N° 10408 du rôle Inscrit le 13 novembre 1997 Audience publique du 4 février 1999
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Recours formé par Monsieur … MISCHEL, faisant le commerce sous la dénomination « Garage Mischel », …, contre une décision de l'administration communale de Y. et contre un arrêté du ministre de l’Intérieur, en présence de la société X. S.A., …, en matière de marchés publics
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Vu la requête déposée le 13 novembre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Roy REDING, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Martine MIRKES, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … MISCHEL, faisant le commerce sous la dénomination « Garage Mischel », demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) d’un cahier des charges établi le 13 août 1997 par l’administration communale de Y., en vue de l’acquisition d’un tracteur par soumission publique, 2) d’une décision du collège échevinal de la commune de Y. du 10 septembre 1997 écartant son offre et portant adjudication de la fourniture du tracteur à la société X. S.A., établie et ayant son siège social à L-…, et 3) de la décision d’approbation du ministre de l’Intérieur du 3 octobre 1997;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 24 novembre 1997, portant signification dudit recours à l'administration communale de Y. ainsi qu'à la société X. S.A.;
Vu le mémoire en réponse déposé le 11 février 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert RODESCH, avocat inscrit à la liste I du tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de l'administration communale de Y.;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, du 13 février 1998, portant signification dudit mémoire à Monsieur … MISCHEL;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal par le délégué du gouvernement le 8 mai 1998;
2 Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal le 29 septembre 1998 par Maître Claude SCHMARTZ, avocat inscrit à la liste I du tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de la société X. S.A.;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Pierre KREMMER, préqualifié, du 17 septembre 1998 portant signification dudit mémoire à Monsieur … MISCHEL, à l’administration communale de Y. et à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 3 novembre 1998;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, préqualifié, du 23 octobre 1998 portant signification dudit mémoire en réplique à l'administration communale de Y., ainsi qu'à la société X. S.A.;
Vu le mémoire en duplique déposé le 30 octobre 1998 au greffe du tribunal par Maître Albert RODESCH pour le compte de l'administration communale de Y.
Vu l'exploit de l'huissier de justice Pierre KREMMER, préqualifié, du 4 novembre 1998 portant signification dudit mémoire en duplique à Monsieur … MISCHEL et à la société X. S.A.;
Vu les pièces versées et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maîtres Martine MIRKES, Albert RODESCH et Guillaume RAUCHS, en remplacement de Maître Claude SCHMARTZ, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.
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Dans le cadre d’une soumission publique à laquelle l’administration communale de Y. avait décidé de procéder en vue de l’acquisition d’un tracteur, un premier cahier spécial des charges fut établi le 24 avril 1997, l’ouverture de la soumission ayant été fixée au 20 mai 1997.
Par lettre du 12 mai, entrée auprès de l’administration communale le lendemain 13 mai 1997, le mandataire de l’époque de Monsieur … MISCHEL, faisant le commerce sous la dénomination « Garage Mischel », demeurant à L-…, introduisit une réclamation contre le libellé du cahier spécial des charges.
Suite à cette réclamation, l’administration communale arrêta le 13 août 1997 un nouveau cahier des charges et reporta l’ouverture de la soumission au 8 septembre 1997.
Par lettre du 4 septembre 1997, entrée auprès de l’administration communale le lendemain 5 septembre 1997, Monsieur MISCHEL introduisit une nouvelle réclamation contre le libellé du cahier spécial des charges du 13 août 1997.
3 Par décision du 10 septembre 1997, le collège échevinal de la commune de Y., au vu du résultat de la soumission publique, à laquelle trois entreprises avaient participé et dans le cadre de laquelle Monsieur … MISCHEL s'était classé le moins disant avec une offre d’un tracteur de 2.199.000,- francs, les anciens établissements CLOOS & KRAUS du Roost second avec une offre de 2.250.000,- francs et la société X. S.A. troisième avec une offre de 2.415.000,- francs et en considérant que les deux premiers offrants n'offraient pas une fourniture conforme au cahier spécial des charges, adjugea la fourniture du tracteur à la société X. S.A..
Par requête du 13 novembre 1997, Monsieur … MISCHEL a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l'annulation du cahier des charges précité établi le 13 août 1997 par l’administration communale de Y., 2) de la décision du collège échevinal de la commune de Y. du 10 septembre 1997 écartant son offre et portant adjudication de la fourniture du tracteur à la société X.
S.A., et 3) de la décision d’« approbation » du ministre de l’Intérieur du 3 octobre 1997.
Le demandeur soutient avoir « usé de la faculté lui accordée par les articles 28-11 et 37-1 du règlement grand-ducal du 10 janvier 1989 faisant valoir ses observations et réclamations tempore non suspecto ».
Il conclut à la réformation sinon à l’annulation des trois décisions critiquées pour « violation de la loi, excès de pouvoir et détournement de pouvoir ».
A l’appui de sa demande il reproche à l’administration communale de Y.
d’avoir formulé le cahier spécial des charges de telle sorte qu’une seule marque de tracteur, voire un seul type de tracteur eût pu remplir les conditions énoncées. Ainsi, la soumission publique aurait été « dégradée en farce », l’intention réelle ayant été « ab initio » d’adjuger la fourniture à un seul concurrent pour un type de tracteur bien précis, à savoir le tracteur FENDT 309. Il expose que la marque FENDT n’aurait au Luxembourg qu’un seul concessionnaire, à savoir la société à responsabilité limitée …, laquelle travaillerait exclusivement, en ce qui concerne la partie sud du pays, avec la société anonyme X. S.A., ces deux sociétés occupant d’ailleurs les mêmes locaux à … et ayant au moins un associé en commun.
Il soutient encore qu’on ne saurait lui reprocher qu’il n’a pas contesté le fait que son offre n’était pas conforme, étant donné qu’il n’avait aucune chance de soumettre une offre conforme eu égard au libellé du cahier des charges.
Concernant la preuve de ses allégations, il soutient que le « libellé ambigu », tel qu’il l’aurait relevé dans son courrier de réclamation du 4 septembre 1997, au niveau des points 1, 3, 5, 7 et 10 du cahier spécial des charges, ne permettrait qu’au seul tracteur FENDT 309 de remplir ces conditions. Par ailleurs, il estime que le fait que le marché a été attribué à la société X. S.A. démontrerait la véracité de ses allégations.
Pour le cas où les éléments du dossier seraient insuffisants pour emporter la conviction du tribunal, il offre de prouver par voie d’une expertise que « le libellé du cahier des charges du 13 août 1997 est très ambigu, alors qu’il contient de 4 nombreuses spécifications du tracteur Fendt 309, notamment en ce qui concerne les points 1, 3, 5, 7, 10 du cahier des charges; que uniquement la SA X., avec siège à …, 1, rue de Mersch, pouvait déposer une offre conforme, étant l’unique vendeur de la marque Fendt pour la moitié inférieure du Luxembourg; qu’en tout état de cause le requérant, vendeur de la marque Massey-Fergusson, n’avait aucune chance de présenter une offre conforme ».
Quant au recours en réformation Les parties défenderesses concluent en premier lieu à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.
Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2/98, V° Recours en réformation, n° 4).
En l’espèce, aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Quant au recours en annulation Les parties défenderesses concluent à l'irrecevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre le cahier des charges établi le 13 août 1997 par l’administration communale de Y. pour non-respect du délai pour agir prévu à l’article 28 (11) du règlement grand-ducal modifié du 10 janvier 1989 portant exécution du chapitre 2 de la loi du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et de fournitures.
Le demandeur fait rétorquer sur ce point qu’il aurait « demandé l’annulation de l’appel d’offre du 13 août 1997, annulation devant nécessairement entraîner l’annulation de l’attribution du marché au X., alors que par adjudication du marché à cette société les causes d’annulation ont été consommées », que « le recours en annulation est un recours de droit commun existant de façon générale contre toutes les décisions administratives, contre lesquelles aucun autre recours n’est ouvert », qu’« aucun autre recours administratif ou juridictionnel ne doit exister, pour qu’un recours en annulation devant le tribunal administratif soit recevable », que « la possibilité donnée au soumissionnaire par l’article 28 (11) susmentionné, (…) ne constitue sûrement pas un recours juridictionnel », ni encore un recours administratif, mais qu’il s’agit « d’un règlement qui prévoit la possibilité pour le soumissionnaire d’adresser ses réclamations au commettant, donc à la même autorité, et non pas à une autorité spécialement instituée à cet effet », de sorte que le recours devrait être déclaré recevable.
Le cahier spécial des charges décrit l’objet de la soumission et, ainsi, il forme la base du marché à conclure. Dans cet esprit, l’article 28 du règlement grand-ducal 5 précité du 10 janvier 1989, intitulé « Objet de la soumission » et figurant au chapitre 5 intitulé « Etablissement des éléments constitutifs de la demande d’offre » dudit règlement précise que le cahier spécial doit être rédigé de façon suffisamment claire et détaillée, afin qu’il ne puisse subsister de doute sur la nature et l’exécution du marché.
L’article 28 (11) dispose que « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions est tenu, sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au commettant au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long ».
L’article 37 intitulé « Communication des plans et documents aux concurrents » figurant au chapitre 6 intitulé « Demande d’offre » du règlement précité, dispose dans son point (1), deuxième et troisième phrases, que « les réclamations concernant les dossiers de soumission doivent parvenir au service compétent au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long. Conformément à l’article 28 du présent règlement, ces réclamations sont à introduire par lettre recommandée ».
