N° 10622 du rôle Inscrit le 17 mars 1998 Audience publique du 22 juillet 1998
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Recours formé par Monsieur … JUCHEM, … contre le ministre de la Force publique en matière de discipline
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Vu la requête déposée en date du 17 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … JUCHEM, maréchal des logis-chef de la Gendarmerie, …, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir et violation de la loi d’un arrêté du ministre de la Force publique du 14 janvier 1998 prononçant à son égard la peine disciplinaire de l’amende d’un cinquième d’une mensualité brute de son traitement de base;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 juin 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 1998 par Maître Edmond DAUPHIN;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté ministériel attaqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN, Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 6 et 13 juillet 1998.
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Considérant qu’en date du 23 novembre 1996 vers 18.00 heures, Monsieur … JUCHEM, maréchal des logis-chef de Gendarmerie, … , a figuré comme chef de patrouille, avec à ses côtés le premier brigadier Nico RICHARD, tous les deux de la brigade de …, appelés sur l’Aire de Berchem pour résoudre un trouble à l’ordre public causé par un homme nu y errant, pour le conduire par la suite en voiture de service au poste frontalier de Wasserbilligerbrück afin de l’y remettre aux agents du « Bundesgrenzschutz », sans l’autrement couvrir, ni habiller, faute de couverture disponible à la brigade;
Que suite aux dénonciations des agents du « Bundesgrenzschutz » (« die Beamten der luxemburgischen Gendarmerie haben K. in menschenunwürdiger und verwerflicher Art und 1 Weise behandelt ») transmise par leur « Leiter » au commandant de la gendarmerie, une procédure disciplinaire a été engagée, aboutissant à l’encontre de Monsieur JUCHEM à une décision du commandant de la Gendarmerie du 28 novembre 1997 lui notifiée le 16 décembre 1997 à 9.15 heures arrêtant à son égard la peine disciplinaire de l’amende à hauteur de …-
francs représentant le cinquième d’une mensualité brute de son traitement de base;
Que cette décision retient à son encontre de ne pas avoir - observé les lois et règlements fixant les droits et devoirs des militaires, l’exécution prompte et complète des prescriptions et ordres de service, ainsi que le comportement irréprochable dans le service (article 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 concernant la discipline dans la force publique);
- en tant que supérieur militaire donné l’exemple à un collège de patrouille par la façon de se comporter (article 3);
- tenu compte de l’intérêt du service et ne pas s’être abstenu de tout ce qui pourrait nuire à la bonne renommée de la force publique en général et du corps dont il fait partie (article 9);
- dans l’exercice de ses fonctions, évité tout ce qui pourrait donner lieu à scandale, blesser les convenances ou compromettre les intérêts de service (article 12);
Considérant que Monsieur JUCHEM a interjeté appel contre la prédite décision du commandant de la Gendarmerie auprès du ministre de la Force publique par courrier du 17 décembre 1997, amplifié quant aux moyens de défense présentés par courrier de son conseil du 18 décembre 1997;
Considérant que par décision du 14 janvier 1998, le ministre de la Force publique, après avoir retenu que les faits reprochés à Monsieur JUCHEM étaient établis et que les sanctions disciplinaires prononcées étaient appropriées, a déclaré l’appel recevable en la forme mais non fondé, confirmant pour les motifs ci-avant indiqués et plus amplement exposés dans la décision entreprise du 28 novembre 1997 la peine disciplinaire de l’amende d’un cinquième d’une mensualité brute de son traitement de base à son encontre;
Considérant que par son recours déposé en date du 17 mars 1998, Monsieur JUCHEM demande l’annulation de la décision ministérielle précitée pour excès de pouvoir et violation de la loi, critiquant la décision déférée tant au niveau de la procédure poursuivie que relativement au fond;
