Numéro 10272 du rôle Inscrit le 3 septembre 1997 Audience publique du 17 juin 1998 Recours formé par l’administration communale de Remerschen contre le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
--
Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10272, déposée le 3 septembre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri FRANK, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Remerschen, établie à L-5440 Remerschen, 75, Wäistrooss, tendant à la réformation, et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes 18 juillet 1997 ayant déclaré tardive la réclamation par elle introduite en date du 11 novembre 1996;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mars 1998 par Maître Henri FRANK au nom de l’administration communale de Remerschen;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Henri FRANK, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
---
Au cours des années 1989 à 1991, la commune de Remerschen a réalisé un lotissement à Schengen au lieu-dit « Killeboesch ».
Estimant que la réalisation de ce lotissement s’analyse en une entreprise commerciale et que les revenus dégagés par la commune sur les ventes de places à bâtir situées dans ce lotissement constituent ainsi des bénéfices soumis à l’impôt sur le revenu et à l’impôt commercial communal, le bureau d’imposition sociétés IV a demandé le 18 février 1991 à l’administration communale de Remerschen de déposer les déclarations d’impôt afférentes. Par courrier du 21 février 1991, le bourgmestre de la commune de Remerschen a répondu en substance au bureau d’imposition qu’il estime qu’une administration communale ne peut pas être assujettie à imposition pour cette activité de lotissement.
Le 3 décembre 1992, le bureau d’imposition a émis les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l'impôt commercial communal pour les années 1989 et 1990, les bulletins relatifs à l’année 1989 fixant une cote d’impôt respective de 0 LUF et ceux relatifs à l’année 1990 fixant une cote d'impôt sur le revenu de 1.480.489 LUF et une cote d’impôt commercial communal de 427.800 LUF. Le 1er février 1996, le même bureau d’imposition a émis, d’après les informations soumises au tribunal, des bulletins similaires concernant l’année 1991.
Par courrier daté du 31 octobre 1996, mais parvenu à l’administration des Contributions directes le 11 novembre 1996, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Remerschen a introduit devant le directeur de l’administration des Contributions directes une réclamation contre les bulletins d’impôt précités relatifs aux années 1990 et 1991.
Le directeur a rejeté cette réclamation comme tardive par décision n° C 9137 du 18 juillet 1997 au motif suivant: « Considérant qu’aux termes des paragraphes 245 et 246 de la loi générale des impôts (AO) dont la règle a été reprise dans l’instruction sur les voies de recours jointe aux bulletins entrepris, le délai de réclamation est de trois mois et court à partir de la notification qui, en cas de simple pli postal, est présumée accomplie le troisième jour ouvrable après la mise à la poste; Considérant que la réclamante n’allègue pas de circonstance susceptible de justifier un relevé de forclusion (§ 86 AO); Par ces motifs; dit la réclamation tardive ».
A l’encontre de cette décision directoriale du 18 juillet 1997, l’administration a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 3 septembre 1997.
Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable, un recours de pleine juridiction étant prévu en la matière.
Le délégué du Gouvernement, après avoir considéré qu’il appartient à la partie demanderesse de verser les exemplaires notifiés des bulletins entrepris, renvoie aux dispositions du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 concernant la notification des bulletins en matière d’impôts directs, et notamment à son article 2 qui établit la présomption que la notification par simple pli à la poste est censée accomplie le troisième jour ouvrable qui suit celui de la remise à la poste. Exposant que le centre informatique de l’Etat, chargé de l’impression et de l’envoi des bulletins d’impôt ordinaires, imprime et envoie l’unique original des bulletins d’impôt - dont l’administration ne conserverait pas de copie - à des jours fixes déterminés par son organisation interne, il en déduit que la date que porte un bulletin est tout au moins présumée être celle de la mise à la poste. La réclamation introduite le 11 novembre 1996 aurait en conséquence été introduite en dehors du délai légal de trois mois en ce qui concerne à la fois les bulletins précités émis le 3 décembre 1992 relatifs à l’année 1990 et ceux émis le 1er février 1996 relatifs à l’année 1991.
