N° 10720 du rôle Inscrit le 22 mai 1998 Audience publique du 7 janvier 1999
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Recours formé par Madame … NGONO contre le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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Vu la requête déposée le 22 mai 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc MODERT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … NGONO, de nationalité camerounaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice datées respectivement des 7 avril et 13 mai 1998, la première lui refusant la prolongation de son autorisation de séjour et la deuxième, rendue sur recours gracieux, confirmant la décision initiale;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc MODERT et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Madame … NGONO, née le … à … (Cameroun), est arrivée au Luxembourg au cours du mois d’août 1991.
En date du 26 novembre 1991, des agents de la sûreté publique de la gendarmerie grand-ducale ont rencontré Madame NGONO pour la première fois dans le cadre d’une enquête menée à l’encontre d’un autre ressortissant étranger, habitant dans un logement situé à Luxembourg-…. Alors que, dans un premier stade, celle-ci a donné de fausses indications sur son identité, essayant de dissimuler ainsi son séjour illégal au Luxembourg, elle a, lors d’un interrogatoire du 17 décembre 1991 effectué par les mêmes agents, avoué posséder l’identité de … NGONO et à cette occasion, elle a montré son passeport camerounais aux agents enquêteurs. Sur base de ce document d’identité, les agents ont pu constater qu’elle a quitté le Cameroun en date du 20 août 1991 en direction de Paris, munie d’un visa touristique d’une validité de trois jours valable pour la France ainsi que d’un visa « Benelux » valable pour une 1 durée de 25 jours. Sur base de ce dernier visa, elle a quitté Paris en train pour venir au Luxembourg.
Dès son arrivée au Luxembourg, elle s’est installée dans le prédit logement d’une amie domiciliée à Luxembourg-Bonnevoie et à partir d’automne 1991, elle a suivi des cours en vue de l’obtention du brevet de maîtrise de couturière. De même, elle s’est affiliée au régime de sécurité sociale.
Madame NGONO a présenté en date du 3 décembre 1991 une demande en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour.
Il ressort d’un rapport de la sûreté publique du 15 janvier 1992 que Madame NGONO a reçu « du Cameroun » une somme mensuelle de 20.000.- francs devant servir à la fois au paiement de son loyer, de la cotisation sociale et des frais liés à l’entretien de son ménage.
En date du 27 septembre 1993, le ministre de la Justice a accordé à Madame NGONO une autorisation de séjour jusqu’au 2 août 1994 « afin de vous permettre de suivre les cours préparatoires à l’examen de maîtrise dans le métier de couturière. L’exercice d’une activité salariée vous est interdit ». A la suite de cette décision, plusieurs renouvellements de son autorisation de séjour lui ont été accordés.
Par arrêté du 27 octobre 1995, le ministre du Travail et de l’Emploi a refusé à Madame NGONO le permis de travail sollicité en vue d’être autorisée à travailler auprès de Monsieur … à Luxembourg.
Il ressort d’un rapport établi par le commissariat de police de Luxembourg-Ville-Haute en date du 18 décembre 1995, adressé au ministère de la Justice, service des étrangers, que Madame NGONO était domiciliée à l’époque à L-… et qu’elle payait un loyer de 18.000.-
francs pour un studio meublé. Il ressort du même rapport qu’elle était inscrite à un cours de la chambre de commerce et qu’elle suivait dans ce cadre des cours pratiques au centre de formation continue à Walferdange. Enfin, en ce qui concerne sa situation financière, le rapport mentionne qu’elle disposait d’une bourse « du ministère du Cameroun » de 20.000.- francs par mois ainsi que d’une indemnité du ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle luxembourgeois de 100.000.- francs par an.
Par arrêté du 12 septembre 1996, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa à Madame NGONO le permis de travail en vue d’être autorisée à travailleur auprès de Monsieur …, préqualifié.
