ayant été réservée à la demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de la mère, Madame … RAMDEDOVIC-…, le ministre de la Justice rejeta par décision du 2 octobre 1997 la demande en ce qu’elle concerne la soeur, Madame … RAMDEDOVIC au motif que:

« selon l’art 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers la délivrance d’une autorisation de séjour est en effet subordonnée à la possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme l’intéressée ne remplit pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait lui être délivrée.

En outre, la demande ne rentre pas dans le cadre du regroupement familial, alors que seuls les ascendants à charge et les descendants mineurs peuvent être autorisés à rejoindre leur famille au Grand-Duché. (…) ».

Par lettre du 22 décembre 1997, le mandataire de la famille RAMDEDOVIC, agissant plus particulièrement pour le compte de Monsieur … RAMDEDOVIC et de Madame … RAMDEDOVIC, formula un recours gracieux contre la décision ministérielle de refus du 2 octobre 1997.

Par lettre du 3 février 1998, le ministre de la Justice confirma ladite décision de refus, au motif que le recours gracieux ne fait pas état d’éléments nouveaux pertinents.

Par requête déposée le 4 mai 1998, Monsieur … RAMDEDOVIC et Madame … RAMDEDOVIC ont introduit un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 2 octobre 1997 et 3 février 1998.

Les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir « violé la loi respectivement les principes applicables en matière de regroupement familial en imposant des conditions qui ne sont nulle part prévues ». Dans ce contexte, ils se basent plus particulièrement sur l’article 8 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l‘homme, ci-après dénommée la « Convention », qu’ils estiment violé par les décisions attaquées.

Ils exposent encore que tous les frères de Madame … RAMDEDOVIC habiteraient le Grand-Duché depuis plusieurs années, qu’ils seraient parfaitement intégrés, que le décès du père de Madame RAMDEDOVIC aurait motivé sa mère à rejoindre ses fils au Luxembourg et que Madame RAMDEDOVIC n’aurait plus aucune famille dans son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement expose que le refus ministériel serait fondé sur le défaut de moyens d’existence personnels dans le chef de la demanderesse, Madame … RAMDEDOVIC. Comme ce motif serait prévu par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant: 1° l’entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, les décisions ministérielles seraient légalement justifiées.

2 Le représentant étatique relève encore que Madame RAMDEDOVIC n’aurait pas vécu ensemble avec ses frères avant l’introduction de la demande d’autorisation de séjour, que rien ne l’aurait obligée à quitter son pays pour venir s’établir au Luxembourg, que de simples « considérations matérielles (possibilité d’obtenir plus facilement la pension de vieillesse du père ayant travaillé en Allemagne) (…) [seraient] à l’origine de la demande d’autorisation de séjour » et qu’aucun texte légal ne prévoirait un droit au regroupement familial pour un parent collatéral.

Enfin, le délégué conclut au rejet du moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention au motif que ledit article ne conférerait pas un droit d’être accueilli dans tout pays et qu’en l’espèce, il n’y aurait pas ingérence au sens de ladite disposition, dès lors qu’une vie familiale effective ne serait pas établie et que les intéressés pourraient s’installer et mener une vie normale dans un autre pays.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il est constant en cause que lors de la prise des décisions litigieuses, Madame … RAMDEDOVIC ne disposait pas de moyens personnels propres suffisants lui permettant d’assurer son séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle de tierces personnes, de sorte que le refus ministériel est, en principe, légalement fondé sur base de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Le seul moyen d’annulation soulevé par les demandeurs consiste dans la violation de leur droit au regroupement familial, lequel tiendrait la disposition précitée en échec.

Si les ressortissants de l’Union européenne et ceux assimilés, c’est-à-dire ceux originaires des pays ayant adhéré à l’Espace économique européen, bénéficient, en application - et dans les limites - du règlement CEE 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 rel… à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, d’un droit de se faire rejoindre par 1) leur conjoint et leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge et 2) les ascendants du ressortissant visé et ceux de son conjoint s’ils sont à sa charge, il n’existe cependant aucune disposition en droit national luxembourgeois ou en droit communautaire qui confère un droit au regroupement familial aux ressortissants des Etats tiers.

