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08/06/1998 | LUXEMBOURG | N°10496

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juin 1998, 10496


N° 10496 du rôle Inscrit le 8 janvier 1998 Audience publique du 8 juin 1998

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Recours formé par Madame … MORANA-ZEFI, ainsi que par ses enfants … et …, de nationalité albanaise, contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10496 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 1998 par Maître Guy THOMAS, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de Madame … MORANA-ZEFI, agissant tant en son nom personnel qu’en sa qual...

N° 10496 du rôle Inscrit le 8 janvier 1998 Audience publique du 8 juin 1998

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Recours formé par Madame … MORANA-ZEFI, ainsi que par ses enfants … et …, de nationalité albanaise, contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10496 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 1998 par Maître Guy THOMAS, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MORANA-ZEFI, agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’administrateur de la personne et des biens de ses enfants … et …, demeurant ensemble à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 1997 rejetant sa demande d’admission au statut de réfugié politique, confirmée, sur recours gracieux du 28 octobre 1997, par décision du 8 décembre 1997;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 3 mars 1998;

Vu le mémoire en réplique de la demanderesse déposé le 22 mai 1998;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Guy THOMAS et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Madame … MORANA-ZEFI, née le 29 mai 1956, de nationalité albanaise et séjournant, ensemble avec ses enfants …, née le 18 décembre 1979, et …, né le 18 décembre 1983, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, a introduit le 7 juillet 1997, pour elle-même ainsi que pour ses deux enfants précités, une demande en reconnaissance du statut de réfugiés au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention ».

Le 23 septembre 1997, le ministre de la Justice, se basant sur un avis conforme de la commission consultative pour les réfugiés du 28 août 1997, a refusé la demande en obtention du statut de réfugiés, au motif « qu’il n’est pas établi qu’un membre de l’opposition démocratique risque à l’heure actuelle une persécution en raison de son activité politique de la part du pouvoir socialiste en place.

Ainsi, les craintes que vous alléguez ne sont pas d’une gravité telle que la vie vous serait, à raison intolérable dans votre pays.

Une crainte justifiée d’une persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. » Un recours gracieux, formé le 28 octobre 1997, a été rejeté à son tour le 8 décembre 1997.

Par requête déposée le 8 janvier 1998, Madame MORANA-ZEFI, agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’administrateur de la personne et des biens de ses enfants … et …, a introduit un recours en réformation contre les décisions incriminées des 23 septembre et 8 décembre 1997.

La demanderesse estime que le rejet ministériel de sa demande en obtention du statut de réfugié politique est le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation des éléments de fait et de droit, étant entendu que ce serait à tort que le ministre a considéré que les craintes par elle alléguées ne seraient pas d’une gravité telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays.

Concernant la situation dans son pays d’origine, elle fait dresser le portrait de la situation générale d’insécurité existant actuellement en Albanie, spécialement dans sa ville d’origine Skoder.

Elle fait notamment relever que, suite à la reprise du pouvoir en Albanie par le parti socialiste, regroupant les membres de l’ancien parti communiste albanais, les anciens opposants au régime communiste et les militants du parti démocratique se verraient persécutés tant par le nouveau régime que par des groupes paramilitaires.

Quant à sa situation personnelle, elle expose que sa famille aurait beaucoup souffert sous le régime communiste: par l’emprisonnement de ses frères et soeurs, Paulin, pendant trois ans, Teresina, pendant 5 ans, Yolanda, condamnée à 3 ans de prison et à 5 ans de déportation, et Djerim, pendant deux ans, le dernier ayant ensuite été déporté dans la ville de Vier. Son frère Gjovalin aurait été interné pendant longtemps dans des hôpitaux psychiatriques en raison de sa « farouche opposition au pouvoir communiste » et n’aurait été libéré qu’en 1991.

A la fin du régime communiste, toute sa famille se serait vu reconnaître le statut de persécutés politiques par l’« association des anciens persécutés et condamnés politiques ».

Son frère Gjovalin, qui aurait été un militant infatigable du parti démocratique et qui se serait investi corps et âme contre le retour au pouvoir des anciens communistes, aurait été lâchement abattu dans la nuit du 28 mai 1997 en pleine rue par un groupe armé portant des cagoules et, la police, bien qu’informée, ne se serait rendue sur les lieux du crime que des heures plus tard. L’assassinat de son frère, qui habitait en face d’elle et avec lequel elle était très liée, l’aurait terriblement choquée et « déclenché chez elle une crainte de persécution d’autant plus intense qu’elle devait également craindre pour la vie de ses enfants, de son mari et de ses autres frères et soeurs ».

2 En effet, son fils Bledar aurait, pendant la campagne électorale ayant précédé les élections de juin 1997, régulièrement accompagné Gjovalin lors de ses activités de propagande pour le parti démocratique et pour protéger les bâtiments publics contre des attentats terroristes des groupes paramilitaires soutenant le parti socialiste.

Elle fait encore valoir que son mari, qui au moment de l’introduction du recours n’aurait pas encore réussi à quitter l’Albanie pour la rejoindre au Luxembourg, serait persécuté du fait de son engagement actif au sein du parti démocratique et de ses participations aux manifestations contre le régime communiste pendant les années 1990-1991.

Quant à son frère Paulin, son nom aurait été ajouté sur la tombe de Gjovalin « en guise d’avertissement et de menace ».

Finalement, un de ses neveux aurait été grièvement blessé en avril 1991 par la police qui tirait sur des étudiants manifestant à Skoder.

La demanderesse estime que ces faits, ensemble son opposition politique au régime communiste et ses liens étroits au parti démocratique l’exposent à la vindicte de l’ancien parti communiste, du gouvernement actuel et des groupes paramilitaires à la solde de ce dernier et justifient sa crainte avec raison d’être persécutée.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours soutenant que c’est à bon droit que le ministre a refusé le statut de réfugié à la demanderesse, celle-ci restant en défaut de faire valoir un quelconque motif personnel de persécution, les faits invoqués ayant tous trait à des persécutions subies par des membres de sa famille.

Le représentant étatique relève plus particulièrement que, dans ses déclarations lors de l’introduction de sa demande en obtention du statut de réfugié politique, la demanderesse a déclaré ne pas avoir eu des activités politiques ni d’avoir entrepris d’action quelconque qui pourrait entraîner des persécutions en Albanie et qu’il ne serait, par ailleurs, pas établi qu’un membre de l’opposition démocratique risque à l’heure actuelle une persécution en raison de son activité politique de la part du pouvoir socialiste en place.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse expose que son mari, Alexandre MORANA et leur fils, Bledar, l’auraient rejointe et auraient, à leur tour, introduit des demandes en reconnaissance du statut de réfugié politique. Par conséquent, invoquant l’intérêt d’une bonne administration de la justice, elle demande au tribunal de surseoir à statuer sur le présent recours en attendant les décisions ministérielles à intervenir sur les prédites demandes.

Le recours introduit par Madame MORANA-ZEFI contre les décisions ministérielles des 23 septembre et 8 décembre 1997 est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant à l’exception dilatoire soulevée par la demanderesse, le tribunal arrive à la conclusion qu’il n’est pas dans l’intérêt d’une bonne justice de surseoir à statuer en attendant une prise de décision ministérielle, ainsi qu’une éventuelle action judiciaire relativement aux demandes 3 en obtention du statut de réfugié politique introduites par les mari et fils de la demanderesse.

L’affaire introduite par la demanderesse étant en état d’être jugée et décidée au fond, la demande en sursis à statuer est partant à rejeter.

Aux termes de l’article premier, section A, 2. de la Convention, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

S’il est vrai que la demanderesse n’invoque, ni a fortiori ne prouve, des menaces concrètes ou des mauvais traitements envers sa personne de la part des autorités, il n’en reste pas moins que des persécutions pour une des raisons énoncées à l’article premier, section A, 2. de la Convention contre des proches parents peuvent, compte tenu des circonstances particulières, justifier une crainte légitime de subir le même sort.

En l’espèce, la demanderesse a fourni des explications qui ne manquent pas de cohérence, et dont il se dégage qu’elle fait partie d’une famille d’opposants qui a beaucoup souffert sous le régime communiste en Albanie en raison des opinions et prises de position politiques de ses membres. Elle fait encore valoir que plusieurs des membres de sa famille, notamment son frère Gjovalin ZEFI et son fils Bledar, pendant la période électorale ayant précédé les élections de juin 1997 et depuis le changement de la majorité parlementaire en faveur du parti socialiste, militaient activement pour le parti démocratique de l’ex-président Sali BERISHA, cet activisme ayant coûté la vie à Gjovalin ZEFI le 25 mai 1997 et entraîné des menaces de mort contre un autre frère, Paulin ZEFI.

Les explications de la demanderesse, notamment en rapport avec l’assassinat de Gjovalin ZEFI sont corroborées par des pièces - dont l’authenticité n’a pas été mise en doute - et dont il ressort notamment que son mari, Alexandre MORANA, est également un membre actif du « Partia demokratike ». En tant que membre d’une famille d’activistes d’un mouvement d’opposition, elle peut craindre à raison d’être exposée à des représailles sinon de la part des autorités en place, du moins des groupements « paramilitaires », indépendamment de la question de savoir si ces groupements sont sciemment utilisés par les autorités ou s’ils échappent à leur contrôle.

Il se dégage de l’ensemble des renseignements fournis et des pièces versées au tribunal que Madame MORANA-ZEFI peut craindre avec raison d’être persécutée du fait de ses opinions 4 politiques et de son appartenance à une famille d’opposants à l’ancien régime communiste et, en tant que militants actifs du parti démocratique, aux autorités actuellement en place. - Eu égard à leur situation, ses enfants … et … peuvent avoir des craintes identiques d’être persécutés. La demanderesse et ses deux enfants remplissent partant les conditions posées par l’article premier, A., 2. de la Convention pour pouvoir bénéficier du statut de réfugiés politiques.

Il s’ensuit que les décisions ministérielles de rejet de leur demande d’asile politique sont à réformer en ce sens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, rejette la demande en sursis à statuer, statuant au fond, déclare le recours justifié, partant réforme les décisions ministérielles des 23 septembre et 8 décembre 1997 et accorde le statut de réfugié politique à Madame MORANA-ZEFI, ainsi qu’à ses enfants … et …, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 8 juin 1998, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10496
Date de la décision : 08/06/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-06-08;10496 ?

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