N° 10282 du rôle Inscrit le 11 septembre 1997 Audience publique du 15 décembre 1997
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Recours formé par la société anonyme CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE S.A., et consorts, contre l'administration communale de Sanem, en matière de mise à la disposition d'un terrain
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Vu la requête déposée le 11 septembre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître André LUTGEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1. la société anonyme CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE S.A., avec siège à …, 2. la société anonyme IMMOBILIERE DE SOLEUVRE S.A., avec siège …, 3. la société anonyme IMMOBILIERE DE BELVAUX S.A., avec siège à …, 4. la société anonyme de droit français SODICHAMP S.A., avec siège à …, 5. Monsieur … ALAZARD, exploitant d'hypermarché, ayant droit de la société SODICHAMP, préqualifiée, demeurant à …, tendant à la réformation, et subsidiairement à l’annulation d’une délibération du conseil communal de la commune de Sanem du 11 juin 1997 portant refus de mettre à la disposition des demandeurs préqualifiés ses terrains longeant la pénétrante "Woeller", aux fins de leur intégration dans la réalisation du projet tendant à la création d'un centre commercial;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 11 septembre 1997, portant signification dudit recours à l'administration communale de Sanem;
Vu le mémoire en réponse déposé le 17 novembre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges MARGUE, assisté de Maître Marc ELVINGER, avocats inscrits à la liste I du tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de l'administration communale de Sanem;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Esch-
sur-Alzette, du 19 novembre 1997, portant signification dudit mémoire en réponse aux parties demanderesses;
2 Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 1997 par Maître André LUTGEN au nom des demandeurs préqualifiés;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 24 novembre 1997, portant signification dudit mémoire en réplique à l'administration communale de Sanem;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 1997 par Maître Georges MARGUE, assisté de Maître Marc ELVINGER, au nom de l'administration communale de Sanem;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Esch-
sur-Alzette, du même jour, portant signification dudit mémoire en duplique aux demandeurs;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres André LUTGEN, Georges MARGUE et Marc ELVINGER en leurs plaidoiries respectives.
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Se basant sur une demande présentée par Monsieur … MICHELIS tendant à une nouvelle mise en valeur des dépendances de son ancienne fabrique d'éléments en béton située dans la zone artisanale "Um Woeller" à Soleuvre, par l'implantation d'une grande surface commerciale, le conseil communal de Sanem, par délibération du 28 juillet 1992, procéda à la modification du projet d'aménagement général de la commune en classant les terrains nécessaires pour l'implantation du centre en zone d'activités commerciales et économiques.
Dans le texte de cette délibération, il était relevé que "la Commune de Sanem est favorable à une telle initiative à condition toutefois que les terrains logeant la pénétrante Woeller et lui appartenant soient intégrés dans le projet." Dans la suite, la société CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE sollicita du ministre des Classes moyennes l'autorisation d'établissement pour un centre commercial à Soleuvre, d'une surface nette de 14.515 mètres carrés. Suite à un refus d'autorisation du ministre, le Comité du contentieux du Conseil d'Etat, saisi d'un recours en réformation, délivra l'autorisation sollicitée par arrêt du 5 mars 1996.
Dans une délibération du 11 septembre 1995, intitulée "Résolution en faveur de l'implantation d'une surface de vente de 14000 m2 à Soleuvre, au lieu dit Um WOELLER, réservée au commerce de détails", le conseil communal de Sanem, rappelant, entre autres, que sa décision de modification du plan d'aménagement général de la commune procédait du but de "mettre en valeur des terrains appartenant d'une part à la société anonyme de droit luxembourgeois CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE et d'autre part à la commune de Sanem", avait qualifié le projet en question "d'utilité publique sur le plan communal" et prié le Comité du contentieux d'accorder l'autorisation d'établissement.
3 Dans la suite différentes réunions eurent lieu entre les promoteurs du projet et les autorités communales en vue de concrétiser le projet, moyennant inclusion des terrains appartenant à la commune.