En droit international, il est de principe que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Cependant, les Etats qui ont r…ié la Convention, ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Dans ce contexte, l’article 8 de la Convention dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une 3 mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

L’argumentation consistant à soutenir que le « parent collatéral » serait exclu de la protection de l’article 8 de la Convention est erronée. En effet, s’il est vrai que la notion de famille restreinte, limitée aux parents et aux enfants mineurs, est à la base de la protection accordée par la Convention (M. Carlo RUSSO, in Convention Européenne des Droits de l’Homme - Commentaire article par article - sous la direction de M. Louis-Edmond PETITI et autres, Economica, ad. art. 8§1, p.316), il n’en reste pas moins qu’une famille existe, au delà de cette cellule fondamentale, chaque fois qu’il y a des liens de consanguinité suffisamment étroits.

Toutefois, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites.

En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux (cf.

Frédéric SUDRE in Droit International et Européen des Droits de l’Homme, No.183 au sujet de l’arrêt CRUZ VARAS et autres de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 mars 1991, A.201 §68). En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante.

Cette deuxième restriction requiert la mise en lumière de la distinction entre, d’une part, les décisions d’éloignement d’un étranger du territoire national et, d’autre part, les décisions relativement à des demandes d’entrée et de séjour au titre d’un regroupement familial. Les deux types de décisions impliquent des considérations de nature différente.

L’étranger qui invoque l’article 8 de la Convention pour tenir en échec une mesure d’éloignement, vise à voir protéger la vie familiale qu’il a établie sur le territoire national et qui est menacée. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier l’existence d’une vie familiale effective et les effets que la mesure projetée risque d’avoir sur elle. Dans la deuxième hypothèse, le demandeur entend accéder et séjourner sur le territoire national pour vivre ensemble avec sa famille, il vise partant à voir reconstitué son unité familiale. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier la préexistence à l’immigration d’une vie familiale effective.

En l’espèce, saisi d’une demande relative au regroupement familial, le tribunal est appelé à examiner la situation des intéressés au regard des principes susénoncés et 4 d’examiner si le but légitime poursuivi par l’administration est proportionné ou non à la gravité de l’éventuelle atteinte au droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale.

Il est constant en cause que les quatre frères de Madame … RAMDEDOVIC habitent avec leurs conjointes respectives au Grand-Duché de Luxembourg depuis plusieurs années.

Il ressort plus particulièrement d’un certificat de résidence versé au dossier, que Monsieur … RAMDEDOVIC a résidé à Esch-sur-Alzette du 22 août 1988 au 20 décembre 1988, du 8 juin 1989 au 19 décembre 1989, 13 juin 1990 au 27 février 1991, lesdits séjours ayant été interrompus par des retours successifs dans son village d’origine Lagatore en Yougoslavie. Depuis le 19 juillet 1991 il réside de façon non interrompue au Luxembourg. Il est titulaire d’un permis de travail, délivré le 25 octobre 1995, pour une durée non limitée.

Il ressort encore d’un certificat de résidence versé au dossier, que Monsieur … RAMDEDOVIC habite au Luxembourg depuis le 11 mai 1992. Il est titulaire d’un permis de travail, délivré le 3 décembre 1996, valable jusqu’au 2 décembre 2000.

Monsieur … RAMDEDOVIC habite au Luxembourg depuis le 12 août 1993 et il est titulaire d’un permis de travail, délivré le 17 mai 1995, valable jusqu’au 16 mai 1999.

Enfin, Monsieur … RAMDEDOVIC habite au Luxembourg depuis le 3 juin 1994 et il est titulaire d’un permis de travail, délivré le 20 août 1996, valable jusqu’au 19 août 2000.

