N° 10557 du rôle Inscrit le 6 février 1998 Audience publique du 7 décembre 1998
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Recours formé par Madame … RAMDEDOVIC contre le ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10557 et déposée le 6 février 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … RAMDEDOVIC, de nationalité yougoslave, demeurant à …, tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi intervenues respectivement les 6 novembre et 30 décembre 1997, la première refusant de lui accorder le permis de travail sollicité, et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse en date du 27 juillet 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sonja VINANDY, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Vivant au Grand-Duché de Luxembourg depuis début 1993, Madame … RAMDEDOVIC, de nationalité yougoslave, y a donné naissance à deux enfants, nés respectivement les 9 avril 1993 et 7 juin 1995. Comme le père de ses enfants est retourné en Yougoslavie, elle a cherché un emploi pour subvenir aux besoins de ses enfants.
Une déclaration d’engagement tenant lieu de demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Madame RAMDEDOVIC, datée du 28 juillet 1997, fut introduite auprès de l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », par l’entreprise AN-NET SERVICE, avec siège social à Redange-sur-Attert. Cette 1 déclaration prévoyait qu’elle serait engagée en tant que femme de charge dès l’obtention du permis de travail.
Le permis de travail a été refusé à Madame RAMDEDOVIC par arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après le « ministre », du 6 novembre 1997, aux motifs suivants: « -des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place:
2.238 ouvriers non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi et 5 personnes ont été assignées à l’employeur; - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.); - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur; -
l’intéressée a été invitée à quitter le pays en date du 26.06.1997 ».
Sur recours gracieux du 26 novembre 1997, introduit par le mandataire de Madame RAMDEDOVIC, le ministre, par courrier du 30 décembre 1997, a déclaré maintenir sa décision tout en fournissant des éléments complémentaires de motivation.
A l’encontre de l’arrêté du 6 novembre 1997 ainsi que de la décision confirmative du 30 décembre 1997, Madame RAMDEDOVIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée en date du 6 février 1998 « pour violation de la loi, sinon pour insuffisance des motifs, équivalent à une absence de motifs, sinon pour erreur manifeste ».
Concernant les motifs tirés de la situation difficile du marché de l’emploi et de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.), la demanderesse soutient que si l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère prévoit que l’octroi d’un permis de travail peut être refusé à un étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, le refus du permis de travail serait néanmoins facultatif, dans la mesure où le ministre disposerait d’une faculté d’appréciation pour refuser ou non un permis de travail, même en cas de situation difficile du marché, si des considérations particulières militeraient en sa faveur. Elle estime dès lors que le ministre, en ne tenant pas compte de sa situation particulière, aurait commis une erreur de droit.
Elle reproche encore au ministre de s’être basé sur des éléments de fait inexacts et d’avoir fait une erreur d’appréciation manifeste des circonstances en cause. A ce titre, elle fait valoir qu’elle est très attachée au Grand-Duché de Luxembourg, où elle a donné naissance à ses deux enfants, en relevant que l’aîné des enfants fréquente déjà l’école maternelle et parle le luxembourgeois, et que la seule famille qui lui resterait, à savoir son frère et sa soeur, se trouveraient également au Luxembourg. Elle fait encore préciser que contrairement à l’affirmation du ministre, elle aurait disposé d’un titre de séjour pour la période 1993-1996 et que son ami, père de ses deux enfants, aurait eu un permis de travail.
Elle soutient qu’elle ferait tous les efforts nécessaires pour s’intégrer au Luxembourg, mais qu’elle aurait besoin d’un permis de travail pour subvenir elle-
même aux besoins de sa famille. Elle relève encore que les faits qui ont abouti au refoulement de son ami en Yougoslavie ne devraient pas avoir d’influence sur sa 2 situation personnelle, étant donné qu’elle aurait toujours eu un comportement irréprochable.
Le délégué du gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours en réformation, un recours de pleine juridiction n’étant pas prévu par la loi.
Il relève ensuite que la demanderesse n’a jamais bénéficié d’une autorisation de séjour et n’en bénéficiait donc pas au moment de la prise de décision du ministre et qu’elle a été invitée par lettre du 26 juin 1997 à quitter le pays.
En ce qui concerne les motifs du refus d’accorder un permis de travail à la demanderesse, il fait valoir que tant la décision du 6 novembre 1997 que celle du 30 décembre 1997 seraient basées sur une motivation à la fois légale, réelle et suffisante, répondant par ailleurs aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes.
Dans ce contexte, il fait valoir en premier lieu que le ministre peut refuser le permis de travail s’il existe des motifs réels qui ont trait à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi. Or, tant la situation sur le marché luxembourgeois que celle sur le marché européen de l’emploi, avec un taux croissant de chômage et avec de nombreuses demandes de travail émanant surtout d’ouvriers non qualifiés, permettraient de prendre une telle décision. La demanderesse n’aurait dès lors pas pu se méprendre sur le sens à apporter au premier motif invoqué par le ministre à l’appui de sa décision de refus. Il précise encore que, dans la mesure où la fonction de femme de charge ne nécessite aucune qualification particulière, tous les ouvriers non qualifiés entrent en ligne de compte pour occuper le poste en question.
