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18/06/1998 | LUXEMBOURG | N°10505

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juin 1998, 10505


N° 10505 du rôle Inscrit le 14 janvier 1998 Audience publique du 18 juin 1998

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Recours formé par Madame … MUKOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 1998 par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MUKOVIC, sans emploi, demeurant à …, tendant principalement à la réformation et su

bsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 novembre 1997, par ...

N° 10505 du rôle Inscrit le 14 janvier 1998 Audience publique du 18 juin 1998

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Recours formé par Madame … MUKOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 1998 par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MUKOVIC, sans emploi, demeurant à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 novembre 1997, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été refusée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 27 avril 1998;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse le 18 mai 1998;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître François MOYSE et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 23 juillet 1997, Madame … MUKOVIC, originaire de la région du Monténégro, demeurant actuellement à …, a présenté oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention ».

A la même date du 23 juillet 1997, Madame MUKOVIC a été entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d'asile et sur le déroulement de son voyage vers le Luxembourg.

La commission consultative pour les réfugiés a émis un avis défavorable le 16 octobre 1997.

Par décision du 28 novembre 1997, notifiée le 16 décembre 1997, le ministre de la Justice a rejeté sa demande, avec la motivation suivante:

« (…) Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

Vous déclarez avoir eu des problèmes avec la police du fait que votre mari était membre de la SDA. Vous auriez à plusieurs reprises été emmenée au poste de police où vous auriez reçu des baffes et où on vous aurait menacée de viol.

Cependant, force est de constater que vous n’avez pas fait l’objet d’une quelconque persécution du fait d’activités politiques. En outre, les faits que vous relatez ne sont pas de nature à vous faire courir des risques de persécutions ou des craintes qui seraient telles que la vie vous serait intolérable dans votre pays.

Ainsi, une crainte justifiée d’une persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme étant non fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée le 14 janvier 1998, Madame MUKOVIC a introduit un recours, principalement, en réformation et, subsidiairement, en annulation contre la décision ministérielle précitée du 28 novembre 1997.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer que depuis 1986, elle travaillait comme technicienne en bâtiment dans une société étatique et qu’elle était mariée à Monsieur Jakub PEPIC, qui était instituteur et membre du parti politique « SDA ». Elle fait préciser que son mari aurait été « instructeur dans le parti SDA qui en même temps formait des militants au maniement des armes, afin de créer une milice secrète, pouvant être utilisée pour s’en prendre aux institutions de l’Etat yougoslave ». Leurs problèmes avec les autorités serbes auraient commencé, depuis que le mari aurait inscrit, en 1992, tous les membres de sa famille au « SDA ». Par la suite, son mari aurait soudainement disparu le 13 mars 1996 et elle resterait sans nouvelles de sa part, de sorte qu’elle le croit décédé. La demanderesse relève encore que, pendant plusieurs mois en 1997, elle aurait eu de « gros problèmes avec la police serbe » qui l’aurait menacée et violentée afin d’obtenir des renseignements sur le séjour et les activités de son mari.

Dans un premier ordre d’idées, la demanderesse reproche au ministre de la Justice d’avoir violé les dispositions de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, au motif que la motivation de la décision de refus serait trop vague et baserait, d’une part, sur des considérations imprécises et, d’autre part, sur un avis de la commission consultative pour les réfugiés lui-même incomplet.

Elle critique encore que ni le dossier ni le prédit avis ni, enfin, la décision litigieuse ne feraient état de ce qu’elle a été inquiétée pour des raisons politiques, c’est-à-dire en raison des activités de son mari au sein du « SDA ». Elle souligne encore qu’elle n’aurait pas été entendue sur ce point crucial pendant son audition du 23 juillet 1997 et conclut à l’annulation de 2 l’instruction ainsi qu’à l’annulation de la décision querellée, qui ne se baserait pas sur l’ensemble des éléments du dossier et contiendrait partant une erreur d’appréciation.

Sur base des éléments de fait de son dossier, elle soutient remplir les conditions justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, au motif qu’elle serait en droit de craindre pour sa sécurité en raison de son appartenance à un groupe social, de sa religion et de ses opinions politiques et philosophiques.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en annulation, la loi prévoyant la possibilité d’un recours de pleine juridiction en la matière.

