N° 10054 du rôle Inscrit le 9 juin 1997 Audience publique du 7 janvier 1999
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Recours formé par Madame … BRANCZYK contre le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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Vu la requête déposée le 9 juin 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … BRANCZYK, sans état particulier, demeurant actuellement à F-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice datées respectivement des 22 octobre 1996 et 7 mars 1997, la première lui refusant la délivrance d’une carte de séjour et la deuxième, rendue sur recours gracieux, confirmant la décision initiale;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 février 1998;
Vu le mémoire en réplique, intitulé mémoire en réponse, de la demanderesse déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Guy THOMAS, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 17 mars 1995, Madame … BRANCZYK, de nationalité française, introduisit une demande de carte d’identité d’étranger auprès de l’administration communale de la Ville de Luxembourg pour une durée indéterminée, en précisant d’une part qu’elle avait résidé au cours des cinq années précédentes à San Francisco aux Etats-Unis et en indiquant d’autre part habiter à cette époque … à Luxembourg-Ville.
Il ressort d’un rapport du commissariat de police de Luxembourg-Gare-Hollerich du 18 mai 1995, que Madame BRANCZYK était inscrite auprès de l’administration de l’Emploi en tant que demanderesse d’emploi et qu’elle habitait une chambre à l’hôtel … à Luxembourg-
Ville.
Un nouveau rapport établi par le même commissariat de police, en date du 28 décembre 1995, révèle d’une part que, contrairement à la demande de carte d’identité d’étranger 1 précitée, Madame BRANCZYK n’a jamais habité à Luxembourg, 16, place de la Gare et d’autre part qu’elle était, au moment de l’établissement de ce rapport, déclarée à Luxembourg, …, adresse à laquelle elle n’avait toutefois pas pu être trouvée par la police. Ce rapport mentionne encore qu’à l’époque elle était sans occupation salariée, qu’elle touchait une somme mensuelle de 20.000.- francs de la part de l’office social et qu’elle n’avait pas d’autres moyens d’existence personnels. Enfin, d’après les indications de l’agent verbalisant, elle avait parfois passé la nuit à l’auberge de jeunesse à Luxembourg-Ville.
Sur instruction du ministère de la Justice, service des étrangers, un nouveau rapport a été établi par le commissariat de police précité en date du 19 mars 1996, dont il ressort que Madame BRANCZYK habitait normalement à l’auberge de jeunesse à Luxembourg-Ville et que l’adresse qu’elle avait mentionnée dans sa demande en vue de l’obtention d’une carte d’identité d’étranger était celle d’un logement dont l’une de ses amies était propriétaire.
En date du 21 août 1996, l’office social de la Ville de Luxembourg a transmis au ministère de la Justice, service des étrangers, un rapport établi en date du même jour par une assistante sociale et contenant des informations sur la situation sociale et matérielle de Madame BRANCZYK. Il ressort notamment de ce rapport qu’au cours d’une période de 18 mois celle-
ci a déclaré avoir habité à cinq adresses différentes à Luxembourg-Ville. D’après l’assistante sociale, toutes ces adresses n’auraient été que de pures boîtes postales, alors qu’elle n’y aurait jamais résidé, à l’exception de son séjour à l’hôtel … du 17 mars au 22 mars 1995. Il est encore indiqué dans ledit rapport que Madame BRANCZYK a été licenciée du consulat du Luxembourg à San Francisco, avec un préavis de quatre mois, et qu’elle était venue s’installer au Grand-Duché de Luxembourg pour y toucher des indemnités de chômage. Un recours aurait été introduit par elle auprès du conseil arbitral des assurances sociales contre les décisions de refus d’allocation des indemnités de chômage réclamées par elle. L’assistante sociale a encore mentionné dans son rapport que Madame BRANCZYK percevait de la part de l’office social de la Ville de Luxembourg, et ceci depuis la date du 1er septembre 1995, une subvention à barème réduit de 19.000.- francs, qui ne contient pas de subvention de loyer, alors qu’elle ne payait aucun loyer. L’enquête sociale qui a été menée a encore révélé qu’elle ne disposait d’aucun logement fixe alors qu’elle a avoué avoir logé à l’auberge de jeunesse à Thionville, qu’elle avait passé une nuit dans le train et qu’elle faisait des aller-retour à Londres et à San Francisco pour rendre visite à ses enfants. En conclusion, l’assistante sociale a noté dans son rapport que Madame BRANCZYK « se trouve sans résidence, n’a pas de moyens de subsistance et n’est pas affiliée à la sécurité sociale ».