Considérant qu’un recours au fond n’est prévu en matière disciplinaire de la Force publique que dans le cadre des dispositions de l’article 30 de la loi modifiée du 16 avril 1979 sur la discipline dans la Force publique, relativement aux peines dépassant la compétence du chef de corps;
Considérant que dans la mesure où la peine prononcée à l’égard de Monsieur JUCHEM est une amende équivalente au cinquième d’une mensualité brute de son traitement de base, celle-ci rentre dans les compétences du commandement de la Gendarmerie aux termes des articles 19.A.4) et 25.II.3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 et relève en appel de la 2 compétence du ministre de la Force publique en raison de son article 29 allinéa 6, de sorte que les dispositions de l’article 30 prédit restent étrangères à la présente cause, étant entendu qu’il n’a pas été contesté que le montant de l’amende prononcée (…- francs) correspond exactement au cinquième du traitement de base de l’époque dans le chef du demandeur;
Qu’aucun recours de pleine juridiction n’étant prévu en l’espèce, le recours en annulation introduit est recevable sur base de l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, pour avoir été libellé suivant les formes et délai prévus par la loi, non autrement contestés par ailleurs;
Qu’à travers la décision ministérielle du 14 janvier 1998, entièrement confirmative de celle du commandement de la Gendarmerie du 28 novembre 1997, dont elle a fait siens les motifs, le présent recours vise indirectement mais nécessairement également la décision disciplinaire rendue par le chef de corps;
Considérant qu’en premier lieu et relativement à la forme, la partie demanderesse invoque la violation de l’article 29 de la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée en ce que contrairement à cette disposition il n’aurait jamais été inculpé;
Que lors de son audition du 10 décembre 1996 par l’adjudant d’arrondissement de la Gendarmerie, aucune inculpation ne lui aurait été notifiée, Monsieur JUCHEM ayant été d’avis à l’époque qu’on lui demandait simplement des précisions au sujet de l’incident du 23 novembre 1996 ci-avant relaté, dont il avait fait mention succinctement dans le rapport journalier;
Que tout en admettant que ses supérieurs lui avaient fait part oralement de plaintes des autorités allemandes, il insiste pour dire que la « Vernehmung » du 10 décembre 1996 constitue en réalité un rapport fait à son adjudant-chef, rédigé en la première personne, sans qu’il ait été entendu en bonne et due forme par ledit supérieur;
Que toujours relativement à la forme, Monsieur JUCHEM fait grief à la décision ministérielle déférée d’avoir violé l’article 56 pris sub 2, sub 3 et sub 4 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, désignée ci-après par « statut général »;
Qu’il est ainsi avancé que le statut général constituerait la loi générale applicable en l’occurrence, concurremment avec la loi spéciale portant la même date et ayant spécifiquement pour objet la discipline dans la Force publique, pour autant qu’il n’y ait pas de contradictions entre les deux textes;
Considérant que le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens relatifs à la forme;
Qu’ainsi le terme « militaire inculpé » visé dans le contexte de l’article 29 de la loi précitée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique viserait le militaire contre lequel est engagé une poursuite disciplinaire et répondrait ainsi au cas d’espèce;
Que par ailleurs il résulterait du procès-verbal intitulé « Vernehmung » du 10 décembre 1996 que Monsieur JUCHEM a été mis au courant de l’objet de celle-ci;
3 Que les moyens tirés du statut général ne seraient pas fondés, alors que cette loi ne trouverait pas application dans le cas d’espèce, uniquement régi par la loi précitée du 16 avril 1979 sur la discipline dans la Force publique;
Que le représentant étatique prend soin de préciser que contrairement aux affirmations du demandeur, l’instruction n’a pas été faite par le fonctionnaire qui a déclenché l’affaire, ni par celui qui a été amené à statuer;
