N° 10150 du rôle Inscrit le 16 juillet 1997 Audience publique du 15 avril 1998
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Recours formé par la société anonyme NONNEMILLEN S.A.
contre l'administration des Contributions directes en matière d’impôt sur les salaires
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Vu la requête déposée le 16 juillet 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Jacques KAUFFMAN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme NONNEMILLEN S.A., établie et ayant son siège social à …, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation du bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires du 8 août 1996 par lequel l'administration des Contributions directes, section des impôts sur les salaires, a imposé l’exposante pour un montant de 615.000.- francs dans le cadre de la retenue d’impôt sur l’indemnité de licenciement versée à son ancien employé Monsieur … KIRCHER;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 1997;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 1998 par Maître Jacques KAUFFMAN au nom de la société anonyme NONNEMILLEN S.A.;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jacques KAUFFMAN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … KIRCHER fut engagé par la société anonyme NONNEMILLEN S.A., à la suite d’un échange de courrier des 27 et 30 juillet 1987, en qualité de directeur technique.
Le contrat de travail fut dénoncé, par lettre recommandée du 10 janvier 1996, pour motifs graves et sans préavis. En date du 11 janvier 1996, une transaction fut conclue entre les parties aux termes de laquelle Monsieur … KIRCHER s’est vu allouer une indemnité forfaitaire de 2.000.000.- francs, ce en dehors des montants qui lui étaient encore dus aux termes du contrat de travail venu à expiration et sous déduction d’une somme de 1.000.000.- francs que ce dernier devait à la société NONNEMILLEN S.A. du chef d’un prêt qui lui avait été accordé.
1 Le montant revenant à Monsieur KIRCHER, sur base de la prédite transaction, lui fut réglé sans retenue d’impôt, étant donné que les parties ont estimé agir sur base de l’exemption fiscale prévue à l’article 115 (9) de la loi de l’impôt sur le revenu (LIR).
Suivant bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires du 8 août 1996, établi à la suite d’un contrôle effectué par le bureau d’imposition d’Ettelbruck, section des impôts sur les salaires, un montant de 615.000.- francs a été mis à charge de la société NONNEMILLEN S.A. pour impôt non retenu sur l’indemnité de licenciement de 2.000.000.- francs versée à Monsieur KIRCHER.
Par lettre recommandée du 19 septembre 1996, la société NONNEMILLEN S.A. a introduit une réclamation auprès de l'administration des Contributions directes. Le bureau émetteur du bulletin critiqué a accusé réception le 21 novembre 1996 de la susdite lettre en informant la société NONNEMILLEN S.A. que la réclamation a été transmise à la direction des Contributions, division du contentieux. Cependant aucune décision du directeur de l'administration des Contributions directes n’est intervenue à la suite de la réclamation.
Suivant recours contentieux déposé au greffe du tribunal en date du 16 juillet 1997, la société NONNEMILLEN S.A. critique le bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires portant fixation d’un complément de retenue lui adressé en date du 8 août 1996.
Elle fait valoir que le recours est recevable pour être conforme au paragraphe 228 de la loi générale des impôts (AO) et pour avoir été formé dans le délai imparti au paragraphe 245 AO. Elle estime, par ailleurs, que le recours est recevable d’après l’article 97(2) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, étant donné que la réclamation du 19 septembre 1996 doit être considérée comme rejetée après un délai de six mois après la mise en vigueur de la susdite loi du 7 novembre 1996.
Le délégué du gouvernement conclut également à la recevabilité du recours, bien que le bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires ne figure ni sur la liste des bulletins d'impôt visés au paragraphe 228 AO, ni parmi les décisions assimilées visées au paragraphe 235 AO, au motif que le paragraphe 119 alinéa 1er AO ouvre au tiers responsable les mêmes voies de recours qu’admettent les bulletins d'impôt.