Quant au recours en réformation, il relève en premier lieu que le mari de la demanderesse ne serait pas décédé, mais résiderait actuellement en RFA.

Il estime que le moyen de réformation tiré d’une instruction incomplète ne serait pas fondé, dès lors qu’il aurait incombé à la demanderesse d’insister sur les motifs de persécution qui ont motivé sa fuite de son pays d’origine et qu’elle était en mesure de développer ses moyens dans le cadre du recours contentieux.

Selon le représentant étatique, les motifs de persécution allégués ne seraient ni corroborés par la production de pièces ni suffisants pour établir une crainte justifiée au sens de la Convention.

A l’argument tiré de l’absence de preuves, la demanderesse fait opposer qu’il ressortirait d’une pièce jointe à son mémoire en réplique qu’elle faisait effectivement partie du « SDA ».

En matière de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention, la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile a introduit, par son article 13, la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus prises en application de l’article 12 de la même loi.

Par conséquent, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation et le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant également été introduit dans les formes et délai de la loi, il est partant recevable.

Le tribunal est en premier lieu appelé à examiner le moyen de réformation tiré d’une absence de motivation adéquate de la décision litigieuse.

Il appert, à l’examen du libellé de la décision critiquée, ainsi que de l’avis de la commission consultative, sur lequel le ministre a encore basé sa décision de refus et dont une copie a été jointe en annexe à la décision ministérielle du 28 novembre 1997, que le refus de la demande en obtention du statut de réfugié politique n’est pas dépourvu de motivation, mais contient au contraire une motivation circonstanciée tant en droit qu’en fait.

Par ailleurs, les reproches formulés par la demanderesse concernant l’instruction de sa demande ne font pas apparaître une violation des règles édictées par la loi précitée du 3 avril 1996 et le moyen d’annulation y relatif est à écarter.

3 En effet, il convient de relever que tant la décision ministérielle que l’avis de la commission consultative ont pris en considération les problèmes que la demanderesse allègue avoir eus avec la police en raison de l’appartenance de son mari au SDA et, s’il est vrai que l’autorité chargée de l’instruction et investie du pouvoir de décision doit apprécier la valeur des déclarations d’un demandeur d’asile ainsi que la valeur des éléments de preuve par lui apportés et que, le cas échéant, elle doit collaborer activement à l’établissement des faits pertinents, il n’en reste pas moins que la charge de la preuve appartient en premier lieu au demandeur qui doit déclarer tous les faits pertinents qui l’ont amené à quitter son pays d’origine et il ne saurait reprocher à l’administration son omission de ce faire.

Quant au fond, aux termes de l’article premier, section A, 2. de la Convention, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Si les activités dans un parti d’opposition peuvent, le cas échéant, justifier des craintes légitimes de persécution, il y a lieu de constater que, d’une part, la demanderesse n’a pas fait état d’activités personnelles voire de mauvais traitements subis en raison de celles-ci et, d’autre part, ses allégations quant à un rôle actif joué par son mari au sein du parti « SDA » restent non seulement vagues et imprécises mais, pour le surplus, de telles activités politiques concrètes ne sont pas corroborées par le moindre élément de preuve objectif les concernant.

Sur ce dernier point, le certificat du 7 avril 1998 émanant du « parti de l’action démocratique de Monténégro, section de Rozaje » versé par la demanderesse, en annexe de son mémoire en réplique, n’est pas de nature à suppléer à cette carence, dès lors que cette pièce ne renseigne pas quant à la nature des prétendues activités du mari. Il s’y ajoute que la demanderesse reste en défaut d’exposer un quelconque fait précis justifiant une crainte justifiée de persécution de son mari et qu’il n’est en rien documenté que la disparition de son mari est liée à des persécutions du fait de ses prétendues activités politiques.

Ainsi, la demanderesse n’a pas fait valoir de raisons personnelles crédibles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécutée pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention et, partant, le ministre de la Justice a refusé à bon droit le statut de réfugié politique.

Le recours est partant à rejeter.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 18 juin 1998, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10505
Date de la décision : 18/06/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-06-18;10505 ?

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