N° 10572 du rôle Inscrit le 16 février 1998 Audience publique du 14 octobre 1998
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Recours formé par Madame … FERREIRA DA SILVA contre le ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
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Vu la requête déposée le 16 février 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … FERREIRA DA SILVA, sans état particulier, demeurant à …, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 13 janvier 1998 lui refusant l’octroi d’un permis de travail;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse le 25 septembre 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sonja VINANDY, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Le 23 octobre 1997, l’entreprise des Postes et Télécommunications introduisit auprès de l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », une demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Madame … FERREIRA DA SILVA, née le 6 juin 1971, de nationalité brésilienne, demeurant à ….
Le permis de travail fut refusé par le ministre du Travail et de l’Emploi par arrêté du 13 janvier 1998 aux motifs suivants:
« -
6.544 demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi, dont 2.459 ouvriers non qualifiés;
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des demandeurs d’emploi appropriés sont dès lors disponibles sur place;
- augmentation inquiétante du nombre de demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi durant les quatre dernières années: 4.317 en 1993, 5.115 en 1994, 5.570 en 1995, 6.369 en 1996 et 6.544 en 1997;
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priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (quelque 18 millions de chômeurs dans les Etats membres de l’Union Européenne);
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occupation irrégulière depuis le 10 novembre 1997;
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l’intéressée n’a plus d’autorisation de séjour valable ».
1 Par requête déposée le 16 février 1998, Madame … FERREIRA DA SILVA a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre le prédit arrêté ministériel du 13 janvier 1998.
La demanderesse conclut à l’annulation de l’arrêté critiqué « pour violation de la loi, sinon pour insuffisance de motifs, équivalent à une absence de motifs, sinon pour erreur d’appréciation manifeste ».
Concernant les motifs tirés de la situation difficile du marché de l’emploi et de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.), la demanderesse soutient que l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant: 1° l’entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l’emploi de la main-
d’oeuvre étrangère n’est pas applicable à une personne qui est mariée à un Luxembourgeois et qui dispose d’un titre de séjour valable, étant précisé qu’elle est mariée avec le sieur C. N., de nationalité luxembourgeoise. Selon la demanderesse, cette conclusion se dégage du libellé de l’article 11 du règlement CEE n°1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté. Dans ce contexte, elle estime que le fait qu’elle est actuellement en instance de divorce ne fait pas obstacle à l’application de la prédite disposition communautaire.
La demanderesse soutient encore que le ministre ne saurait baser son refus sur un prétendu défaut d’un titre de séjour valable, dès lors qu’un permis de séjour lui a été accordé par décision du ministre de la Justice du 16 janvier 1998.
Elle fait encore relever que l’ADEM a émis un avis favorable à l’octroi d’une autorisation de travail.
Le délégué du gouvernement expose, entre autres, que la demanderesse a obtenu une autorisation de séjour provisoire comme artiste de cabaret en avril 1994, que suite à son mariage avec Monsieur N. une autorisation de séjour valable jusqu’au 1er septembre 1997 a été délivrée le 2 octobre 1996 et que suite à une demande en prolongation dudit permis le ministre de la Justice a accordé le 16 janvier 1998 une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires jusqu’au 1er janvier 1999.
Le délégué conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours en réformation, aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la matière.
Concernant l’applicabilité de l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, il soutient que les dispositions du chapitre 3 de ladite loi s’appliquent à tout travailleur étranger occupé sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, à l’exception des travailleurs ressortissants des pays de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen. Par conséquent, ledit article serait applicable à une personne « étrangère », indépendamment du fait qu’elle est mariée à un Luxembourgeois et dispose d’un titre de séjour valable.
Quant à la portée de l’article 11 du règlement CEE précité n°1612/68, le représentant étatique soutient que cet article doit être lu à la lumière des objectifs dudit règlement, à savoir la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la communauté. Ainsi, la portée des droits y énoncés serait « d’ordre géographique, à savoir le droit d’accéder à une activité sur l’ensemble du territoire d’un Etat membre ». Le délégué ajoute encore que « cette disposition n’énonce donc pas le principe du droit à l’accès à l’emploi pour le conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre. Ce droit est énoncé à l’article 1er du règlement, article qui ne vise pas le 2 conjoint. » A titre subsidiaire, il conteste qu’une personne en instance de divorce puisse être considérée comme conjoint au sens des dispositions du règlement communautaire précité.
Ensuite, le représentant étatique rétorque que la critique du motif de l’absence d’autorisation de séjour valable ne serait pas fondée, dès lors que la demanderesse, au moment de la prise de la décision litigieuse, le 13 janvier 1998, n’était pas en possession d’un permis valable, ce dernier n’ayant été accordé que le 16 janvier 1998.
