La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/02/1998 | LUXEMBOURG | N°10283

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 1998, 10283


N° 10283 du rôle Inscrit le 12 septembre 1997 Audience publique du 2 février 1998

============================

Recours formé par Monsieur … ZENNER et son épouse, Madame … LAMBERT contre le ministre de la Famille en matière d’agrément des intermédiaires en matière d’adoption

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 1997 par Maître Carlo REVOLDINI, avocat inscrit à la liste I du tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ZENNER, …, et de son épouse, Madame … LAMBERT...

N° 10283 du rôle Inscrit le 12 septembre 1997 Audience publique du 2 février 1998

============================

Recours formé par Monsieur … ZENNER et son épouse, Madame … LAMBERT contre le ministre de la Famille en matière d’agrément des intermédiaires en matière d’adoption

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 1997 par Maître Carlo REVOLDINI, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ZENNER, …, et de son épouse, Madame … LAMBERT, …, demeurant ensemble à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Famille du 8 juillet 1997 informant les demandeurs de ce que l’activité d’intermédiaire pour les adoptions internationales n’est pas réglementée au Luxembourg, que l’association sans but lucratif SOS Enfants en Détresse n’est pas placée sous la surveillance du ministère de la Famille et que ledit ministère n’est pas le supérieur hiérarchique de ladite association;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 5 septembre 1997, portant signification dudit recours au ministre de la Famille;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 14 novembre 1997;

Vu le mémoire en réplique déposé le 24 novembre 1997 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Carlo REVOLDINI ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Il ressort des explications de la partie demanderesse et des pièces du dossier, que Monsieur … ZENNER et son épouse, Madame … LAMBERT, ci-après désignés ensemble les « époux ZENNER-LAMBERT », après avoir adopté, en 1994, un premier enfant originaire du Brésil et désirant en adopter un second, se sont adressés, fin 1995, à l’association sans but lucratif SOS Enfants en Détresse pour se faire assister au cours de la procédure menée au 1 Brésil en vue de cette deuxième adoption, notamment pour établir le dossier administratif requis par les autorités de l’Etat d’origine de l’enfant à adopter.

L’association SOS Enfants en Détresse a chargé la Croix-Rouge luxembourgeoise avec la mission de procéder à une enquête sociale sur les adoptants aux fins de l’établissement du dossier requis par les autorités brésiliennes.

Au cours de l’enquête sociale, les époux ZENNER-LAMBERT ont rencontré des « problèmes » avec l’assistante sociale, qui avait été chargée de l’enquête sociale par la Croix-

Rouge, ayant abouti à un refus de cette dernière à émettre un rapport.

Une deuxième assistante sociale fut alors chargée pour effectuer ladite enquête. Il ressort d’une note émanant de l’association SOS Enfants en Détresse, que cette assistante sociale, après avoir annoncé à la responsable de l’association « qu’elle va fournir un rapport favorable », a informée cette dernière, quelques jours plus tard, qu' « après avoir appris que Mme R. s’était opposée à l’adoption, elle ne veut pas se trouver dans la situation de faire une "contre-enquête", et elle refuse à son tour de remettre un rapport exprimant son opinion propre ».

Confrontés à ces deux refus, les demandeurs, par lettre du 26 juin 1997 de leur mandataire, se sont adressés au ministre de la Famille pour solliciter son intervention, en tant que « supérieur hiérarchique » de l'association SOS Enfants en Détresse, et, notamment pour qu'il désigne un assistant social pour procéder à l'enquête sociale.

Par lettre du 8 juillet 1997, le ministre de la Famille a répondu dans les termes suivants:

« (…) Vous vous référez au règlement grand-ducal du 30.07.1974 pris pour l’application des articles (anciens) 350-1 et 350-2 du code civil pour invoquer la compétence du Ministère de la Famille et pour dire que l’a.s.b.l. SOS Enfants en Détresse exerce sa fonction en application dudit règlement.

Ce n’est pas l’interprétation du Ministère de la Famille. La surveillance du Ministère de la Famille se limite aux services ayant obtenu l’agrément mentionné par le règlement grand-ducal et à l’exercice des droits déterminés par les articles (anciens) 350-1 et 350-2 du code civil, c’est à dire obtenir le droit de consentir à une adoption.

L’activité d’intermédiaire pour des adoptions internationales n’étant pas réglementée au Luxembourg, on ne peut pas dire que l’association SOS Enfants en Détresse est placée sous la surveillance du Ministère de la Famille et que ce dernier est son supérieur hiérarchique. (…) » Le 12 septembre 1997, les époux ZENNER-LAMBERT ont introduit un recours en annulation contre ladite décision du ministre de la Famille.

Les demandeurs soutiennent avoir intérêt pour agir, étant donné que la décision ministérielle « porte atteinte à leurs droits de se proposer comme parents adoptifs d’un enfant, la réalisation de ces droits étant rendue impossible par la déclaration d’incompétence du ministre ».