Que pendant toute l’instruction du dossier, Monsieur JUCHEM aurait été informé et tenu au courant de tous les éléments de l’affaire, tout comme personne ne l’aurait empêché de consulter son dossier, ni d’ailleurs de formuler des observations écrites, droit dont il a usé en date des 10 décembre 1996 et 1er juillet 1997;
Considérant que fondamentalement la discipline dans la Force publique est régie par la loi modifiée du 16 avril 1979 y relative, s’inspirant largement du statut général précité portant la même date;
Que ce n’est que dans la mesure où elles n’y sont pas contraires que les dispositions du statut général en matière de discipline ont vocation à s’appliquer également à l’égard des membres d’un des trois corps de la force armée à titre résiduel et complémentaire;
Considérant que l’article 29 de la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée, invoqué en premier lieu par Monsieur JUCHEM, dispose que les peines prévues à l’article 25, notamment sous II, sont prononcées par décision motivée, « après que le militaire inculpé a été entendu »;
Considérant qu’il est constant en cause que la matière des poursuites disciplinaires, tout en s’apparentant au régime des poursuites pénales, est cependant, de par sa nature, différente de cette dernière;
Que dès lors le terme « inculpé » employé par l’article 29 prérelaté n’est pas à entendre au sens strict lui donné par le code d’instruction criminelle, mais doit être considéré dans son contexte relatif à la procédure disciplinaire (cf. C.E. 19 décembre 1979, Peitsch, n° 6853 du rôle);
Qu’ainsi, dans le cadre de la loi du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, le terme « militaire inculpé » se comprend comme visant le membre d’un des trois corps de la Force armée, contre lequel est engagée une poursuite disciplinaire, impliquant nécessairement que celui-ci, ayant le droit d’être entendu, ait également été mis au courant du détail des reproches formulés à son égard, notamment à la base de la procédure disciplinaire engagée;
Considérant qu’en visant l’article 56.3 du statut général relatif à l’information du fonctionnaire présumé fautif des faits qui lui sont reprochés, la partie demanderesse a entendu s’emparer des dispositions correspondantes relatives à la discipline dans la Force publique résultant de l’article 31.3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée disposant que « le chef hiérarchique notifie au militaire présumé fautif les faits qui lui sont reprochés »;
4 Que par différence avec l’article 56.3 du statut général retenant que le chef hiérarchique « informe » le fonctionnaire présumé fautif des faits qui lui sont reprochés, l’article 31.3. de la loi du 16 avril 1979 applicable en l’espèce, emploie le terme « notifie »;
Que la notification présuppose une information écrite devant contenir d’après le libellé de l’article 31.3 en question pour le moins l’énumération des faits qui sont reprochés au militaire présumé fautif;
Que ces dispositions sont d’ordre public comme touchant aux droits de la défense de la personne contre laquelle une procédure disciplinaire est ouverte;
Considérant qu’il est constant en cause que la demande d’enquête disciplinaire enregistrée sous le numéro 2525/96 a été adressée en date du 25 novembre 1996 par le commandant de la Gendarmerie au commandant d’arrondissement à Esch-sur-Alzette;
Considérant que sur question spéciale du tribunal posée à ce sujet sur rupture du délibéré, le délégué du gouvernement a précisé à l’audience du 13 juillet 1998 qu’aucune information écrite n’avait été transmise à Monsieur JUCHEM concernant les faits lui reprochés, les indications y relatives s’étant toutes faites par la voie orale;
Qu’ainsi il résulte des pièces versées au dossier administratif que la « Vernehmung » établie à … le 10 décembre 1996, signée par Monsieur JUCHEM, commence par les termes suivants: « … JUCHEM, Oberwachtmeister, derselbe mit dem Gegenstand der Vernehmung vertraut gemacht, erklärt zur Sache folgendes: … »;
Que cette « Vernehmung » figure au dossier sous deux versions différentes dont l’une est simplement signée par Monsieur JUCHEM en dessous des trois lettres V.G.U., pièce versée comme annexe à la pièce 6 de la farde des pièces de Maître DAUPHIN;
