N° 10412 du rôle Inscrit le 14 novembre 1997 Audience publique du 28 octobre 1998
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Recours formé par Monsieur … BRANDENBURGER, … contre le commandant de la gendarmerie en matière de discipline
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Vu la requête déposée le 14 novembre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BRANDENBURGER, fonctionnaire de la gendarmerie grand-ducale, …, tendant à l’annulation pour violation de la loi d’une décision du commandant adjoint de la gendarmerie grand-ducale du 2 septembre 1997;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, des 6 et 7 novembre 1997 portant signification de ce recours à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et au commandant de la gendarmerie grand-ducale;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 1998 par Maître Edmond DAUPHIN pour Monsieur … BRANDENBURGER;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée;
Vu la rupture du délibéré prononcée le 16 octobre 1998;
Vu le mémoire du délégué du Gouvernement déposé le 21 octobre 1998 au greffe du tribunal administratif ;
Vu le mémoire déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 1998 par Maître Edmond DAUPHIN pour Monsieur … BRANDENBURGER;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Edmond DAUPHIN et Frédéric ROSSONI, ainsi que Messieurs les délégués du Gouvernement Guy SCHLEDER et Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives lors des audiences publiques des 28 septembre et 26 octobre 1998 .
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Par décision du 7 juillet 1997, notifiée le 22 août 1997, le commandant d’arrondissement d’X. de la gendarmerie grand-ducale a prononcé à l’encontre de Monsieur … BRANDENBURGER, commandant adjoint de la brigade d’X., la peine disciplinaire des arrêts pendant deux jours. A l’encontre de cette décision, Monsieur BRANDENBURGER a interjeté 1 appel auprès du commandant de la gendarmerie par l’intérmédiaire de son mandataire Maître Edmond DAUPHIN par lettre datée du 25 août 1997. Par transmis du 2 septembre 1997, le commandant adjoint de la gendarmerie, en remplacement du commandant de la gendarmerie, a fait parvenir cette lettre pour information au commandant d’arrondissement à X. en lui signalant qu’ “ il y a lieu de notifier à l’adjudant-chef BRANDENBURGER que je refuse d’accepter cet écrit comme appel régulier. L’intervention d’un avocat à la place et au lieu de l’intéressé n’est pas prévue dans la procédure disciplinaire ”.
A l’encontre de cette décision, qui lui fut notifiée en date du 8 septembre 1997, Monsieur BRANDENBURGER a introduit un recours en annulation par requête déposée le 14 novembre 1997.
Un recours au fond n’étant prévu que dans le cadre de l’article 30 de la loi du 16 avril 1979 sur la discipline dans la Force publique, relativement aux peines dépassant la compétence du chef de corps, étranger au présent litige, le recours en annulation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
Pour soutenir que c’est à tort que l’auteur de la décision déférée a refusé de recevoir en la forme son appel au motif qu’il a été déposé par ministère d’avocat, le demandeur invoque en premier lieu les dispositions de l’article 2,(1) de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat suivant lesquelles “ les avocats seuls peuvent assister ou représenter les parties, postuler et plaider pour elles devant les juridictions de quelque nature qu’elles soient .. ”.
Le représentant étatique fait de son côté valoir qu’en application du paragraphe 1.5.2., point h, des prescriptions de service de la gendarmerie grand-ducale, le demandeur aurait été obligé de signer de sa propre main l’écrit valant appel contre la sanction disciplinaire en cause, sans avoir été soit autorisé à conférer cette charge à un tiers, fût-il avocat.
En vertu de l’article 29, alinéa 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, ci-après appelée “ la loi du 16 avril 1979 ”, la décision d’infliger à un membre de la gendarmerie la peine des arrêts pendant deux jours est susceptible d’appel, l’autorité compétente pour connaître de l’appel d’une peine disciplinaire de ce type étant “ l’autorité militaire immédiatement supérieure ayant pouvoir disciplinaire sur le supérieur qui a rendu la décision ”, en l’espèce le commandant de la gendarmerie.
Le recours ainsi institué et s’inscrivant dans le chapitre IV intitulé “ Procédure disciplinaire ”, constitue un recours hiérarchique de nature purement administrative, le commandant de la gendarmerie, placé à la tête de la gendarmerie grand-ducale, présentant un lien organique évident avec le militaire en cause et ne revêtant dès lors pas la qualité de juridiction. Une décision rendue par le commandant de la gendarmerie sur base de cette disposition constitue partant non pas une décision de nature juridictionnelle, mais une décision administrative précontentieuse, de sorte que la procédure disciplinaire en cause est à considérer comme étrangère au champ d’application de la loi précitée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat, qui consacre le droit des parties de se faire représenter par un avocat uniquement devant une juridiction.