Il ressort encore d’un rapport établi en date du 15 octobre 1996 par le commissariat de police Luxembourg-Limpertsberg que Madame NGONO continuait à occuper le prédit logement et qu’elle avait l’intention de continuer ses études au centre de formation continue à Esch/Alzette à partir du 21 octobre 1996, et qu’à la date du 7 octobre 1996, elle s’était présentée à l’examen d’ajournement au lycée technique du Centre.
Une dernière prolongation de l’autorisation de séjour a été accordée à Madame NGONO par lettre du ministre de la Justice du 27 février 1997, lui accordant l’autorisation de séjour jusqu’au 31 décembre 1997.
2 Par arrêté du 6 novembre 1997, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa pour la troisième fois le permis de travail sollicité par Monsieur … en vue de l’engagement de Madame NGONO, au motif notamment que celle-ci serait occupée irrégulièrement depuis le 1er août 1997.
Il ressort d’un rapport établi par le commissariat de police de Luxembourg-
Limpertsberg en date du 9 décembre 1997, que Madame NGONO était domiciliée à L-… et qu’elle suivait des études au centre de formation continue à Esch/Alzette en vue de l’obtention du brevet de maîtrise dans la profession de couturière. En ce qui concerne sa situation financière, il est indiqué qu’elle était bénéficiaire d’une bourse de 21.529.- francs par mois, ce qui a pu être constaté par les agents verbalisants sur base d’une copie du versement de la bourse en question. En outre, le rapport mentionne qu’elle recevait une indemnité de formation de 23.000.- francs accordée par le ministère luxembourgeois du Travail. Enfin, il ressort du rapport que Madame NGONO avait travaillé comme serveuse au café … à Luxembourg jusqu’au 31 octobre 1997.
Il ressort d’une lettre adressée en date du 17 février 1998 par le ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, service de la formation professionnelle au ministère de la Justice que Madame NGONO a eu, dans le passé, de « graves problèmes » pour pouvoir suivre convenablement les cours auxquels elle était inscrite notamment en raison d’un problème de compréhension de la langue dans laquelle les cours théoriques étaient donnés. Il y est également fait mention qu’ « elle a eu besoin de beaucoup plus de temps que les autres candidats qui se sont présentés aux examens du brevet de maîtrise ». Enfin, le service de formation professionnelle en question a indiqué qu’elle avait encore la possibilité de rester inscrite aux cours jusqu’au 31 décembre 1998 au plus tard à condition qu’elle remplisse les conditions d’admission, à savoir qu’elle soit demanderesse d’emploi et qu’elle bénéficie d’une autorisation de séjour valable.
Par lettre du 7 avril 1998, le ministre de la Justice informa Madame NGONO qu’il n’était plus en mesure « de vous accorder une prolongation de votre autorisation de séjour, alors que, d’une part, vous poursuivez depuis presque 6 années une formation de couturière en vue d’un brevet de maîtrise en couture sans avoir été en mesure de présenter des bilans satisfaisants.
D’autre part, vous vous êtes adonnée à une occupation salariée, faute d’avoir de moyens propres suffisants, sans y avoir été autorisée.
Comme la fin de vos études ne se laisse prévoir à court terme et vos revenus personnels ne sont pas garantis sans l’aide de tierces personnes, vous êtes par conséquent invitée à quitter le pays sans délai ».
A la suite d’un recours adressé en date du 27 avril 1998 au ministre de la Justice, celui-
ci a confirmé, par sa lettre du 13 mai 1998, la décision initiale du 7 avril 1998 au motif qu’il n’aurait pas été fait état d’éléments pertinents nouveaux.
Par requête déposée le 22 mai 1998, Madame … NGONO a introduit un recours en annulation contre, d’un côté, la décision ministérielle du 7 avril 1998 lui ayant refusé la prolongation de son autorisation de séjour, et, d’un autre côté, contre la décision confirmative, sur recours gracieux, du 13 mai 1998.