Il se dégage de la lecture combinée de ces deux textes que le législateur a organisé l’exercice d’un recours administratif intermédiaire obligatoire pour celui qui veut contester le libellé et la régularité du dossier de soumission, dont le cahier des charges constitue un élément primordial. En effet, les termes « est tenu, sous peine d’irrecevabilité » et « doivent » utilisés par lesdits textes ne permettent pas de douter de leur caractère contraignant dans le cadre de la procédure de réclamation ainsi organisée.
Bien que l’aménagement de ce recours par la loi n’ait pas pour résultat de le transformer en un recours juridictionnel, ledit aménagement légal implique que le soumissionnaire ne peut pas déférer le litige relatif au dossier de soumission à la juridiction administrative sans avoir au préalable exercé le recours administratif prévu par les prédits articles.
En l’espèce, c’est par lettre du 4 septembre 1997, entrée auprès de l’administration communale de Y. le lendemain 5 septembre 1997, que le demandeur a réclamé contre les « importantes irrégularités » contenues dans le cahier spécial des charges litigieux. L’ouverture de la soumission publique ayant été fixée au 8 septembre 1997, force est de constater que la réclamation n’a pas été introduite au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, de sorte qu’elle est tardive.
Le demandeur a partant omis de lier valablement le contentieux, en manquant d’introduire sa réclamation dans le délai légalement prévu auprès de l’autorité compétente.
C’est donc à bon droit que le moyen d’irrecevabilité tiré de l’omission d’avoir introduit dans le délai requis un recours administratif intermédiaire obligatoire a été soulevé et le recours introduit devant le tribunal est partant à déclarer irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le cahier spécial des charges.
6 Le recours est en deuxième lieu dirigé contre la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Y. du 10 septembre 1997 écartant notamment l’offre du demandeur et portant adjudication de la fourniture du tracteur à la société X. S.A..
Le recours est recevable sous ce rapport, pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le recours est cependant à déclarer non fondé sous ce rapport, étant donné que le demandeur ne fait état d’aucun moyen d’annulation tiré d’une éventuelle illégalité interne ou externe de la décision d’adjudication proprement dite. En effet, ses moyens et arguments sont exclusivement dirigés contre la formulation du cahier spécial des charges. Or, il suit de ce qui précède que le demandeur est forclos à agir contre le cahier spécial des charges et cette forclusion implique qu’il ne peut plus invoquer des moyens tirés d’éventuels vices du dossier de soumission dans le cadre d’un recours contre la décision d’adjudication, dans le cadre duquel le soumissionnaire ne peut plus exciper que de l’illégalité de la décision d’adjudication proprement dite. En décider le contraire équivaudrait à vider les articles 28 (11) et 37 (1) du règlement grand-ducal précité du 10 janvier 1989 de leur substance.
Le recours est dirigé en dernier lieu contre la décision d’« approbation » du ministre de l’Intérieur du 3 octobre 1997.
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité de ce volet du recours.
En effet, d’une part, ni la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ni la loi modifiée du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et fournitures, ni encore le règlement grand-ducal précité du 10 janvier 1989 ne prévoient l’approbation par le ministre de l’Intérieur d’une décision du collège des bourgmestre et échevins écartant l’offre d’un soumissionnaire et portant adjudication d’un marché public et, d’autre part, une décision de ne pas réserver de suite à la communication de pareille décision de l’autorité communale, indépendamment de la qualification que le ministre donne à sa décision, s’analyse en un simple acte préparatoire non susceptible de recours devant la juridiction administrative, étant donné que le ministre n’a fait qu’apprécier s’il échet ou non de transmettre le dossier relatif à ce marché de fournitures au Grand-Duc en vue de l’exercice du droit qui lui est conféré par l’article II (7) de la loi précitée du 4 avril 1974 de suspendre ou d’annuler un marché conclu par l’administration communale qui serait intervenu en violation des dispositions dudit article II ou contraire à l’intérêt général (cf. C.E. 20 juillet 1993, LAZZARA, n°s 8740 et 8752 du rôle).
Compte tenu de l’issue du présent litige, les frais sont à mettre à charge de la partie demanderesse, à l’exception des frais de signification à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg du mémoire en réponse déposé pour le compte de la société X. S.A., qui sont frustratoires.
Par ces motifs, 7 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, déclare le recours en annulation irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le cahier des charges, déclare le recours en annulation irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la décision d’« approbation » du ministre de l’Intérieur du 3 octobre 1997, reçoit le recours en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Y. du 10 septembre 1997 écartant notamment l’offre du demandeur et portant adjudication de la fourniture d’un tracteur à la société X. S.A., le déclare cependant non fondé, condamne le demandeur aux frais, à l’exception des frais de signification à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg du mémoire en réponse déposé pour le compte de la société X. S.A., lesquels restent à charge de cette partie.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 4 février 1999, par le vice-président, en présence de Mme. Wiltzius, greffier de la Cour administrative, greffier-assumé.
s. Wiltzius s. Schockweiler