N° 10595 du rôle Inscrit le 4 mars 1998 Audience publique du 2 avril 1998
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Recours formé par Madame … DACIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10595, déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mars 1998 par Maître Albert RODESCH, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Catherine FABECK, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Madame … DACIC agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentant légal de son fils mineur … DACIC, les deux de nationalité yougoslave et demeurant actuellement à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 janvier 1998, par laquelle leurs demandes en obtention du statut de réfugié politique ont été déclarées manifestement infondées;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal le 19 mars 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Catherine FABECK, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 4 novembre 1997, Madame … DACIC, de nationalité yougoslave, a oralement sollicité, pour elle-même et son fils mineur … DACIC, la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Elle a été entendue en date du 5 novembre 1997 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 26 novembre 1997, le ministre de la Justice a informé Madame DACIC, par lettre du 6 janvier 1998, notifiée le 4 février 1998, que sa demande était déclarée manifestement infondée en indiquant que « les motifs que vous invoquez sont avant tout des motifs de nature matérielle.
1 Vous déclarez n’avoir pas eu d’activités politiques et d’avoir quitté votre pays pour des raisons essentiellement matérielles sans invoquer d’autres faits à l’appui de votre demande.
Vous ne faites pas état d’une persécution en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme étant manifestement infondée aux termes de l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par requête déposée le 4 mars 1998, Madame DACIC a formé un recours en annulation contre la décision ministérielle du 6 janvier 1998.
La demanderesse reproche au ministre de la Justice d’avoir, à tort, déclaré sa demande en obtention du statut de réfugié politique manifestement infondée. A ce titre, elle soutient qu’elle a vécu pendant plusieurs années ensemble avec le père de son enfant et leur enfant dans la ville de Pec, qui se trouve dans la province du Kosovo, et où la population albanaise serait particulièrement maltraitée par les « serbes nationalistes » au pouvoir. Elle fait valoir que la violence des autorités serbes à l’encontre des Albanais aurait repris de vigueur au courant du mois de mars 1998, de sorte qu’une nouvelle guerre civile serait à craindre. Comme elle aurait été membre du parti albanais du Kosovo dénommé LDK, elle aurait fait l’objet de menaces et de maltraitements quotidiens. Elle soutient notamment qu’elle aurait été frappée et qu’elle s’est vue infliger des sévices sexuels de la part des agents de la police serbe. Elle estime que de telles circonstances caractérisent à suffisance une crainte de persécution tant en raison de ses opinions politiques qu’en raison de sa qualité d’Albanaise du Kosovo.
Elle fait encore valoir que le père de son enfant serait recherché par les autorités serbes en raison de son engagement auprès de deux partis politiques, à savoir le SDA et le LDK, de sorte qu’il devrait continuellement se cacher devant les autorités serbes. Elle relève que lors de visites des agents de police serbes, elle aurait été maltraitée parce qu’elle refusait de divulguer la cachette de son « mari ».
Vu la pression psychique et physique qui aurait été exercée à son encontre pendant plusieurs années, il serait parfaitement compréhensible que lors de sa comparution devant la commission consultative pour les réfugiés, elle n’aurait pas pu fournir un exposé détaillé de sa situation personnelle. Il serait, par ailleurs, normal qu’elle aurait été intimidée lors de sa comparution alors qu’elle « ignorait les rouages de l’administration luxembourgeoise » et ne connaissait aucune des langues y pratiquées. Elle relève en dernier lieu, que l’interprète qui l’aurait assisté aurait été d’origine serbe et que ce dernier « l’accusait de mentir sur les réalités serbes ».
Le délégué du gouvernement rétorque que les moyens invoqués par la demanderesse à l’appui de son recours en annulation seraient en contradiction flagrante avec les informations qu’elle aurait fournies pendant son audition du 5 novembre 1997 et qu’en outre les faits soulevés ne seraient pas prouvés par un quelconque élément du dossier. Il estime dès lors que ce serait à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande en obtention du statut de réfugié manifestement infondée, étant donné que le contrôle de la légalité s’apprécierait en 2 fonction de la situation de droit et de fait telle qu’elle existait au moment où la décision attaquée a été prise.
