N° 10836 du rôle Inscrit le 12 août 1998 Audience publique du 25 janvier 1999
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Recours formé par Monsieur … HANIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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Vu la requête déposée le 12 août 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Sylvie KREICHER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Dominique PETERS, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … HANIC, ressortissant de la Bosnie, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice datées respectivement des 13 janvier et 31 juillet 1998, la première lui refusant la délivrance d’une autorisation de séjour au Luxembourg, et la deuxième, confirmant la décision initiale;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 1998;
Vu la lettre déposée au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 1998, par laquelle Maître Dominique PETERS a informé le tribunal administratif qu’elle occupe dorénavant pour le demandeur en remplacement de Maître Sylvie KREICHER;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en ses plaidoiries.
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Monsieur … HANIC est arrivé au Grand-Duché de Luxembourg le 20 janvier 1995, date à laquelle il a sollicité le statut de réfugié politique. Suite à cette demande, il a bénéficié du « statut particulier » réservé aux réfugiés de l’ex-Yougoslavie jusqu’au 15 juillet 1997. Durant cette période, Monsieur HANIC et sa famille qui l’a rejoint au Luxembourg en février 1996, ont été pris en charge par le ministère de la Famille.
Par courrier du 10 juillet 1996, Monsieur HANIC a été informé par le ministre de la Justice que son autorisation de séjour était prolongée jusqu’au 15 juillet 1997 et, qu’à condition d’avoir une bonne conduite, d’avoir un travail non-interrompu depuis 6 mois et de disposer d’un logement non subventionné par l’Etat, il pourrait obtenir une carte d’identité d’étranger. Toutefois, Monsieur HANIC n’a pas réservé de suite à cette lettre.
1 Le 4 juillet 1997, il a encore une fois été informé de la possibilité d’obtenir une carte d’identité d’étranger. A cet effet, il a été invité à envoyer les pièces, telles qu’énumérées dans la lettre précitée du 10 juillet 1996, avant le 31 juillet 1997, au service des étrangers du ministère de la Justice.
Par courrier du 6 août 1997, Monsieur HANIC a été informé par le ministre de la Justice qu’à défaut d’avoir produit les pièces requises dans la lettre précitée du 4 juillet 1997, une carte d’identité d’étranger ne saurait lui être délivrée.
Monsieur HANIC a sollicité une nouvelle autorisation de séjour le 22 octobre 1997. Le ministre de la Justice a rejeté cette demande, par courrier du 13 janvier 1998, au motif « qu’à défaut des pièces requises dans mon courrier du 4 juillet 1997, l’autorisation sollicitée ne pourra vous être délivrée. Vous êtes par conséquent invité à quitter le pays dans les meilleurs délais ».
Il ressort d’un courrier du ministre de la Justice, daté du 29 janvier 1998, que dans le cadre de l’instruction de son dossier, Monsieur HANIC a été prié de fournir différentes informations sur sa personne, notamment concernant sa région ou son village d’origine, la région ou le village de sa dernière résidence avant son départ, l’ethnie et la religion dont il fait partie, ainsi que sa prise en charge au Luxembourg.
Par le biais d’une lettre de son mandataire, datée du 11 mars 1998, Monsieur HANIC a fourni les informations demandées.
A la demande du ministre de la Justice, un avis a été dressé le 13 juillet 1998 par le correspondant honoraire du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies, ci-après dénommé « UNHCR », au sujet de Monsieur HANIC. Il ressort dudit avis que « Monsieur HANIC ne peut pas documenter une véritable crainte en cas de retour à Sarajevo, lieu de sa dernière résidence. Il est cependant évident qu’un retour en Serbie serait impossible, cela notamment vu qu’il est détenteur du passeport bosniaque. Je ne peux dès lors qu’insister sur les conditions matérielles toujours très précaires à Sarajevo et cela en l’absence d’une quelconque crainte objective et fondée de la part de Monsieur HANIC ».
Par lettre du 31 juillet 1998, le mandataire de Monsieur HANIC a été informé qu’ « après avoir procédé au réexamen du dossier du Monsieur … HANIC et au vu de l’avis élaboré par Maître …, correspondant honoraire du UNHCR, je suis arrivé à la conclusion qu’il n’existe pas de crainte objective devant empêcher le retour de votre mandant à Sarajevo, lieu de sa dernière résidence. Dès lors, je ne puis que confirmer le contenu de mon courrier du 13 janvier 1998 et inviter votre mandant à quitter le pays ».
