N° 10174 du rôle Inscrit le 25 juillet 1997 Audience publique du 8 avril 1998
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Recours formé par Monsieur … SCHEID contre le ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger
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Vu la requête déposée le 25 juillet 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SCHEID, de nationalité allemande, avec adresse indiquée à …, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 25 juin 1997 lui refusant la carte d’identité d’étranger et lui enjoignant de quitter le pays un mois après notification dudit arrêté;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Monique ADAMS, en remplacement de Maître Anne-Marie SCHMIT et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 9 décembre 1992, Monsieur … SCHEID a sollicité une carte d’identité d’étranger pour le Luxembourg, en indiquant comme lieu de résidence …. Le 21 juillet 1993, la brigade de gendarmerie de Grevenmacher a dressé un rapport dans lequel elle relève que Monsieur SCHEID n’a pas pu être interrogé pour contrôler l’exactitude des déclarations faites par lui en vue de la délivrance d’une carte d’identité d’étranger, étant donné qu’il ne séjournerait que de manière sporadique au Luxembourg. L’autorisation de séjour lui a été refusée en date du 19 novembre 1993.
Par courrier du 11 août 1994, Maître Blanche MOUTRIER demanda les motifs de ce refus, motifs qui lui furent communiqués par lettre du 6 septembre 1994.
En date du 16 juin 1995, Monsieur SCHEID a introduit une nouvelle demande de carte d’identité d’étranger à la commune de Luxembourg. Il fut entendu par le commissariat de police de Hollerich en date du 9 octobre 1995, notamment sur l’existence d’éventuelles condamnations à son égard: « Laut eigenen Angaben ist der Interessent noch nicht vorbestraft….Der Ausstellung der Fremdenkarte dürfte stattgegeben werden. » Cependant 1 l’extrait du casier judiciaire, délivré en date du 24 novembre 1995 par les autorités allemandes, fait état de 11 condamnations s’élevant, après confusion de certaines de ces peines, à un total de 8 années de prison du chef notamment de proxénétisme, vol et incitation à la prostitution.
Un rapport défavorable du commissariat de police de Gasperich fut établi le 12 mai 1997.
Sur base des éléments du dossier et du rapport précité, le ministre a pris le 25 juin 1997 un arrêté de refus de carte d’identité d’étranger et lui enjoigna de quitter le pays aux motifs suivants:
« - hat beim Stellen seines Antrages auf Erlangung einer Fremdenkarte absichtlich falsche Angaben betreffend seine Vorstrafen gemacht;
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zahlreiche, schwere Verurteilungen in Deutschland wegen Unterhaltspflichtverletzung, Zuhälterei, Diebstahl, Förderung der Prostitution in Tateinheit mit Körperverletzung, ausbeuterische Zuhälterei sowie Vorsätzliches Fahren ohne Fahrerlaubnis zu einer Gesamtgefängnisstrafe von 8 Jahren;
- stellt eine Gefahr für die öffentliche Ordnung dar ».
Par requête déposée le 25 juillet 1997, Monsieur SCHEID a fait introduire un recours en annulation contre cet arrêté ministériel du 25 juin 1997.
A l’appui de son recours, il précise d’abord que depuis l’année 1963, il aurait fréquenté de manière régulière le Grand-Duché de Luxembourg et que jusqu’à ce jour aucune charge n’aurait pu être établie, au Luxembourg, à son encontre, de sorte que son comportement, sans incident durant toute cette période, prouverait qu’il ne constituerait pas un danger pour l’ordre public. Il estime que le fait d’avoir été condamné en Allemagne à des peines d’emprisonnement ne saurait motiver à lui seul le refus d’accorder une autorisation de séjour et, par conséquent, une carte d’identité d’étranger.
Il conteste en dernier lieu avoir donné des fausses indications concernant son passé judiciaire.
Le délégué du gouvernement relève d’abord que le dossier administratif du demandeur débute en décembre 1992 et que la présence du demandeur sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg avant cette date, n’est pas établie.
Il souligne ensuite que le demandeur, contrairement à ce qu’il a affirmé dans son recours, aurait donné de fausses indications concernant ses antécédents judiciaires, comme cela ressortirait des rapports établis en date des 21 janvier 1993 et 16 juin 1995. En effet, le casier judiciaire allemand ferait état de 11 condamnations que le demandeur aurait déjà subies. Il serait dès lors clairement établi que le demandeur aurait donné volontairement de fausses indications sur son passé et ses antécédents judiciaires au moment des demandes de carte d’identité d’étranger. Le délégué du gouvernement conclut que conformément à l’article 5 alinéa 5 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2.
le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère, la carte d’identité d’étranger lui a légalement pu être refusée.
2 Il fait encore valoir que le fait d’avoir donné de fausses déclarations témoignerait d’un manque de respect flagrant à l’égard des lois du pays. Ce fait pris ensemble avec l’existence de condamnations pénales très graves, établirait à suffisance de droit que le demandeur continuerait à présenter un risque pour l’ordre et la sécurité publics luxembourgeois.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le recours en annulation, introduit par ailleurs suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
L’arrêté déféré du 25 juin 1997 vise comme base légale les articles 5 à 7 de la loi précitée du 28 mars 1972. Les prédits articles envisagent les hypothèses dans lesquelles l’autorisation de séjour ainsi que la carte d’identité d’étranger peuvent être refusées à un étranger, défini à l’article 1er de la loi précitée comme étant une personne qui ne rapporte pas la preuve qu’elle possède la nationalité luxembourgeoise. Le demandeur étant un ressortissant allemand, cette loi est, en principe, susceptible de s’appliquer.
