1 N° 10556 du rôle Inscrit le 6 février 1998 Audience publique du 14 octobre 1998
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Recours formé par Monsieur … SIRADZE contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête déposée le 6 février 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Annick WURTH, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Jean-Paul MEYERS, avocat inscrit à la liste II du prédit tableau, au nom de Monsieur … SIRADZE, ressortissant de la Géorgie, résidant actuellement à …, tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice intervenues respectivement les 27 novembre 1997 et 8 janvier 1998, la première rejetant sa demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié politique, et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jean-Paul MEYERS et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … SIRADZE, originaire de la Géorgie, est arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en date du 30 avril 1997.
Il a introduit le même jour une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date des 15 et 21 mai 1997, Monsieur SIRADZE a été entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.
2 Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 16 octobre 1997, le ministre de la Justice a informé Monsieur SIRADZE, par lettre du 27 novembre 1997, notifiée le 1er décembre 1997, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants: « (…) Vous déclarez être membre du comité d’une organisation d’étudiants dénommée « SRULIAD SAKARTVELOS » qui organisait des manifestations en faveur de GAMSARCHURDIA. En outre, vous faites état d’un emprisonnement de 4 jours en mai 1996, suite à la détention de « narcotiques ». Vous auriez été relâché pour avoir promis de collaborer avec les autorités.
Peu après, la police serait venue chez vous mais, malgré le fait que vous n’ayez rien à leur dire, serait partie sans problèmes.
Vous ne faites cependant pas état de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie vous serait, à raison, intolérable dans votre pays.
Ainsi une crainte justifiée d’une persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ».
Le recours gracieux, formé par Monsieur SIRADZE le 29 décembre 1997, a été rejeté à son tour par lettre du 8 janvier 1998, au motif « qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, la décision du 27 novembre 1997 est maintenue dans son intégralité ».
Par requête du 6 février 1998, Monsieur SIRADZE a introduit un recours en réformation sinon en annulation, contre la décision ministérielle précitée du 27 novembre 1997 ainsi que contre la décision confirmative du 8 janvier 1998.
A l’appui de son recours, le demandeur fait soutenir que les décisions critiquées méconnaissent tant la réalité que la gravité des persécutions qu’il doit craindre en cas de retour dans son pays. Dans ce contexte, il fait exposer qu’en décembre 1991, il aurait participé aux côtés de l’ex-président Gamsarchurdia à la guerre civile qui avait éclaté en Géorgie. Il aurait été membre du comité de lutte des étudiants géorgiens. Il affirme avoir participé activement aux manifestations de ce groupe politique jusqu’au moment où il dut quitter le pays. En mai 1996, il aurait été emprisonné par la police géorgienne sous prétexte qu’il détenait des narcotiques. Durant sa détention, les policiers auraient essayé d’obtenir des informations concernant l’organisation politique dont il faisait partie. Il aurait dû promettre de collaborer avec les forces de l’ordre pour être relâché. Par la suite, la police l’aurait retrouvé à son domicile pour obtenir les renseignements promis. Après un premier contact, par crainte d’être arrêté et forcé à parler, il se serait enfui de chez lui, pour éviter les policiers qui seraient encore revenu au moins vingt fois au domicile de ses parents.
Il fait encore exposer que sa femme et son enfant, âgé de trois ans et demi, l’auraient quitté par peur de représailles de la part de la police. Comme la situation devenait insupportable, il aurait décidé de quitter son pays.
Le demandeur fait ensuite état de la situation générale du pays, et notamment du fait que 19 partisans de l’ex-président Gamsarchurdia, qui avaient participé comme 3 lui à la guerre civile, auraient été condamnés à de lourdes peines, dont 2 peines de mort, et que leur procès n’aurait pas respecté les règles internationales et fondamentales d’un procès équitable.
Sur base des éléments de son dossier, il estime avoir fait état non seulement de craintes justifiées de persécutions en raison de ses opinions politiques et de son appartenance au comité d’un groupement politique, mais aussi de persécutions vécues, lui rendant la vie impossible dans son pays natal.
Le délégué du gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours en annulation, étant donné que l’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, prévoit un recours de pleine juridiction en la matière.
