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10/02/1999 | LUXEMBOURG | N°10759

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 février 1999, 10759


N°10759 du rôle Inscrit le 16 juin 1998 Audience publique du 10 février 1999

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Recours formé par la société civile AGRI-TOP, … contre deux décisions du ministre de l’Environnement en matière de protection de l’environnement

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10759 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juin 1998 par Maître Roland ASSA, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

la société civile AGRI-TOP, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses associ...

N°10759 du rôle Inscrit le 16 juin 1998 Audience publique du 10 février 1999

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Recours formé par la société civile AGRI-TOP, … contre deux décisions du ministre de l’Environnement en matière de protection de l’environnement

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10759 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juin 1998 par Maître Roland ASSA, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société civile AGRI-TOP, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses associés, Messieurs …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Environnement du 19 septembre 1997, lui refusant l’autorisation de construire une porcherie d’engraissement pour 1500 porcs avec silo à lisier et chemin d’accès, ainsi que l’autorisation de procéder aux travaux de remblai sur un fonds situé à Beyren et d’une décision du 24 mars 1998 par laquelle ledit ministre, suite à un recours gracieux du 20 novembre 1997, confirma sa décision initiale;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 10 novembre 1998 au greffe du tribunal administratif;

Vu le mémoire en réplique déposé le 9 décembre 1998 au nom de la demanderesse;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yves HUBERTY, en remplacement de Maître Roland ASSA et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Par demandes datées du 20 juin 1997, entrées le 2 juillet 1997 au ministère de l’Environnement, la société civile AGRI-TOP, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses associés, Messieurs …, sollicita, sur base de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, l’autorisation d’ériger une porcherie d’engraissement pour 1500 porcs avec silo à lisier et chemin d’accès sur un terrain sis à …, inscrit au cadastre de la commune de …, section B de …, sous les numéros cadastraux 238/717-238/719-244-250/778-251/358-252-254/31-254/891-247-248-329/406-332-1/2832, ainsi que d’y effectuer des travaux de remblai en rapport avec ladite construction.

Cette autorisation fut refusée par le ministre de l’Environnement, dénommé ci-après « le ministre », qui, dans sa décision du 19 septembre 1997, informa la société AGRI-TOP de ce que « le lieu-dit « … » est un petit vallon à haute valeur écologique et esthétique d’autant plus qu’il est encadré par un massif forestier. Toute construction y porterait un préjudice grave et serait contraire aux objectifs de la loi de 1982 sur la protection de la nature et des ressources naturelles. (…) ».

1 Suite à un recours gracieux du 20 novembre 1997, le ministre confirma le 24 mars 1998 sa décision initiale au motif que « toutes les instances consultées s’accordent à relever l’impact très négatif sur la valeur écologique et esthétique du site. Votre projet se heurterait aux principes élémentaires de la protection de l’environnement naturel qui consiste à conserver intactes les entités paysagères traditionnelles qui se distinguent non seulement par leur qualité esthétique mais également par une biodiversité prononcée (cf. cartographie des biotopes de la commune de Flaxweiler). (…) ».

A l’encontre des deux décisions ministérielles précitées des 19 septembre 1997 et 24 mars 1998 la société AGRI-TOP a introduit, par requête déposée le 16 juin 1998, un recours tendant à leur réformation.

Conformément à l’article 3 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif n’est compétent pour connaître comme juge du fond que des recours en réformation dont les lois spéciales lui attribuent connaissance.

L’article 38 de la loi précitée du 11 août 1982 prévoit un recours en réformation contre toutes les décisions prises par le ministre ayant dans ses attributions l’administration des Eaux et Forêts, actuellement le ministre de l’Environnement en vertu de la loi en question. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La demanderesse conclut en premier lieu à l’annulation des décisions entreprises en reprochant au ministre d’avoir violé ses droits de la défense et, plus spécialement, l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, d’une part, en se limitant à utiliser des formules générales et abstraites prévues par la loi précitée du 11 août 1982 et en omettant d’indiquer les raisons concrètes et valables qui justifient la décision de refus et, d’autre part, en renvoyant à des avis d’autorités consultées, sans les annexer à la décision. Dans ce contexte, elle demande à ce qu’il soit enjoint au ministre de communiquer l’ensemble des avis émis par les instances consultées.

Le délégué du gouvernement soutient que ledit moyen d’annulation ne serait pas justifié, dès lors que les décisions seraient motivées à suffisance tant en droit, par un renvoi à la loi précitée du 11 août 1982, qu’en fait, tel que cela se dégagerait du libellé des alinéa 2 et 3 de la décision initiale et de l’alinéa 3 de la décision confirmative. Le représentant étatique soutient, par ailleurs, qu’un défaut de motivation ne devrait pas entraîner l’annulation d’un acte administratif mais uniquement la suspension des délais de recours et que l’administration pourrait toujours suppléer à la carence éventuelle en fournissant les motifs en cours d’instance.

Concernant le reproche tiré de ce que les avis consultatifs n’auraient pas été joints aux décisions litigieuses, il estime qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’imposerait à l’administration le respect de pareille formalité et que, indépendamment de cette considération, les avis auraient été produits en cours d’instance.

Dans sa réplique la demanderesse rétorque que même à admettre que l’administration puisse compléter voire produire sa motivation postérieurement à la prise de la décision et même pour la première fois devant la juridiction administrative, force serait de constater que le délégué du gouvernement n’a ni produit ni complété la motivation des décisions querellées.

En ordre subsidiaire, elle soutient encore que la motivation serait inexacte. En effet, le ministre ne saurait affirmer que tous les avis seraient défavorables, alors qu’au moins un avis 2 serait en faveur du projet, à savoir un avis du directeur de l’administration de l’Environnement du 31 juillet 1997.