Or, au moment de la prise de décision, 2.238 ouvriers non qualifiés, dont 1141 femmes, auraient été inscrits comme demandeurs d’emplois aux bureaux de placement publics. Il fait enfin valoir que malgré le fait que l’ADEM n’était pas tenue d’assigner des demandeurs d’emploi à l’employeur faute de déclaration de poste vacant, elle aurait néanmoins assigné 5 personnes. La preuve aurait dès lors été rapportée que des demandeurs d’emploi bénéficiant de la priorité à l’emploi étaient concrètement disponibles sur place.
Le représentant étatique relève en deuxième lieu que la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen, ci-après dénommé « ressortissants de l’E.E.E. », constitue une obligation imposée aux Etats membres de l’Union européenne par le droit communautaire et qu’en cas de non-respect de cette obligation, l’Etat luxembourgeois risquerait d’être sanctionné par la Cour de justice des communautés européennes suite à un recours en manquement.
Quant au reproche de n’avoir pas pris en considération la situation familiale particulière de la demanderesse, il estime qu’une telle dérogation au principe de la priorité à l’emploi aux ressortissants de l’E.E.E. n’est prévue par aucun texte légal.
Sur demande du tribunal, le délégué du gouvernement a versé au délibéré les assignations faites à l’employeur par l’ADEM, en relevant qu’une de ces personnes aurait été engagée.
3 C’est à juste titre que la demanderesse a renoncé, dans le cadre de son mémoire en réplique, à son recours en réformation, étant donné que le tribunal n’est pas compétent pour en connaître en l’absence de disposition légale prévoyant un recours au fond en la matière.
Le recours en annulation, introduit par ailleurs suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Le reproche d’une absence ou insuffisance de motivation des décisions attaquées est à abjuger, dès lors que l’arrêté ministériel attaqué ainsi que la décision confirmative ensemble le complément de motivation fourni en cours d’instance par le délégué du gouvernement indiquent de manière suffisamment détaillée les motifs en droit et en fait sur lesquels l’administration s’est basée pour justifier sa décision de refus d’accorder le permis de travail sollicité, de sorte que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer aux décisions litigieuses.
A la base de sa décision de refus, le ministre a invoqué, entre autres, comme motifs de refus, la priorité à accorder à l’emploi de ressortissants de l’E.E.E., en soutenant en outre que de tels demandeurs d’emploi seraient disponibles sur place. Le tribunal est partant amené à analyser ces deux motifs pris en leur ensemble.
Il est vrai que le ministre peut se baser sur le motif de la priorité à l’emploi à accorder aux ressortissants de l’E.E.E., sur base de l’article 10 (1) du règlement grand-
ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Cet article 10 (1) dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».
Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972 qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » et dans l’article 1er du règlement CEE N° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, qui dispose que « 1.
tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat.
2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».
4 Il est encore vrai que le ministre, soutenant que des ressortissants de l’E.E.E.
devraient bénéficier d’une priorité à l’emploi par rapport à des ressortissants de pays tiers, doit en principe établir, in concreto, la disponibilité de ressortissants de l’E.E.E.
sur place, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé.
En l’espèce, le ministre a basé sa décision notamment sur la considération que des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles pour occuper l’emploi de femme de charge auprès de la société AN-NET SERVICE.
Il ressort des pièces et informations à la disposition du tribunal que l’ADEM a assigné en date des 13, 15 et 27 octobre 1997, 6 candidats inscrits comme femme de charge. Ces demandeurs d’emploi remplissent tous le profil prétracé par l’employeur, étant précisé que l’emploi de femme de charge ne nécessite aucune qualification particulière. Par ailleurs, un des candidats assignés par l’ADEM, à savoir la dame REQUEIJO BESSA Maria a été engagée par l’employeur avec effet au 19 novembre 1997.
Il résulte des considérations qui précèdent, ainsi que de l’aveu même de l’employeur, que de nombreux candidats, ressortissants de l’E.E.E., pour le poste de femme de charge se trouvaient et se trouvent sur le marché luxembourgeois.
Le ministre du Travail et de l'Emploi a dès lors légalement pu invoquer le motif que des demandeurs d’emploi étaient disponibles sur place pour justifier sa décision de refus.
Ce raisonnement ne saurait être énervé par la prise en considération de la situation familiale de la demanderesse. En effet, c’est à tort qu’elle soutient que la loi prévoirait des dérogations au principe de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’E.E.E. « dans des cas particuliers tels que celui de la requérante », alors qu’aucun texte de loi applicable en la matière ne prévoit une telle dérogation. Il est cependant certain qu’en cas de présence de main-d’oeuvre prioritaire et disponible pour occuper l’emploi en question, le ministre, sous peine de violer la loi, doit refuser aux étrangers non ressortissants de l’E.E.E. l’octroi d’un permis de travail.
Etant donné que la décision se justifie pour le motif analysé ci-dessus, l’examen des autres motifs, sur lesquels le ministre a encore basé sa décision de refus du 6 novembre 1997, confirmée sur recours gracieux le 30 décembre 1997, devient surabondant et le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
donne acte à la demanderesse qu’elle renonce à son recours en réformation;
reçoit le recours en annulation en la forme;
5 au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge, et lu à l’audience publique du 7 décembre 1998 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 6