En date du 22 octobre 1996, l’administration communale de la Ville de Luxembourg raya d’office Madame BRANCZYK du registre de la population de la Ville avec son adresse indiquée à Luxembourg, … Par lettre du 22 octobre 1996, le ministre de la Justice informa Madame BRANCZYK que sa demande tendant à la délivrance d’une carte de séjour avait été rejetée au motif qu’ « il résulte d’un rapport du 19 mars 1996 du commissariat de police de Luxembourg-Gare que vous n’habitez pas effectivement le Grand-Duché de Luxembourg. Or, pour pouvoir obtenir une carte de séjour, vous devez notamment justifier d’un logement adéquat (art. 4 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux formalités à remplir par les étrangers séjournant au pays) ».
2 Sur réclamation présentée par le mandataire de Madame BRANCZYK à l’encontre de la décision précitée du 22 octobre 1996, la commission consultative en matière de police des étrangers a rendu son avis en date du 4 février 1997.
Interrogée par les membres de la commission, elle a indiqué qu’au cours de son séjour au Luxembourg, elle aurait été logée par différents couples d’amis à des adresses différentes et que, ne voulant pas abuser de l’hospitalité de ses amis, elle aurait passé régulièrement des nuits à l’auberge de jeunesse de Luxembourg-Ville. Elle a encore reconnu ne pas disposer de moyens suffisants afin de prendre en location un logement propre.
Sur base des informations qui lui ont été fournies par Madame BRANCZYK ainsi que des pièces versées, la commission a constaté que Madame BRANCZYK ne disposait pas d’un logement adéquat au sens du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972 et elle a estimé que le défaut de moyens propres de l’intéressée ne saurait pallier à la condition posée par ledit règlement grand-ducal au sujet du « logement adéquat ». La commission a encore estimé que Madame BRANCZYK ne tomberait pas sous le champ d’application du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, étant donné que, abstraction faite de la question de savoir si le travail qu’elle a presté auprès du consulat général du Luxembourg à San Francisco pourrait être considéré comme équivalant à un travail exercé au Luxembourg, elle n’a pas justifié d’un revenu minimum déterminé par l’article 1er de ce règlement grand-ducal.
La commission a par ailleurs noté que même à supposer qu’elle soit visée par le règlement du conseil de l’Union Européenne n° 1612-68 du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, elle ne justifierait pas l’accomplissement de la condition posée par l’article 10.3. dudit règlement communautaire en ce qu’elle ne disposerait pas d’un logement considéré comme normal pour des travailleurs nationaux dans la région où l’intéressée était employée. Finalement, la commission a soutenu que même en sa qualité de ressortissante communautaire, elle ne pouvait revendiquer son droit de séjour au Luxembourg, alors que les Etats membres de l’Union Européenne seraient en droit de limiter les droits de séjour d’un ressortissant communautaire, à la recherche d’un emploi au Luxembourg, à une durée maximale de trois mois après l’écoulement duquel la personne en cause devrait retourner dans son pays en cas d’échec de sa tentative de trouver une occupation salariée. En conclusion, la commission a estimé que c’était à bon droit que le ministre de la Justice a refusé la délivrance d’une carte de séjour à l’intéressée.
Par lettre du 7 mars 1997, le ministre de la Justice confirma, après réexamen du dossier de Madame BRANCZYK, sa décision du 22 octobre 1996 en se référant en outre à l’avis précité de la commission consultative, dont une copie a été jointe à ladite décision.
Par requête déposée le 9 juin 1997, Madame … BRANCZYK a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées des 22 octobre 1996 et 7 mars 1997.