Aux termes du paragraphe 246 (1) de la loi générale des impôts (AO): « Die Frist zur Einlegung eines Rechtsmittels beginnt mit Ablauf des Tages, an dem der Bescheid dem Berechtigten zugestellt oder, wenn keine Zustellung erfolgt, bekanntgeworden ist oder als 2 bekanntgemacht gilt ». La notion de « Bekanntgabe » dans cette disposition, figurant pareillement au paragraphe 91 AO, ne vise pas toute forme fortuite de communication, mais seulement une communication au destinataire sous l’une des formes admises par la loi fiscale.
Le point de départ du délai de recours est donc le jour où le bulletin a été signifié ou légalement notifié, à l’exclusion d’une communication fortuite au destinataire (cf. TIPKE-
KRUSE, Abgabenordnung, 1963, § 246 A. 1).
Les règles de notification des bulletins fixant une cote d’impôt à des destinataires demeurant au pays sont contenues dans le règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 qui admet dans son article 1er la notification par simple pli fermé à la poste et dont l’article 2 dispose: « La notification par simple lettre est présumée accomplie le troisième jour ouvrable qui suit la remise de l’envoi à la poste à moins qu’il ne résulte des circonstances de l’espèce que l’envoi n’a pas atteint le destinataire dans le délai prévu ».
S’il est vrai que cette présomption de notification impose au destinataire d’établir l’absence de notification dans le délai présumé, elle ne saurait cependant s’appliquer que si l’administration fiscale établit la remise à la poste de l’envoi contenant le bulletin d’impôt. En cas de contestation de la notification du bulletin d’impôt par le destinataire et faute de preuve par l’administration fiscale de la remise à la poste, la présomption de notification légale du bulletin d’impôt ne joue pas et la notification légale ne peut être considérée comme accomplie, sauf preuve contraire circonstanciée. Il s’ensuit, dans cette hypothèse, que le bulletin d’impôt, au voeu du paragraphe 91 AO, ne prend pas effet à l’égard du destinataire et que le délai pour introduire une réclamation ne prend pas cours.
Le délégué du Gouvernement entend tirer des instructions au centre informatique de l’Etat et de la pratique de travail de celui-ci une présomption suffisante que la date figurant sur le bulletin d’impôt correspond à celle de sa remise à la poste. Faute d’autres éléments concrets et établis en cause, cette simple allégation basée sur une pratique et sur la simple apposition d’une date sur le bulletin d’impôt ne saurait cependant fonder l’admission d’une présomption grave, précise et concordante, suffisante au vu de l’article 2 du règlement grand-ducal précité du 24 octobre 1978, que le bulletin d’impôt a été remis à la poste pour notification à cette même date.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’éléments de preuve circonstanciés et en présence des contestations afférentes de l’administration communale de Remerschen, l’administration des Contributions directes n’a pas rapporté la preuve de la remise des bulletins critiqués relatifs aux années 1990 et 1991 à la poste, de sorte que ceux-ci ne peuvent être considérés comme régulièrement notifiés et qu’ils ne sauraient être qualifiés de décisions pourvues d’effet à l’égard du contribuable. Le délai de recours n’a ainsi pas non plus commencé à courir à leur égard.
Alors même qu’on ne se trouve dès lors pas en présence d’une décision susceptible d’exécution, il y a cependant lieu de tenir compte du parapraphe 246 (2) AO qui dispose: « Ein Rechtsmittel kann eingelegt werden, sobald der Bescheid vorliegt ». Le recours peut en conséquence être introduit contre un bulletin d’impôt dès que l’administration fiscale a formé définitivement - hormis les hypothèses de modification ou rectification légalement prévues - sa volonté de fixer une cote d’impôt et l’a matérialisée par un bulletin d’impôt en due forme (« aktenmässiges Vorliegen »), même si celui-ci n’a pas encore été notifié dans les formes légales, dès que le contribuable a acquis connaissance d’une manière ou d’une autre de l’existence de ce bulletin (cf. Etudes fiscales n° 81-85, Jean OLINGER, La procédure 3 contentieuse en matière d’impôts directs, n° 124, p. 75; TIPKE-KRUSE, Reichsabgabenordnung, 1963, § 246, A. 2).
En l’espèce, indépendamment du fait qu’il n’est pas établi en cause que les bulletins de l'impôt sur le revenu et de l'impôt commercial communal des années 1990 et 1991 ont été notifiés dans les formes légales à l’administration communale de Remerschen, il est cependant constant en cause que ces bulletins ont été arrêtés définitivement respectivement en dates des 3 décembre 1992 et 1er février 1996, de sorte que l’administration communale de Remerschen, conformément au paragraphe 246 (2) AO, a valablement pu exercer un droit de recours à leur encontre.