Lors des plaidoiries, le mandataire de la demanderesse a versé deux pièces, à savoir un certificat de naissance de … DACIC et une carte d’appartenance de Madame DACIC au parti SDA. Il fait valoir que le fait que Madame DACIC s’exprime dans une langue non compréhensible par lui-même expliquerait qu’il aurait erronément indiqué dans son recours qu’elle serait membre du parti LDK, alors qu’elle serait, comme cela résulterait de l’une des deux pièces versées à l’audience, en réalité membre du parti politique SDA.
Aux termes de l’article 10 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives en matière de demande d’asile déclarée manifestement infondée.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit, par ailleurs, dans les formes et délai de la loi.
Concernant le seul reproche formulé par la demanderesse à l’encontre de la décision attaquée, tiré de ce que le ministre aurait fait une fausse appréciation des faits et n’aurait pas pris en compte les craintes de persécutions invoquées, et que partant la motivation de la décision attaquée ne serait pas fondée, il convient de rappeler que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement… ».
En vertu de l’article 3 alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».
Lors de son audition du 5 novembre 1997, la demanderesse n’a pas fait état de motifs de persécution tels que prévus par l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève. En effet, lors de son audition, elle a basé sa demande en obtention du statut de réfugié politique exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et matériel, ainsi que sur l’insécurité générale régnant au Monténégro (sic) « à cause des élections ». La demanderesse a plus particulièrement déclaré ne pas être membre d’un parti politique ni d’avoir entrepris une action quelconque qui pourrait entraîner des persécutions contre elle dans son pays d’origine, mais qu’elle a quitté le pays « à cause de la situation économique ». A la fin de son audition, lorsqu’elle fut encore une fois interrogée sur les motifs à la base de sa demande d’asile au Luxembourg, elle a indiqué que c’était « parce qu’(elle) n’avait pas de moyens pour vivre ».
Elle a encore ajouté qu’elle n’était pas en « bons termes avec son mari » qui est recherché par la police, en indiquant encore que « La police est même venue chez nous à la maison il y a un mois et demi pour demander où il est. Mais il n’y a pas eu d’autres conséquences, à part qu’ils ont dit qu’ils reviendront pour me demander encore une fois où il se trouve ».
3 Concernant ses opinions politiques, elle a affirmé n’avoir « aucune idée à ce sujet ». De tels motifs ne sauraient toutefois fonder une demande d’asile politique au sens de la Convention de Genève.
La demanderesse a fait valoir pour la première fois dans sa requête introductive d’instance des faits qui, d’après elle, devraient être considérés comme justifiant des craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève.
On ne saurait toutefois reprocher au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération, au moment où il a pris la décision qui fait l’objet du présent recours en annulation, des faits et arguments dont il n’a pas pu avoir connaissance, étant donné qu’ils n’ont été invoqués, pour la première fois, que dans la requête introductive d’instance.
Le tribunal relève, pour le surplus, que les événements dénoncés, lors du recours contentieux, sont par ailleurs extrêmement vagues et en contradiction flagrante avec les déclarations initiales, de sorte qu’ils ne pourraient être considérés comme étant constitutifs d’une invocation d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.
Ce raisonnement ne saurait être énervé par l’affirmation, non autrement étayée, de la demanderesse qu’elle aurait été « intimidée » lors de sa comparution devant l’agent du ministre de la Justice.
Etant donné que la demanderesse n’a pas fait état de persécutions ou de craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, c’est à bon droit que le ministre a décidé que la demande d’asile politique formulée par elle devait être déclarée manifestement infondée.
Il suit des considérations qui précèdent, que le recours est à rejeter comme non fondé.
Le mandataire de la demanderesse ayant informé le tribunal que sa mandante bénéficie de l’assistance judiciaire en vertu d’une décision prise par le délégué du bâtonnier de l’Ordre des avocats à Luxembourg en date du 20 février 1998, sur base de la loi du 18 août 1995, il échet de lui en donner acte.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
donne acte à la demanderesse qu’elle bénéficie de l’assistance judiciaire;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge 4 Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 2 avril 1998 par le vice-président, en présence du greffier.
Legille Schockweiler greffier vice-président 5