Dans le cadre de l’examen de la situation de la famille RAMDEDOVIC et plus précisément de leurs origines, le tribunal ayant noté que différentes pièces lui soumises font état d’une ville/village de Lagatore, tandis que d’autres se réfèrent à la ville de Bérane, et sur question afférente posée aux parties, les demandeurs ont expliqué, dans une note complémentaire, - sans que leurs explications n’aient été contestées par le délégué du gouvernement - que la contradiction ne serait qu’apparente, étant précisé que le village de Lagatore, le village où la famille RAMDEDOVIC était domiciliée, n’est pas une commune indépendante mais fait partie de la commune de Bérane, ville d’environ 30.000 habitants dont Lagatore est distante d’une dizaine de kilomètres.

Il importe encore de relever spécialement que le ministre de la Justice a accordé à la mère, Madame … RAMDEDOVIC-…, une autorisation de séjour dans le cadre de la « pratique administrative relative au regroupement familial ». Ce fait, qui se dégage implicitement des éléments du dossier, a été confirmé lors des plaidoiries par le délégué du gouvernement.

Concernant la situation personnelle de Madame … RAMDEDOVIC, il se dégage des informations fournies par les demandeurs et non contredites par le représentant étatique ni par les éléments du dossier administratif, qu’avant son départ pour le Luxembourg, dans un premier temps, elle vivait à Lagatore, ensemble avec sa mère, Madame Bajra RAMDEDOVIC-AGOVIC, dont elle s’est occupée, étant donné 5 que la mère avait des problèmes cardiaques, et dont elle a fait le ménage. Par la suite, elle y a vécu ensemble avec ses parents depuis que le père, qui avait travaillé en Allemagne, avait été mis à la retraite. Suite au décès du père les deux femmes ont quitté leur village d’origine pour rejoindre respectivement ses fils et frères installés au Luxembourg.

Concernant sa situation actuelle, il a été précisé que, suite au refus de l’autorisation de séjour sollicitée, Madame … RAMDEDOVIC est retournée à Lagatore, où elle habite dans la maison qui appartient toujours à la famille RAMDEDOVIC et qu’elle y vit grâce aux secours que lui font parvenir ses frères, dès lors qu’elle n’a ni emploi ni formation professionnelle.

Eu égard aux circonstances de fait particulières ci-avant relatées, le tribunal arrive à la conclusion que le ministre de la Justice, en accordant une autorisation de séjour à la mère de Madame … RAMDEDOVIC, afin de lui permettre de rejoindre ses quatre fils, qui sont régulièrement établis au Luxembourg, tout en refusant l’octroi d‘un tel permis à la fille, les deux ayant auparavant habité ensemble dans leur village d’origine, brise de manière irrévocable les liens de la famille RAMDEDOVIC, considérée dans son ensemble et spécialement ceux existants entre la fille et la mère.

Pour le surplus, la décision ministérielle affecte les liens sociaux de Madame … RAMDEDOVIC, étant donné que le retour dans son pays d’origine, où elle n’a plus d’attaches familiales, risque de la contraindre à vivre dans un isolement social quasiment complet.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le refus porte notamment atteinte au droit de Madame … RAMDEDOVIC au respect de sa vie familiale et privée.

S’agissant d’une ingérence au sens de l’article 8, § 1er, de la Convention dans la vie familiale et privée de la demanderesse, qui n’a pas été justifiée pour l’une quelconque des causes énoncées à l’article 8, § 2 de la Convention, il y a lieu d’annuler les décisions ministérielles attaquées.

Compte tenu de l’issue du présent litige, les frais sont à mettre à charge de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, à l’exception des frais de signification de la requête introductive d’instance, lesquels sont frustratoires.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare justifié, partant, annule les décisions du ministre de la Justice des 2 octobre 1997 et 3 février 1998 et renvoie le dossier devant ledit ministre;

6 condamne l’Etat aux frais, à l’exception des frais de signification de la requête introductive d’instance, lesquels restent à charge des parties demanderesses.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 18 février 1999 par le vice-président, en présence de M.

Schmit, greffier en chef.

Schmit Schockweiler 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10687
Date de la décision : 18/02/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-02-18;10687 ?

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