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07/10/1998 | LUXEMBOURG | N°10926

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 octobre 1998, 10926


N° 10926 du rôle Inscrit le 28 septembre 1998 Audience publique du 7 octobre 1998

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Recours formé par Mademoiselle … BORIANA contre le ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 1998, par Maître Marc BOEVER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Olivier LANG, avocat inscrit à la liste II du même t

ableau, et de Maître Fikriye GÜZEL, avocat inscrit au barreau de Bruxelles, au nom de Made...

N° 10926 du rôle Inscrit le 28 septembre 1998 Audience publique du 7 octobre 1998

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Recours formé par Mademoiselle … BORIANA contre le ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 1998, par Maître Marc BOEVER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Olivier LANG, avocat inscrit à la liste II du même tableau, et de Maître Fikriye GÜZEL, avocat inscrit au barreau de Bruxelles, au nom de Mademoiselle … BORIANA, de nationalité bulgare, actuellement sans état et sans résidence connus, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 septembre 1998 ordonnant une mesure de placement à son égard;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 1998;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse le 1er octobre 1998;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Olivier LANG et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Par décision du ministre de la Justice du 8 septembre 1998, notifiée le même jour à Mademoiselle … BORIANA, née le 3 mars 1978, de nationalité bulgare, celle-ci a été placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:

« Considérant que l’intéressée a été contrôlée par la gendarmerie de Luxembourg en date du 8 septembre 1998;

- qu’elle est porteuse d’un titre « déclaration d’élection de domicile » établie par le ministère de l’Intérieur du Royaume de Belgique en date du 27 mai 1998, d’où il ressort qu’elle se déclare réfugié en Belgique;

- que selon l’article 5.1. de la Convention dite de Dublin, du 15 juin 1990, la Belgique est donc responsable pour traiter cette demande d’asile;

- qu’en date du 8 septembre 1998, la reprise a été demandée aux autorités belges;

- que l’éloignement immédiat de l’intéressée vers la Belgique n’est pas possible alors que la reprise n’a pas encore été accordée;

- qu’elle est démunie de toutes pièces d’identité et de voyage valables;

- qu’elle n’est pas en possession de moyens d’existence propres;

- qu’elle se trouve en séjour irrégulier au pays;

Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent que l’intéressée soit placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son éloignement.» Par requête déposée le 28 septembre 1998, Mademoiselle BORIANA a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle de placement.

Elle soutient que la mesure de placement serait illégale, injustifiée et préjudiciable.

En ordre principal, la décision litigieuse serait à tort basée sur l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, dès lors qu’elle dispose du « statut de demandeur d’asile » en Belgique. Elle soutient qu’elle devrait partant tomber dans le champ d’application de la loi du 20 mai 1993 portant approbation de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés Européennes, signée à Dublin, le 15 juin 1990, dénommée ci-après « la Convention de Dublin », et que les mesures de refoulement et d’expulsion prévues par la prédite loi de 1972 ne sauraient être assimilées à la procédure de demande de reprise en charge telle que prévue par la Convention de Dublin. Comme la Convention de Dublin ne prévoirait aucune possibilité d’incarcérer une personne demanderesse d’asile dans un Etat signataire de ladite convention, la décision entreprise serait arbitraire et illégale. Ainsi, en l’absence de base légale, la décision ministérielle contreviendrait à l’article 12 de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg et aussi à l’article 5.1. de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée au Luxembourg par une loi du 29 août 1953.

En ordre subsidiaire, la demanderesse estime que la mesure de placement dans un centre pénitentiaire, ensemble avec des « personnes en attente d’un jugement ou qui purgent une peine », serait disproportionnée, dès lors qu’elle ne se serait rendue coupable d’aucune infraction et qu’elle ne représenterait aucun danger pour l’ordre public.

Le délégué du gouvernement expose que le 25 août 1998, Mademoiselle BORIANA a été contrôlée à Luxembourg-Gare et, comme il aurait été constaté qu’elle se trouvait en séjour illégal au pays, elle a été refoulée vers la frontière belge; que les jours suivants, elle serait réapparue dans le quartier de la gare et n’aurait pas donné suite aux injonctions lui adressées de quitter le pays, de sorte que, le 8 septembre 1998, une demande de reprise a été adressée aux autorités belges auprès desquelles elle aurait déposé une demande d’asile et, le même jour, une mesure de placement a été décidée à son égard. Le délégué relève encore que la prise en charge a été acceptée par les autorités belges le 16 septembre 1998 et que le 29 septembre 1998 la demanderesse a été remise sous escorte aux autorités belges.