Ayant été formé plus de six mois après l’entrée en vigueur le 1er janvier 1997 de la loi du 7 novembre 1996 précitée, sans que la réclamation du 19 septembre 1996 n’ait été toisée par le directeur de l’administration des Contributions directes, le recours en réformation contre la décision du 8 août 1996 du préposé du bureau d’imposition d’Ettelbruck a été introduit dans le délai légal. Comme il a été également introduit dans les formes prévues par la loi, il est recevable.
Au fond, la demanderesse fait valoir que l’article 115 (9) LIR serait applicable, étant donné que la transaction intervenue le 11 janvier 1996 aurait eu pour objet de prévenir une action judiciaire de Monsieur KIRCHER pour rupture abusive du contrat de travail. Elle estime à ce sujet que les termes mêmes de cet article se suffisent à eux-mêmes sans qu’il soit besoin de recourir à des conditions d’application de cette disposition légale.
A titre subsidiaire, elle relève que même à supposer qu’il ait fallu s’attacher à d’autres circonstances, notamment celles dans lesquelles la résiliation du contrat de travail et la 2 transaction sont intervenues, les conditions telles qu’arrêtées en faveur de l’application de l’article 115 (9) LIR par l'administration des Contributions directes dans sa circulaire n°96 du 18 janvier 1984 se trouveraient remplies.
Il en serait en particulier ainsi en raison du fait qu’en l’espèce, il n’y aurait pas eu d’arrangement « au cours d’une instance engagée », ni concomitance entre la résiliation unilatérale du contrat de travail et la transaction, ni de contestations autres que celle en relation avec une action pour congédiement abusif du contrat de travail. Elle estime par contre qu’il y aurait eu fixation d’une indemnité transactionnelle après congédiement du salarié, paiement d’une indemnité distincte des indemnités de départ prévues par la loi et paiement d’une indemnité en accord avec la jurisprudence et notamment avec les montants alloués par les tribunaux en matière de dommage et intérêts pour congédiement abusif. Concernant ce dernier point, elle précise que Monsieur KIRCHER bénéficiait d’un traitement annuel brut, avantages en nature compris, d’au moins 4.000.000.- francs, de sorte que l’indemnité pour rupture abusive du contrat de travail, fixée à 2.000.000.- francs, ne serait pas à considérer comme étant exagérée.
Il fait encore valoir que les termes de la lettre de licenciement du 10 janvier 1996 sont tels qu’aucune idée d’arrangement ab initio n’est concevable.
Il fait finalement valoir que l’esprit de l’article 115 (9) LIR serait d’éviter que les parties cherchent à déguiser un arrangement non contentieux sous le couvert d’un licenciement suivi, voire accompagné, d’une transaction, ce qui en l’espèce non seulement ne serait pas établi, mais se trouverait démenti par les circonstances de la cause.
Le délégué du gouvernement met en doute non seulement que la demanderesse, après avoir résilié le contrat de travail pour motifs graves et avec effet immédiat, par une longue lettre recommandée du 10 janvier 1996, a été prête dès le lendemain à douter de son bon droit, mais également que le salarié a été en mesure de critiquer utilement son licenciement, avant même d’en connaître les termes. Il conclut que la succession trop rapide de la lettre de licenciement et de la transaction créerait une apparence de résiliation convenue qui ne justifierait pas que le recours soit accueilli.
Lors des plaidoiries, le mandataire de la partie demanderesse a précisé que la lettre de licenciement du 10 janvier 1996 n’avait pas été remise en mains propres à Monsieur KIRCHER et qu’il avait été contacté par la demanderesse le 11 janvier 1996 dès 8 heures et demi du matin pour se présenter aux bureaux de cette dernière vers 10 heures, en vue de la conclusion d’une transaction suite au licenciement intervenu le jour précédent.
Aux termes de l’article 115 (9) LIR « Sont exempts de l’impôt sur le revenu: 9.
l’indemnité pour résiliation abusive du contrat de travail, fixée par la juridiction de travail ou par une transaction (…) ».