Il découle des considérations qui précèdent que le premier moyen invoqué pour affirmer le droit du demandeur à l’assistance d’un avocat au cours de la procédure d’appel prévue par l’article 29, alinéa 2 de la loi du 16 avril 1979 est à écarter comme n’étant pas fondé.
2 Quant à la base légale invoquée par le délégué du Gouvernement pour justifier la décision déférée, il y a d’abord lieu de constater que la loi du 16 avril 1979, tout en instituant une procédure disciplinaire propre aux militaires de la force publique avec la possibilité d’appel à l’encontre d’une décision infligeant une peine disciplinaire prévue par cette même loi devant une autorité hiérarchiquement supérieure déterminée, n’a pas pour autant réglé les modalités de cette procédure, mais a confié cette tâche au pouvoir réglementaire, l’article 29 disposant dans son cinquième alinéa qu’ “ un règlement grand-ducal détermine les modalités de la notification des peines et de la procédure d’appel ”, un règlement grand-ducal afférent n’ayant pas encore été adopté à ce jour.
Le corps de texte invoqué par le représentant étatique, appelé “ prescriptions de service de la gendarmerie grand-ducale ”, ne saurait en l’espèce utilement suppléer à un acte réglementaire, l’instrument en question valant tout au plus en l’espèce instruction de service et devant par conséquent se limiter à interpréter les textes de loi en vigueur sans pouvoir fixer des règles nouvelles (cf. trib. adm. 23.12.1997 confirmé par C.adm. 14.7.1998, Pas. adm. n° 2/98, V° Lois et règlements, n°11 et autres références y citées). Ce texte ne saurait partant être invoqué comme réglementation de la procédure disciplinaire applicable au sein de la gendarmerie, ni a fortiori pour refuser au demandeur le droit de se faire assister par un avocat.
Face à l’absence ainsi constatée de dispositions spéciales réglementant la procédure d’appel en cause et plus particulièrement la question des droits de la défense de l’appelant, il y a lieu de relever que si fondamentalement la discipline dans la Force publique est régie par la loi modifiée du 16 avril 1979 y relative, les dispositions de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après appelée “ statut général ” et invoquées par le demandeur dans son mémoire en réplique, ont également vocation à s’appliquer à l’égard des membres des trois corps de la force armée et ce à titre résiduel et complémentaire, dans la mesure de leur compatibilité avec la loi spéciale du 16 avril 1979 ( cf.
trib. adm. 22 juillet 1998, n° 10622 du rôle, Juchem), étant donné que l’article 3 de la loi du 16 avril 1979 précise dans son alinéa 1er que les droits et devoirs y visés s’entendent “ en dehors des droits et devoirs prévus par d’autres lois ou règlements grand-ducaux ”.
Force est cependant de constater que le statut général, tout en étant plus complet que la loi spéciale du 16 avril 1979 en ce qui concerne les droits de la défense de la personne contre laquelle une procédure disciplinaire est ouverte, ne règle pas pour autant de manière générale la question du droit de se faire assister par un avocat à tout stade de la procédure disciplinaire.
Si l’article 68 du statut général dispose en effet que “ le fonctionnaire a le droit de se faire assister, lors de l’instruction et des débats, par un défenseur de son choix ”, il n’en reste pas moins que cette disposition s’inscrit dans le cadre spécifique de la procédure devant le conseil de discipline, de sorte que son application doit rester circonscrite à ce seul cas de figure qui ne trouve pas son équivalent en matière de discipline dans la Force publique. Ledit statut général ne saurait partant être utilement invoqué en l’espèce comme base légale du droit du demandeur de se faire représenter par un avocat au niveau de l’introduction de l’appel sous examen.
Dans la mesure où la procédure instituée par la loi du 16 avril 1979 aboutit néanmoins à des actes de nature purement administrative, le tribunal a prononcé la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre position par rapport à la question de l’applicabilité en l’espèce des règles de la procédure administrative non contentieuse telles qu’établies par la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et le règlement 3 grand-ducal modifié du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.
Le délegué du Gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant à cette question, tandis que la partie demanderesse a conclu à l’applicabilité en l’espèce des dispositions de l’article 10 du règlement grand-ducal modifié précité du 8 juin 1979.
Dans le contexte de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, le demandeur est en effet à considérer, dans ses relations avec l’administration, comme un administré au sens des deux corps de règles susénoncés, quelle que soit par ailleurs sa position statutaire ou autre par rapport à cette même administration. La qualité d’administré, à défaut de définition spécifique, est en effet conditionnée par la seule existence d’une décision administrative ou à une attitude de l’administration qui y est assimilée.
