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15/04/1998 | LUXEMBOURG | N°10078

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 avril 1998, 10078


Numéro 10078 du rôle Inscrit le 25 juin 1997 Audience publique du 15 avril 1998 Recours formé par Monsieur…MARSCHAL contre le ministre de la Justice en matière d’armes prohibées

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10078, déposée le 25 juin 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Claudie PISANA, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur…MARSCHAL, …, demeurant à

…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 avril 1997 lui r...

Numéro 10078 du rôle Inscrit le 25 juin 1997 Audience publique du 15 avril 1998 Recours formé par Monsieur…MARSCHAL contre le ministre de la Justice en matière d’armes prohibées

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10078, déposée le 25 juin 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Claudie PISANA, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur…MARSCHAL, …, demeurant à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 avril 1997 lui refusant l’autorisation de port d’armes;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 1998;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mars 1998 par Maître Claudie PISANA au nom de Monsieur…MARSCHAL;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Claudie PISANA, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Par demande du 11 mars 1997, Monsieur…MARSCHAL, … affecté comme gardien au Centre pénitentiaire de Schrassig, a sollicité auprès du ministre de la Justice, ci-après appelé « le ministre », l’autorisation de port d’armes pour un pistolet automatique « Star Firestar » 9 mm en faisant valoir que cette arme servirait à sa protection personnelle suite à des menaces reçues de la part d’un détenu.

Le ministre a demandé des renseignements et son avis au Procureur général d’Etat qui a continué cette demande au Procureur d’Etat. Celui-ci , après avoir relaté l’arrière-fond des menaces mises en avant par le demandeur, a estimé dans son avis du 21 mars 1997:

« Renseignements pris auprès des enquêteurs de la Police judiciaire, le soussigné estime qu’en l’absence de menaces suffisamment caractérisées et concrètes - il aurait été question d’un oeil au beurre noir ou d’un nez cassé - une autorisation de porter une arme à feu pour sa défense personnelle serait une mesure disproportionnée par rapport à la gravité relative des menaces en question ». Le Procureur général d’Etat a transmis cet avis au ministre le 25 mars 1997, tout en précisant: « Je partage entièrement la façon de voir de Monsieur le Procureur d’Etat ».

Le ministre a rejeté la demande de Monsieur MARSCHAL par décision du 10 avril 1997 libellée comme suit: « En réponse à votre demande du 11 mars 1997 au sujet de l’obtention de l’autorisation pour le port, à des fins de sécurité personnelle, d’un pistolet automatique, j’ai l’honneur de vous informer que de l’avis des autorités consultées « une autorisation de porter une arme à feu pour sa défense personnelle serait une mesure disproportionnée par rapport à la gravité relative des menaces en question ». Conformément aux dispositions de l’art. 16, al. 1er de la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, « L’autorisation … de porter … des armes et munitions est délivrée par le Ministre de la Justice ou son délégué, si les motifs invoqués à l’appui de la demande sont reconnus valables ». Je ne suis dès lors pas en mesure de faire droit à votre requête ».

A l’encontre de cette décision ministérielle, Monsieur MARSCHAL a fait introduire un recours en annulation par requête déposée le 25 juin 1997.

Quant à la recevabilité Le délégué du Gouvernement soulève le moyen d’irrecevabilité tiré de l’absence d’indication dans la requête introductive des moyens de droit et de la loi qui n’aurait pas été respectée. Le demandeur se limiterait en effet à faire état d’un excès de pouvoir et à mettre ainsi en question l’appréciation du ministre, qui échapperait cependant à la compétence du juge administratif siégeant comme juge de l’annulation. Le représentant étatique renvoie encore à l’article 1er de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 avril 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux du Conseil d’Etat qui exigerait la mention des moyens de droit dans la requête introductive.

L’article 1er, alinéa 2 de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866, précité, définit les exigences de forme auxquelles une requête introductive d’instance doit satisfaire, par « l’exposé sommaire des faits et moyens, les conclusions, les noms et demeures des parties, l’énonciation des pièces dont on entend se servir et qui y seront jointes ».

