N° 10176 du rôle Inscrit le 25 juillet 1997 Audience publique du 6 avril 1998
===========================
Recours formé par Monsieur … GOMES BARBOSA contre le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10176 et déposée le 25 juillet 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Jacqueline GEISEN-JACQUES, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Yvette NGONO-
YAH, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … GOMES BARBOSA, né le 8 avril 1965, de nationalité cap-verdienne, demeurant actuellement à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 avril 1997, confirmée par décision ministérielle du 30 juin 1997, lui refusant l’autorisation de séjour au Luxembourg;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 9 mars 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Yvette NGONO-YAH et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Le 20 juin 1989, Monsieur … MENDES BARBOSA sollicita une autorisation de séjour de 3 mois pour le Grand-Duché de Luxembourg pour son fils … GOMES BARBOSA, né le 8 avril 1965, « en vue d’un traitement médical ».
Monsieur … MENDES BARBOSA réitéra cette demande le 7 août 1989 en précisant comme motif de séjour « un séjour de traitement médical de +/- 2-3 mois ».
Le 20 novembre 1989, le ministre de la Justice transmit cette demande, avec un avis favorable pour un visa de tourisme de 2 mois, au ministère des Affaires Etrangères, sous la condition que Monsieur … GOMES BARBOSA dispose d’un billet d’avion avec réservation pour le retour au Cap Vert.
1 Le 28 décembre 1989, Monsieur … MENDES BARBOSA sollicita une autorisation de séjour pour son fils.
Cette demande fut rejetée par le ministre de la Justice par décision du 5 janvier 1990, non notifiée.
Il ressort d’un rapport de la gendarmerie grand-ducale, brigade de Steinfort, du 24 janvier 1990 « dass (…) GOMES BARBOSA nicht wie ursprünglich vorgesehen, nach dem Grossherzogtum, sondern nach Paris reiste, um sich medizinisch behandeln zu lassen. Laut den Aussagen seines Vaters MENDES BARBOSA … soll sich sein Sohn zur Zeit noch in Paris aufhalten, und nach seiner Behandlung nach Kap Vert zurückkehren. Ein Aufenthalt in LUXEMBURG sei nicht vorgesehen ».
Par arrêtés des 9 juillet 1991, 27 août 1992 et 6 mars 1996, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa des demandes en obtention d’un permis de travail pour Monsieur GOMES BARBOSA.
Il ressort encore d’un rapport de la gendarmerie grand-ducale, brigade de Steinfort, du 23 avril 1996 que « - GOMES hält sich seit dem Jahre 1991 hierlands bei seinem Vater (…) auf (…). - GOMES BARBOSA arbeitet seit etwa 2 Monaten als Küchengehilfe im Hotel V. R..
(...). - Gleich nach der Ankunft arbeitete der Interessent während einigen Monaten zu Limpach in einem landwirtschaftlichen Betrieb und im Jahre 1992 war er während 7 Monaten in einem Restaurant. » Par lettre du 14 mars 1997, le mandataire de Monsieur … GOMES BARBOSA demanda au ministre de la Justice de « reconsidérer vos décisions antérieures et d’accorder à Monsieur GOMES BARBOSA l’autorisation de séjour provisoire pour le Grand - Duché de Luxembourg. La présente est à considérer comme un recours gracieux ».
Par lettre du 28 mars 1997, la FONDATION CARITAS LUXEMBOURG intervint auprès du ministre de la Justice afin que la situation de Monsieur GOMES BARBOSA soit régularisée.
Par décisions des 28 avril 1997 et 30 juin 1997, le ministre de la Justice refusa l’autorisation sollicitée, au motif que Monsieur … GOMES BARBOSA n’est pas en possession de moyens d’existence personnels et suffisants lui permettant d’assurer son séjour au Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient lui faire parvenir.
En date du 25 juillet 1997, Monsieur GOMES BARBOSA a introduit un recours en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 28 avril et 30 juin 1997.
Le demandeur fait exposer qu’il vit chez son père, que son père a une situation professionnelle stable, lui permettant de pourvoir aux besoins personnels de son fils; qu’étant hébergé et nourri par son père, il n’aurait que des besoins financiers « minimes ». Il estime qu’il ressort de ces éléments que la motivation des décisions attaquées serait matériellement inexacte et ne tiendrait pas compte de sa situation financière réelle. Dans ce contexte, il reproche au ministre de ne pas avoir sollicité la preuve des moyens d’existence et fait soutenir « que 2 l’appréciation de cet élément ne peut être recevable qu’après remise de documents prouvant la matérialité des faits [sic] ».