Le représentant étatique conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt d’agir dans le chef de la demanderesse, étant donné qu’elle ne fait plus l’objet de la mesure de placement depuis sa remise aux autorités belges.

Au fond, le délégué du gouvernement soutient qu’en présence d’un étranger en séjour irrégulier au Luxembourg et eu égard aux circonstances de fait rendant impossible un 2 refoulement immédiat, l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 serait applicable et les conditions fixées seraient remplies en l’espèce.

Concernant l’opportunité de placer la demanderesse dans le Centre Pénitentiaire de Luxembourg, le délégué explique qu’à défaut de l’existence d’une autre enceinte fermée, le ministère de la Justice a recours au Centre Pénitentiaire, une telle pratique existant également dans d’autres pays.

Dans sa réplique, la demanderesse soutient que sa remise aux autorités belges n’aurait aucune incidence quant à son intérêt pour agir, dès lors qu’au moment de l’introduction de son recours la mesure critiquée aurait produit ses effets et que la reconnaissance par la juridiction administrative du caractère illégal de la décision entreprise conditionnerait une action en responsabilité dirigée contre l’Etat luxembourgeois.

La demanderesse fait encore critiquer que le ministre de la Justice ne rapporterait aucune preuve quant à une éventuelle demande de reprise adressée aux autorités belges.

Pour le cas où le tribunal devait estimer que l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 serait applicable, la demanderesse critique que la demande de reprise n’a pas été faite antérieurement à la prise de la décision de placement et elle met en doute que le ministre ait effectivement formulé une demande de reprise le 8 septembre 1998.

Ensuite, elle estime que les différentes reconduites à la frontière, suivies de retours subséquents au pays, à les supposer établis, ne peuvent être assimilés « à une mesure de refoulement antérieure à la décision attaquée » et que le fait de revenir, après avoir été refoulé, ne saurait être assimilé à une circonstance de fait rendant une nouvelle mesure de refoulement impossible. En l’espèce, les circonstances de fait qui auraient rendu impossible la mesure de refoulement ne seraient que la conséquence d’une faute dans le chef des autorités luxembourgeoises qui n’auraient pas, dès qu’elles l’auraient pu, demandé sa reprise aux autorités compétentes.

Quant à la recevabilité S’il est vrai que la réformation de la décision de placement prise à l’égard de la demanderesse ne saurait désormais avoir un effet concret, la mesure en question ayant de toute manière cessé le 29 septembre 1998, la demanderesse garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure, de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en oeuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé aux particuliers par les décisions en question.

Par conséquent, étant donné que l’article 15, alinéa 9 de la loi précitée du 28 mars 1972 institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, la demande en réformation dirigée contre la décision ministérielle entreprise du 8 septembre 1998 est recevable pour avoir été introduite par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond 3 Le tribunal est en premier lieu appelé à examiner le moyen d’illégalité développé par la demanderesse, consistant, en substance, à soutenir que l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 serait inapplicable, dès lors que sa situation serait régie par la Convention de Dublin.

Il convient de relever, d’un côté, que la loi précitée du 28 mars 1972 a pour vocation de réglementer l’entrée et le séjour des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg, le contrôle médical des étrangers, ainsi que l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère et ses dispositions sont, en principe, applicables à toute personne qui ne rapporte pas la preuve qu’elle possède la nationalité luxembourgeoise. L’article 15 de ladite loi dispose plus spécifiquement dans son alinéa 1er que « lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de ladite loi] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ». Ledit article 15 organise encore, entre autres, la procédure d’une telle mesure de placement et il énonce les droits dont bénéficie l’étranger qui en est frappé.

De l’autre côté, la Convention de Dublin a pour objet de déterminer l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile, au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York le 31 janvier 1967, présentée dans l’un des Etats membres de l’Union Européenne.

Il se dégage de la juxtaposition respectivement des dispositions de la Convention de Dublin, de celles de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 et de celles auxquelles ce dernier renvoie, que ces textes ont non seulement des objets différents, mais encore qu’il n’existe pas de contrariété de principe entre ces dispositions. En d’autres termes, le processus de détermination de l’Etat membre qui, en vertu de la Convention de Dublin, est responsable de l’examen de la demande d’asile, processus qui est engagé dès qu’une demande d’asile est introduite pour la première fois auprès d’un Etat membre, ne tient pas en échec le recours à une mesure de placement, décidée dans le respect des dispositions légales nationales afférentes.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le moyen d’illégalité proposé.

