N° 10294 du rôle Inscrit le 17 septembre 1997 Audience publique du 25 novembre 1998
===========================
Recours formé par Monsieur … SADIKU contre le ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
--------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10294 et déposée le 17 septembre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc BOEVER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SADIKU, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 4 mars 1997 refusant de lui accorder le permis de travail sollicité, ainsi qu’à l’annulation de la décision implicite de refus, suite au silence du ministre pendant plus de trois mois après un recours gracieux formé le 27 mars 1997 resté sans prise de position;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Marc BOEVER au greffe du tribunal administratif le 14 août 1998;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 1998;
Vu la rupture du délibéré prononcée en date du 13 octobre 1998;
Vu la note versée par le délégué du gouvernement le 19 octobre 1998;
Vu la note versée par le demandeur en date du 23 octobre 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Marc BOEVER et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------
----------
1 Une déclaration a été établie en date du 25 septembre 1996 par Monsieur Ardeshir AZIZI, faisant le commerce sous la dénomination TAPIS D’ORIENT A.
AZIZI, établi à …, attestant qu’il désire engager Monsieur … SADIKU en qualité d’assistant-réparateur de tapis d’Orient.
Le 26 novembre 1996, Monsieur AZIZI a déclaré à l’administration de l’emploi, ci-après dénommée « ADEM », une vacance de poste pour un réparateur de tapis d’Orient, avec une rémunération brute de 45.000.- francs.
Par déclaration d’engagement datée du 10 janvier 1997, Monsieur AZIZI a introduit une demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Monsieur … SADIKU en qualité d’assistant-réparateur de tapis d’Orient avec entrée en service immédiate en prévoyant un salaire mensuel de 45.000.- francs.
Le permis de travail fut refusé à Monsieur SADIKU par arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après le « ministre », du 4 mars 1997, aux motifs suivants:
« 1. pour des raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi; 2. priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.); 3. poste de travail non déclaré vacant par l’employeur ».
Le recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur SADIKU le 27 mars 1997, a été rejeté à son tour le 15 septembre 1997 aux motifs suivants: « (…) Indépendamment des motifs indiqués dans mon arrêté précité et qui sont, pour autant que nécessaire, confirmés par la présente, je tiens à vous informer que la loi m’accorde le pouvoir de refuser le permis de travail s’il existe des motifs réels qui ont trait à la situation, à l’évolution et à l’organisation du marché de travail.
La situation du marché de l’emploi luxembourgeois est malheureusement mauvaise dans la mesure où fin février 1997, il y avait 6.845 demandeurs d’emploi inscrits dans les bureaux de placement de l’Administration de l’emploi, contre 5.894 fin février 1996 et 5.496 fin février 1995. La même situation et une évolution similaire peuvent être constatées dans les autres Etats membres de l’Union Européenne. En outre, l’emploi d’assistant-réparateur de tapis d’Orient ne nécessitant aucune qualification particulière, 2.533 demandeurs d’emploi étaient concrètement disponibles sur place au moment de la prise de décision.
Dans ces conditions, et eu égard à nos engagements d’accorder une priorité aux ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne, je considère qu’il est nécessaire de refuser le permis de travail luxembourgeois à un citoyen yougoslave qui en plus a été invité en date du 24 juillet 1997 à quitter le Grand-Duché dans la quinzaine.
Finalement, quant à votre argument qu’aucun travailleur ne s’est manifesté auprès de Monsieur AZIZI pour offrir ses services, je tiens à préciser que l’Administration de l’emploi a assigné 4 personnes à l’intéressé de sorte qu’elle a rapporté la preuve que des demandeurs d’emploi étaient et sont toujours concrètement disponibles.
2 La situation actuelle sur le marché luxembourgeois décrite ci-avant, de même que les motifs indiqués dans l’arrêté ministériel du 2 avril (sic) 1997 me conduisent à refuser le permis de travail à Monsieur … SADIKU ».
Par requête déposée le 17 septembre 1997, Monsieur SADIKU a introduit un recours en annulation contre l’arrêté ministériel du 4 mars 1997, ainsi que contre une décision implicite de refus découlant du silence de l’administration plus de 3 mois après l’introduction du recours gracieux en date du 27 mars 1997.
Le demandeur affirme expréssement dans son mémoire en réplique que le recours porte uniquement sur ces deux décisions, à savoir sur la décision de refus du 4 mars 1997, et sur la décision implicite de confirmation du refus suite au recours gracieux présenté en date du 27 mars 1997.
