N° 10167 du rôle Inscrit le 24 juillet 1997 Audience publique du 24 septembre 1998
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Recours formé par Monsieur … WENGLER contre l'administration des Contributions directes en matière d’impôt sur la fortune
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Vu la requête déposée le 24 juillet 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … WENGLER, …, déclarant demeurer à [Italie], tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation du bulletin d’impôt fixant les avances pour l’impôt sur la fortune pour l’année 1995 et pour l’année 1996, émis à son encontre le 30 novembre 1995, suite au silence gardé par le directeur de l'administration des Contributions directes face à une réclamation lui adressée le 30 janvier 1996;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 avril 1998;
Vu le mémoire en réplique, intitulé mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 1998 par Maître Fernand ENTRINGER, au nom de Monsieur WENGLER;
Vu l’acte de reprise d’instance, déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 1998, par Maître Fernand ENTRINGER au nom de Madame…, veuve WENGLER, demeurant à L-…, en sa qualité de légataire universelle de son fils … WENGLER, décédé en Italie en mai 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Marie KLEIN en ses plaidoiries.
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Par courrier du 16 mai 1995, Monsieur … WENGLER informa le bureau d’imposition d’Echternach qu’« en date du 3 février 1995, j’ai transféré mon domicile privé de L-… à I-.
Etant donc considéré comme non-résident sans revenus imposables au Grand-Duché, je vous prie de bien vouloir annuler mes avances dues pour l’impôt sur le revenu et pour l’impôt sur la fortune ainsi que les intérêts échus ».
En date du 30 novembre 1995, un bulletin qui fixa les avances pour l’impôt sur la fortune de l’année 1995 à 4 x … francs et pour l’année 1996 à 4 x … francs, lui fut notifié.
1 Le 30 janvier 1996, Monsieur … WENGLER a introduit, par l’intermédiaire de son avocat, une réclamation à l’encontre des avances fixées au titre de l’impôt sur la fortune pour les exercices 1995 et 1996 auprès du directeur de l'administration des Contributions directes, en précisant qu’il n’a plus de domicile fiscal au Luxembourg.
N’ayant reçu aucune réponse de la part du directeur de l'administration des Contributions directes, Monsieur WENGLER a fait déposer le 24 juillet 1997 un recours en réformation sinon en annulation contre la décision implicite de rejet du directeur de l'administration des Contributions directes relative à sa demande en suppression des avances pour l’impôt sur la fortune. Dans son recours, il demande au tribunal de « dire que le requérant n’a plus de domicile fiscal au Grand-Duché de Luxembourg depuis février 1995 » et de « dire qu’il n’a pas d’avances d’impôt sur la fortune à payer pour 1995 ».
A l’appui de son recours, le demandeur produit un certificat de changement de résidence établi par la commune de Rosport en date du 3 février 1995, pour prouver qu’il n’a plus de domicile fiscal au Grand-Duché de Luxembourg. Il conclut qu’en considération de l’article 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après dénommée « LIR », et des paragraphes 13 et 14 de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », il ne serait plus assujetti à l’impôt sur la fortune pour l’année 1995.
Le délégué du gouvernement soulève en premier lieu l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, un recours au fond étant prévu en la matière.
Concernant le recours en réformation, il conteste d’abord la valeur probante du certificat de changement de résidence établi par la commune de Rosport en date du 3 février 1995.
Il soutient ensuite, dans la mesure où le recours introduit par le demandeur porterait uniquement sur l’impôt sur la fortune de 1995: « Comme l’impôt sur la fortune naît au début de l’exercice (§3 StAnpG) bien qu’il ne vienne à échéance, en principe, qu’à raison d’un quart en février, mai, août, novembre (§16 VStG), la cessation en cours d’exercice de l’obligation fiscale ne peut affecter le fait générateur qu’au début de l’exercice suivant (§15 VStG) et donnera lieu, au besoin, à un bulletin de décharge selon le §226 alinéa 1er AO ». Il conclut qu’en « l’état actuel du dossier, le recours en réformation est sans objet faute de décision exécutoire ».