Par délibération du 11 juin 1997, le conseil communal, autrement composé suite à des élections communales, sur base de motifs tirés d'une modification du projet initial par l'installation d'une station de carburants de dix lignes et les inconvénients y liés - augmentation du trafic, risques en cas d'accident - de l'augmentation du risque d'inondation à Sanem, ainsi que des inconvénients du point de vue environnement, trafic et impact sur les commerces établis dans la commune, décida de "ne pas mettre à disposition les terrains appartenant au domaine communal pour la construction d'un centre commercial au lieu-dit 'Um Woeller' à Soleuvre." Par requête du 11 septembre 1997, la société anonyme CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE S.A., la société anonyme IMMOBILIERE DE SOLEUVRE S.A., la société anonyme IMMOBILIERE DE BELVAUX S.A., la société anonyme de droit français SODICHAMP S.A., ainsi que Monsieur … ALAZARD, préqualifiés, ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l'annulation de la décision précitée du conseil communal de Sanem du 11 juin 1997.
Les demandeurs reprochent à la commune d'avoir commis un excès de pouvoir en ce que les arguments à la base de la décision critiquée seraient couverts par des décisions administratives définitivement acquises, et que la décision serait basée sur des considérations ne rentrant pas dans les compétences du conseil communal. Ils lui reprochent par ailleurs un détournement de pouvoir pour avoir pris une décision contraire à l'utilité publique. Ils font encore valoir que la décision du 11 juin 1997 constituant à leurs yeux une révocation d'office de droits nés antérieurement dans leur chef, a été prise sans que l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure administrative non contentieuse ait été respecté. Ils invoquent finalement la violation, par la commune, du principe de la confiance légitime, en ce que la décision incriminée constituerait un changement brusque et imprévisible de l'attitude de l'administration qu'il y aurait lieu de sanctionner.
La commune invoque l'irrecevabilité du recours en réformation en l'absence d'un texte de loi conférant au juge administratif le pouvoir de connaître au fond de la décision entreprise. Elle soulève encore l'irrecevabilité de la demande pour défaut de justification de la qualité et de l'intérêt pour agir. Elle estime par ailleurs que le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours, le litige relevant de la compétence des juridictions judiciaires. Elle se prévaut ensuite de l'absence d'une décision administrative faisant grief pour conclure encore à l'irrecevabilité de la demande. Elle estime finalement qu'au fond, le recours n'est pas justifié.
QUANT A LA COMPETENCE Hormis les questions de recevabilité en la pure forme de la requête introductive d'instance, le tribunal doit examiner en premier lieu sa compétence.
4 En vertu de l'article 84 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux judiciaires, tandis que l'article 95 bis, 5 (1) de la Constitution attribue le contentieux administratif aux juridictions administratives.
La répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives s'opère, non en fonction des sujets de droit - personnes privées ou autorités administratives - mais en fonction de l'objet du droit qui engendre une contestation portée devant le juge.
S'il est donc vrai, en l'espèce, que la décision du conseil communal de Sanem du 11 juin 1997, portant refus de mettre à disposition des terrains communaux pour l'implantation d'un centre commercial, émane d'une autorité administrative, cette seule circonstance n'est pas de nature à fonder la compétence du tribunal administratif; il s'agit en revanche d'examiner si le litige entre parties concernant ce refus a comme objet véritable un droit civil ou une contestation concernant une décision administrative.
Les parties s'accordent pour admettre qu'elles ne sont pas contractuellement liées par une convention de droit civil conférant à la société CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE un droit réel ou un droit de jouissance sur les terrains appartenant à la commune. - En revanche, les demandeurs reprochent à la commune de refuser la conclusion d'un contrat destiné à matérialiser des droits acquis par suite d'une succession de différents actes administratifs unilatéraux antérieurs.