Le demandeur fait encore soutenir que les décisions ministérielles de refus seraient contraires à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif que l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois constituerait une ingérence illégale dans sa vie familiale. Dans cet ordre d’idées, il estime « que du seul fait de la naissance, il existe entre un enfant et ses parents, un lien constitutif de "vie familiale" » et il fait valoir « qu’il est légitime pour un père de soigner son fils malade et de subvenir à ses besoins ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen tiré de l’atteinte au droit au respect de la vie familiale, au motif qu’il n’y aurait jamais existé de « vie familiale » au sens de la Convention européenne des droits de l’homme entre le demandeur et son père qui vivait seul au Luxembourg lorsque son fils, âgé de 26 ans, l’a rejoint en 1991. Il ajoute que le demandeur aurait passé la majeure partie de sa vie et surtout sa jeunesse au Cap Vert et que ni sa mère ni ses quatre frères et soeurs n’auraient jamais habité au Luxembourg.
Le représentant étatique soutient ensuite que l’absence de moyens d’existence personnels justifierait la décision ministérielle de refus.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Concernant le moyen tiré de la violation de la loi, l’article 2 alinéa 3 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, dans sa teneur modifiée par la loi du 18 août 1995, dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
Force est de constater en l’espèce que Monsieur GOMES BARBOSA n’invoque ni a fortiori ne prouve l’existence de l’un quelconque moyen d’existence personnel.
C’est donc à juste titre que le ministre a pu conclure que Monsieur GOMES BARBOSA ne dispose pas de moyens personnels pour supporter ses frais de séjour et que partant il ne satisfait pas aux conditions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972. Le moyen d’annulation afférent est partant à rejeter.
Le demandeur conclut ensuite à l’annulation des décisions ministérielles attaquées pour non respect de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après dénommée « la Convention », spécialement de son article 8 qui dispose que:
« 1.
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.
Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la 3 prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, les Etats qui ont ratifié la Convention, ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la limite des dispositions de la Convention.
Il convient de rappeler que ni l’article 8 ni une autre disposition de la Convention ne confère directement aux membres de la famille d’un étranger résident dans un pays contractant un droit d’entrée et de séjour dans ce pays, ni à un étranger le droit à ne pas être expulsé d’un pays contractant où résident les membres de sa famille.
Il n’en reste pas moins que le refus d’admettre un étranger dans un pays où il possède une famille, de même qu’une décision d’expulsion, est susceptible de compromettre l’unité de la famille.
Il faut donc examiner - cas par cas - s’il y a ingérence au sens de l’article 8, § 1er, de la Convention et, dans l’affirmative, se placer ensuite sur le terrain de l’article 8, § 2, pour examiner si la mesure prise était justifiée.
L’ingérence au sens de l’article 8, § 1er, de la Convention présuppose, évidemment, l’existence d’une vie familiale.
Certes, la notion de famille restreinte, limitée aux parents et aux enfants mineurs, est à la base de la protection accordée par la Convention (v. Carlo RUSSO, commentaire relatif à l’article 8 § 1, chapitre V. Vie familiale, A. La notion de vie familiale, in Convention européenne des droits de l’homme, Commentaire article par article ss. la direction de Monsieur Louis-Edmond PETTITI et autres, Economica), mais la cellule familiale doit être considérée même au-delà, dès lors qu’elle résulte non seulement d’un lien de parenté, mais aussi d’un lien de fait réel et suffisamment étroit entre les différents membres.
S’il faut se placer au moment de la prise de la décision pour apprécier l’existence d’une vie familiale, il ne suffit cependant pas qu’elle ait existé à ce moment précis, mais elle doit être préexistante.
En effet, dans le contexte spécifique du regroupement familial, la vie familiale doit nécessairement avoir existé avant l’immigration. Si l’article 8 garantit l’exercice du droit au respect d’une vie familiale existante, il ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux (cf. Frédéric SUDRE in Droit International et Européen des Droits de l’Homme, No.183 au sujet de l’arrêt CRUZ VARAS et autres de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 20 mars 1991, A.201 §68).
En l’espèce, il est constant en cause que Monsieur … GOMES BARBOSA est venu au Luxembourg au milieu de l’année 1991 pour rejoindre son père qui y est installé depuis 1970.
Il importe de relever que Monsieur GOMES BARBOSA, né le 8 avril 1965, était donc âgé de 26 ans au moment de son entrée au Luxembourg; qu’il a passé la majeure partie de sa vie au 4 Cap-Vert auprès de sa mère et de ses quatre frères et soeurs; qu’il était partant séparé de son père au moins depuis l’âge de 5 ans.
En d’autres termes, la décision de refus du regroupement s’insère dans le contexte d’un enfant majeur, qui conserve ses attaches dans son pays d’origine et qui vit, depuis 20 ans, séparé du père qu’il désire rejoindre au Luxembourg, alors qu’un rapport de dépendance envers son père, en raison de la maladie alléguée, n’a par ailleurs pas été établi par le demandeur.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le refus ministériel d’accorder une autorisation de séjour ne constitue pas un manquement au respect de la vie familiale et, par conséquent, il n’y a pas violation de l’article 8 de la Convention. Le moyen d’annulation afférent est à abjuger.
Il ressort des développements qui précèdent, que le recours en annulation est à écarter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 6 avril 1998 par le vice-président, en présence du greffier.
Legille Schockweiler greffier vice-président 5