Par requête déposée le 12 août 1998, Monsieur HANIC a introduit un recours en annulation contre les décisions des 13 janvier et 31 juillet 1998.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours d’abord en ce qu’il est dirigé contre la décision déférée du 13 janvier 1998, au motif que le demandeur n’aurait pas exercé de recours gracieux contre la décision en question, qui serait donc devenue définitive et ne saurait plus faire l’objet d’un recours, étant donné que le délai du recours contentieux aurait expiré.
2 Il soutient encore que le recours serait irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la décision du 31 juillet 1998, en ce qu’elle ne confirmerait que l’obligation pour le demandeur de quitter le pays et ne prendrait plus position par rapport à la demande en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour. A ce titre, il affirme que l’instruction qui avait été faite entre les deux décisions aurait eu pour objet de vérifier si un rapatriement à Sarajevo était possible et elle n’aurait dès lors pas eu pour objet d’examiner si une autorisation de séjour pouvait être accordée au demandeur.
Le recours ayant été dirigé à la fois contre la décision « initiale » du 13 janvier 1998 ainsi que contre une décision dite confirmative du 31 juillet 1998, il appartient au tribunal de vérifier si cette dernière décision constitue une décision confirmative de la décision initiale ou si, au contraire, elle est à qualifier de décision nouvelle, prise sur base d’éléments nouveaux auquel cas le recours introduit contre la décision du 13 janvier 1998 serait sans objet, étant donné qu’une décision nouvelle serait intervenue en date du 31 juillet 1998.
En effet, la décision prise par l’autorité compétente est à qualifier de décision nouvelle, qui se substitue à la première décision, si elle consent à rouvrir l’instruction et à réexaminer la cause, à condition toutefois qu’elle se trouve en présence d’éléments nouveaux qui sont de nature à modifier la situation juridique et prenne position quant à ceux-ci. Ainsi, une décision qui se prononce sur des éléments non pris en considération dans la première décision, n’est pas à considérer comme purement confirmative (cf. C.E. 17 janvier 1994, Construtec, n°8872).
En l’espèce, la décision ministérielle du 31 juillet 1998 est basée sur des éléments qui n’ont pas été pris en considération dans la première décision, notamment en ce qu’elle s’est fondée sur un avis du 13 juillet 1998 élaboré par le correspondant honoraire du UNHCR, dénommé ci-après « le correspondant honoraire », qui n’a pas été sollicité lors de la prise de la première décision. Il ressort de l’avis versé au dossier que le correspondant honoraire a eu un entretien avec Monsieur HANIC et qu’il a procédé à un examen de la situation de ce dernier.
Le ministre de la Justice a donc eu à apprécier les conclusions tirées par le correspondant honoraire des faits lui soumis. Il s’est donc basé sur des éléments nouveaux qui l’ont obligé à réexaminer le dossier, ce qui ressort d’ailleurs du texte même de la décision du 31 juillet 1998.
Cette décision est partant à considérer comme une nouvelle décision. A ce sujet, il est indifférent que le demandeur n’ait pas exercé un recours gracieux contre la première décision du 13 janvier 1998 ou n’ait pas introduit une nouvelle demande en obtention d’une autorisation de séjour, le ministre de la Justice étant libre de procéder d’office à un réexamen du dossier, s’il estime qu’il y a des éléments nouveaux en cause.
Ce raisonnement ne saurait être énervé par l’argumentation du représentant étatique soutenant que la décision du 31 juillet 1998 n’aurait pas eu pour objet de confirmer une décision antérieure en matière d’autorisation de séjour ou de statuer en cette matière, alors qu’elle se serait limitée à confirmer seulement un élément de la décision antérieure du 13 janvier 1998, à savoir l’obligation pour le demandeur de quitter le territoire luxembourgeois, étant donné qu’il ressort du libellé de la lettre précitée du 31 juillet 1998, que le ministre de la Justice a confirmé « le contenu (intégral) de son courrier du 13 janvier 1998 » et partant aussi le refus de la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur du demandeur.
La décision du 31 juillet 1998 s’est donc substituée à la décision initiale du 13 janvier 1998, de sorte que cette dernière n’a plus d’existence. Le recours est partant à déclarer 3 irrecevable faute d’objet dans la mesure où il est dirigé contre la décision ministérielle du 13 janvier 1998.