Lorsqu'un litige porte sur le respect ou le non-respect d'un contrat, l'objet du litige consistant alors dans respectivement la réformation ou l'annulation d'une décision par laquelle un particulier reproche à une autorité administrative d'avoir méconnu des obligations contractuellement assumées par elle, la connaissance de pareil litige relève des tribunaux judiciaires (cf. Cass. b. 27 avril 1961, Pas. b. 1961, I, 920) qui, dans ce cas, en imposant le respect du contrat, ont le pouvoir de procurer au particulier un résultat pratique équivalant à l'annulation de l'acte incriminé (v. Les Novelles, Droit administratif, tome VI, Le Conseil d'Etat, Larcier 1975, n° 814, p. 236).
En revanche, le juge administratif reste compétent à l'égard des actes par lesquels, usant de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative prend la décision préalable nécessaire pour que naisse un droit civil (v. Novelles, loc. cit.). Un tel acte est en effet détachable de l'acte relevant de la compétence du juge du contrat (v.
Novelles, n° 790, p. 224). Dans la mesure où un tel acte détachable lui fait grief, un particulier peut par conséquent l'attaquer devant le juge administratif.
En l'espèce, les demandeurs ne demandent pas la sanction d'un contrat dont ils admettent eux-mêmes qu'il ne s'est pas formé entre parties, mais ils entreprennent la décision administrative unilatérale du conseil communal de Sanem du 11 juin 1997 consistant à refuser de s'engager dans une voie soit contractuelle, soit unilatérale devant aboutir à la mise à disposition de ses terrains, ceci au mépris d'engagements unilatéraux antérieurs.
Dans la mesure où il s'agit de connaître du litige relatif à cette décision ainsi circonscrite, le tribunal administratif est compétent au regard des dispositions des articles 84 et 95 bis, (1) de la Constitution.
6 Aucun texte de loi ne conférant compétence au juge administratif pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.
Il est en revanche compétent pour connaître du recours en annulation, par application de l'article 2 (1) de alinéa loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif.
QUANT A LA RECEVABILITE AU VU DE LA QUALITE ET DE L'INTERÊT A AGIR La commune conteste à la fois la qualité pour agir et l'intérêt à agir de chacune des cinq parties demanderesses.
Elle fait relever que les demandeurs se réfèrent à un engagement définitif pris par elle à l'égard des consorts Michelis, alors que ceux-ci ne figurent pas comme demandeurs dans la procédure; ils resteraient en revanche en défaut d'indiquer au profit duquel d'entre eux la mise à la disposition du terrain devait s'effectuer. Elle insiste sur ce que l'autorisation d'établissement dont est titulaire la société CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE S.A. n'est pas affectée par la délibération du conseil communal attaquée, et que le statut juridique des terrains appartenant aux sociétés IMMOBILIERE DE SOLEUVRE S.A. et IMMOBILIERE DE BELVAUX S.A. n'est pas non plus affecté par cette délibération. Elle estime finalement que Monsieur ALAZARD resterait en défaut de justifier de sa qualité pour agir en se limitant à se présentant comme ayant droit de la société SODICHAMP S.A.
Il se dégage des articles 2 et 4 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif que toute partie intéressée peut attaquer une décision administrative devant le juge administratif. Cette qualité n'appartient pas seulement au destinataire direct de l'acte, mais encore à toutes les personnes dont les droits et même les simples intérêts peuvent être affectés par les effets de cet acte (v. F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 2e éd., 1996, n° 76).
En l'espèce, il se dégage des pièces que la décision attaquée est intervenue dans le cadre des négociations menées en vue de la réalisation d'un centre commercial "Leclerc" dans la zone commerciale et économique "Um Woeller", et les demandeurs estiment que la délibération du 11 juin 1997 compromet les chances de réalisation de ce centre en ce que l'inclusion des terrains appartenant à la commune dans le projet est indispensable pour sa réalisation.
Il se dégage des pièces versées et des renseignements fournis par les mandataires des parties qu'une partie des terrains appartenant à la commune est nécessaire pour la réalisation du projet, étant donné que l'inclusion de ces terrains permet un accès sans entrave à la voirie existante.