Il se dégage des développements qui précèdent que la décision directoriale du 18 juillet 1997 encourt la réformation en ce sens que la réclamation introduite le 11 novembre 1996 doit être déclarée recevable.
Conformément aux conclusions à la fois écrites et orales de l’administration communale de Remerschen et afin de ne pas priver la partie demanderesse de l’accès à une instance de décision instaurée par la loi, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes afin de statuer sur le fond.
PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclare fondé, dit que la réclamation introduite le 11 novembre 1996 est recevable, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes afin de statuer sur le fond, met les frais à charge de l’Etat.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juin 1998 par:
M. RAVARANI, président, M. CAMPILL, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
4 s. SCHMIT s. RAVARANI 5 Concernant les bulletins d’impôt relatifs à l’année 1990 émis le 3 décembre 1992, il ressort des pièces soumises au tribunal que l’administration communale de Remerschen s’est trouvée en possession de ces bulletins d’impôt. Des copies de ceux-ci étaient en effet annexées à un téléfax du 24 mars 1997 envoyé par le commissaire de district de Grevenmacher au nom de l’administration communale de Remerschen à l’adresse de la direction de l’administration des Contributions directes et tendant à rappeler la réclamation précitée introduite le 11 novembre 1996. Celle-ci ne saurait dès lors être qualifiée de tardive, en l’absence de délai de recours révolu, et doit être déclarée recevable, les exigences du paragraphe 246 (2) AO se trouvant vérifiées.
Concernant les bulletins d’impôt relatifs à l’année 1991, force est de constater que ceux-ci n’ont été soumis au tribunal par aucune partie, de sorte que celui-ci, indépendamment de la question de savoir si ces bulletins existent, n’est pas en mesure d’apprécier leur teneur.
L’administration communale ne justifie non plus en aucune manière avoir été en possession de ces mêmes bulletins au moment de l’introduction de la réclamation du 10 novembre 1996, son. D’autre part, il ressort des pièces soumises au tribunal que l’administration communale s’est vue signifier en date seulement du 10 décembre 1996, donc postérieurement à l’envoi par ses soins de la réclamation introduite le 11 novembre 1996, une contrainte émise par l’administration des Contributions directes et portant sur un montant de 10.595.558 LUF, mentionnant notamment une cote d’impôt sur le revenu de 5.640.235 LUF et une cote d’impôt commercial communal de 1.761.480 LUF dues l’une et l’autre au titre de l’année d’imposition 1991. Il suit des considérations qui précèdent que l’administration communale de Remerschen n’établit qu’elle avait acquis connaissance d’une quelconque manière de l’existence d’une imposition au titre de l’exercice 1991 à son encontre au moment de l’introduction de sa réclamation qui doit en conséquence être déclarée irrecevable dans cette mesure sur base du paragraphe 246 (2) AO.
Il se dégage des développements qui précèdent que la décision directoriale du 18 juillet 1997 encourt la réformation en ce sens que la réclamation introduite le 11 novembre 1996 doit être déclarée recevable pour autant que dirigée contre les bulletins de l'impôt sur le revenu et de l'impôt commercial communal concernant l’année 1990, mais irrecevable dans la mesure de la contestation des bulletins de l'impôt sur le revenu et de l'impôt commercial communal du chef de l’année 1991.
Conformément aux conclusions à la fois écrites et orales de l’administration communale de Remerschen et afin de ne pas priver la partie demanderesse de l’accès à une instance de décision instaurée par la loi, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes afin de statuer sur le fond.
PAR CES MOTIFS 6 Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclare partiellement fondé, dit que la réclamation introduite le 11 novembre 1996 est recevable pour autant que dirigée contre les bulletins de l'impôt sur le revenu et de l'impôt commercial communal concernant l’année 1990 émis le 3 décembre 1992, mais irrecevable dans la mesure de la contestation des bulletins de l'impôt sur le revenu et de l'impôt commercial communal du chef de l’année 1991, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes afin de statuer sur le fond, met les frais pour moitié à charge de chaque partie.