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16/04/1998 | LUXEMBOURG | N°10488

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 avril 1998, 10488


1 N° 10488 du rôle Inscrit le 5 janvier 1998 Audience publique du 16 avril 1998

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Recours formé par Monsieur … SINANOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 5 janvier 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles BOUNEOU, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Frédéric FRABETTI, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au no

m de Monsieur … SINANOVIC, demeurant à …, tendant à la réformation d’une décision du ministr...

1 N° 10488 du rôle Inscrit le 5 janvier 1998 Audience publique du 16 avril 1998

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Recours formé par Monsieur … SINANOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 5 janvier 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles BOUNEOU, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Frédéric FRABETTI, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … SINANOVIC, demeurant à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 novembre 1997, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été refusée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 février 1998;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frédéric FRABETTI et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … SINANOVIC, de nationalité yougoslave, originaire du Monténégro et de confession musulmane, a introduit le 28 février 1997 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En dates des 28 février, 6 mars et 29 août 1997, il a été entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande et sur le déroulement de son voyage vers le Luxembourg.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 16 octobre 1997, le ministre de la Justice a informé Monsieur SINANOVIC par lettre du 17 novembre 1997, notifiée en date du 5 décembre 1997, que sa demande avait été 2 rejetée aux motifs suivants: « (…) vous ne faites pas état de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie vous serait, à raison intolérable dans votre pays.

En particulier, quant au fait que vous avez déserté l’armée, il faut rappeler que la Convention de Genève ne peut seulement bénéficier à l’insoumis ou au déserteur qui refuse d’accomplir le service militaire qui l’amènerait à participer à des actions militaires contraires à ses convictions politiques, religieuses ou morales, que ce soit au moment de la désertion ou au moment du retour dans votre pays d’origine. Or, vous ne risquerez pas de devoir participer à de telles actions militaires.

Ainsi, une crainte justifiée d’une persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. » Par requête déposée le 5 janvier 1998, Monsieur SINANOVIC a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 17 novembre 1997.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est musulman pratiquant et qu’il est membre du parti politique « S.D.A. » qui défend le peuple musulman. Il invoque la mort de son frère Monsieur Fatmir SINANOVIC pendant son service militaire en 1996 dans des circonstances inconnues à ce jour, en précisant que son frère était également membre du parti politique « S.D.A. ». Il soutient que depuis le début de son service militaire le 19 juin 1996, il serait victime de maltraitements de la part des officiers serbes qui l’obligeraient à pratiquer la religion orthodoxe et lui interdiraient toute pratique de sa religion musulmane. Il expose encore que les officiers serbes lui auraient à de multiples reprises rappelé la mort de son frère, et que cette image lui reviendrait chaque jour à l’esprit et constituerait une menace et une crainte journalières pour lui. Les officiers serbes lui auraient en outre rappelé son appartenance au parti « S.D.A. » et sa fonction de président de la section sportive. Pour ces motifs, la situation dans l’armée aurait été intenable pour lui, de sorte qu’il aurait déserté à deux reprises de l’armée serbe. Ainsi, en cas de retour dans son pays, il devrait craindre des persécutions, poursuites et emprisonnements arbitraires de la part des autorités serbes qui rendraient sa vie dans son pays d’origine encore plus intolérable.

Il fait encore valoir qu’il aurait pu quitter son pays sans problème avant d’être enrôlé dans l’armée serbe, pour souligner qu’il aurait uniquement quitté son pays à la suite des événements intervenus pendant son service militaire. L’obligation de porter les armes contre un agresseur hypothétique et la possibilité de devoir participer à une action militaire contraire à ses convictions religieuses ou à des raisons de conscience valables, le placeraient dans une situation de détresse permanente, de sorte qu’il remplirait les conditions pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement constate que le demandeur fait valoir à l’appui de sa demande en obtention du statut de réfugié politique à la fois son appartenance au parti politique « S.D.A. », la mort de son frère Fatmir SINANOVIC, de mauvais traitements infligés par des officiers serbes et sa désertion de l’armée serbe.

3 Le représentant étatique relève que lors des auditions du demandeur, ce dernier aurait affirmé que le fait qui pourrait entraîner des persécutions contre lui serait sa désertion de l’armée. Cependant, le risque d’éventuelles poursuites pénales en raison de l’infraction de désertion, à supposer qu’elle était établie, ne pourrait être considéré comme une persécution à caractère politique.

En ce qui concerne le rôle du demandeur au sein du parti « S.D.A. », le délégué du gouvernement relève encore que le demandeur aurait affirmé être le président pour les jeunes dans la commune de Rozaje, sans cependant pouvoir préciser les activités concrètes au sein du parti.

Quant à la mort du frère du demandeur, dont la cause resterait inconnue à ce jour, il soutient que ce fait ne saurait avoir une incidence sur la situation personnelle du demandeur. Ce serait, dès lors, à bon droit que le ministre de la Justice a estimé que le demandeur n’a pas fait état d’une crainte justifiée de persécution en raison de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou en raison d’opinions politiques.

En matière de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, a introduit, par son article 13, la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus prises en application de l’article 12 de la même loi.

Par conséquent, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est partant recevable.

Aux termes de l’article premier, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

4 Concernant en premier lieu le motif tiré de la désertion à deux reprises de l’armée serbe, il échet de rappeler que ni l’insoumission ni la désertion ne sont, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinons politiques, ainsi que le prévoit le prédit article premier, § 2, de la section A de la Convention de Genève (cf. C.E. du 7 mai 1996, no 9526 du rôle). Par conséquent, la seule crainte du demandeur des poursuites et des peines infligées du chef d’insoumission ou de désertion ne constitue non plus, en elle-même, une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Dans ce contexte, le tribunal doit relever qu’il ne ressort des éléments du dossier ni que le demandeur risquait de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ni qu’il risque d’être condamné à une peine disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction.

Concernant l’ensemble des autres motifs allégués, il convient de relever que le récit présenté par le demandeur à l’appui de sa demande manque de cohérence et de vraisemblance, et se caractérise par des réponses évasives et imprécises aux questions posées par l’agent du ministère de la Justice, qui relève « les souvenirs de l’intéressé au sujet de sa venue au pays sont très précaires malgré la venue récente au pays. … Les déclarations ayant été faites souvent dans le style: « on fait … aux musulmans … » « Ils nous ont fait … » laissent l’impression qu’une persécution directe n’est probablement pas le cas. Considérant que l’intéressé paraissait à (sic) ne pas vouloir donner trop d’informations sur son propre cas, des questions suggestives ont dû être posées à l’intéressé, il est alors possible voire évident que certaines déclarations sont venues à jour sans que l’intéressé y aurait pensé » C’est ainsi que le tribunal retient, de manière exemplative, que, dans ses déclarations, telles qu’elles sont relatées dans le rapport des auditions des 28 février et 6 mars 1997, le demandeur, interrogé sur ses opinions politiques, déclare que « je n’en ai pas » et concernant ses activités politiques, il affirme avoir aidé à organiser des bals et soirées pour la jeunesse et qu’il avait également participé « à des réunions ». Lors de son audition du 29 août 1997, il affirme qu’il organisait des manifestations culturelles 2 à 3 fois par an dans des communes différentes. Interrogé sur ce qu’il avait précisément organisé, il répond qu’il était président « pour » les jeunes dans la commune de Rozaje, alors même qu’il ne figure pas en cette qualité sur sa carte de membre du parti politique du S.D.A. Il affirme encore être musulman pratiquant tout en soulignant qu’il ne connaît cependant pas les prières musulmanes. Au début de son audition du 28 février 1997, il affirme également n’avoir jamais été incarcéré, mais à la fin de son récit, concernant sa désertion, il fait état de ce qu’il aurait été mis en prison pendant 4 jours et que les serbes « l’auraient tapé tout le temps » Il se serait alors enfui de l’armée serbe vers fin septembre 1997 pour se cacher chez sa grand-mère.

Lors de son audition du 28 février 1997, il a indiqué comme motif à la base de sa demande d’asile « qu’il n’ose plus retourner à cause de l’armée » et qu’il n’avait plus supporté l’armée parce qu’ « ils ont tué mon frère il y a un an, je ne me rappelle plus de la date exacte ». La date de décès approximative de son frère aurait donc été 5 en février 1996. Cependant, au début de son audition, il a indiqué comme date de la prise de la décision pour le départ: « Quand mon frère a été tué en septembre 1996 ».

Concernant ses craintes de persécutions, le demandeur relève qu’il a peur « de tous en Yougoslavie, ils me taperont » et « parce que je suis musulman et à l’armée les officiers sont des serbes qui ont déjà fait la guerre en Bosnie et ils sont contre les musulmans ». Il répond à la question: Avez-vous entrepris une action quelconque qui peut entraîner des persécutions contre vous dans votre pays d’origine? par « oui, j’ai déserté l’armée. Je n’ai rien fait d’autre ».

Il résulte des considérations qui précèdent que le demandeur ne fait donc pas valoir de raisons personnelles crédibles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il se dégage de ce qui précède que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que la crainte de persécution invoquée par le demandeur n’est pas justifiée au regard des pièces et renseignements dont il disposait.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 16 avril 1998 par le vice-président, en présence du greffier en chef.

Schmit Schockweiler 6 greffier en chef vice-président


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10488
Date de la décision : 16/04/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-04-16;10488 ?

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