Comme la deuxième décision ministérielle entreprise, à savoir celle du 24 mars 1998, est intervenue suite à un recours gracieux de la part de la demanderesse et est purement confirmative de la décision de refus initiale, les deux décisions doivent être considérées comme formant un ensemble tendant au refus des autorisations sollicitées par la demanderesse et ainsi, il s’agit de faire masse des motifs exposés à cette fin, indistinctement de ce qu’ils sont énoncés dans la première ou dans la deuxième décision en date du ministre. Le tribunal tiendra compte de cette considération dans les développements qui vont suivre.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et les circonstances de fait à sa base.

En l’espèce, le tribunal arrive à la conclusion que les motifs énoncés par le ministre à l’appui de sa décision de refus, à savoir que le lieu d’implantation projeté, « le lieu-dit « Marxlach » est un petit vallon à haute valeur écologique et esthétique d’autant plus qu’il est encadré par un massif forestier », que « toute construction y porterait un préjudice grave et serait contraire aux objectifs de la loi de 1982 sur la protection de la nature et des ressources naturelles », et que « toutes les instances consultées s’accordent à relever l’impact très négatif sur la valeur écologique et esthétique du site. Votre projet se heurterait aux principes élémentaires de la protection de l’environnement naturel qui consiste à conserver intactes les entités paysagères traditionnelles qui se distinguent non seulement par leur qualité esthétique mais également par une biodiversité prononcée (cf. cartographie des biotopes de la commune de Flaxweiler) constituent, en principe, une motivation suffisamment détaillée et circonstanciée en droit et en fait sur laquelle il s’est basée pour justifier sa décision de refus, et ces motifs ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance de la demanderesse, de sorte que le moyen d’annulation invoqué par cette dernière consistant à soutenir que lesdites décisions seraient entachées d’illégalité pour insuffisance de motivation est à abjuger comme étant non fondé.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit encore d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier légalement les décisions critiquées.

Le tribunal, avant de pouvoir aborder les questions ayant trait au fond proprement dit, est ainsi appelé à examiner le moyen d’annulation soulevé par la demanderesse tiré de la « fausseté des motifs » énoncés.

Il se dégage du libellé des décisions de refus que le ministre s’est entouré de différents avis consultatifs avant de prendre sa décision et qu’il se fonde spécialement sur la considération que « toutes les instances consultées s’accordent à relever l’impact très négatif sur la valeur écologique et esthétique du site ».

Or, les pièces versées par le délégué du gouvernement ensemble le mémoire en réponse contiennent un seul avis datant du 15 juillet 1997 et émanant du préposé du triage de Wormeldange de l’administration des Eaux et Forêts, cantonnement de Grevenmacher, auquel la direction de l’administration des Eaux et Forêts s’est ralliée, qui se prononce en défaveur du projet de construction.

3 Lors des plaidoiries et sur question afférente du tribunal, le mandataire de la demanderesse a produit, avec l’accord du représentant étatique, un deuxième avis, invoqué dans son mémoire en réplique, émanant du directeur de l’administration de l’Environnement et datant du 31 juillet 1997. Ledit avis, qui porte le même numéro de référence que le dossier du ministre ouvert suite à l’introduction, en date du 20 juin 1997, des deux demandes de la société AGRI-TOP et qui se réfère expressément à ladite demande, est libellé comme suit : « Retourné à Monsieur le ministre de l’Environnement avec avis favorable sous respect des conditions suivantes: [suivent trois conditions formulées en termes généraux]. » Force est de constater que ledit avis non seulement ne relève pas d’impact négatif sur la valeur écologique et esthétique du site, mais surtout qu’il s’agit d’un avis favorable.

A défaut d’explications, le tribunal n’est pas en mesure d’apprécier si le ministre, au moment où il a pris les deux décisions de refus, avait ou non connaissance de l’avis du directeur de l’administration de l’Environnement, et, s’il en avait connaissance, pourquoi il s’est écarté dudit avis.

Dans l’état actuel du dossier, le tribunal ne peut que relever une contradiction manifeste entre la motivation des décisions négatives et le contenu de l’avis consultatif du 31 juillet 1997.

Cette contradiction entache les décisions soumises au tribunal, de sorte qu’en dépit de l’existence formelle de motifs, force est de constater que la motivation est viciée à sa base, elle devient partant inopérante et ne saurait justifier valablement le refus ministériel.

Il suit des considérations qui précèdent que les décisions entreprises sont à annuler comme intervenues sur base d’une erreur manifeste d’appréciation, partant en violation du principe de la légalité de l’action administrative.

Même si le tribunal est saisi au fond de conclusions tendant à la réformation des décisions querellées, il importe que le ministre compétent prenne une décision qui réponde aux exigences légales afin de mettre la juridiction administrative saisie d’un éventuel recours en réformation en mesure d’apprécier les motifs de la décision administrative en fait et en droit.

Par conséquent, en l’espèce, il y a lieu de renvoyer le dossier au ministre pour nouvel examen.

La demanderesse ayant formulé une demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un import de 100.000.- francs sur base de l’article 131-1 du code de procédure civile, sans cependant justifier à suffisance de droit pourquoi il serait inéquitable de lui laisser à charge les frais et honoraires d’avocat non compris dans les dépens, ladite demande est à rejeter comme n’étant pas fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare justifié;

partant annule les décisions du ministre de l’Environnement des 19 septembre 1997 et 24 mars 1998 et renvoie le dossier audit ministre pour nouvel examen;

4 rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 10 février 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10759
Date de la décision : 10/02/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-02-10;10759 ?

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