En l’espèce, la requête introductive au nom du demandeur, après avoir visé la décision contestée du 10 avril 1997 ensemble l’élément décisionnel y contenu, précise que celle-ci « est attaquée pour excès de pouvoir, respectivement violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, en ce que le Ministre n’a pas reconnu comme valables les motifs invoqués à l’appui de la demande ». Elle comporte encore un exposé de certains faits constituant, d’après le demandeur, une justification suffisante pour l’octroi de l’autorisation, pourtant refusée par le ministre, et pouvant valoir motivation du recours, ainsi que la conclusion que la décision déférée serait à annuler et l’affaire à renvoyer devant le ministre.

Faute d’exigence formelle par l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 précité de la mention de la disposition légale dont le non-respect est allégué, la requête actuellement sous discussion satisfait aux exigences de l’article 1er alinéa 2 dudit arrêté, vu qu’elle énonce les cas d’ouverture du recours en annulation invoqués et les faits destinés à fournir une motivation du recours, et que les dispositions légales visées se dégagent de façon non équivoque de 2 l’ensemble de la requête, même en l’absence de mention expresse afférente. Le délégué du Gouvernement ne fait par ailleurs pas état d’une violation des droits de la défense et a utilement pris position quant au fond en visant le texte de loi applicable, par ailleurs indiqué dans la décision déférée.

Il s’en suit que ce moyen d’irrecevabilité est à écarter.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond Le demandeur se fonde d’abord en substance sur les menaces précises de représailles dont il aurait fait l’objet en sa qualité de gardien au Centre pénitentiaire et qui auraient fait l’objet d’un accord entre le détenu qui en serait l’auteur et une personne extérieure au Centre pénitentiaire en vue de leur exécution. L’existence de ces menaces aurait été portée officieusement à sa connaissance par les autorités qui les ont découvertes, élément dont il déduit que ces menaces n’avaient pas été considérées comme négligeables « en haut lieu ». Les mêmes menaces seraient relatées dans un rapport de la gendarmerie de Luxembourg du 25 février 1997, non communiqué en l’état actuel du dossier en raison d’une instruction pénale en cours. Il se serait par ailleurs avéré que le détenu auteur des menaces aurait eu connaissance de son adresse privée, alors même que celle-ci n’est pas publiée dans l’annuaire officiel. Le demandeur déduit de ces faits l’existence d’une menace réelle pour sa propre personne ainsi que son épouse et un souhait légitime dans son chef de porter une arme dans la vie privée pour leur défense, étant donné que les menaces sont dues à sa fonction au service de l’Etat qui, faute de lui assurer une protection spéciale, devrait du moins lui permettre de veiller lui-même à sa sécurité.

Le demandeur fait encore état de sa qualité de membre d’un club de tir sportif et d’une autorisation de détention d’armes déjà délivrée en sa faveur, éléments dont il conclut qu’il a été considéré suffisamment digne pour la détention d’armes en vue de l’exercice de ce sport.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre a fait examiner la pertinence des motifs avancés par le demandeur par les autorités judiciaires et policières qui auraient toutes conclu au caractère disproportionné de la demande face aux menaces proférées, de sorte que le ministre aurait correctement appliqué la loi en refusant le permis de port d’armes.

L’article 16 alinéa 1er de la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions dispose que « l’autorisation d’acquérir, d’acheter, d’importer, de transporter, de détenir, de porter, de vendre, de céder des armes et munitions est délivrée par le Ministre de la Justice ou son délégué, si les motifs invoqués à l’appui de la demande sont reconnus valables ».

Le ministre est ainsi le juge de l’opportunité de l’octroi des autorisations visées à article 16 précité, les décisions afférentes étant prises selon son appréciation des motifs avancés, pour autant que cette appréciation repose sur des critères objectifs et s’opère d’une manière non arbitraire.