Cependant dans la mesure où le demandeur est un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (U.E) et dans la mesure où le juge administratif doit d’office rechercher la base légale d’une décision administrative, il y a lieu de retenir qu’en exécution de l’article 37 de la loi précitée du 28 mars 1972 « le gouvernement est autorisé à prendre par voie de règlement grand-ducal les mesures nécessaires à l’exécution des obligations assumées en vertu de conventions internationales dans le domaine régi par la présente loi. Ces règlements pourront déroger aux dispositions de la présente loi dans la mesure requise par l’exécution de l’obligation internationale. » Sur base de la loi habilitante précitée du 28 mars 1972 a été pris le règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, qui, dans sa section 1, comprend des dispositions applicables aux ressortissants des Etats membres de l’U.E et des Etats ayant adhéré à l’Accord sur l’Espace économique européen (E.E.E.).
En effet, les dispositions communautaires actuellement en vigueur en la matière ont été transposées dans le droit national par le biais du règlement grand-ducal précité afin de tenir compte du principe de la liberté de circulation des travailleurs communautaires ainsi que du principe relatif au droit de séjour des ressortissants des Etats membres y visés.
Les Etats membres ne peuvent déroger à ces principes que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. L’article 9 du règlement grand-ducal précité dispose à ce sujet « La carte de séjour ne peut être refusée (…) que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (…). La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet. » En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée, d’une part, sur les nombreux et graves antécédents judiciaires du demandeur et, d’autre part, sur le fait qu’il a sciemment dissimulé ces condamnations aux autorités luxembourgeoises.
A ce titre, il ressort du rapport de police établi en date du 21 janvier 1993 que « Hiesiger Stelle scheint SCHEID ein wenig merkwürdig vorzukommen und auf eventuelle Vorstrafen hin befragt, gab SCHEID an, dass er schon wegen Betrugs angeklagt, jedoch nicht 3 verurteilt (war) ». Il ressort encore d’un rapport de police établi en date du 9 octobre 1995 que « Laut eigenen Angaben ist der Interessent noch nicht vorbestraft ». Le ministre, loin de faire découler sa décision automatiquement des seules condamnations encourues, a tenu compte également du comportement de l’intéressé sur le territoire luxembourgeois. En effet, le fait que l’intéressé a sciemment dissimulé aux autorités luxembourgeoises les condamnations pénales graves par lui encourues dans son pays d’origine du chef de violation de ses obligations alimentaires, de proxénétisme, de vol, d’incitation à la prostitution associée à des coups et blessures, d’avoir conduit un véhicule sans être en possession d’un permis de conduire valable, constitue une preuve de son caractère dangereux faisant redouter qu’il continue ses agissements délictueux au Luxembourg, Le ministre a dès lors fait une juste appréciation en droit et en fait des éléments de la cause lui soumis, de sorte que le recours en annulation est non fondé.
Pour le surplus, il convient de relever qu’il ressort d’un rapport établi par le commissariat de police de Gasperich du 12 mai 1997 que le demandeur a indiqué qu’il ne travaille pas, mais qu’il vit des rentrées des maisons de son épouse, qui dirige plusieurs cabarets à Francfort. Il ressort encore du dossier administratif que le demandeur dispose effectivement de moyens de subsistance propres et d’une couverture d’une assurance-maladie.
Cependant si un Etat doit délivrer une autorisation de séjour ou une carte d’identité d’étranger aux personnes qui satisfont aux conditions imposées, notamment par la directive du Conseil n°364/90 du 28 juin 1990 relative au droit de séjour, transposée en droit interne par le règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 précité, encore faut-il que le demandeur ait satisfait au préalable à la condition du séjour effectif au pays, ou du moins de l’intention d’y séjourner effectivement à partir de la date d’introduction de la demande en obtention d’une carte d’identité d’étranger qui équivaut à une demande d’établissement. En effet, il est de principe que la délivrance d’une autorisation de séjour et l’octroi d’une carte d’identité d’étranger, suppose au préalable l’intention du demandeur de résider de façon effective et continue dans le pays dans lequel il sollicite cette autorisation.
En l’espèce, le tribunal relève qu’il ressort du rapport précité du 12 mai 1997 que le demandeur ne séjourne que de manière sporadique au Luxembourg: « SCHEID nous indiqua qu’il n’habitait presque jamais à l’adresse au Luxembourg, mais que sa demeure principale était Francfort… A la question pourquoi il prend domicile à Luxembourg, SCHEID ne peut fournir une réponse tangible ». Il s’en dégage que le demandeur n’a pas l’intention de s’installer au Luxembourg, mais qu’il a loué un appartement pour avoir un « pied à terre » ou résidence secondaire pour des raisons de convenances personnelles lorsqu’il est de passage au Luxembourg. De tels motifs ne sauraient cependant justifier l’octroi d’une carte d’identité d’étranger, qui atteste la présence effective de son titulaire, même si elle n’est pas permanente, dans le pays qui délivre cette carte. La délivrance d’une telle carte ne saurait dégénérer en un certificat de complaisance. Les règles communautaires ont été établies pour répondre à des besoins réels qui existent dans le domaine de la libre circulation des personnes et pour permettre d’atteindre les objectifs du marché unique, mais pas pour permettre à des personnes de s’établir fictivement dans un pays avec lequel ils n’ont par ailleurs aucun lien économique ou familial et dans lequel ils ne possèdent aucune attache réelle.
Il suit des développements qui précèdent, que le refus de délivrer une carte d’identité d’étranger est légalement justifié en considération des dispositions de droit communautaire en 4 vigueur, ainsi que de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972. Le recours en annulation est partant à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 8 avril 1998 par le vice-président, en présence du greffier.
Legille Schockweiler greffier vice-président 5