3 La demanderesse conteste la légalité ainsi que l’opportunité de la décision du ministre de la Justice, en faisant valoir que depuis des années elle aurait suivi des cours de formation professionnelle en vue de l’obtention du brevet de maîtrise en couture afin qu’elle puisse se spécialiser, par après, dans un autre pays d’Europe, étant entendu qu’elle entendrait rentrer dans son pays d’origine après l’accomplissement de ces différentes formations, et que l’autorisation de séjour dont elle a bénéficié au Luxembourg depuis 1993 aurait été expressément liée à son projet de formation professionnelle et que partant un refus d’une prolongation de ladite autorisation à un moment où sa formation professionnelle au Luxembourg n’aurait pas encore été terminée ne serait pas justifié. Elle fait valoir plus particulièrement qu’elle suit depuis le 3 février 1997 des cours de formation professionnelle dispensés par le centre de formation professionnelle continue, dépendant du ministère de l’Education nationale, après avoir suivi auparavant avec succès les cours à la chambre des métiers en préparation du brevet de maîtrise. Elle estime qu’il serait « absurde » de lui refuser une prolongation de son autorisation de séjour, étant donné qu’un tel refus aurait pour conséquence l’interruption de sa formation en cours.
En ce qui concerne le motif de refus de la prolongation de son autorisation de séjour, tiré du fait qu’elle n’aurait pas présenté de bilan d’études satisfaisant, elle soutient, d’une part, que tel ne serait pas le cas et, d’autre part, que l’appréciation de ses résultats scolaires relèverait exclusivement des autorités compétentes en matière de formation professionnelle.
Enfin, elle est d’avis que les décisions attaquées violeraient notamment le principe de l’égalité des administrés dans la mesure où, à partir du moment où une autorisation de séjour lui a été accordée en vue d’accomplir une formation professionnelle au Luxembourg, une telle prolongation ne saurait lui être refusée aussi longtemps qu’elle n’a pas abandonné son projet d’études ou fait l’objet d’une mesure d’exclusion desdites études pour cause d’échec ou pour tout autre motif, à apprécier par l’autorité scolaire compétente.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement admet que depuis 1993, la demanderesse a reçu régulièrement des autorisations de séjour pour suivre les cours préparatoires à l’examen de maîtrise dans le métier de couturière, en soulignant toutefois que depuis cette même année, ses bilans scolaires auraient été insatisfaisants et que la demanderesse aurait fait l’objet d’ajournements successifs. Il relève plus particulièrement qu’au cours de ces cinq années d’études, elle n’aurait pas réussi à passer son examen de maîtrise et qu’il résulterait du bilan établi par le centre de formation professionnelle continue pour l’année 1997 que la demanderesse n’aurait que partiellement atteint les objectifs de formation fixés.
Enfin, le délégué relève le fait que la demanderesse ne « survivrait » que grâce à des aides étatiques, et que, par conséquent, elle ne disposerait pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, tels qu’exigés par les dispositions légales applicables.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il ressort de la décision attaquée du 7 avril 1998, confirmée en tous points par la décision ministérielle du 13 mai 1998, que le ministre de la Justice s’est basé sur trois motifs différents en vue de refuser à Madame NGONO la prolongation de son autorisation de séjour.
Ainsi, il s’est basé en premier lieu sur les bilans d’études jugés insatisfaisants, au motif qu’elle 4 aurait poursuivi depuis presque 6 années une formation de couturière en vue d’un brevet de maîtrise sans avoir été en mesure de présenter des bilans satisfaisants, en deuxième lieu sur le fait qu’elle se serait adonnée à une occupation salariée sans être en possession des autorisations légalement requises, et en troisième lieu, sur le défaut de revenus personnels suffisants.
Il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire qui autorise le ministre de la Justice à invoquer comme motif de refus d’un renouvellement d’une autorisation de séjour le défaut de présenter des bilans scolaires jugés satisfaisants. Ce motif de refus est partant illégal et les décisions attaquées ne sauraient valablement s’y baser en vue de refuser le renouvellement de l’autorisation de séjour à Madame NGONO.
En ce qui concerne le troisième motif de refus de l’autorisation de séjour, à savoir le défaut de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, il échet de relever que l’article 5 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, en combinaison avec l’article 2 de la même loi, dispose que l’autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui ne dispose pas de « moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
En l’espèce, la demanderesse a bénéficié de plusieurs autorisations de séjour successives, la dernière en date ayant eu une durée de validité limitée au 31 décembre 1997.
