N° 10832 du rôle Inscrit le 11 août 1998 Audience publique du 18 janvier 1999
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Recours formé par Monsieur … AJLANI contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête déposée le 11 août 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Paul WINANDY, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Yvette NGONO-YAH, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … AJLANI, de nationalité tunisienne, résidant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 24 juin 1998, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été refusée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Yvette NGONO-YAH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … AJLANI, de nationalité tunisienne, est arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en date du 24 août 1996.
En date du 1er septembre 1996, il a quitté le Luxembourg pour se rendre en Allemagne où il a présenté une demande d’asile le même jour.
Les autorités allemandes compétentes ont sollicité, en date du 5 novembre 1996, la reprise de Monsieur AJLANI par le ministère luxembourgeois de la Justice, sur base de l’article 30 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, ci-après dénommée « la Convention de Schengen ».
En date du 6 janvier 1997, le ministère luxembourgeois de la Justice a accepté la reprise de Monsieur AJLANI de la part des autorités allemandes, en vertu de la disposition précitée de la Convention de Schengen.
1 Monsieur AJLANI a été remis aux autorités luxembourgeoises en date du 12 mars 1997.
Il a introduit en date du 13 mars 1997 auprès du service compétent du ministère luxembourgeois de la Justice, une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il a été entendu en dates des 5 août 1997 et 20 février 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 6 mai 1998, le ministre de la Justice a informé Monsieur AJLANI, par lettre du 24 juin 1998, notifiée le 16 juillet 1998, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants:
« (….) Vous exposez avoir été membre du parti politique « NAHDA », parti militant pour la liberté de la pensée et organisé en cellules. Vous déclarez avoir pris la décision de partir après avoir appris que le Gouvernement tunisien cherchait à démanteler le parti.
Toutefois, vous n’avez pas été en mesure de donner des réponses exactes aux questions qui vous ont été posées lors de l’audition du 20 février 1998 au sujet du parti « NAHDA ». Dès lors, vous n’êtes pas crédible dans vos déclarations.
Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ».
Par requête du 11 août 1998, Monsieur AJLANI a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 24 juin 1998.
Le demandeur reproche au ministre de la Justice non seulement de s’être fondé sur des faits matériellement inexacts, mais il soutient encore qu’il aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des faits lui soumis. Il fait plus particulièrement valoir que le ministre aurait posé des exigences allant au-delà de ce qui est prévu par la Convention de Genève en ce que le ministre lui aurait, à tort, reproché de ne pas avoir été en mesure de donner des réponses exactes aux questions qui lui ont été posées lors des deux auditions au sujet du parti politique dont il prétendait être membre. Il fait valoir que le ministre ne pourrait pas se limiter à constater des éventuelles imprécisions et inexactitudes dans ses déclarations fournies à l’agent du ministère de la Justice, qui a procédé aux auditions des 5 août 1997 et 20 février 1998, portant plus particulièrement sur l’histoire du parti politique NAHDA dont il prétend avoir été membre ainsi que sur l’identité de certains des dirigeants du parti, en soutenant qu’il aurait appartenu au ministre de rechercher les raisons de ces imprécisions et inexactitudes contenues dans son récit.
Il relève qu’il ne lui aurait pas été possible d’entrer en contact avec les hauts responsables du parti NAHDA étant donné qu’il était primordial de garder secret les identités des différents dirigeants en vue de garantir leur sécurité.
2 Il prétend que pour les mêmes raisons de sécurité, les nouveaux membres du parti NAHDA n’auraient pas été mis au courant de son histoire et qu’il ignorerait partant le nom de ses dirigeants, au motif que ce parti serait obligé d’agir dans la clandestinité, afin d’échapper aux représailles de la part du gouvernement tunisien.
Enfin, il soutient qu’en sa qualité de membre actif du parti NAHDA il encourrait, en cas de retour dans son pays, une condamnation pénale et des traitements discriminatoires consistant notamment en des châtiments inhumains et des tortures.
Le délégué du gouvernement conclut tout d’abord à l’irrecevabilité du recours en annulation au motif qu’un recours en réformation serait prévu en la matière.