Le recours ayant été dirigé à la fois contre la décision initiale du 22 octobre 1996 ainsi que contre une décision dite confirmative du 7 mars 1997, il appartient au tribunal de vérifier si cette dernière décision constitue une décision purement confirmative de la décision initiale ou si, au contraire, elle est à qualifier de décision nouvelle, prise sur base d’éléments nouveaux 3 auquel cas le recours introduit contre la décision du 22 octobre 1996 serait sans objet étant donné qu’une décision nouvelle serait intervenue en date du 7 mars 1997.
En effet, la décision prise par l’autorité compétente est à qualifier de décision nouvelle, qui se substitue à la première décision, si elle consent à rouvrir l’instruction et à réexaminer la cause, à condition toutefois qu’elle se trouve en présence d’éléments nouveaux qui sont de nature à modifier la situation juridique et prenne position quant à ceux-ci. Ainsi, une décision qui se prononce sur des éléments non pris en considération dans la première décision, n’est pas à considérer comme une décision purement confirmative (cf. C.E. 17 janvier 1994, Construtec, n° 8872).
En l’espèce, la décision ministérielle du 7 mars 1997 est basée sur des éléments qui n’ont pas été pris en considération dans la première décision, notamment en ce qu’elle s’est fondée sur un avis du 4 février 1997 de la commission consultative en matière de police des étrangers, qui n’a pas été sollicité lors de la prise de la première décision. Il ressort de l’avis versé au dossier que la commission consultative en question a procédé à un examen complet quant au fond de la demande en obtention d’une autorisation de séjour formulée par la demanderesse et de ce fait le ministre a eu à apprécier l’argumentation ainsi que les conclusions tirées par la commission consultative des faits lui soumis. Il s’est donc basé sur des éléments nouveaux qui l’ont obligé à procéder à un réexamen du dossier, ce qui ressort d’ailleurs du texte même de la décision du 7 mars 1997. Cette décision est partant à considérer comme une nouvelle décision.
Cette décision s’est substituée à la décision initiale du 22 octobre 1996, de sorte que cette dernière n’a plus d’existence. Le recours est partant à déclarer irrecevable faute d’objet dans la mesure où il est dirigé contre la décision ministérielle critiquée du 22 octobre 1996.
Dans la mesure où le recours est également dirigé contre la décision du 7 mars 1997, il échet de relever qu’un recours de pleine juridiction n’existe pas en matière d’autorisation de séjour et de carte d’identité d’étranger, qui fait l’objet de la décision ministérielle critiquée, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Seul un recours en annulation a donc pu être formulé par la partie demanderesse contre cette décision.
En ce qui concerne la recevabilité du recours en annulation introduit à titre subsidiaire, le délégué du gouvernement soutient qu’il serait irrecevable, au motif qu’il aurait été introduit plus de trois mois après la date de la décision confirmative émise en date du 7 mars 1997.
Il s’avère que, abstraction faite de tous autres arguments et considérations exposés par les parties à l’instance, tenant notamment à la date de la notification effective de la décision confirmative du 7 mars 1997, le 7 mars 1997 était un vendredi et que la décision en question n’a donc pu être remise à la poste en vue de sa notification à la demanderesse qu’au plus tôt à cette date. Comme la décision n’a donc pu être réceptionnée par la demanderesse que le lundi 10 mars 1997 au plus tôt et comme le délai du recours contentieux a donc expiré au plus tôt le 10 juin 1997, le recours déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 juin 1997 a donc bien été formé dans le délai légal.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes de la loi.
4 Dans son mémoire en réplique, la demanderesse conclut à l’annulation de la décision attaquée du 7 mars 1997 pour violation de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, selon lequel les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent et, s’agissant d’un organisme collégial, l’avis doit indiquer la composition de l’organisme, les noms des membres ayant pris part à la délibération et le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis émis. En l’espèce, l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers émis en date du 4 février 1997 omettrait d’indiquer la composition de la commission consultative en question, les noms des membres ayant assisté à la délibération ainsi que le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis afférent. De ce fait, cet avis ne respecterait pas les droits de la défense au motif que l’administré n’aurait pas été en mesure de vérifier si la commission a été régulièrement composée et si la procédure d’élaboration de l’avis n’a pas été viciée.