Il en résulte que cet article ne s’applique qu’au cas où, après résiliation unilatérale du contrat de travail par l’employeur, le salarié peut prétendre, le cas échéant, à obtenir une indemnité pour licenciement abusif. En effet, une indemnité transactionnelle n’est exempte de l’impôt sur le revenu que si elle représente une indemnité pour congédiement abusif. C’est dès lors à bon droit que le délégué du gouvernement affirme que la convention fixant l’indemnité ne doit pas coïncider avec la résiliation du contrat de travail, sinon il y aurait résiliation du 3 contrat d’un commun accord, hypothèse qui ne peut pas être assimilée à un licenciement abusif. L’indemnité fixée dans ces conditions ne tombe pas sous le champ d’application de l’article 115 (9) LIR.
En outre, pour que le prédit article trouve application, il faut que les parties aient véritablement transigé. En effet, la transaction est un contrat qui termine ou prévient une contestation grâce à un sacrifice réciproque des parties. Si l’une des parties contractantes n’a en fait consenti aucun sacrifice, la transaction est nulle pour défaut de cause.
En l’espèce, le tribunal constate que la lettre de licenciement a été envoyée par voie postale, sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception, en date du 10 janvier 1996 et que la transaction entre parties est intervenue le lendemain 11 janvier 1996 à Echternach. Lors des plaidoiries, le mandataire de la partie demanderesse, sur demande du tribunal, a précisé qu’il a été contacté le 11 janvier 1996 vers 8 heures 30 pour assister aux pourparlers en vue d’aboutir à une transaction. Il a également précisé que la notification de la lettre de licenciement n’est pas intervenue par la remise en mains propre contre signature d’un récipissé par Monsieur KIRCHER. Dans ces circonstances, il est improbable voire matériellement impossible que la lettre de licenciement, envoyée par l’administrateur-délégué de la société NONNEMILLEN S.A. depuis Romilly-sur-Seine, soit parvenue à Monsieur KIRCHER, qui habite à Hettange-Grande, avant qu’il se rende à son poste de travail situé à Echternach, pour ensuite transiger au siège social de la société NONNEMILLEN S.A. sur le caractère abusif du licenciement. La partie demanderesse reste en défaut de rapporter la preuve que Monsieur KIRCHER avait reçu la lettre de licenciement et qu’il connaissait les motifs à la base de son licenciement au moment où les pourparlers ont été entamés entre parties.
Le tribunal relève encore, après analyse des motifs à la base de la lettre de licenciement, que ces motifs ont une apparence de sériosité certaine et sont d’une gravité indéniable, avec pièces à l’appui, de sorte que le revirement de l’employeur, concernant une décision aussi grave que le licenciement sans préavis de son directeur technique, en service depuis 9 années, le lendemain de l’envoi de la lettre de licenciement, est invraisemblable.
Les conditions pour qu’il y ait résiliation unilatérale et, de surcroît, abusive du contrat de travail ne sont dès lors pas données. Le licenciement intervenu présente les apparences d’une résiliation du contrat de travail d’un commun accord, ne tombant pas sous le champ d’application de l’article 115 (9).
Au vu de ces éléments, le tribunal arrive à la conclusion que la convention du 11 janvier 1996 intitulée « transaction » signée entre la société NONNEMILLEN S.A. et Monsieur KIRCHER ne revêt pas le caractère d’une transaction au sens de l’article 115 (9) LIR et que l’indemnité accordée à Monsieur KIRCHER ne tombe en conséquence pas sous cette disposition.
Le recours en réformation contre la décision du 8 août 1996 est partant à rejeter comme non fondé.
Le recours subsidiaire en annulation contre la même décision est irrecevable, la loi attribuant en la matière une compétence de pleine juridiction aux juridictions administratives.
Par ces motifs, 4 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 avril 1998 par le vice-président, en présence du greffier en chef.
s. Schmit s. Schockweiler greffier en chef vice-président 5