Le recours en annulation, dans la mesure où il est dirigé contre la décision ministérielle du 31 juillet 1998, est recevable pour avoir été introduit dans les délai et formes de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que les motifs à la base de la décision de refus ne seraient fondés ni en fait ni en droit. A ce sujet, il relève qu’il ne pourrait plus retourner ni dans son village d’origine ni à Sarajevo, étant donné qu’il s’exposerait, ainsi que sa famille, aux hostilités de son entourage qui lui reprocherait d’avoir fui son pays. Il soutient encore que les « accords internationaux n’excluent pas que les déserteurs de l’armée bosniaque ne soient punis de manière détournée ».
Concernant le fond du recours, le délégué du gouvernement observe que le demandeur, tout en demandant l’annulation du refus d’autorisation de séjour, ferait valoir des arguments qui n’auraient aucun rapport avec les conditions d’octroi d’une telle autorisation. Il estime que le demandeur ne soulèverait aucun moyen de droit, mais se limiterait « à faire état de considérations en rapport avec les problèmes qu’un retour à Sarajevo ne manquerait pas de susciter ». Ce serait à bon droit que le ministre n’aurait pas accordé l’autorisation de séjour, étant donné que le demandeur n’aurait pas su rapporter la preuve qu’il dispose de moyens d’existence personnels tel qu’exigés par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main d'oeuvre étrangère.
Le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l'appui de l’acte administratif attaqué. La mission du juge de la légalité exclut le contrôle des considérations d'opportunité à la base de l'acte administratif attaqué. Il ne peut que vérifier, d'après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute (trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 2/98, V° Recours en annulation, II. Pouvoirs du juge, n° 7 et autre référence y citée).
Par conséquent, le moyen et l’argumentation développés par le demandeur relativement au caractère opportun de la décision ministérielle litigieuse sont à rejeter, le tribunal n’étant pas compétent pour en connaître dans le cadre d’un recours en annulation.
Le ministre a refusé l’autorisation de séjour au demandeur à défaut d’avoir pu obtenir de la part de ce dernier les pièces qu’il avait sollicitées, notamment dans son courrier du 4 juillet 1997, pièces tendant notamment à rapporter la preuve qu’il dispose d’un logement non-
subventionné par l’Etat et qu’il poursuit un travail depuis au moins 6 mois.
Cependant, force est de constater, qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire qui autorise le ministre à invoquer comme motif de refus d’accorder une autorisation de séjour le défaut de disposer d’un logement non-subventionné par l’Etat. Ce motif de refus est partant illégal et la décision attaquée ne saurait valablement s’y baser en vue de refuser l’autorisation de séjour au demandeur.
Concernant le deuxième motif de refus, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à 4 l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ». Une autorisation de séjour peut donc être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour.
A défaut de disposer d’indications sur des sources de revenus dont le demandeur pourrait disposer afin d’assurer son séjour au Luxembourg, le ministre a légalement pu exiger la production d’un permis de travail délivré par le ministère du Travail permettant de justifier le cas échéant qu’il poursuit un travail au Luxembourg, dont les revenus lui permettraient de subvenir à ses besoins personnels. Le ministre, en exigeant la production d’un permis de travail, s’est donc référé à l’article 2 alinéa 3 de la loi précitée du 28 mars 1972 concernant la preuve à rapporter par le demandeur quant à ses moyens d’existence personnels.
Il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que le demandeur ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où la décision litigieuse a été prise.
En effet, le demandeur était à charge du ministère de la Famille pendant son séjour au Luxembourg et il était bénéficiaire d’une aide financière recouvrant une aide sociale, la mise à disposition d’un logement ainsi que la gratuité des soins médicaux. Par ailleurs, au moment de la prise de décision, il n’était pas en possession d’un permis de travail et il n’était dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi.
Le demandeur n’invoque ni, a fortiori, ne prouve l’existence d’autres moyens personnels.
Il ressort des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que le ministre a refusé l’autorisation de séjour sollicitée.
Le recours en annulation est partant à rejeter comme étant non fondé.
Il y a encore lieu de relever que le mandataire de la partie demanderesse ne s’est pas présenté à l’audience. Cependant, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait qu’une partie n’a pas comparu à l’audience est sans conséquence sur le caractère contradictoire de la décision rendue, dès lors que toutes les parties ont déposé un mémoire, l’objet du recours et les moyens invoqués résultant à suffisance de droit des actes de procédure.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours irrecevable, dans la mesure où il est dirigé contre la décision du 13 janvier 1998, reçoit le recours en annulation en la forme, dans la mesure où il dirigé contre la décision du 31 juillet 1998, 5 au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 25 janvier 1999, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 6