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07/12/1998 | LUXEMBOURG | N°10807

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 décembre 1998, 10807


1 N° 10807 du rôle Inscrit le 20 juillet 1998 Audience publique du 7 décembre 1998

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Recours formé par Monsieur … SALIHOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 20 juillet 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathis HENGEL, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Gérald ORIGER, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Mons

ieur … SALIHOVIC, de nationalité yougoslave et ressortissant du Monténégro, résidant actuell...

1 N° 10807 du rôle Inscrit le 20 juillet 1998 Audience publique du 7 décembre 1998

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Recours formé par Monsieur … SALIHOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 20 juillet 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathis HENGEL, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Gérald ORIGER, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … SALIHOVIC, de nationalité yougoslave et ressortissant du Monténégro, résidant actuellement à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 juin 1998, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été refusée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 1998;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 13 août 1998;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 1998;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Gérald ORIGER et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … SALIHOVIC, de confession musulmane, originaire du Monténégro, est arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en date du 16 janvier 1998.

Il a introduit le même jour une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

2 Le même jour également, il a été entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 6 mai 1998, le ministre de la Justice a informé Monsieur SALIHOVIC, par lettre du 10 juin 1998, notifiée le 22 juin 1998, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants:

« (…) les faits que vous invoquez ne sont pas d’une gravité telle que la vie vous serait insupportable.

Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.» Par requête du 20 juillet 1998, Monsieur SALIHOVIC a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 10 juin 1998.

A l’appui de son recours, le demandeur fait soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait la gravité des persécutions auxquelles il aurait été exposé dans son pays.

Dans ce contexte, il fait exposer que la police serbe serait venue à plusieurs reprises à son domicile pour l’enrôler dans l’armée et qu’elle aurait perquisitionné sa maison pour le retrouver. Comme il aurait refusé de joindre les rangs de l’armée serbe, la police serbe aurait menacé sa famille afin que celle-ci le livre aux autorités du pays. Il estime qu’il a refusé à juste titre, notamment en raison de ses opinions politiques, de s’engager dans l’armée serbe, qui utiliserait et enverrait les jeunes musulmans du Monténégro au Kosovo « pour qu’ils se fassent tuer et pour qu’ils massacrent les populations civiles du Kosovo ». Il conclut qu’il n’avait plus d’autre choix que de fuir son pays, s’il ne voulait pas être persécuté par la police serbe pour refus de combattre dans les troupes serbes au Kosovo.

Lors de son audition du 16 janvier 1998, le demandeur a encore fait valoir qu’il aurait été incarcéré à trois reprises dans une cellule dans la cave du poste de police de Rozaje parce qu’il aurait participé à des manifestations. A ce titre, il fait préciser que depuis fin 1997, il aurait assisté à des réunions pour soutenir le nouveau président Milo Dukanovic. Lors d’une première réunion, la police aurait incarcéré plusieurs personnes, dont lui-même, et ils auraient été mis pendant trois heures dans la cave du poste de police. Ils n’auraient pas été « questionnés », mais « un peu maltraité ».

« Une autre fois », la police l’aurait amené au poste, au motif qu’il aurait été mêlé dans une bagarre lors d’une réunion dans un café. Le 5 ou le 6 janvier 1998, lorsqu’il se serait trouvé sur le marché en ville, il aurait été contrôlé et il aurait été amené au poste de police. Il n’aurait pas été maltraité et il aurait été relâché après une demie heure. Il aurait cependant été convoqué pour se présenter le 11 janvier 1998 au poste de police.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours en annulation, la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile prévoyant en recours de pleine juridiction en la matière.

3 A titre subsidiaire et quant au fond, en ce qui concerne la situation d’insoumission du demandeur, le délégué du gouvernement soutient que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que par ailleurs le demandeur n’aurait pas fourni le moindre élément de preuve quant à son état d’insoumission.

Le délégué du gouvernement relève encore qu’il serait étonnant que le demandeur entend fonder son refus de participer à des actions militaires sur ses opinions politiques, alors que lors de son audition, il aurait déclaré qu’il ne s’occuperait pas de politique, étant donné que cela ne l’intéresserait pas.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur conclut à la recevabilité du recours en annulation conformément à l’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996, qui prévoit la possibilité d’introduire un tel recours contre la décision de refus du ministre.

Il y ajoute que rien ne l’obligerait à exercer un recours en réformation, même si cette possibilité lui est offerte par l’article 13 de la prédite loi, étant donné qu’il peut se borner, dans le cadre du recours en réformation, à conclure à l’annulation de la décision attaquée.