Dans son mémoire en réplique, le demandeur estime qu’il résulte clairement du recours qu’il a pour objet le bulletin d’impôt du 30 novembre 1995, fixant les avances pour l’impôt sur la fortune pour les exercices 1995 et 1996, de sorte que ces deux fixations sont entreprises.
En ce qui concerne les avances à payer pour l’impôt sur la fortune portant sur l’exercice 1995, il donne raison au délégué du gouvernement en acceptant qu’il était « unbeschränkt vermögenssteuerpflichtig » au début de l’année 1995.
Il conclut cependant à la suppression des avances à payer au titre de l’impôt sur la fortune portant sur l’exercice 1996, étant donné qu’il résulterait des pièces versées à l’appui de son recours, qu’après transfert de son domicile en Italie, il aurait pris domicile au Costa-Rica vers le milieu de l’année 1996. A ce sujet, il fait valoir qu’« en droit civil comme en droit 2 fiscal, le domicile d’une personne est une pure question de fait ». Il conclut au bien-fondé de son recours pour l’exercice 1996.
Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les parties sont en désaccord sur la portée du litige qui les oppose en ce que le délégué du gouvernement a conclu que le recours ne viserait que les avances à payer au titre de l’impôt sur la fortune de l’année 1995 et en ce que le demandeur estime que le recours porte sur les avances à payer pour les exercices 1995 et 1996.
Il se dégage cependant, pour le moins implicitement, du libellé du recours ainsi que de la réclamation du 30 janvier 1996 que l’objet du recours porte sur la fixation des avances à payer au titre de l’impôt sur la fortune pour les années 1995 et 1996.
Concernant l’impôt sur la fortune à payer pour l’année 1995, il résulte du paragraphe 15 de la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’impôt sur la fortune, dite « Vermögenssteuergesetz », en abrégé « VStG », que « lorsque l’obligation fiscale cesse ou qu’une exemption personnelle prend effet, l’impôt est perçu jusqu’à la fin de l’exercice dont le début tombe dans l’année du calendrier au cours de laquelle l’obligation fiscale a cessé ou au cours de laquelle l’exemption a pris effet ». Le délégué du gouvernement a dès lors conclu à juste titre que la cessation en cours d’exercice de l’obligation fiscale ne peut affecter le fait générateur qu’au début de l’exercice suivant.
En l’espèce, comme le demandeur soutient avoir abandonné son domicile en date du 3 février 1995, il reste soumis à l’impôt sur la fortune jusqu’à la fin de l’exercice 1995, de sorte que la demande tendant à la suppression des avances à payer pour la prédite année est à rejeter comme étant non fondé.
Concernant l’impôt sur la fortune au titre de l’année 1996, le tribunal relève que l’administration a considéré le demandeur comme étant un résident fiscal luxemboureois et l’a imposé en cette qualité sur sa fortune.
Avant d’être en mesure de vérifier l’exactitude de l’imposition, il convient d’analyser si le demandeur était ou non contribuable résident au Luxembourg.
En effet, en droit fiscal luxembourgeois, et concernant plus spécifiquement l’impôt sur la fortune, il importe de distinguer entre contribuables résidents et contribuables non résidents, dès lors que les premiers sont, en principe, soumis à une obligation fiscale illimitée, sur leur fortune mondiale, tandis que les seconds ne sont soumis qu’à une obligation fiscale limitée, c’est-à-dire uniquement à l’impôt sur leur fortune indigène.