L’hypothèse du renouvellement d’une autorisation de séjour n’étant pas spécialement mentionnée ni dans l’article 5 précité, ni d’ailleurs dans une autre disposition légale, il y a lieu de considérer chaque renouvellement d’une autorisation de séjour comme équivalent à l’émission d’une nouvelle autorisation de séjour, l’expiration d’une autorisation temporaire de séjour entraînant l’obligation de solliciter une nouvelle autorisation, et partant les mêmes conditions sont à remplir par l’étranger dans les deux hypothèses.
La demanderesse devra donc satisfaire notamment à la condition posée par l’article 2 de la loi, relative aux moyens personnels suffisants pour supporter les frais de séjour.
Il appartient donc au tribunal de vérifier, dans le cas d’espèce, si la demanderesse a pu justifier de moyens d’existence légitimes.
La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.
Il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que la demanderesse disposait au moment où les décisions attaquées ont été prises de moyens personnels propres consistant, d’une part, en une bourse qui lui a été accordée par le gouvernement du Cameroun et, d’autre part, en une indemnité qu’elle a perçue du ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle du Luxembourg. Elle disposait partant de revenus personnels qui ne parvenaient pas ou qui n’étaient pas garantis par de tierces personnes, et elle disposait partant de moyens légaux propres. Ce motif ne saurait partant justifier les décisions attaquées.
5 Le deuxième motif de refus invoqué à l’appui des décisions déférées fait référence au fait que Madame NGONO aurait exercé une occupation salariée sans être en possession des autorisations légalement requises. Ce motif se base sur le point 2) de l’article 5 de la loi précitée du 28 mars 1972, applicable en matière de renouvellement d’autorisations de séjour, tel que cela découle de ce qui précède, qui dispose qu’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger « qui entend exercer une activité économique professionnelle sans être en possession de l’autorisation requise à cet effet, à moins qu’il n’en soit dispensé en vertu de conventions internationales ».
Il échet d’abord de constater qu’il n’existe aucun traité international applicable vis-à-vis d’une ressortissante camerounaise, qui dispenserait celle-ci de l’obtention d’un permis de travail afin d’être autorisée à être engagée en tant que salariée au Luxembourg.
Le tribunal constate ensuite qu’il ne ressort pas du dossier qu’au moment de la prise des décisions litigieuses la demanderesse travaillait sans être en possession d’un permis de travail ou qu’elle entendait exercer une activité économique professionnelle sans détenir les autorisations légalement requises à cet effet. Il n’est pas non plus établi qu’elle était venue au Luxembourg, en 1991, en vue d’exercer une telle activité professionnelle, notamment en tant que salariée auprès d’un employeur exerçant sur le territoire national. Il ressort au contraire des pièces versées au dossier que le but de son séjour au Luxembourg était l’accomplissement d’études en vue de l’obtention du brevet de maîtrise dans le métier de couturière. Le fait qu’elle avait travaillé pendant une période relativement courte, à savoir du 1er août au 31 octobre 1997, six ans après être venue au Luxembourg, sans être en possession d’un permis de travail valable, ne saurait établir, à suffisance de droit, son intention de s’installer au Luxembourg avec l’intention d’exercer une activité économique professionnelle sans être en possession de l’autorisation requise à cet effet.
L’hypothèse prévue par le point 2) précité ne s’applique donc pas au cas de la demanderesse et ce motif de refus devra donc être écarté comme n’étant pas fondé.
Il ressort des considérations qui précèdent que c’est partant à tort que le ministre de la Justice a refusé le renouvellement de l’autorisation de séjour à Madame NGONO et les décisions doivent partant encourir l’annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare justifié;
annule les décisions ministérielles des 7 avril et 13 mai 1998;
renvoie le dossier devant le ministre de la Justice;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
6 M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 7 janvier 1999, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 7