Quant au fond, il fait valoir que le refus de se faire enrôler dans l’armée serait motivé tant par ses convictions religieuses que politiques. En ce qui concerne la preuve de son insoumission, il relève qu’il est difficile pour un demandeur d’asile de prouver matériellement les faits qu’il avance. Néanmoins, il ressortirait d’une des deux pièces jointes à son mémoire en réplique, à savoir une convocation datée du 18 mars 1998, qu’il devrait se présenter immédiatement à une unité militaire à Prizren. La deuxième pièce, établie en date du 29 juin 1998 par le parti de l’Action Démocratique du Monténégro et annexée également audit mémoire, attesterait qu’il aurait été un membre actif de l’Union des Jeunes Musulmans depuis 1992 et qu’à partir de 1995, il serait devenu membre du Parti de l’Action Démocratique. Il ressortirait encore du prédit certificat qu’il aurait été convoqué plusieurs fois par les forces de sécurité de Rozaje. Il ajoute que s’il était vrai que lors de son audition, il avait déclaré ne pas s’occuper de la politique, cette déclaration s’expliquerait par l’émotion et par sa crainte que ses opinions politiques pourraient jouer en sa défaveur.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement constate que les deux nouvelles pièces fournies par le demandeur, à supposer leur authenticité établie, se borneraient à constater de simples faits desquels on ne saurait conclure à une persécution systématique au sens de la Convention de Genève. Il relève encore que la pièce établie par le parti de l’Action Démocratique du Monténégro serait en contradiction flagrante avec le procès-verbal de l’audition du demandeur. Il précise que même à supposer que le demandeur aurait fait cette déclaration « sous le coup de l’émotion ou par crainte que ses opinions politiques pourraient jouer en sa défaveur », il faudrait cependant noter que le rapport d’audition n’aurait été signé par le demandeur que le 9 février 1998, soit plus de 3 semaines après l’audition. Au moment de la signature, le demandeur aurait donc eu l’occasion de faire acter ses opinions politiques.

4 En vertu de l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Aux termes de l’article 13 de la loi précitée du 3 avril 1996, un recours en réformation est prévu à l’encontre des décisions de refus du ministre de la Justice statuant sur le bien-fondé d’une demande d’asile, ce qui est le cas en l’espèce.

Ce n’est que dans les cas visés par les articles 8 et 9 de la prédite loi, à savoir, lorsqu’une demande d’asile a été déclarée irrecevable ou manifestement infondée, que l’article 10, invoqué par le demandeur à l’appui de son recours, trouve application, en prévoyant dans cette hypothèse un recours en annulation à l’encontre des prédites décisions.

S’il est exact que le demandeur a expressément qualifié son recours dans la requête introductive d’instance de recours en annulation et qu’il conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où, comme en l’espèce, un recours en réformation est ouvert et que le demandeur peut se borner, dans le cadre d’un tel recours, à conclure à l’annulation, en n’invoquant que les seuls moyens de légalité, à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit.

En l’espèce, le recours a été introduit dans les formes et délai de la loi, de sorte que le mérite du recours est à examiner sous l’angle et dans la limite des moyens d’annulation soulevés.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif peut vérifier les faits formant la base des décisions administratives qui lui sont soumises et examiner si ces faits sont de nature à justifier la décision. Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis.

En l’espèce, le seul moyen formulé par le demandeur à l’encontre de la décision attaquée, vu sous l’angle du recours en annulation, tend à reprocher au ministre une erreur d’appréciation manifeste en ce qu’il aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève.

L’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève, dispose que le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut y retourner. » Lors de son audition du 16 janvier 1998, le demandeur a exposé qu’il aurait reçu en octobre 1997 une convocation pour se présenter au service militaire régulier, 5 mais qu’il n’aurait pas accepté la convocation. Il indique comme motif de son départ du pays: «Je suis parti à cause du service militaire et à cause de la situation générale qui s’est empirée».

Le ministre a légitimement pu, comme l’a relevé à juste titre le délégué du gouvernement, motiver sa décision par le fait que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile, en l’espèce Monsieur SALIHOVIC, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier ni que le demandeur risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ni que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction, ni que des traitements discriminatoires risquent de lui être infligés.

Une erreur manifeste d’appréciation des faits ne peut donc être reprochée au ministre en ce qui concerne le premier volet du moyen présenté par le demandeur.

Dans son recours, il expose encore qu’il a refusé de s’engager dans l’armée à cause de ses convictions religieuses et politiques.

Il n’appert pas du rapport d’audition que le demandeur ait fait état de convictions religieuses. Il se dégage au contraire sans aucune équivoque du rapport d’audition que le demandeur n’était pas membre d’un parti politique et interrogé sur ses opinions politiques, il affirmait que « je ne m’occupe pas de la politique ça ne m’intéresse pas ».

Le certificat établi par le « siège communal du SDA à Rozaje » en date du 29 juin 1998, versé au cours de la procédure contentieuse en annexe du mémoire en réplique, et qui attesterait qu’il est membre de l’Union des Jeunes Musulmans depuis 1992 et du Parti de l’Action Démocratique depuis 1995, est dès lors en contradiction flagrante avec ses déclarations intiales. Cette pièce, qui ne se trouvait pas en possession du ministre lors de sa prise de décision, ne saurait par ailleurs être prise en considération dans le cadre d’un recours en annulation, alors que le juge administratif est amené à vérifier la légalité de la décision administrative au jour où elle a été prise.

En outre, le ministre peut valablement se fonder sur la considération que la qualité de membre d’un parti politique d’opposition, sans établir des persécutions vécues ou des craintes justifiées de persécutions en raison de cette qualité, ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.

En l’espèce, le ministre n’a pas fait une erreur manifeste d’appréciation des faits en retenant que les affirmations et allégations faites par le demandeur au sujet, d’un côté, de son appartenance à un parti politique d’opposition et, d’un autre côté, de problèmes qu’il aurait eus du fait de cette appartenance, ne permettent pas d’établir ni une persécution réelle, ni une crainte de persécution en raison de sa prétendue adhésion à un parti politique d’opposition.

6 Il ressort des considérations qui précèdent, que l’appréciation du ministre de la Justice dans sa décision de rejet n’encourt partant pas de reproche devant conduire à l’annulation de cette décision.

Le recours en annulation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 décembre 1998, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10807
Date de la décision : 07/12/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-12-07;10807 ?

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