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20/05/1998 | LUXEMBOURG | N°10051

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mai 1998, 10051


N° 10051 du rôle Inscrit le 6 juin 1997 Audience publique du 20 mai 1998

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Recours formé par Madame … DHUR, épouse … KEUP contre le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural en matière d’aides agricoles

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10051 et déposée le 6 juin 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges MARGUE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Madame … DHUR, épouse de Monsieur … KEUP, cultivatrice, demeurant à …, tendant à l'annu...

N° 10051 du rôle Inscrit le 6 juin 1997 Audience publique du 20 mai 1998

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Recours formé par Madame … DHUR, épouse … KEUP contre le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural en matière d’aides agricoles

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10051 et déposée le 6 juin 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges MARGUE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DHUR, épouse de Monsieur … KEUP, cultivatrice, demeurant à …, tendant à l'annulation d’une décision implicite de rejet du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, pour avoir gardé le silence pendant plus de trois mois suite à un recours gracieux introduit le 10 décembre 1996 contre une décision dudit ministre du 19 septembre 1996 refusant l’allocation d’une aide à l’investissement;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 1997;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse le 2 février 1998;

Vu le dossier administratif ainsi que la décision du 19 septembre 1996;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Georges MARGUE et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 13 mars 1995, Madame … DHUR, épouse KEUP conclut un contrat de bail avec Monsieur …-… KEUP et son épouse, Madame … HECK, relativement à la prise à ferme, pour une durée de 9 ans, expirant le 1er novembre 2003, d’une exploitation agricole sise à …, comprenant outre les bâtiments d’exploitation, des terres arables d’une contenance totale de 12 hectares, 13 ares, 50 centiares.

Le 29 août 1996, Madame DHUR présenta au ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural une demande dite « Antrag auf eine staatliche Beihilfe im Rahmen eines Betriebsverbesserungsplanes gemäss den Bestimmungen 2 des Gesetzes vom 18.12.1986 über die Förderung der Entwicklung der Landwirtschaft », sollicitant ainsi une aide à l’investissement relativement aux « Bau eines Tiefstreulaufstalles für Jungvieh; Kauf einer Rundballenpresse; Viehzukauf ».

Par décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural -ci-après dénommé le ministre de l’Agriculture - du 19 septembre 1996, Madame DHUR se vit notifier le refus de l’octroi de l’aide à l’investissement sollicitée, au motif que « die Betriebe KEUP-Dhur … und KEUP … als einen gemeinsam geführten Betrieb angesehen werden und es sich beim Betrieb KEUP-

Dhur … nicht um einen separat geführten Betrieb handelt ».

Le 13 décembre 1996, Madame DHUR introduisit un recours gracieux à l’encontre de cette décision ministérielle de refus.

Ce recours n’ayant pas fait l’objet d’une réponse pendant plus de trois mois, Madame DHUR a introduit le 6 juin 1997 un recours en annulation contre le refus implicite du ministre de l’Agriculture de revenir sur sa décision initiale du 19 septembre 1996.

La demanderesse conclut à l’annulation de la décision attaquée, lui refusant l’octroi des aides légalement prévues concernant les installations et acquisitions ci-

avant mentionnées et le renvoi du dossier devant le ministre de l’Agriculture.

A l’appui de son recours, elle fait valoir que l’exploitation de son fils … et celle qu’elle a prise à ferme de son beau-frère …-… KEUP constituent deux unités distinctes.

Dans ce contexte, elle fait exposer qu’il y a des bâtiments distincts; que deux comptabilités distinctes sont tenues; qu’il y a dépôt de deux déclarations fiscales distinctes; qu’il existe deux parcs distincts de machines agricoles; qu’il y a deux habitations distinctes et qu’il est tenu des registres distincts pour « SANITEL ». Elle fait ajouter que ces faits ont été vérifiés sur place par Monsieur Daniel FRIEDEN, inspecteur principal au ministère de l’Agriculture, et par un collaborateur du Service d’économie rurale.

Le délégué du gouvernement estime que c’est à juste titre que la demande d’allocation de l’aide à l’investissement sollicitée a été rejetée, au motif que l’exploitation de la demanderesse ne constitue pas une exploitation autonome gérée distinctement de toute autre, mais qu’elle doit être considérée comme étant gérée ensemble avec celle de son fils … KEUP qui y est adjacente et que ces deux exploitations ne constituent, en fait, qu’une seule unité technico-économique.

Pour démontrer cette conclusion, le représentant étatique expose que le 15 janvier 1988, la demanderesse, afin d’associer son fils … à la gestion de l’exploitation familiale qu’elle gérait seule à l’époque et en vue d’une transmission ultérieure, a conclu avec ce dernier un contrat d’exploitation relatif à ladite exploitation familiale.

Un tel contrat d’exploitation étant assimilé à une installation sur une exploitation agricole, au sens de l’article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 1986 promouvant le développement de l’agriculture, le fils a bénéficié d’une prime de première installation d’un montant de 406.000.- francs.

3 Le 13 mars 1995, nonobstant ce contrat d’exploitation, la demanderesse a pris seule à bail certaines surfaces agricoles et certains éléments d’une exploitation appartenant à son beau-frère …-… KEUP.

Selon le délégué du gouvernement cette façon de procéder est contraire à la lettre et à l’esprit de la réglementation en matière de prime de première installation, étant entendu que le but recherché par la demanderesse ne serait pas la transmission de l’exploitation familiale à la jeune génération, mais serait de contourner les conditions de plafond ou même d’exclusion prévues par certains régimes d’aides.

Il soutient encore que de tels contournements, abus ou actes frauduleux sont prohibés par l’article 2 § 2 du règlement modifié No 3887/92 de la Commission des Communautés Européennes du 23 décembre 1992 portant modalités d’application du système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d’aides communautaires.

Enfin, admettre le bien-fondé de la demande permettrait à la demanderesse « de fusionner avec l’exploitation familiale de son fils dont elle est ou a été coexploitante et d’empocher de cette façon, non seulement une prime substantielle d’encouragement à la fusion, mais également de contourner les plafonds prévus dans les différents régimes d’aides, sachant que ceux-ci sont multipliés en cas de fusion par le nombre d’associés ».

A la lumière de ces considérations, le délégué estime avoir démontré que l’exploitation de la demanderesse doit être considérée comme une fiction poursuivant un but abusif.

La demanderesse fait répliquer que ni l’article 2 § 2 du règlement CEE précité du 23 décembre 1992 ni les dispositions luxembourgeoises d’application ne permettent d’affirmer qu’il ne puisse exister des exploitations distinctes, dont l’une est gérée par un fils et l’autre par sa mère, et que la constatation d’un abus doit nécessairement résulter d’une analyse des faits.

Elle fait préciser que, contrairement à ce qui semble ressortir du mémoire en réponse, les deux exploitations dont il est question dans le litige ne proviennent pas d’un partage d’immeubles à usage agricole ayant appartenu aux époux … KEUP - … DHUR et transmis pour partie seulement à leur fils … et retenus pour le reste par la mère, mais qu’au contraire, l’exploitation gérée par Monsieur … KEUP provient de ses parents, en majeure partie même de son père, tandis que l’exploitation gérée par … DHUR porte, en vertu du bail à ferme du 13 mars 1995, sur des terres et bâtiments appartenant aux époux …-… KEUP et … HECK, telle qu’étendue, par acquisition en 1997, de terres en provenance de la succession de feu son père … DHUR et par différentes prises à ferme de terres.

Aucun recours spécifique n'étant prévu en la matière, le recours en annulation est donc en principe admissible contre la décision ministérielle attaquée.

4 Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La loi modifiée du 18 décembre 1986 promouvant le développement de l’agriculture, sur base de laquelle la demanderesse a introduit sa demande d’aide à l’investissement dans le cadre d’un plan d’amélioration matérielle, a notamment pour objectif de favoriser le développement des exploitations familiales qui constituent la base fondamentale de l’économie agricole, de favoriser l’installation des jeunes agriculteurs et d’accroître la productivité et la compétitivité de l’agriculture en vue de consolider et de renforcer sa position dans l’économie nationale et internationale, le tout en conformité avec les principes de la politique agricole commune.

Conformément à l’article 2 paragraphe 2 du règlement précité No 3887/92 de la Commission des Communautés Européennes du 23 décembre 1992, « les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour éviter que la transformation d’exploitations existantes ou la constitution d’exploitations après le 30 juin 1992 ne mènent au contournement manifestement abusif des dispositions en matière de limites de bénéfices des primes ou de conditions relatives au gel des terres prévues dans le cadre des régimes visés à l’article 1er du règlement (CEE) No 3508/92 ».

C’est à bon droit que la demanderesse fait soutenir que ni l’article 2 paragraphe 2 du règlement CEE précité No 3887/92, ni la loi précitée du 18 décembre 1986, ni encore une quelconque autre disposition communautaire ou nationale ne pose l’interdiction que, suite au transfert effectif et total d’une exploitation agricole familiale par les parents à leurs enfants, l’ancienne génération ne puisse redémarrer et gérer une exploitation agricole distincte.

Si l’article 2 paragraphe 2 du règlement CEE précité No 3887/92 peut constituer le fondement à une décision de refus de l’aide sollicitée par la demanderesse, il incombe au ministre de l’Agriculture de justifier sa décision par la preuve que les faits et actes de la demanderesse dénotent la volonté de contourner de façon manifestement abusive les dispositions applicables afin de bénéficier indûment de primes agricoles.

Or, loin de documenter une situation d’abus, les circonstances et faits constants en cause établissent l’existence de deux exploitations distinctes, l’une étant gérée par la demanderesse et l’autre par son fils.

En effet, cette conclusion s’impose eu égard aux affirmations de la demanderesse, non autrement contestées, qu’il y a des bâtiments distincts; que deux comptabilités distinctes sont tenues; qu’il y a dépôt de deux déclarations fiscales distinctes; qu’il existe deux parcs distincts de machines agricoles; qu’il y a deux habitations distinctes et qu’il est tenu des registres distincts pour « SANITEL ».

Le seul fait que les deux exploitations sont adjacentes n’est pas, à lui seul, de nature à énerver cette conclusion.

Face à une demanderesse qui se prévaut d’une situation personnelle qui est confirmée par les apparences, il revient donc à l’administration de les contredire par 5 des indices suffisamment puissants quant à leur réalité et leur effectivité ou par d’autres éléments de preuve.

En l’espèce, force est de constater que le ministre de l’Agriculture est resté en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif documentant que l’acte de transfert de l’ancienne exploitation agricole familiale et la constitution d’une nouvelle exploitation s’analysent en une fiction, dénotant une intention de contourner des dispositions applicables pour parvenir abusivement à l’obtention de primes agricoles.

L’administration reste encore en défaut d’établir, à suffisance de droit, la matérialité d’une exploitation non autonome gérée ensemble avec celle du fils de la demanderesse.

Il suit de ce qui précède que le recours est fondé et qu’il y a lieu à annulation de la décision du ministre de l’Agriculture du 19 septembre 1996, confirmée implicitement par le silence dudit ministre pendant plus de trois mois suite à un recours gracieux introduit le 10 décembre 1996.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare justifié, annule la décision du ministre de l’Agriculture du 19 septembre 1996, confirmée implicitement par le silence dudit ministre pendant plus de trois mois suite à un recours gracieux introduit le 10 décembre 1996 et renvoie l'affaire devant ledit ministre, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge et lu à l’audience publique du 20 mai 1998, par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10051
Date de la décision : 20/05/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-05-20;10051 ?

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