Le tribunal est amené à analyser ce moyen avant les autres moyens invoqués par la demanderesse quant au fond du dossier, étant donné qu’il a trait à la régularité de la procédure ayant abouti à la décision du 7 mars 1997 et il importe donc peu, dans le cadre de ce litige, de savoir si le moyen a légalement pu être invoqué pour la première fois dans le cadre du mémoire en réplique, alors qu’il s’agit d’un moyen que le tribunal aurait dû soulever d’office, étant donné qu’il a trait aux droits de la défense.
Au voeu de l’article 2 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers, l’avis de cette commission « sera également pris, à la demande de l’étranger intéressé, après décision portant 1. refus de la carte d’identité; … ». L’article 8 du même règlement grand-ducal dispose que « l’avis de la commission est motivé et arrêté à la majorité des voix, soit séance tenante, soit à une séance ultérieure dont le président fixe la date ».
L’avis de la commission consultative versé au dossier, daté du 4 février 1997 semble, quant à la forme, constituer un extrait d’un procès-verbal de la commission consultative établi pour la séance du 4 février 1997. Il ressort néanmoins clairement de l’avis en question qu’il s’agit de l’avis prévu par l’article 2 du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972 alors qu’il y est expressément fait référence au fait que le mandataire de Madame BRANCZYK a déposé une réclamation contre la décision ministérielle attaquée du 22 octobre 1996 et que c’est sur cette base que la commission consultative a été amenée à rendre l’avis en question.
Le tribunal constate encore que l’avis est dûment motivé et énonce les éléments de fait et de droit sur lesquels les membres de la commission se sont basés en vue de rendre leur décision, questions qui n’ont d’ailleurs pas été contestées par la demanderesse.
En annexe à cet avis a été versée, sur papier à entête de la commission consultative en matière de police des étrangers et en mentionnant le numéro du dossier de la demanderesse, une liste des présences des membres ayant assisté à la séance de la commission consultative du 4 février 1997, mentionnant, à côté des noms respectifs, les signatures des trois membres présents. C’est partant à tort que la demanderesse fait valoir que l’avis n’indiquerait ni la composition de la commission ni les noms des membres ayant assisté à la délibération. Il n’en 5 reste pas moins que le procès-verbal de la réunion de la commission du 4 février 1997 omet d’indiquer le nombre des voix exprimées en faveur de l’avis retenu.
Or, cette omission met l’administré dans l’impossibilité de vérifier s’il s’agit d’un avis majoritaire ou minoritaire, c’est-à-dire si la procédure d’élaboration de l’avis a été viciée ou non, et l’avis est partant entaché d’irrégularité.
Cette irrégularité entraînant l’illégalité de l’acte administratif intervenu à son mépris, la décision litigieuse du 7 mars 1997 est entachée de nullité.
Cette conclusion ne saurait être énervée par l’argumentation exposée par le représentant étatique lors des plaidoiries, selon laquelle le fait qu’il n’a pas été précisé qui a voté en faveur de cet avis devrait s’interpréter comme si l’avis avait été pris à l’unanimité des membres présents. En effet, il n’est pas suppléé à l’omission, ci-avant retenue, par de simples allégations, non autrement documentées, desquelles ne saurait se déduire que, dans le cas d’espèce, une formalité de la procédure administrative non contentieuse, consacrant légalement le principe du respect des droits de la défense à l’égard de l’administré a été respectée.
L’annulation étant ainsi acquise en raison des considérations qui précèdent, l’examen des autres moyens d’annulation devient sans objet.
Le mandataire de la demanderesse ayant informé le tribunal que sa cliente bénéficie de l’assistance judiciaire, il échet de lui en donner acte.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
donne acte à la demanderesse qu’elle bénéficie de l’assistance judiciaire;
déclare le recours irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la décision ministérielle du 22 octobre 1996;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 7 mars 1997;
reçoit le recours en annulation dirigé contre la décision précitée du 7 mars 1997 en la forme;
déclare ce recours fondé;
partant annule la décision du ministre de la Justice du 7 mars 1997 et renvoie l’affaire devant ledit ministre;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président 6 M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 7 janvier 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 7