La considération que tout destinataire d’une décision administrative individuelle est un administré se trouve par ailleurs confortée par la circonstance qu’un projet de règlement grand-
ducal appelé à modifier le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, déposé le 9 avril 1990 et publié sous forme de document parlementaire en date du 26 avril 1994 sous le numéro 3395, bien que resté sans suite à ce jour, était destiné à faire enrayer certaines pratiques de non-
application des lois et règlements grand-ducal relatifs à la procédure administrative non contentieuse, entraînant qu’un article 15 y a été proposé disposant en son alinéa 1er que “ le présent règlement est applicable aux décisions administratives individuelles prises en toute matière, y compris les recours administratifs, gracieux, hiérarchiques ou de tutelle ” ainsi qu’en son alinéa 2 “ il s’applique notamment aux décisions concernant les relations de service des fonctionnaires de l’Etat et des communes dans la mesure où les lois spécifiques fixant les statuts généraux des fonctionnaires de l’Etat et des fonctionnaires communaux n’organisent pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré ”.
D’après le commentaire de l’article 15 dudit projet “ il a cependant semblé opportun, d’un côté de préciser qu’il s’agit des décisions administratives individuelles prises en toute matière et d’un autre côté d’indiquer que le règlement s’applique à n’importe quel recours administratif, qu’il soit gracieux, hiérarchique ou de tutelle ” et que: “ le paragraphe 2 entend faire obstacle à la jurisprudence administrative aux termes de laquelle des fonctionnaires et employés publics ne seraient pas des administrés au sens de la loi du 1er décembre 1978 ”.
Il se dégage des éléments qui précèdent que les auteurs des loi et règlement grand-
ducal de 1978 et de 1979 ont entendu consacrer des règles générales du droit protégeant les droits des particuliers contre l’arbitraire du pouvoir administratif, à l’instar de la protection existante à l’égard du pouvoir judiciaire et ce sans considération du statut de la personne concernée dans ses rapports avec l’administration, le projet de règlement grand-ducal déposé le 9 avril 1990 tendant à souligner ces principes.
Ledit règlement grand-ducal est partant susceptible d’application en l’espèce, de sorte qu’il appartient au tribunal d’évaluer, au voeu de l’article 4 de la loi précitée du 1er décembre 1978, si la procédure disciplinaire sous examen prévoit des formalités tout aussi protectrices du particulier que les règles édictées dans le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979.
Eu égard au libellé général des textes de 1978 et de 1979 et compte tenu de l’intention du législateur, il est en effet constant que ces règles ont vocation à s’appliquer dans tout le domaine administratif et suppléent ou remplacent celles contraires des textes en vigueur, à 4 l’exception des procédures particulières organisées d’après des règles assurant au moins une égale protection des administrés (cf. trib. adm. 26.5.1997, Pas. adm.,n° 2/98, V° Procédure administrative non contentieuse, n°1).
Il se dégage de l’ensemble des développements qui précèdent qu’en matière de procédure disciplinaire dans la Force publique aucun texte légal ou réglementaire opposable au demandeur ne réglemente la question du droit du militaire de se faire représenter par un avocat pour introduire par écrit un appel auprès du commandant de la gendarmerie à l’encontre d’une peine disciplinaire du type de celle à la base du présent litige.
Par voie de conséquence, les dispositions de l’article 10 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 suivant lesquelles “ toute partie à une procédure administrative a le droit de se faire assister par un avocat, ou, dans les affaires de nature technique, d’un conseil technique ”, et que “ en cas de désignation d’un mandataire, l’autorité adresse ses communications à celui-ci ”, sont appelées, en vertu des dispositions de l’article 4 de la loi précitée du 1er décembre 1978, à s’appliquer de plein droit à toutes les procédures existantes moins favorables pour l’administré.
Il découle des considérations qui précèdent que Monsieur BRANDENBURGER avait le droit de se faire assister par l’avocat de son choix à tout stade de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, de sorte que c’est à tort que l’auteur de la décision litigieuse a refusé de recevoir l’appel du demandeur au motif que celui-ci ne l’avait pas rédigé personnellement.
La décision déférée est partant à annuler pour cause de violation de la loi.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le dit justifié;
partant annule la décision déférée du commandant adjoint de la gendarmerie grand-
ducale du 2 septembre 1997 et renvoie l’affaire devant le commandant de la gendarmerie grand-ducale;
met les frais à charge de l’Etat.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 octobre 1998 par:
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte 5