Qu’une « Vernehmung » au contenu analogue également datée à … le 10 décembre 1996, comportant la mention « annexe I au rapp. n° 1754 du 10.12.1996 du commandement d’arrondissement de … » et contenant la formule « Der/Dieselbe mit dem Gegenstand der Vernehmung vertraut gemacht, erklärt zur Sache folgendes » est également signée par Monsieur JUCHEM sous les trois lettres V.G.U., signature figurant à côté de celle de Monsieur …, adjudant-chef;
Qu’au-delà de ces différences de texte somme toute mineures, il est constant en cause que Monsieur JUCHEM n’a pas été entendu à proprement parler, mais a rédigé en la première personne du singulier, la « Vernehmung » en question à l’image d’un rapport à son supérieur hiérarchique avec les conséquences inhérentes;
Considérant que l’information donnée d’après la « Vernehmung » du 10 décembre 1996 à Monsieur JUCHEM sur l’objet d’icelle ayant été simplement orale, elle ne suffit pas aux exigences de l’article 31.3 précité qui prévoit une notification écrite, outre les impératifs de précision des faits reprochés ;
Considérant que de même le transmis n° CE/1754a-/96 du « Schreiben des Grenzschutz- und Bahnpolizeiamt Saarbrücken Grenzschutzstelle Wasserbilligbrück A.z: - o -
2063 - B » .. « au maréchal des logis-chef JUCHEM … de la brigade de … pour prise de 5 position éventuelle dans les dix jours de la notification de la présente » lui adressé le 20 juin 1997 par le commandant d’arrondissement, capitaine …, ne correspond pas non plus aux exigences dudit texte;
Que s’il est vrai que ce transmis reprend en partie les mentions de l’article 31.4 de la même loi modifiée du 16 avril 1979 prévoyant que dans les dix jours de la notification, le militaire peut présenter ses observations et demander un complément d’instruction, il n’en reste pas moins que la simple communication du courrier de la « Grenzschutzstelle Wasserbilligerbrück » du 12 mai 1997 comprenant comme annexes les témoignages de trois de ses agents tous établis en date du 24 novembre 1996, ne répond pas aux exigences légales;
Qu’en effet, de par son contenu, aucun de ces écrits ne saurait valoir notification des faits précisément reprochés au militaire présumé fautif dans le cadre de la procédure disciplinaire ouverte contre lui;
Que si les faits relatés par les trois témoignages en question se rapprochent singulièrement de ceux finalement reprochés à Monsieur JUCHEM dans les décisions disciplinaires intervenues par la suite, il n’en reste pas moins que d’après les données à la disposition du tribunal ces pièces n’ont été communiquées comme telles à l’intéressé que plus de six mois après la soi-disant audition du 10 décembre 1996, ne lui indiquant ainsi pas, suivant les formes légales, les faits lui reprochés, ni leur portée dans le cadre et dès le début de la procédure disciplinaire engagée contre lui;
Que pareille notification ne résultant d’aucun autre écrit, la procédure disciplinaire menée contre Monsieur JUCHEM encourt l’annulation pour violation des dispositions essentielles destinées à sauvegarder les droits du militaire présumé fautif concerné, prévues plus précisément à l’article 31.3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée;
Considérant que cette annulation entraîne en bout de procédure celle de la décision du chef de corps et finalement celle de la décision ministérielle déférée ayant statué sur l’appel interjeté par Monsieur JUCHEM;
Que par voie de conséquence le recours est fondé, l’analyse des autres moyens de forme et de fond proposés devenant de ce fait superflue;
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
déclare le recours recevable et fondé;
déclare nulle la procédure disciplinaire menée à l’égard de Monsieur JUCHEM à défaut de notification des faits lui reprochés;
partant annule la décision ministérielle déférée et renvoie l’affaire devant le ministre de la Force publique;
6 condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Ravarani, président M. Delaporte, premier vice-président M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 22 juillet 1998 par le premier vice-président délégué à ces fins, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Ravarani 7