En l’espèce, le ministre s’est rallié aux avis du Procureur général d’Etat et du Procureur d’Etat qui ont considéré qu’en l’absence de menaces suffisamment caractérisées et concrètes, l’octroi d’une autorisation de port d’armes serait disproportionné par rapport à la gravité des 3 menaces énoncées. En se fondant sur ces prises de position d’autorités policières et judiciaires bien placées pour situer les menaces ainsi visées dans leur contexte et pondérer leur réalité, le ministre n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation dans le cadre des attributions lui conférées par la loi du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, étant donné que le demandeur est constamment susceptible de faire l’objet de certaines intimidations en raison de ses fonctions et que l’octroi d’une autorisation de port d’armes ne s’impose qu’en présence de menaces suffisamment caractérisées.

Cette branche de moyens du demandeur laisse en conséquence d’être fondée.

Le demandeur considère dans un second ordre d’idées que le ministre, lorsqu’il dispose d’un pouvoir d’appréciation, est tenu de fournir une motivation juridiquement satisfaisante en spécifiant en quoi il n’a pas reconnu valables les motifs à la base de la demande rejetée. En se bornant à se référer à des avis d’autres autorités sans prendre directement connaissance du dossier, le ministre aurait pris en l’espèce une décision fondée exclusivement sur des motifs émanant en fait d’autorités non compétentes, défaut qui entraînerait la nullité de la décision critiquée.

Il reproche subsidiairement au ministre l’insuffisance de la motivation se limitant à évoquer une disproportion entre les menaces lancées à son encontre et une autorisation de port d’armes, sans autrement préciser la nature de ces menaces et leur gravité. Il note en particulier que l’administration n’a pas pu considérer les menaces visées comme insignifiantes, alors qu’elle a jugé bon de l’en avertir oralement et de façon officieuse. Le rapport relatant ces menaces, accessible pour les autorités auteurs des avis à l’adresse du ministre, n’a par contre pas été mis à sa disposition, sous prétexte d’une instruction pénale en cours, de même qu’il n’a pas été soumis au ministre en vue de la prise de sa décision. Faute d’avoir disposé de ce rapport et d’avoir pu analyser avec précision la gravité des menaces et à leur suite la valeur des motifs à la base de la demande rejetée, le ministre n’aurait pas été autorisé à prendre une décision de refus dès lors qu’il n’était pas en mesure d’avoir lui-même connaissance du contenu des menaces, mais n’était au courant que de leur existence.

L’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, applicable aux décisions prises en matière d’armes prohibées en l’absence de dispositions équivalentes contenues dans la loi du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, requiert que toute décision qui refuse de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

Ce texte n’impose cependant pas au ministre d’étaler tous les détails des faits dès lors que ceux-ci peuvent être supposés connus du destinataire de la décision.

En vue de la prise d’une décision quant à une demande lui soumise, le ministre peut valablement requérir les avis des autorités dont le point de vue lui semble utile pour juger du bien-fondé de cette demande. Il peut pareillement fonder sa décision sur les éléments retenus dans pareil avis en s’y ralliant, pour autant que la décision doit être considérée comme émanant de lui.

Le libellé de la décision ministérielle du 10 avril 1997 déférée traduit clairement la volonté du ministre de faire siennes les conclusions des avis des autorités dont il a sollicité le point de vue, ainsi que celle de prendre personnellement la décision sans déléguer un quelconque pouvoir aux dites autorités consultées.

4 En présence des avis concluants d’autres autorités, le ministre n’est pareillement pas tenu d’analyser les menaces ou intimidations dans tous leurs détails, alors que leur contenu général est connu du demandeur et que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité ne requiert que l’énoncé sommaire des circonstances de fait. La décision quant à l’opportunité de se limiter à suivre l’avis exprimé par les autorités disposant de l’ensemble des éléments de l’affaire ou de procéder à un complément d’instruction rentre dans son pouvoir d’appréciation, pour autant que la motivation énoncée satisfait, comme en l’espèce, aux exigences découlant de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévisé.

Il résulte des développements qui précèdent que les moyens avancés à l’appui du recours ne sont point fondés et que la décision déférée est par conséquent à confirmer.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours recevable en la forme, au fond le déclare non fondé et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. RAVARANI, président, M. DELAPORTE, premier vice-président, M. SCHROEDER, juge, et lu à l'audience publique du 15 avril 1998 par le président, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. RAVARANI 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 10078
Date de la décision : 15/04/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-04-15;10078 ?

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