2 A l’appui de leur recours, ils invoquent le moyen unique tiré de la violation de la loi, au motif que le ministre aurait à tort décliné sa compétence en estimant que l’association SOS Enfants en Détresse Asbl ne serait pas placée sous sa surveillance.

Selon leur argumentation, « la matière de l’adoption en soi est soumise, à cause de ses nombreuses conséquences juridiques sur l’état des personnes que l’adoption fait naître, au contrôle étatique strict ».

Dans ce contexte, ils invoquent les articles 3 et 6 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, tout en soutenant que même si cette convention n’a pas encore été ratifiée par le Luxembourg, « les principes y contenus sont à considérer comme principes directeurs de la matière ». Ils ajoutent que « cet esprit se retrouve dans l’arrêté grand-ducal du 30 juillet 1974 quand le législateur a réglementé l’activité qui doit être déployée préalablement, soit par l’Etat directement soit par des organismes de nature privée, de contrôle de la situation des adoptants dans un but de protection des enfants adoptables ».

Ils estiment que ledit règlement grand-ducal serait applicable tant aux procédures nationales d’adoption qu’aux procédures internationales et que le ministre de la Famille aurait compétence générale de surveillance en matière d’adoption et devrait « remplir la fonction lui formellement attribuée par la loi ».

Ils soutiennent encore que l’obligation de contrôle incombant aux autorités luxembourgeoises ne serait pas limitée aux seuls services ayant obtenu l’agrément et que, pour le surplus, l’association SOS Enfants en Détresse Asbl disposerait d’un agrément, pour le moins d’un agrément tacite, dès lors que le ministère de la Famille travaillerait depuis des années avec cette association.

Le délégué du gouvernement soutient en premier lieu que les frais de signification du recours au ministre de la Famille seraient frustratoires, dès lors que le gouvernement est valablement saisi par le dépôt du recours au greffe de la juridiction administrative, et, par conséquent, ces frais devraient rester à charge des demandeurs en tout état de cause.

Il conclut ensuite à l’irrecevabilité du recours pour absence de décision administrative susceptible de recours. Il soutient dans ce contexte que la réponse ministérielle serait une simple information sur le statut de l’association SOS Enfants en Détresse et la législation applicable, mais non pas une décision administrative susceptible d’un recours en justice.

En ordre subsidiaire, il soutient que le recours, de par son dispositif, constituerait un recours en réformation et, en tant que tel, serait à déclarer irrecevable, aucune disposition légale ne prévoyant un tel recours en matière d’adoption ou d’agrément de services d’aide sociale ou d’oeuvres d’adoption.

Au fond, il estime que le règlement grand-ducal précité du 30 juillet 1974 ne serait pas applicable en l’espèce et, si tel devait être le cas, que l’association SOS Enfants en Détresse, association servant d’intermédiaire pour des adoptions internationales, en l’occurrence d’enfants en provenance du Brésil, ne disposerait pas d’un agrément au titre dudit règlement.

3 En l’absence d’agrément ladite association ne relèverait pas de la surveillance du ministre de la Famille.

Pour le cas où le tribunal devait arriver à une conclusion différente, le délégué du gouvernement soutient que le seul moyen d’intervention donné au ministre de la Famille par le prédit règlement serait le retrait de l’agrément.

Concernant la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, il soutient qu’à défaut de ratification, le Luxembourg ne serait pas lié par cette convention.

Sur base de ces considérations, il conclut au non-fondé du recours.

A l'exception des questions de recevabilité en la pure forme de la requête introductive d'instance, le tribunal est en premier lieu appelé à examiner sa compétence.

Il convient partant d’examiner en premier lieu le moyen présenté par le délégué du gouvernement consistant à soutenir que, malgré le fait que le recours est intitulé recours en annulation, il s’analyserait, de par le dispositif de la requête, en un recours en réformation et comme tel serait à déclarer irrecevable.

A l’examen de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que si les demandeurs ont expressément qualifié leur action comme recours en annulation et que l’exposé des motifs tend expressément et uniquement à l’annulation de la décision d’incompétence litigieuse, il n’en reste pas moins que le recours, de par son dispositif, s’analyse en définitive comme constituant, principalement, un recours en annulation et, subsidiairement, un recours en réformation.

Encore que la demande en réformation n’ait été introduite qu’en ordre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.

Par conséquent, conformément à l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, seul un recours en annulation est en principe admissible.

Pour déterminer sa compétence d’annulation, le tribunal est cependant encore appelé à vérifier si la décision litigieuse du 8 juillet 1997 constitue une décision administrative au sens de la loi précitée du 7 novembre 1996, c’est-à-dire une véritable décision affectant les droits et intérêts des demandeurs qui la contestent.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame (cf. F.