Conformément à l’article 2 (1) LIR, « les personnes physiques sont considérées comme contribuables résidents ou comme contribuables non résidents, suivant qu’elles ont ou qu’elles n’ont pas leur domicile fiscal ou leur séjour habituel au Grand-Duché. » Les notions de domicile fiscal (« Wohnsitz ») et de séjour habituel (« gewöhnlicher Aufenthalt ») sont définies respectivement par les paragraphes 13 et 14 StAnpG comme suit:
3 - « Einen Wohnsitz im Sinn der Steuergesetze hat jemand dort, wo er eine Wohnung innehat unter Umständen, die darauf schliessen lassen, dass er die Wohnung beibehalten und benutzen wird » (§13 StAnpG);
- « Den gewöhnlichen Aufenthalt im Sinn der Steuergesetze hat jemand dort, wo er sich unter Umständen aufhält, die erkennen lassen, dass er an diesem Ort oder in diesem Land nicht nur vorübergehend verweilt. (…) » (§ 14 StAnpG).
En l’espèce, il est constant que le demandeur est de nationalité luxembourgeoise, qu’il est né au Luxembourg et qu’il y a résidé, du moins jusqu’au 3 février 1995. Il ressort en outre des pièces versées en cause, notamment du passeport établi en date du 29 juillet 1997 par le ministre des Affaires Etrangères, que le demandeur résiderait à …, Costa-Rica.
Si l’obligation fiscale illimitée naît du fait que le contribuable dispose au Luxembourg d’une habitation constitutive d’un domicile fiscal ou qu’il y a son séjour habituel, il est dans la logique des choses que cette obligation fiscale illimitée cesse par un départ définitif du pays avec abandon du domicile et du séjour habituel et que le contribuable ne restera imposable, le cas échéant, que sur sa fortune indigène.
Il incombe dès lors au demandeur de prouver qu’il a effectivement abandonné son domicile ou sa résidence au Luxembourg pour s’établir dans un autre pays. A ce titre, le demandeur produit un certificat de changement de résidence établi par l’administration communale de Rosport qui porte comme mention: « la personne soussignée a déclaré vouloir établir sa résidence à [Italie] le 3 février 1995. » S’il est vrai que le certificat de changement de résidence délivré par la commune de Rosport constitue un indice quant à un changement de résidence, il ne saurait cependant suffire à lui seul comme moyen de preuve, dans la mesure où le prédit certificat est délivré à la demande de tout intéressé et sans possibilité de vérification de la part de la commune au moment de son établissement quant à la véracité des indications fournies.
Le demandeur verse en outre un document intitulé « Cedula de Residencia », non traduit dans une des langues officielles du Grand-Duché de Luxembourg, qui semble indiquer qu’à partir du mois de juin 1996, il aurait pris résidence au Costa-Rica.
Le tribunal relève en premier lieu que ce certificat est sans aucune pertinence dans le cas d’espèce, étant donné, comme il a déjà été indiqué ci-dessus, que la cessation en cours d’exercice de l’obligation fiscale ne peut affecter le fait générateur qu’au début de l’exercice suivant, c’est-à-dire que le certificat pourrait, le cas échéant, être pris en compte pour obtenir la suppression des avances à payer pour l’exercice 1997, mais non pas pour les supprimer en 1996.
Comme le demandeur reste en défaut de produire d’autres éléments de preuve portant sur la période de février 1995 jusqu’au 31 décembre 1995, attestant qu’il s’est effectivement établi en Italie, notamment par le biais d’un certificat de résidence de la part des autorités italiennes, le tribunal considère que le demandeur a conservé son domicile au Luxembourg, du moins pour les années 1995 et 1996.
4 Il suit des développements qui précèdent que le recours du demandeur à l’encontre du bulletin d’impôt émis le 30 novembre 1995, fixant l’assiette de l’impôt sur la fortune pour les années 1995 et 1996, n’est pas fondé et que les avances d’impôt sur la fortune concernant les années 1995 et 1996 ont été fixées à juste titre, étant donné que le demandeur était à considérer comme contribuable résident pendant les prédites années.
Un recours de pleine juridiction étant prévu en la matière, le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare non justifié;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 24 septembre 1998 par le vice-président, en présence de Monsieur Legille, greffier.
Legille Schockweiler 5