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25/11/1998 | LUXEMBOURG | N°10670

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 novembre 1998, 10670


N° 10670 du rôle Inscrit le 17 avril 1998 Audience publique du 25 novembre 1998

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Recours formé par Madame … LUTOVAC contre le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête déposée le 17 avril 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Paul DIESCHBOURG, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … LUTOVAC, de nationalité

yougoslave, demeurant à …, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du...

N° 10670 du rôle Inscrit le 17 avril 1998 Audience publique du 25 novembre 1998

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Recours formé par Madame … LUTOVAC contre le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête déposée le 17 avril 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Paul DIESCHBOURG, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … LUTOVAC, de nationalité yougoslave, demeurant à …, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mars 1998 lui refusant l’autorisation de séjour au Luxembourg;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 1998;

Vu le mémoire en réplique de la demanderesse déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 1998;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Anita WILLMANN, en remplacement de Maître Paul DIESCHBOURG, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 5 novembre 1993, Madame … LUTOVAC se vit accorder une autorisation de séjour provisoire, donnant droit à la présentation d’une demande en obtention d’une carte d’identité d’étranger. Madame LUTOVAC introduisit une telle demande le 4 février 1994, mais une carte d’identité ne lui a pas été délivrée.

Un rapport établi par le commissariat de police de Luxembourg-Gare, en date du 10 octobre 1994 renseigne que: « LUTOVAC … séjourne actuellement en Yougoslavie, elle revient vers début novembre à Luxembourg. Au Grand-Duché, elle réside auprès de son père dans un appartement situé au 119, rue A. Fischer. L’appartement en question comprend une chambre à coucher, living, salle de bains avec WC et cuisine. Le loyer s’élève à 18.000.-

francs. Le père n’a plus d’activité salariée, ceci à cause de maladie. Son traitement est de 67.000.- francs par mois. LUTOVAC … n’est pas affiliée auprès des assurances sociales à Luxembourg ».

1 Une nouvelle demande en obtention d’une carte d’identité d’étranger fut formulée en date du 27 avril 1995.

Un deuxième rapport de police, établi le 3 mai 1995, renseigne que Madame LUTOVAC était sans occupation salariée et qu’elle habitait à Luxembourg , 119, rue A.

Fischer avec « un frère », qu’elle est entrée au Luxembourg le 3 février 1994 et a quitté le Grand-Duché de Luxembourg temporairement pour se rendre en Yougoslavie, qu’elle n’avait pas de moyens d’existence, mais qu’un soutien financier lui était garanti par des membres de sa famille.

Madame LUTOVAC a souscrit une nouvelle déclaration d’arrivée en date du 25 avril 1996.

Le 25 avril 1997, elle formula une demande en obtention d’un visa pour un séjour d’un mois au Luxembourg, en indiquant comme objet de son séjour la visite de sa famille au Luxembourg. Un avis défavorable en vue de l’obtention du visa fut émis le 29 avril 1997 par le service des étrangers au ministère de la Justice. Malgré cet avis négatif, un visa fut délivré pour la période du 14 janvier 1998 au 21 avril 1998.

Une nouvelle demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame LUTOVAC fut introduite en date du 25 février 1998 par son père, Monsieur Miomir LUTOVAC, dans laquelle il fait valoir: « Etant donné que je suis invalide en pension d’invalidité j’aimerai bien que ma fille puisse rester avec moi et mon épouse au Grand-

Duché. Je tiens à vous informer qu’elle a trouvé un employeur(…)».

Par lettre du 23 mars 1998, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée au motif que « Selon l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers, la délivrance d’une autorisation de séjour est en effet subordonnée à la possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir. Comme l’intéressée ne remplit pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait lui être délivrée. En outre, la demande ne rentre pas dans le cadre du regroupement familial, alors que seuls les ascendants à charge et les descendants mineurs peuvent être autorisés à rejoindre leur famille au Grand-Duché ».

Par requête déposée le 17 avril 1998, Madame … LUTOVAC a introduit un recours en annulation sinon en réformation contre la décision du 23 mars 1998.

La demanderesse conteste la légalité ainsi que l’opportunité de la décision du ministre de la Justice, en faisant valoir que depuis des années, elle serait parfaitement intégrée au Grand-Duché de Luxembourg et qu’elle ne saurait dès lors être « expulsée ». A ce titre, elle expose qu’elle n’a plus aucune attache en Yougoslavie, étant donné que ses parents ainsi que ses deux frères vivent au Grand-Duché de Luxembourg depuis 1974. Elle soutient dès lors que son « expulsion » serait contraire au regroupement familial. Elle affirme encore que ses moyens de subsistance seraient garantis par ses parents et que par ailleurs elle serait disposée à s’adonner à tout travail afin de subvenir elle même à ses propres besoins.

2 Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, au motif qu’en la matière, un tel recours n’est pas prévu par une disposition légale.

Il conclut au bien-fondé du motif de refus de l’autorisation de séjour tiré du défaut de moyens d’existence personnels retenu par le ministre, en relevant que la demanderesse aurait fait l’objet de deux refus du permis de travail de sorte qu’elle ne serait pas autorisée à travailler sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Il fait encore valoir que le fait que ses parents habitent au Luxembourg ne changerait pas cette situation, étant donné qu’une prise en charge par une tierce personne ne prouverait pas l’existence de moyens personnels. Il conteste en outre le fait que la demanderesse n’aurait plus aucune attache avec son pays d’origine, au motif qu’elle serait retournée plusieurs fois en Yougoslavie et qu’à sa dernière entrée sur le territoire Schengen remonterait au 29 janvier 1998.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse rétorque que si sa dernière entrée au territoire Schengen remonte effectivement au 29 janvier 1998, cela serait sans incidence sur le présent litige.

Elle fait encore préciser que l’article 2 de la loi du loi du 28 mars 1972 concernant 1.

l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main d'oeuvre étrangère, telle que modifiée par la suite, ne prévoit pas une interdiction absolue d’accorder le droit au séjour à un étranger ne disposant pas de moyens personnels suffisants, mais que le ministre disposerait d’un pouvoir d’appréciation dans le cadre duquel il devrait tenir compte de l’ensemble des considérations concernant sa situation particulière. A ce titre, elle souligne encore une fois qu’elle vivrait au foyer de ses parents et bénéficierait ainsi de l’aide financière de son père. Elle relève en outre qu’elle est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en technologie dans le domaine de la production de galanterie cuiral et de la confection, ce qui lui faciliterait la recherche d’un emploi. Elle aurait par ailleurs trouvé un emploi au Grand-

Duché de Luxembourg, ce qui serait documenté par un certificat établi le 24 février 1998, attestant qu’une boucherie établie à Ellange serait disposée à l’employer, mais le ministre du Travail et de l'Emploi lui aurait refusé le permis de travail.

Encore que la demanderesse entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation contre la décision du 23 mars 1998, le tribunal a l'obligation d'examiner en premier lieu la possibilité d'exercer un recours en réformation contre cette décision, l'existence d'une telle possibilité rendant irrecevable l'exercice d'un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant cependant compétence au juge administratif pour statuer comme juge du fond en matière d’autorisations de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, dispose que: « L’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

3 La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

Il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que la demanderesse ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où la décision critiquée a été prise.

En effet, c’est à tort que la demanderesse entend justifier l’existence de moyens personnels suffisants par la possibilité, vu sa formation universitaire, de trouver un emploi au Grand-Duché de Luxembourg, alors qu’au moment de la prise de décision, elle n’était pas en possession d’un permis de travail et elle n’était dès lors pas autorisée à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi.

La demanderesse n’invoque ni, a fortiori, ne prouve l’existence d’autres moyens personnels. A cet égard, ne sont pas considérés comme moyens personnels, une prise en charge par un ou des membres de la famille de la demanderesse ainsi que l’aide financière qui lui est apportée par ceux-ci.

Concernant le droit au regroupement familial invoqué par la demanderesse à l’appui de son recours, c’est à tort que le délégué du gouvernement soutient qu’il s’agit d’un moyen nouveau, développé uniquement au cours des plaidoiries, alors que ce moyen est visé par la requête introductive d’instance. Il convient dès lors d’analyser si le ministre, en refusant à la demanderesse l’autorisation de séjour, a commis une violation de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l‘Homme.

L’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l‘Homme dispose que:

« 1.

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.

Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, les Etats qui ont ratifié la Convention Européenne des Droits de l‘Homme, ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

L’article 8, en tant que tel, ne confère cependant pas aux membres de la famille d’un étranger le droit d’être accueillis dans n’importe quel pays, ni à un étranger le droit à ne pas être expulsé d’un pays où résident les membres de sa famille.

4 Il n’en reste pas moins que les décisions de refus d’accès et d’établissement, de même que les décisions d’expulsion risquent de compromettre la vie familiale.

Il faut donc examiner en l’espèce et en premier lieu, s’il y a ingérence au sens de l’article 8, § 1er, de la Convention et, dans l’affirmative, se placer ensuite sur le terrain de l’article 8, § 2, pour examiner si la mesure prise était justifiée.

Pour qu’il y ait ingérence au sens de l’article 8, § 1er, de la Convention, il faut d’abord qu’il existe une vie familiale effective en ce sens qu’un lien de fait réel et suffisamment étroit entre les différents membres est exigé.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier qu’une vie familiale n’a pas existé entre la demanderesse et ses parents avant son accès au territoire luxembourgeois, étant donné que pendant son enfance, elle n’a pas cherché à rejoindre ses parents, qui se trouvaient au Luxembourg depuis 1974. Ce n’est qu’en 1993, donc à l’âge de 25 ans, qu’elle a demandé pour la première fois une autorisation de séjour au Luxembourg, qui lui a été accordée pour une période d’une année. Comme par la suite, les autorités ont constaté ses retours plus ou moins prolongés en Yougoslavie, elle ne s’est pas vu accorder une carte d’identité d’étranger.

Au moment de l’introduction de la demande d’autorisation de séjour du 25 février 1998, il n’existait pas une vie familiale entre la demanderesse et sa famille au Luxembourg, de sorte que le refus d’accorder un permis de séjour à la demanderesse ne se heurte pas au droit au regroupement familial et qu’il n’y a pas ingérence au sens de l’article 8, § 1, de la Convention.

Le moyen d’annulation tiré de la violation de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’est donc pas fondé.

Il ressort des considérations qui précèdent que c’est juste titre que le ministre a refusé l’autorisation de séjour sollicitée et partant le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge 5 et lu à l’audience publique du 25 novembre 1998, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10670
Date de la décision : 25/11/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-11-25;10670 ?

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