A l’appui de son recours, il soutient que les motifs indiqués par le ministre ne correspondraient ni à la réalité ni au critère de précision requis par la loi.
Il fait valoir plus particulièrement que les motifs invoqués par le ministre ne permettraient de refuser un permis de travail qu’à condition de se référer avec précision à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi existant au moment où la décision a été prise. La décision de refus devrait également être motivée d’après les éléments objectifs tirés du marché de l’emploi. Il estime que les deux premiers motifs invoqués par le ministre à l’appui de son refus ne répondraient pas au critère de précision requis et ne sauraient dès lors légalement justifier la décision émise. Il développe ensuite exhaustivement l’argumentation que le poste d’assistant-réparateur de tapis d’Orient serait à considérer comme un poste nécessitant des qualifications particulières, de sorte qu’en motivant sa décision de refus par rapport à la situation de chômage frappant des ouvriers non qualifiés, le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation et aurait par conséquent violé la loi.
Il soutient ensuite que le motif tiré de ce que le poste de travail n’aurait pas été déclaré vacant par l’employeur serait erroné. En effet, il résulterait des pièces du dossier, qu’une déclaration de place vacante aurait été remise à l’ADEM en date du 26 novembre 1996.
Il conteste en dernier lieu la disponibilité concrète des demandeurs d’emploi assignés par l’ADEM pour le poste d’assistant-réparateur de tapis d’Orient. A ce titre, il fait valoir que, d’une part, les assignations effectuées par l’ADEM huit mois après la décision de refus du ministre ne pourraient plus être prises en considération par le tribunal administratif dans le cadre du contrôle de la légalité des décisions attaquées et, d’autre part, il appartient à l’employeur de décider quel candidat est le mieux approprié pour occuper le poste vacant, alors qu’attribuer de telles prérogatives au ministre reviendrait à lui permettre de s’immiscer dans les pouvoirs de l’employeur quant à l’organisation de son entreprise.
Le délégué du gouvernement soutient que le refus d’accorder un permis de travail au demandeur serait basé sur une motivation à la fois légale, réelle et suffisante et qu’elle répondrait par ailleurs aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal 3 du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes.
Dans ce contexte, il fait valoir en premier lieu que le ministre peut refuser le permis de travail s’il existe des motifs réels qui ont trait à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi. Or, tant la situation sur le marché luxembourgeois que sur le marché européen de l’emploi, avec un taux croissant de chômage et avec de nombreuses demandes de travail émanant surtout d’ouvriers non qualifiés, permettraient de prendre une telle décision. Le demandeur n’aurait dès lors pas pu se méprendre sur le sens à apporter au premier motif invoqué par le ministre à l’appui de sa décision de refus. Il est cependant d’accord pour retenir que le demandeur avait effectivement introduit une déclaration de poste vacant avant de solliciter un permis de travail.
Le délégué du gouvernement conteste néanmoins l’argumentation du demandeur consistant à soutenir que l’ouvrier recherché par l’employeur AZIZI devrait avoir une certaine qualification, en précisant notamment 1.) que Monsieur SADIKU toucherait en tant qu’assistant-réparateur de tapis, en cas d’obtention d’un permis de travail, un salaire inférieur au salaire social minimum, ce qui constituerait un indice pour sa qualification d’ouvrier non qualifié, 2.) que la qualification de Monsieur SADIKU ne résulterait d’aucune pièce et 3.) qu’il n’existerait aucune formation correspondant aux critères d’engagement retenus par l’employeur, de sorte que ces critères devraient être qualifiés de préconçus en fonction du seul profil d’une personne déjà choisie pour occuper le poste en question.
Il relève en dernier lieu que des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place et que quatre personnes ont été assignées à l’employeur.
Sur demande du tribunal, les parties ont pris position quant à la recevabilité du recours pour le cas où le tribunal devait analyser la décision du 15 septembre 1997 du ministre comme une nouvelle décision se substituant à celle du 4 mars 1997.
Dans une note versée en date du 19 octobre 1998, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours introduit contre la seule décision du 4 mars 1997, étant donné que le demandeur ne saurait retirer de l’annulation de l’acte une satisfaction certaine et personnelle.