7 La société CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE S.A. est titulaire de l'autorisation de faire le commerce se rapportant au centre commercial, et en cas de non-réalisation du projet, elle ne pourra pas mettre à profit cette autorisation.
Les sociétés IMMOBILIERE DE SOLEUVRE S.A. et IMMOBILIERE DE BELVAUX S.A. sont respectivement propriétaires de terrains destinés à être englobés dans le projet et sont susceptibles de subir une perte financière si le centre commercial n'est pas réalisé.
Dans cette mesure, chacune des trois parties susindiquées a un intérêt personnel susceptible d'être compromis par la décision de la commune du 11 juin 1997.
En revanche, il ne se dégage pas des pièces versées dans quel mesure la société "SODICHAMP" et Monsieur ALAZARD ont un intérêt personnel dans la réalisation du projet. Devant les contestations de la commune, le recours est partant à déclarer irrecevable dans la mesure où il a été introduit par ces deux parties.
QUANT A LA RECEVABILITE AU REGARD DE L'EXIGENCE D'UNE DECISION ADMINISTRATIVE FAISANT GRIEF La défenderesse dénie à la délibération du conseil communal du 11 juin 1997 le caractère de décision administrative susceptible d'un recours devant le tribunal administratif, le propre d'une telle décision étant de constituer une décision unilatérale obligatoire pour les particuliers, prise par un organisme de droit public investi, pour l'acte considéré, de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers.
Pour constituer une décision administrative susceptible d'un recours contentieux, la décision doit être prise par une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés. Il importe peu que l'autorité qui prend la décision ait été habilitée à prendre la mesure faisant grief, à partir du moment où l'acte présente les aspects extérieurs de la régularité, même si son auteur n'avait pas le pouvoir de le prendre. L'acte doit en outre faire grief au requérant en affectant directement sa situation personnelle et en étant de nature à lui causer un préjudice individualisé. L'acte doit finalement constituer une étape finale dans le processus de prise de décision.
La délibération du conseil communal de Sanem répond à ces exigences. Le conseil communal constitue en effet une autorité habilitée à prendre des décisions obligatoires tant pour les administrés que pour elle-même; la délibération attaquée fait grief aux demanderesses sub 1) à 3), ainsi qu'il vient d'être exposé ci-avant, et elle est finale dans le sens qu'elle ne constitue pas un acte préparatoire préalable à une décision définitive à prendre ultérieurement.
La commune fait encore valoir que la décision attaquée ne constituerait pas une décision administrative susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux parce qu'elle ne ferait pas grief. A l'appui de sa thèse, elle relève qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'obligerait l'autorité communale à mettre à disposition, dans certaines circonstances, des terrains lui appartenant.
8 Le moyen afférent ne saurait valoir comme moyen d'irrecevabilité tiré de l'absence d'une décision administrative, mais est susceptible d'être examiné dans le cadre du fondement de la demande d'annulation de la décision. La délibération du 11 juin 1997 constitue en effet une décision administrative, ainsi qu'il a été exposé plus haut, elle fait grief en ce qu'elle lèse des intérêts particuliers de trois des demandeurs au présent recours, et il reste à examiner, au fond, si la commune, au vu des antécédents du litige, était en droit de prendre la décision qu'elle a prise.
La commune estime finalement qu'il ne s'agit pas d'une décision administrative en ce qu'elle n'est pas de nature à modifier l'ordonnancement juridique existant. Elle fait remarquer qu'il n'existe pas de différence entre l'attitude quelle a adoptée et celle qui aurait consisté à ne rien décider concernant la disposition de ses terrains.