4 Schockweiler, Le Contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 2e éd., 1996, n° 59).

En l’espèce, les demandeurs se sont adressés à l’administration pour demander son intervention dans une procédure d’adoption dans laquelle ils ont rencontré des problèmes. La réponse ministérielle, consistant à refuser de faire droit à cette demande, tiré de l’incompétence pour intervenir en la matière, s’analyse en une décision négative qui est susceptible de causer grief aux demandeurs, de sorte que le moyen d’irrecevabilité afférent est à écarter.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, il s’agit de relever que le litige dont le tribunal est appelé à connaître touche à l’activité d’intermédiaire dans le cadre d’une adoption dite internationale et la réglementation applicable à ces intermédiaires.

L’activité de tels intermédiaires concerne l’ensemble des interventions préalables à la procédure judiciaire d’adoption. Il s’agit notamment des interventions dans le choix des candidats adoptants et dans la mise en contact entre adoptants et enfants adoptés, mais encore des interventions auprès des instances du pays d’origine de l’enfant à adopter. L’intermédiaire constitue le correspondant dans le pays d’accueil, des personnes et instances du pays d’origine qui s’occupent de l’enfant et qui doivent consentir à l’adoption.

L’argumentation des demandeurs consiste à soutenir qu’il incombe aux autorités luxembourgeoises de surveiller les activités de ces intermédiaires et, plus spécialement, que le ministre de la Famille serait à considérer comme le supérieur hiérarchique de tels organismes.

S’il est vrai que le recours devant le supérieur hiérarchique, lato sensu, peut être exercé même en l’absence de texte le prévoyant, il n’en reste pas moins qu’un tel recours exige impérativement l’existence d’un texte prévoyant un pouvoir de tutelle ou de contrôle.

Or, le tribunal constate qu’au stade actuel de la législation, l’activité d’intermédiaire pour les adoptions internationales ne fait pas l’objet d’une réglementation au Luxembourg. Il convient toutefois de relever qu’un projet de loi portant agrément des services d’adoption et définition des obligations leur incombant a été déposé à la Chambre des députés le 19 octobre 1995 (doc. parl. N°4088). Ce projet a pour objet de réglementer les activités des intermédiaires qui assistent les candidats adoptants dans leurs démarches nationales et internationales en vue de l’adoption envisagée.

Dans ce contexte, les demandeurs soutiennent à tort qu’un pouvoir et une obligation de contrôle de l’administration, spécialement du ministre de la Famille, sur les activités des intermédiaires pour les adoptions internationales se dégagerait du règlement grand-ducal du 30 juillet 1974 « pris pour l’application des articles 350-1 et 350-2 du Code civil ».

En effet, force est de constater que la portée de ce règlement grand-ducal se limite à l’exercice des droits définis auxdits articles 350-1 et 350-2 (numérotation de l’époque - les articles 351-3 et 352 actuels) du code civil. Ces articles visent expressément les services d’aide sociale ou les oeuvres d’adoption créés par la loi ou reconnus par arrêté grand-ducal, en faveur desquels les personnes habilitées à consentir à une adoption - en application des articles 349 et 5 350 anciens (actuellement les articles 351, 351-1 et 351-2) du code civil - peuvent renoncer à ce droit et conférer auxdits services ou oeuvres le droit de garde de l’enfant, celui de choisir l’adoptant ainsi que celui de donner le consentement à l’adoption. Ledit règlement ne vise nullement les adoptions internationales et les activités d’intermédiaires dans de telles procédures d’adoption. Par conséquent, aucun pouvoir de contrôle ou de tutelle pour le ministre de la Famille ne saurait se dégager de ce texte et le moyen afférent présenté par les demandeurs est à écarter.

Concernant le moyen tiré des obligations découlant de la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale adoptée le 10 mai 1993, il échet de constater qu’à défaut de ratification et de publication au Mémorial cette convention n’a pas encore été introduite dans l’ordre interne luxembourgeois et, par conséquent, c’est à tort que les demandeurs se fondent sur une prétendue violation des dispositions de cette convention.

Il suit des considérations qui précèdent, qu’en l’absence de règles spécifiques réglementant l’activité d’intermédiaire en matière d’adoptions internationales et à défaut d’un texte spécifique conférant au ministre de la Famille un pouvoir de tutelle ou de contrôle sur lesdits organismes, le ministre de la Famille s’est déclaré à juste titre incompétent pour intervenir en faveur d’un couple candidat adoptant auprès de l’organisme national qui l’assiste dans une procédure internationale d’adoption et où le couple rencontre des problèmes, fussent-

ils graves.

Le recours en annulation n’est partant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge 6 Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 2 février 1998, par le vice-président, en présence du greffier.

s. Legille s. Schockweiler greffier assumé vice-président 7 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10283
Date de la décision : 02/02/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-02-02;10283 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award