Il convient partant, en l’espèce et dans un premier temps, de vérifier l’existence d’une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure, étant donné qu’il s’agit des conditions pour la légalité de toute décision de placement, au sens de l’article 15, alinéa 1er, précité.

Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de Mademoiselle BORIANA est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, «sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, … «4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis; (…) ».

Il ressort du procès-verbal dressé le 8 septembre 1998 par le service de police judiciaire de la gendarmerie grand-ducale que Mademoiselle BORIANA a fait l’objet d’un premier contrôle en date du 25 août 1998 à Luxembourg-Gare, « auf dem Strassenstrich beim Anwerben von Kunden », et que les brigadiers ont constaté qu’elle n’était ni en possession de papiers de légitimation valables ni ne disposait du visa requis, étant rappelé qu’elle est de nationalité bulgare; que, sur invitation de quitter le pays, elle a pris le train en direction de 4 Bruxelles; que le lendemain, ainsi que les jours suivants, elle a réapparu au Luxembourg et refusait de quitter le territoire.

Le défaut de papiers de légitimation valables et du visa requis est un motif légal justifiant à lui seul une mesure de refoulement, sans qu’il y ait besoin de vérifier la légalité des autres motifs énoncés dans la décision litigieuse.

Il se dégage des considérations qui précèdent que Mademoiselle BORIANA est sous le coup d’une décision de refoulement légalement prise et justifiée, qui constitue une base légale de la décision de placement.

La mesure de placement attaquée n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.

Il convient de relever qu’il se dégage des éléments du dossier, notamment d’une « déclaration d’élection de domicile » établie par le ministère de l’Intérieur du Royaume de Belgique en date du 27 mai 1998, que Mademoiselle BORIANA y a introduit une demande d’asile, au sens de la Convention de Genève. Or, comme le processus de détermination de l’Etat membre qui, en vertu de la Convention de Dublin, est responsable de l’examen de la demande d’asile, est engagé dès qu’une demande d’asile est introduite pour la première fois auprès d’un Etat membre et comme une prise en charge, au sens de la Convention de Dublin, implique des démarches nécessaires auprès de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le ministre de la Justice a valablement pu estimer qu’une circonstance de fait a rendu impossible l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement.

En l’absence d’une exigence légale ou réglementaire spécifique, il convient encore de retenir que le ministre de la Justice n’était pas obligé d’entamer des démarches auprès des autorités étrangères du pays dans lequel il a été envisagé d’éloigner l’intéressée préalablement à la décision de placement.

Une mesure de placement, surtout au Centre Pénitentiaire, ne se justifie cependant qu’au cas où il existe encore, dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision d’éloignement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieur.

En l’espèce, il échet de relever qu’il ressort du dossier, notamment du procès-verbal précité du 8 septembre 1998 de la gendarmerie grand-ducale, qu’en date du 25 août 1998, Mademoiselle BORIANA, donnant en apparence suite à une invitation de quitter le pays, a pris le train en direction de Bruxelles, mais que, déjà le lendemain, ainsi que les jours suivants, elle est revenue au Luxembourg et a refusé de donner suite à de nouvelles invitations de quitter le territoire.

Eu égard à ces considérations, ensemble le fait que la demanderesse est sans domicile fixe connu, il existe partant, dans son chef, un risque qu’elle se soustraie à la mesure d’éloignement ultérieure.

Il ressort des considérations qui précèdent que tant la mesure de refoulement que la mesure de placement, sont basées sur des dispositions légales applicables et sont également justifiées en fait, de sorte que le reproche tiré de la violation de l’article 5.1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas fondé, de même que celui tiré de la violation de l’article 12 de la Constitution luxembourgeoise.

5 Il suit des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Le mandataire de la demanderesse ayant informé le tribunal que sa cliente bénéficie de l’assistance judiciaire, il échet de lui en donner acte.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte à la demanderesse qu’elle bénéficie de l’assistance judiciaire;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non fondé et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 7 octobre 1998, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10926
Date de la décision : 07/10/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-10-07;10926 ?

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