Dans sa prise de position du 23 octobre 1998, le demandeur fait valoir que la décision intiale du 4 mars 1997 avait fait l’objet d’un recours gracieux en date du 27 mars 1997. Le délai pendant lequel le ministre était tenu de répondre se serait donc éteint en date du 27 juin 1997. Comme aucune réponse au recours gracieux ne serait intervenue pendant ce délai, il y aurait lieu de considérer le recours comme refusé et la décision implicite de refus daterait donc du 27 juin 1997. Ce serait contre ces deux décisions que le recours a été introduit et « dans le but d’une bonne administration de justice ainsi qu’en vertu du principe du contrat judiciaire », le tribunal ne devrait pas analyser la décision du 15 septembre 1997 comme une nouvelle décision se substituant à celle du 4 mars 1997. Si le tribunal devait retenir une solution contraire, il demande l’annulation de la décision du 15 septembre 1997 au même titre que celle du 4 mars 1997.
4 Quant à la recevabilité En vertu de l’article 11 alinéa 1er de l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, tel qu’il a été modifié, en matière de recours en annulation, le recours contentieux doit être intenté dans le délai de trois mois, à partir de la notification de la décision incriminée.
En vertu du prédit article, alinéa 2, si une réclamation a été introduite dans le délai de trois mois contre la décision administrative, le point de départ du délai du recours contentieux est en principe reporté à la date de notification de la nouvelle décision statuant sur cette réclamation. Si aucune décision n’est intervenue dans les trois mois de la réclamation, le délai du recours contentieux court de nouveau à partir de l’expiration du troisième mois suivant l’introduction du recours gracieux.
En l’espèce, le ministre a pris une première décision en date du 4 mars 1997 et un recours gracieux a été introduit à l’encontre de cette décision le 27 mars 1997.
Comme suite au recours gracieux et dans le délai de trois mois, aucune décision n’est intervenue, le délai du recours contentieux à l’encontre de la susdite décision a recommencé à courir à partir du 27 juin 1997 pour expirer le 27 septembre 1997.
S’il est vrai qu’avant l’expiration du délai contentieux, un recours a été introduit le 17 septembre 1997 à l’encontre de la décision du 4 mars 1997, ainsi qu’à l’encontre d’une décision implicite de refus suite au recours gracieux introduit le 27 mars 1997, force est cependant de constater qu’une nouvelle décision est intervenue en date du 15 septembre 1997.
Le tribunal est partant amené à examiner si cette décision du 15 septembre 1997 constitue une décision purement confirmative de la décision initiale ou s’il s’agit d’une nouvelle décision.
En effet, l’autorité compétente est habilitée à prendre une nouvelle décision, qui se substitue à la première décision, si elle consent à rouvrir l’instruction et à réexaminer la cause, à condition toutefois qu’elle se trouve en présence d’éléments nouveaux qui sont de nature à modifier la situation juridique et prenne position quant à ceux-ci. Ainsi, une décision qui se prononce sur des éléments non pris en considération dans la première décision, n’est pas à considérer comme une décision purement confirmative (cf. CE 17 janvier 1994, Construtec, n°8872).
En l’espèce, la décision ministérielle du 15 septembre 1997 est basée sur des éléments qui n’ont pas été pris en considération dans la première décision, notamment en ce qu’elle prend en considération la déclaration de poste vacant datée du 26 novembre 1996. L’ADEM a par ailleurs assigné le 4 septembre 1997 quatre candidats pour occuper le poste déclaré vacant. La demande a également été réexaminée par la commission d’avis spéciale instituée par règlement grand-ducal du 17 juin 1994, ainsi que par l’ADEM, conformément aux dispositions de l’article 8 du règlement grand-
ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que la 5 décision du 15 septembre 1997, prise sur base d’éléments nouveaux et après réexamen du dossier, est à considérer comme une nouvelle décision.
Cette décision s’est substituée à la décision initiale du 4 mars 1997, de sorte que cette dernière n’a plus d’existence légale.
Comme par ailleurs, le demandeur, dans son recours déposé le 17 septembre 1997, ainsi que dans son mémoire en réplique déposé le 14 août 1998, a expressément limité l’objet de son recours à la seule décision initiale du 4 mars 1997, confirmée implicitement en date du 27 juin 1997, et comme une demande en annulation à l’encontre de la décision du 15 septembre 1997 a seulement été formulée dans sa note déposée le 23 octobre 1998, note qui ne satisfait pas aux exigences de forme prescrites par l’article 1er de l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, tel qu’il a été modifié, le recours introduit contre la seule décision du 4 mars 1997, confirmée implicitement le 27 juin 1997, est irrecevable faute d’objet.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
déclare le recours irrecevable;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 25 novembre 1998 par le vice-président, en présence de Monsieur Legille, greffier.
Legille Schockweiler 6