Ce moyen est encore à abjuger. Il est reproché par les parties demanderesses à la commune de s'être mise, par une série d'actes antérieurs, dans l'obligation de mettre les terrains à disposition, la délibération du 11 juin 1997 matérialisant le non-respect allégué de ses engagements pris antérieurement. Si la commune avait adopté d'une attitude passive, la situation juridique serait restée la même, en ce que les parties demanderesses auraient pu estimer, à tort ou à raison, que cette attitude traduisait un refus illégal de contracter qu'il y avait lieu de faire sanctionner par le juge.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en annulation, en tant qu'il a été introduit par les demanderesses sub 1) à 3), étant par ailleurs régulier en la forme et quant au délai, est recevable.
QUANT AU FOND Au fond, les demandeurs reprochent à la commune d'avoir commis un excès de pouvoir en méconnaissant des décisions administratives définitivement acquises, à savoir d'une part sa propre délibération du 28 juillet 1992 par laquelle elle a reclassé la zone nécessaire à l'implantation du centre commercial en zone d'activités commerciales et économiques en exigeant que les terrains lui appartenant dans cette zone soient intégrés dans le projet, d'autre part, sa délibération du 11 septembre 1995 dans laquelle elle déclara d'utilité publique la réalisation du projet, et finalement l'arrêt du Conseil d'Etat du 5 mars 1996 ayant accordé l'autorisation d'établissement nécessaire. - Ils estiment que la commune a encore commis un excès de pouvoir en basant sa décision de refus sur des considérations ne rentrant pas dans les compétences du conseil communal. Ils relèvent que la décision incriminée est motivée par les problèmes liés à l'accroissement du trafic, aux nuisances engendrées par l'exploitation d'une station d'essence, à l'évacuation des eaux de pluie, à la présence d'une ligne de haute tension et d'une conduite d'eau traversant le site, ainsi qu'à la protection du commerce local, et que l'appréciation de ces questions échappe à la compétence de l'autorité communale.
Ils reprochent encore à la commune un détournement de pouvoir consistant dans le fait d'avoir pris, par sa décision de refus du 11 juin 1997, une décision contraire à l'intérêt général. Ils rappellent à cet effet que par délibération du 11 septembre 1995, le conseil communal a lui-même constaté l'utilité publique du projet, et soulignent que 9 la réalisation du projet est d'intérêt à la fois national, régional et communal. En refusant de mettre à disposition ses terrains, la commune aurait pris une décision contraire à l'intérêt général, ce qui caractériserait le détournement de son pouvoir qui doit s'exercer dans le respect de l'utilité publique.
Les demandeurs estiment par ailleurs que la commune a violé la loi en révoquant, par sa décision du 11 juin 1997, des droits antérieurement concédés, sans respecter la disposition de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure administrative non contentieuse.
Ils se prévalent finalement de la violation du principe de la confiance légitime par un changement brusque et imprévisible de son attitude.
Les moyens invoqués par les demandeurs soulèvent en définitive deux questions, à savoir, d'une part, si la commune était définitivement liée par des décisions administratives antérieures lui enlevant le droit d'y revenir, et d'autre part, si l'intérêt général liait sa compétence de manière à l'obliger de mettre à disposition ses terrains en vue de la réalisation du projet de centre commercial.
Quant aux moyens tirés de l'existence d'un engagement antérieur empêchant la commune d'y revenir Les demandeurs entendent déduire leur droit acquis de se voir mettre à disposition les terrains communaux de trois décisions de la commune, à savoir:
- le vote provisoire de reclassement de la zone "Um Woeller" du 28 juillet 1992 en zone d'activités commerciales et économiques, dans laquelle figure le considérant suivant lequel la commune est favorable à la création du centre commercial "à condition toutefois que les terrains longeant la pénétrante WOELLER et lui appartenant soient intégrés dans le projet";
- le vote définitif concernant ledit reclassement du 14 septembre 1992; les demandeurs considèrent que par la motivation de cette délibération, la commune s'est considérée elle-même comme un des promoteurs du projet; ils relèvent que la commune a payé les honoraires d'architecte concernant l'élaboration des plans du projet d'aménagement;
- la délibération du 11 septembre 1995, intitulée "Résolution en faveur de l'implantation d'une surface de vente de 14000 m2 à Soleuvre, au lieu dit Um WOELLER, réservée au commerce de détails", dans laquelle il est relevé que le but du reclassement opéré par les votes des 28 juillet et 14 septembre 1992 est de "mettre en valeur des terrains appartenant d'une part à la société anonyme de droit luxembourgeois CENTRE COMMERCIAL DE SOLEUVRE et d'autre part à la commune de Sanem", et par laquelle le projet en question a été déclaré "d'utilité publique sur le plan communal".