Concernant le recours en réformation, il relève que le demandeur aurait fait état de plusieurs éléments de persécution en relation avec ses activités au sein d’une organisation d’étudiants. Force serait cependant de constater que le demandeur n’aurait produit aucun document en relation avec les faits de persécution qu’il avait invoqués. Il conclut qu’il découlerait du récit du demandeur, à supposer qu’il corresponde à la réalité, qu’il n’aurait pas fait valoir des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte de persécution pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève et qu’il n’aurait pas établi que sa situation spécifique est telle qu’elle laisse supposer un danger sérieux pour sa personne en cas de retour dans son pays.
Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Concernant le seul moyen formulé par le demandeur à l’encontre des décisions critiquées, tiré de ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève, le tribunal, statuant en tant que juge du fond, procédera à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Concernant la justification, au fond, du refus d’accorder le statut de réfugié politique, il se dégage de l’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève, que le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut y retourner. » Le demandeur invoque comme motif de sa persécution, le fait qu’il était membre d’une organisation d’étudiants. Lors de ses auditions des 15 et 21 mai 1997, il 4 avait notamment déclaré: « J’étais dans le comité et actif dans l’organisation de manifestations pour GAMSARCHURDIA. On n’avait pas de président officiel ou de lieu fixe, on avait un simple comité. On n’avait pas de listes des membres, ni cartes de membre, on payait non-plus de cotisations. Notre organisation était proche de GAMSARCHURDIA qui était alors président de la Géorgie ». Il indiquait plus concrètement que les 23-26 décembre 1991, il aurait participé à la défense d’un immeuble dans la rue Rustaveli aux côtés de Gamsarchurdia. A partir de 1992, il serait devenu membre de l’organisation des étudiants. Il a encore indiqué que « je pense qu’on pourrait me faire des problèmes à cause de cela ». Interrogé sur ses opinions politiques, il déclarait « Je suis pro-géorgien et j’aime mon pays. Je suis d’accord avec le gouvernement actuel, je ne peux rien leur reprocher ». Il fait encore préciser que « j’ai une peur en général. Je ne peux transposer cette peur à personne de concret, pas spécialement à la police, ni à une organisation spéciale, ni à une personne en particulier. On ne peut pas se fier à la police, car ils sont corrompus et travaillent pour n’importe qui leur donnant assez d’argent. Je ne me fie à personne, mais je ne peux pas dire concrètement de qui j’ai peur ».
En l’espèce, indépendamment de l’absence d’un quelconque élément de preuve apporté par le demandeur quant à ses déclarations, les craintes exprimées par lui s’analysent en définitive comme l’expression d’un simple sentiment général d’insécurité.
Le demandeur a encore fait ajouter à ses déclarations qu’il aurait été emprisonné pendant 4 jours au courant du mois de mai 1996, suite à la détention de narcotiques. Il aurait été relâché après avoir promis à la police qu’il collaborerait avec elle et qu’il fournirait des informations concernant les activités de l’organisation d’étudiants dont il faisait partie. Vingt jours après sa sortie de prison, la police l’aurait visité à la maison pour obtenir les informations promises. Le demandeur n’aurait cependant pas divilgué des informations: « Je leur ai dit que je n’ai pas d’informations et ils sont repartis sans problèmes majeurs, à l’exception d’injures. » La police serait revenue 20 à 25 fois à la maison qu’il occupait avec ses parents. Il aurait à chaque fois été absent, mais il a affirmé qu’ « ils n’ont pas fait de brutalités à ma famille » .
Outre le fait que le récit est très vague, notamment en qu’il ne fournit aucune information sur les activités politiques que l’organisation d’étudiants aurait pu avoir après le décès du président Gamsarchurdia, surtout en considération du fait que le demandeur a déclaré adhérer à la politique gouvernementale actuelle, le fait d’avoir été emprisonné pendant 4 jours, alors qu’il était soupçonné de détenir des narcotiques, n’est pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique. De même les tracasseries qu’il aurait subies à la suite de cet emprisonnement, consistant dans des visites multiples de la police à son domicile parental, ne sont pas des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte de persécution pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève, de sorte qu’il n’a pas établi que sa situation spécifique est telle qu’elle laisse présumer un danger sérieux pour sa personne en cas de retour dans son pays.
Il ressort des considérations qui précèdent que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir de 5 raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, une crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.
Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.
Le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, est à déclarer irrecevable, la loi prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière.
Le mandataire du demandeur ayant informé le tribunal que son client bénéficie de l’assistance judiciaire, il échet de lui en donner acte.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire;
reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 14 octobre 1998, par le vice-président, en présence de Monsieur Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler