1 N° 10518 du rôle Inscrit le 22 janvier 1998 Audience publique du 14 octobre 1998
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Recours formé par Monsieur … KURPEJOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête déposée le 22 janvier 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles BOUNEOU, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Frédéric FRABETTI, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … KURPEJOVIC, ressortissant du Monténégro, résidant actuellement à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 novembre 1997, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été refusée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frédéric FRABETTI et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … KURPEJOVIC, de confession musulmane, originaire du Monténégro, est arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en date du 17 février 1997.
Il a introduit en date du 18 février 1997 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il a été entendu le jour même par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 16 octobre 1997, le ministre de la Justice a informé Monsieur KURPEJOVIC, par lettre du 26 novembre 1997, notifiée le 22 décembre 1997, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants:
2 « (…) Vous déclarez avoir des problèmes avec la police pour avoir vendu clandestinement des cigarettes. De même, votre père aurait eu des problèmes pour détention d’armes.
Or, vous ne faites pas état de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie vous serait, à raison, intolérable dans votre pays. » Par requête du 22 janvier 1998, Monsieur KURPEJOVIC a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 26 novembre 1997.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’au courant du mois de janvier 1997, il aurait reçu une convocation pour effectuer son service militaire. Cette convocation aurait motivé son départ du pays, alors qu’il avait peur de l’armée étant donné qu’il craignait y être maltraité.
Il relève encore qu’il a été contrôlé par la police et qu’il a été amené au commissariat parce qu’il a vendu clandestinement des cigarettes. Lors de ce contrôle il aurait été gifflé et il aurait reçu quelques coups de matraque sur les mains. Dans sa requête introductive d’instance, il fait préciser que lors de cet interrogatoire, il aurait même été menacé de mort et menacé d’être incarcéré à vie. Comme il serait membre du parti SDA depuis près de trois ans, il serait une cible pour la police serbe, de sorte qu’il aurait quitté le pays en raison d’une crainte légitime de persécution de la part des autorités serbes. A l’appui de cette dernière affirmation, il produit une attestation datée du 19 août 1997, non traduite dans une des trois langues officielles du Grand-Duché de Luxembourg, avec laquelle il entend établir qu’il est membre du parti politique SDA.
Le demandeur fait ensuite valoir que son père serait également membre du parti politique SDA et que malgré le fait que ce dernier avait une autorisation de port d’armes, la police serbe l’aurait amené à son poste pour le maltraiter et lui enlever son arme. Au courant de l’été 1996, la police serbe aurait fouillé leur maison à plusieurs reprises au motif qu’elle cherchait des armes cachées. Lors d’une de ces perquisitions, sa mère aurait également été maltraitée.
Il estime qu’il se dégage de ces déclarations qu’il remplit les conditions posées par la Convention de Genève pour l’octroi du statut de réfugié.
En ce qui concerne la situation d’insoumission du demandeur, le délégué du gouvernement soutient que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.
Quant à l’interrogatoire que le demandeur aurait subi du fait qu’il vendait clandestinement des cigarettes, il estime qu’il s’agit d’une infraction de droit commun et non pas d’une persécution au sens de la Convention de Genève.
Il conteste ensuite l’appartenance du demandeur à un parti politique, étant donné que lors de son audition du 18 février 1997, ce dernier aurait formellement déclaré ne pas appartenir à un parti politique et ne pas avoir d’opinions politiques. Par 3 ailleurs, il serait de jurisprudence constante que la simple appartenance à un parti politique ne saurait justifier l’octroi du statut de réfugié.
En dernier lieu, il fait valoir que le fait que le père du demandeur a été arrêté à plusieurs reprises pour trafic d’armes serait sans pertinence à l’égard du présent recours, étant donné que le demandeur ne serait pas visé directement, ni même indirectement, par ces actions de la police de serbe.
Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Concernant le seul moyen formulé par le demandeur à l’encontre de la décision entreprise, tiré de ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève, le tribunal, statuant en tant que juge du fond, procédera à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Concernant la justification, au fond, du refus d’accorder le statut de réfugié politique, il se dégage de l’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève, que le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut y retourner. » Le demandeur fait valoir qu’il a été convoqué à l’armée, mais qu’il a refusé d’y aller. Lors de son audition du 18 février 1997, il a exposé qu’il avait peur de la police et de l’armée: « De la police à cause des cigarettes et de l’armée parce qu’on peut être maltraité. Il y en a eu aussi des gens qui sont retournés morts il y a environs 4 mois. Ils ont été tués pendant le sommeil. Mais je ne les connaissais pas personnellement. » Dans son recours, il expose encore que les Musulmans ne porteraient pas d’armes lors de leur service militaire, étant donné que celles-ci seraient réservées aux cadres serbes, de sorte que, par ce biais, les Serbes exerceraient une pression morale à l’encontre des Musulmans.
Comme le délégué du gouvernement l’a relevé à juste titre, l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile, en l’espèce Monsieur KURPEJOVIC, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le 4 prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève (cf.
C.E. du 7 mai 1996, n°9526 du rôle).
Le demandeur fait encore état d’un interrogatoire à l’occasion duquel il aurait été maltraité. A ce titre, il a précisé qu’il avait été contrôlé et amené au poste de police parce qu’il poursuivait une occupation illégale, à savoir la vente clandestine des cigarettes. Lors de son audition en date du 18 février 1997, il a déclaré: « Ils m’ont donné des baffes et quelques coups avec la matraque sur les mains. Après, ils m’ont demandé que j’espionne pour eux, sinon ils me donneraient des coups sur les plantes des pieds. Ils voulaient que je déclare les autres qui revendent des cigarettes dans la rue et qui font l’échange et le commerce de devises et d’argent illégalement dans la rue ».
Force est de constater que ces faits et l’interrogatoire qu’il a subi à ce sujet, ont leur origine dans une infraction de droit commun et ils ne constituent dès lors pas un motif de persécution au sens de la Convention de Genève.
Concernant son appartenance à un parti politique, le tribunal relève que lors de son audition, le demandeur a déclaré sans aucune équivoque qu’il n’était pas et n’a jamais été membre d’un parti politique, qu’il n’avait pas eu d’activités politiques et qu’il n’avait pas d’opinions politiques. Le certificat dont il fait état dans son recours et qui attesterait qu’il fait parti du parti politique SDA depuis trois ans, ne peut dès lors être qualifié que de certificat de complaisance, sans aucune valeur probante pour le tribunal. Ce certificat, qui se trouve annexé au recours, n’a par ailleurs pas été traduit, de sorte que le tribunal n’est pas en mesure d’examiner son contenu. Pour le surplus, le tribunal estime que la simple qualité de membre d’un parti politique d’opposition ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.
Le demandeur invoque en dernier lieu le fait que son père aurait été arrêté à plusieurs reprises du fait qu’il était soupçonné de faire du trafic d’armes. A ce titre, leur maison aurait également été fouillée.
Cependant le demandeur n’a jamais été menacé personnellement lors de ces perquisitions et la police ne l’a pas maltraité, de sorte que le demandeur n’invoque, ni a fortiori ne prouve, des menaces concrètes ou des mauvais traitements envers sa personne de la part des autorités du pays.
Il ressort des considérations qui précèdent, que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.
Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme, 5 au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 14 octobre 1998, par le vice-président, en présence de Monsieur Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler