N° 10376 du rôle Inscrit le 17 octobre 1997 Audience publique du 15 avril 1998
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Recours formé par Monsieur … MUQAJ contre le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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Vu la requête déposée le 17 octobre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MUQAJ, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 juillet 1997, confirmée, sur recours gracieux, par décision ministérielle du 8 septembre 1997, lui refusant l’autorisation de séjour au Luxembourg;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 1997;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 27 janvier 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Valérie TUTAK, en remplacement de Maître Arsène KRONSHAGEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.
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Le 25 juin 1997, Monsieur … MUQAJ sollicita une autorisation de séjour pour le Grand-Duché de Luxembourg.
Par décision du 21 juillet 1997, le ministre de la Justice refusa cette demande, au motif « que vous vous trouvez en séjour irrégulier depuis 1993 et d’autant plus que vous êtes en possession d’une autorisation de séjour pour la RFA.
En outre, vous ne disposez pas de moyens d’existence personnels et suffisants conformément aux dispositions de l’art. 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers. (…) ».
1 Par recours gracieux du 14 août 1997, le mandataire de Monsieur MUQAJ demanda au ministre de la Justice de reconsidérer sa décision, au motif que Monsieur MUQAJ aurait déclaré son arrivée le 20 octobre 1994; que Monsieur MUQAJ serait propriétaire-gérant d’une société à responsabilité limitée luxembourgeoise dénommée EURO-DACH-TECHNIK GmbH, qui, quant à elle, serait propriétaire d’un immeuble sis à Kayl et qu’il posséderait ainsi des garanties d’honorabilité et disposerait de moyens d’existence personnels suffisants;
subsidiairement il sollicita l’audition de son mandant par la commission consultative en matière de police des étrangers.
Par décision du 8 septembre 1997, le ministre confirma son refus initial au motif que « -
après vérification auprès du registre de commerce, il s’avère que Monsieur MUQAJ n’est pas gérant de la société EURO-DACH-TECHNIK GmbH; - votre client ne dispose pas d’un permis de travail; - votre client dispose déjà d’une autorisation de séjour en Allemagne ».
En date du 17 octobre 1997, Monsieur MUQAJ a introduit un recours, principalement en réformation et, subsidiairement, en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 21 juillet et 8 septembre 1997.
Il fait exposer qu’il est de nationalité yougoslave; qu’il bénéficie d’une autorisation de séjour pour l’Allemagne depuis 1973 et y réside effectivement depuis le 17 juillet 1973; qu’en date du 3 février 1994, il a constitué une société de droit luxembourgeois dénommée EURO-
DACH-TECHNIK GmbH établie et ayant son siège social à Kayl; qu’il est l’associé unique de ladite société qui est une entreprise de toitures.
Concernant le motif de refus tiré d’un séjour illégal au Luxembourg, il estime que ce motif serait erroné, étant donné que, en date du 20 octobre 1994, il aurait fait une déclaration d’arrivée en bonne et due forme à la commune de Mondercange.
Quant à l’insuffisance de moyens personnels de subsistance, il expose être le propriétaire d’un immeuble à Dillingen (Allemagne) et l’associé unique de la prédite S.à r.l., qui vient d’acquérir un immeuble sis à Kayl.
Le demandeur fait encore soulever que le ministre n’aurait pas tiré les conséquences légales du fait qu’il est bénéficiaire d’une autorisation de séjour pour l’Allemagne: Dans ce contexte, il estime qu’il « est dès lors en droit d’invoquer le bénéfice du Chapitre IV (Conditions de circulation des étrangers) de la Convention d’application du 19 juin 1990 de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 dans la mesure où il bénéficie d’un titre de séjour délivré par les autorités de la République Fédérale d’Allemagne et qu’il a signé une déclaration d’arrivée à son entrée au Luxembourg ».
En ordre subsidiaire, le demandeur reproche au ministre d’avoir violé l’article 2 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers, étant donné que, malgré une demande expresse, le ministre a omis de convoquer ladite commission consultative.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle 2 médical des étrangers, 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, ne prévoyant pas de recours de pleine juridiction en matière d’autorisation de séjour.
Quant à la demande d’annulation, le délégué expose qu’en date du 17 juin 1993, Monsieur MUQAJ a fait l’objet d’un procès verbal pour « travail au noir »; qu’une première demande d’octroi d’un permis de travail a été rejetée le 30 septembre 1993; que la commune de Mondercange a reçu sa déclaration d’arrivée le 20 octobre 1994; que sa demande en obtention d’un permis de séjour a été introduite le 25 juin 1997 et qu’elle a été rejetée par décision du 21 juillet 1997; que le recours gracieux introduit par le demandeur en date du 14 août 1997 a été rejeté le 8 septembre 1997; qu’enfin une deuxième demande d’octroi d’un permis de travail a été rejetée le 29 septembre 1997.
Concernant le séjour irrégulier au Luxembourg, le représentant étatique rétorque que le demandeur ne saurait nier avoir été en séjour irrégulier, dès lors qu’il n’a fait une déclaration d’arrivée qu’en date du 20 octobre 1994 et que, suite à une décision de refus d’un permis de travail du 30 septembre 1993, son refoulement a déjà été requis le 19 janvier 1994. Le délégué ajoute que ladite déclaration d’arrivée n’équivaudrait pas à une autorisation de séjour.
Il conteste encore que le demandeur disposerait de moyens d’existence suffisants. Dans ce contexte, il relève que l’affirmation du demandeur, dans son recours gracieux, d’être le gérant de la société EURO-DACH-TECHNIK GmbH se serait révélée inexacte. Le délégué ajoute que le demandeur ne disposait pas de permis de travail au moment de l’introduction de sa demande en obtention du permis de séjour, de sorte qu’il n’avait pas le droit de travailler au Luxembourg.
Concernant l’incidence du chapitre IV de la convention d’application de l’accord de Schengen, le délégué du gouvernement souligne que le ministre de la Justice n’a jamais nié le bénéfice des dispositions visées en ce qu’elles prévoient une liberté de circulation pendant 3 mois par semestre dans l’espace Schengen, mais il estime que le demandeur ferait fausse route en soutenant que ce texte consacrerait un droit d’établissement au Luxembourg.
Enfin, il soutient qu’en l’espèce le ministre n’avait pas besoin de convoquer la commission consultative en matière de police des étrangers, étant donné que l’article 2 du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972 vise expressément les refus de la carte d’identité et non pas les refus de l’autorisation de séjour.
Sur ce dernier point, le demandeur fait répliquer que la convocation de ladite commission consultative était obligatoire, dès lors qu’il se serait trouvé dans le cas prévu par les articles 2 du règlement grand-ducal précité et 4 de la loi précitée du 28 mars 1972, étant donné que l’article 2 requiert la prise d’un avis de la commission dans les cas d’expulsion avant la délivrance de la carte d’identité et que l’article 4 autorise l’étranger à demander une autorisation de séjour donnant droit à la présentation d’une demande de carte d’identité d’étranger.
Il ajoute encore que l’affaire relative au « travail au noir » remonterait à 1993; qu’elle serait toujours pendante devant les juridictions de l’ordre judiciaire et que la présomption d’innocence interdirait qu’on en tire une conclusion défavorable à son égard.
3 Concernant le permis de travail, il fait encore soutenir qu’il y aurait eu erreur d’appréciation et d’interprétation de la loi de sa part lorsqu’il a déposé les deux demandes afférentes. En fait, il ne serait pas à considérer comme travailleur ou salarié mais comme artisan-commerçant, étant donné qu’il possède 100% du capital de la société EURO-DACH-
TECHNIK GmbH et qu’il ne serait donc pas dans une situation impliquant un lien de subordination. Dans ce contexte, il est précisé que « dans la mesure où MUQAJ exerce une activité économique indépendante à travers une SARL qu’il contrôle et qui bénéficie d’une autorisation d’établissement, l’exercice de cette activité dans son chef n’est pas réglementé » et qu’en l’absence de transposition de la résolution du conseil du 30 novembre 1994 concernant la limitation de l’admission de ressortissants de pays tiers sur le territoire des Etats membres aux fins de l’exercice d’une activité professionnelle indépendante, il aurait droit d’exercer une activité indépendante au Luxembourg.
Pour justifier l’existence de moyens de subsistance, il relève que, outre le fait d’être propriétaire à 100% du capital social de la EURO-DACH-TECHNIK GmbH, qui est propriétaire d’un immeuble, il « tire des revenus de cette société documentés par des fiches de "salaire" renseignant un brut mensuel de 105.000,- Luf » et qu’il est encore propriétaire d’un immeuble sis à Dillingen (Allemagne).
Le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions critiquées, aucune disposition légale ne lui conférant compétence pour statuer comme juge du fond en la matière.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
L’examen des contestations de la légalité externe d’une décision devant logiquement précéder celui des moyens de légalité interne, le tribunal examinera en premier lieu le moyen d’annulation tiré de la violation de l’article 2-2° du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972 au voeu duquel l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers, ci-après dénommée « la commission », doit être sollicité, suite à la demande de l’intéressé, « après décision portant (…) 2° expulsion avant la délivrance de la carte d’identité ».
C’est à bon droit que le représentant étatique fait valoir que le demandeur ne tombe pas dans le cas de figure prévu au dit article 2-2°. En effet, l’obligation de prendre l’avis de la commission y visée présuppose 1. une décision d’expulsion 2. précédant la délivrance de la carte d’identité. Abstraction faite de ce que les décisions ministérielles critiquées ne s’analysent pas en une décision d’expulsion, il convient de souligner que l’hypothèse visée par la disposition précitée, est celui d’un étranger qui, au moment où il tombe sous le coup d’une décision d’expulsion, séjourne sur le territoire luxembourgeois en vertu d’une autorisation de séjour et qui est en attente de la délivrance d’une carte d’identité sollicitée. N’est donc pas visée la situation d’un étranger qui a l’intention de séjourner au Luxembourg et qui se voit refuser le droit au séjour sur base des dispositions afférentes.
Le raisonnement du demandeur tombe à faux et le moyen d’annulation est à écarter.
Concernant le moyen tiré de la violation des dispositions du chapitre 4 de la Convention de Schengen, il convient de préciser que si ledit chapitre, qui fixe les conditions de circulation des étrangers sur le territoire des parties contractantes, prévoit, d’une part, jusqu’à 4 l’instauration d’un visa uniforme, que les étrangers titulaires d’un visa délivré par une partie contractante et qui sont entrés régulièrement sur le territoire d’une partie contractante peuvent circuler librement sur le territoire des parties contractantes pendant la durée de validité du visa et au maximum pendant trois mois à compter de la date de la première entrée et, d’autre part, que les étrangers non soumis à l’obligation de visa peuvent circuler librement sur le territoire des parties contractantes pendant une durée maximale de trois mois au cours d’un semestre à compter de la date de première entrée, il n’en reste pas moins que lesdites dispositions n’instaurent aucun droit d’établissement sur le territoire d’une partie contractante. Le moyen afférent est partant également à rejeter.
Quant au motif de refus tiré de l’absence de moyens d’existence personnels suffisants, l’article 2 alinéa 3 de la loi du 28 mars 1972, précitée, dans sa teneur modifiée par la loi du 18 août 1995, dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. ».
Une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm.
17.02.1997, No. du rôle 9669, et 2.07.1997, No. du rôle 9595, Pas. adm. 1/98. V° Etrangers, II Autorisation de séjour-Expulsion, No. 51, p.56).
En l’espèce, pour justifier l’existence de moyens personnels suffisants pour supporter ses frais de séjour, le demandeur fait état 1. d’une fortune personnelle, à savoir qu’il est propriétaire d’un patrimoine immobilier sis à Dillingen (Allemagne) et qu’il possède 100% du capital social de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois EURO-DACH-
TECHNIK GmbH, qui viendrait d’acquérir un immeuble sis à Kayl et 2. de ce qu’il « tire des revenus de cette société documentés par des fiches de "salaire" renseignant un brut mensuel de 105.000,- Luf ».
Concernant la fortune personnelle alléguée, le tribunal, après analyse des informations fournies et pièces qui lui ont été versées, arrive à la conclusion que le demandeur reste en défaut de rapporter, à suffisance de droit, la preuve que l’immeuble situé en Allemagne ainsi que les parts sociales qu’il possède dans la société EURO-DACH-TECHNIK GmbH, sont de nature à lui procurer, à une cadence régulière, des disponibilités suffisantes lui permettant d’assurer ses frais de séjour au Luxembourg.
Concernant le « produit de son travail » au sein de la prédite EURO-DACH-TECHNIK GmbH, il est vrai qu’il ressort des pièces produites, à savoir les « fiches de salaire » ainsi que les ordres de virement exécutés pendant la période de janvier 1997 à janvier 1998, que le demandeur perçoit effectivement une somme mensuelle d’environ 105.000.- LUF de la part de ladite société. Il n’en reste pas moins que la seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l’intéressé d’assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante. Il faut encore que les revenus soient légalement perçus. Or, en l’espèce, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement conteste la légalité desdites rémunérations, étant donné qu’il ressort des éléments du dossier que, d’une part, le demandeur ne dispose pas d’un permis de travail légalement requis pour l’autoriser à travailler au Luxembourg et, d’autre part, l’argumentation du demandeur consistant à soutenir qu’il n’aurait point besoin d’un tel permis de travail mais aurait le droit d’exercer une activité indépendante au Luxembourg, étant 5 donné qu’en tant qu’associé-gérant de la société EURO-DACH-TECHNIK GmbH, il serait à considérer comme artisan-commerçant exerçant une « activité économique indépendante à travers une SARL qu’il contrôle et qui bénéficie d’une autorisation d’établissement », tombe à faux. En effet, il ressort des pièces produites à la demande du tribunal, que ladite société est gérée par un dénommé Franz GOLDSCHMIDT et que l’autorisation d’établissement a été accordée à ladite société à condition que la gérance soit assurée par Monsieur GOLDSCHMIDT, le demandeur n’ayant quant à lui, d’après les statuts de la société, aucun pouvoir de gestion au sein de la société.
C’est donc à juste titre que le ministre a pu conclure que l’ensemble des éléments relevés fait apparaître que Monsieur MUQAJ ne dispose pas de moyens personnels pour supporter ses frais de séjour et que partant il ne satisfait pas aux conditions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972. C’est dès lors à bon droit que le ministre de la Justice a refusé l’autorisation de séjour sollicitée.
Etant donné que les décisions critiquées se justifient pour le motif analysé ci-dessus, l’examen des autres motifs sur lesquels le ministre a encore basé son refus, devient surabondant et le recours en annulation est à écarter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 avril 1998 par le vice-président, en présence du greffier en chef.
Schmit Schockweiler 6 greffier en chef vice-président 7