Finalement, il estime que le fait que l’ADEM a délivré un avis favorable ne saurait lier le ministre du Travail et de l’Emploi, étant donné que l’avis rendu ne serait que d’ordre consultatif.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse demande acte qu’elle renonce à son recours en réformation.
Ensuite, elle critique l’interprétation donnée par le délégué du gouvernement de l’article 11 du règlement CEE précité n°1612/68 et soutient que l’objectif dudit texte serait d’assurer au conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre le droit de travailler dans le même Etat que celui-ci.
La demanderesse soutient encore que, à aucun moment, elle ne se serait trouvée dans une situation illégale, étant donné qu’elle avait introduit une demande en vue du renouvellement de sa carte de séjour.
C’est à juste titre que la demanderesse a renoncé à son recours en réformation, étant donné que le tribunal n’est pas compétent pour en connaître en l’absence de disposition légale prévoyant un recours au fond en la matière.
Le recours en annulation, introduit par ailleurs suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
La décision déférée se réfère à une motivation libellée en six volets. Le tribunal examine en premier lieu l’ensemble composé par les quatre premiers motifs invoqués par le ministre pour justifier sa décision de refus, à savoir les motifs ayant trait à la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Espace Economique Européen.
L’article 10 (1) du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».
Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » et dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. Tout ressortissant d’un Etat membre, quelque 3 soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».
Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, page 2).
Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des pays parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen sont dispensés de la formalité du permis de travail.
En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Espace Economique Européen se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité brésilienne, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen.
Ceci étant, il convient ensuite d’examiner l’argumentation développée par la demanderesse basée sur l’article 11 du règlement CEE précité n°1612/68.
Aux termes dudit article 11 « le conjoint et les enfants de moins de vingt et un ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre ».
Il est vrai que ce texte consacre le droit du conjoint de tout travailleur bénéficiaire de la libre circulation d’accéder à une activité salariée sur le territoire de l’Etat membre d’accueil.
Il est cependant vrai encore que le droit communautaire n’a pas vocation à s’appliquer à un ressortissant communautaire qui ne se trouve pas et ne demande pas à se trouver dans une situation de circulation entre Etats membres. Une situation interne à un Etat membre n’intéresse pas un droit conçu pour la circulation entre Etats membres, la même absence de rattachement au droit communautaire se constatant, que l’on vise les droits d’un ressortissant communautaire dans son propre pays, ou que l’on vise ceux d’un ressortissant communautaire placé dans une relation entre son pays et un pays extérieur à la communauté (Pierre RODIERE, Sur les effets directifs du droit (social) communautaire, RTD eur. 1991. 565).
C’est en ce sens que la Cour de justice des communautés européennes a limité le champ d’application du règlement CEE précité n° 1612/68 en décidant que ledit règlement ne s’applique pas à des situations purement internes à un Etat membre, telle que celle d’un ressortissant d’un pays tiers qui, en sa seule qualité de conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre, se prévaut d’un droit de séjour ou d’un droit de demeurer sur le territoire de cet Etat membre (CJCE 18 oct. 1990, aff. 297/88 et 197/89, DZODZI c/ Etat belge, Rec. I-3763) et 4 encore que la réglementation adoptée pour l’exécution du traité de Rome ne peut pas être appliquée à des situations qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire, ce dernier n’interdit pas à un Etat membre de refuser l’entrée ou le séjour sur son territoire à un membre de la famille, d’un travailleur employé sur le territoire de cet Etat, qui n’a jamais exercé le droit de libre circulation à l’intérieur de la communauté, lorsque ce travailleur possède la nationalité de cet Etat et le membre de la famille la nationalité d’un pays tiers (CJCE 27 oct. 1982, aff. 35 et 36/82, MORSON et JHANJAN c/ Pays-Bas, Rec. 3723).
En l’espèce, il se dégage des considérations qui précèdent que l’article 11 est inapplicable à une situation purement interne du Grand-Duché de Luxembourg et, par conséquent, ne saurait impliquer une obligation pour le Luxembourg d’accorder au conjoint ressortissant d’un pays tiers, en l’espèce le Brésil, d’un ressortissant luxembourgeois un droit d’accéder à une activité salariée sur le territoire luxembourgeois.
Le moyen d’annulation afférent est partant à abjuger.
En l’absence de tout autre moyen ou contestation développé par la demanderesse à l’encontre dudit groupe de motifs et étant donné que la décision se justifie pour lesdits motifs, l’examen des autres motifs sur lesquels le ministre a encore basé sa décision de refus du 13 janvier 1998 devient surabondant et le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
donne acte à la demanderesse qu’elle renonce à son recours en réformation;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 14 octobre 1998, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5