Quant au fond, le représentant étatique relève que Monsieur AJLANI, interrogé, lors de son audition en date du 20 février 1998, sur le fonctionnement, l’identité des militants et responsables du parti, le programme politique de celui-ci, n’a su apporter de réponse valable à aucune des questions élémentaires posées notamment quant à l’historique et aux personnes dirigeantes du parti. Il estime que même un simple membre d’une organisation militante devrait connaître notamment le sort subi par les dirigeants persécutés par le pouvoir en place ou les raisons pour lesquelles le parti est devenu illégal.
Il estime que l’ensemble des réponses fournies par le demandeur sèmerait le doute sur la véracité de son récit et mettrait en cause la crédibilité de ses craintes de persécution invoquées.
Le tribunal doit examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée du 24 juin 1998, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
L’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées infondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, doit dès lors être déclaré irrecevable.
Le recours en réformation ayant été formé dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Lors de sa première audition en date du 5 août 1997, le demandeur a déclaré que le parti NAHDA avait pour objet la défense de la « liberté de penser, la justice et la liberté de la religion », et que c’était « un groupe islamique pro-démocrate, libéral et non-
fondamentaliste ». Au sein d’une cellule de ce parti, il aurait été responsable de « l’organisation de réunions, de paperasses et de démarches ». Il a encore exposé que lors d’un retour éventuel dans son pays d’origine, il risquerait d’être arrêté par la police en sa qualité de membre de ce groupe politico-religieux, étant donné que ce parti n’aurait aucune existence légale en Tunisie. Il a encore indiqué ne pas connaître les noms des « chefs » de son parti, organisé en cellules et que les seuls ordres qu’il aurait reçus seraient venus d’ « en haut de l’échelon », par écrit. Interrogé sur les motifs de son départ de Tunisie, il a affirmé qu’il aurait appris au courant du mois d’août de l’année 1996 que le gouvernement tunisien avait 3 l’intention de procéder au démantèlement de son parti et qu’il aurait de ce fait préféré quitter la Tunisie « avant qu’il ne soit trop tard ».
Il ressort de son audition complémentaire du 20 février 1998, qui a eu lieu sur demande de la commission consultative pour les réfugiés, souhaitant recevoir davantage d’informations sur le programme politique du parti NAHDA, sur le rôle précis du demandeur au sein de ce parti, sur la structure et les méthodes de fonctionnement du parti, sur l’identité des autres militants et responsables ainsi que sur celle des membres de la cellule qui ont été arrêtés et sur le sort qui leur a été réservé, que le demandeur n’était pas en mesure de donner des réponses précises et exactes aux questions qui lui furent posées au sujet du parti dont il prétendait être membre. Il n’a notamment pas été en mesure d’indiquer, même approximativement, la date de création du parti NAHDA, l’année à partir de laquelle le parti était devenu illégal ainsi que les raisons qui l’ont rendu illégal, le nom du père spirituel du parti ainsi que l’identité d’au moins une partie de ses dirigeants. Ainsi, il n’a notamment pas pu indiquer que le parti NAHDA était devenu illégal à la suite d’une condamnation de ses membres en 1992 pour avoir été impliqués en 1991 dans un coup d’Etat contre le président de la Tunisie.
Sur base de ce qui précède, ensemble les autres éléments du dossier, le tribunal arrive à la conclusion que le demandeur n’est pas crédible dans ses déclarations, étant donné que le caractère extrêmement vague de son récit ainsi que les fausses réponses fournies par lui aux questions précises lui posées par l’agent du ministère de la Justice au cours de ses deux auditions font ressortir que son récit ainsi que les déclarations faites par lui ne sont pas crédibles et elles n’entraînent pas la conviction du tribunal quant à leur bien fondé. Par ailleurs, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le ministre s’est fondé sur des faits matériellement inexacts ou qu’il a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits. Le ministre a partant légalement pu retenir que le demandeur n’a pas fait état, de façon crédible, de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.
Le recours en réformation est partant à écarter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge 4 et lu à l’audience publique du 18 janvier 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5