Lorsque des décisions individuelles régulièrement prises créent des droits, l'autorité administrative ne peut, sans commettre d'excès de pouvoir, ni retirer ces 10 décisions, ni en méconnaître la portée à l'occasion d'actes qu'elle est amenée à accomplir ultérieurement (v. Novelles, n° 1467, p. 509).
Un administré ne peut prétendre au respect d'un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l'autorité administrative a réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef.
En l'espèce, le tribunal arrive à la conclusion qu'aucune des délibérations du conseil communal invoquées par les demandeurs n'a créé au profit de ceux-ci un droit subjectif leur permettant de réclamer la mise à disposition des terrains appartenant à la commune et situés dans la zone d'activités commerciales et économiques "Um Woeller." En effet, les deux votes, l'un provisoire, l'autre définitif, des 28 juillet et 14 septembre 1992, ensemble la décision d'approbation de l'autorité de tutelle, ont eu pour effet, conformément à leur dispositif, d'opérer le reclassement de la zone artisanale "Um Woeller" en zone d'activités commerciales et économiques. Les considérants énoncés pour motiver ce reclassement ne comportent pas d'élément décisionnel, mais renseignent sur les raisons qui ont amené la commune à procéder au reclassement. En particulier le considérant suivant lequel la commune est favorable à l'implantation du centre commercial à condition que les terrains lui appartenant soient intégrés au projet ne vaut que comme simple déclaration d'intention, qui n'a pu créer ni des droits, ni des obligations au profit ou à charge de ceux qui vont ultérieurement procéder à la mise en valeur des terrains reclassés. Cette déclaration est à comprendre comme un des mobiles ayant amené la commune à agir comme elle l'a fait, mais elle n'est pas de nature à obliger la commune elle-même ou des tiers au-delà de la décision matérialisée par les votes des 28 juillet et 14 septembre 1992, consistant dans la modification du plan d'aménagement général de la commune, par la nouvelle affectation des terrains situés dans la zone "Um Woeller", avec les charges et conditions se dégageant des parties écrite et graphique du plan d'aménagement général en question.
La délibération du 11 septembre 1995 n'était pas de nature à créer un quelconque droit. Elle constitue une déclaration de solidarité avec la demanderesse au recours en réformation introduit auprès du Comité du contentieux du Conseil d'Etat suite au refus ministériel d'accorder l'autorisation d'établissement sollicitée en vue de l'exploitation du centre commercial projeté. Elle est dans ce sens à considérer comme déclaration politique et non comme un acte administratif destiné à créer des droits ou des obligations. Dans le contexte où elle est intervenue, la déclaration selon laquelle le projet d'établissement du centre commercial est d'utilité publique constitue encore une déclaration politique et non juridique, en ce que cette déclaration n'est pas intervenue comme préalable à une quelconque procédure d'expropriation ou de reclassement, mais dans le cadre d'une procédure d'autorisation d'établissement, matière dans laquelle l'autorité communale n'a pas de compétence décisionnelle.
Si les déclarations contenues dans les trois décisions invoquées par les demandeurs, de même que les nombreuses entrevues avec les autorités communales dont ceux-ci se prévalent, n'étaient pas de nature à leur inspirer une légitime confiance concernant un engagement ferme et définitif de la commune, un tel accord dépendant d'un nombre important d'éléments restant à définir (forme juridique de la mise à la 11 disposition, nature et importance de la contrepartie à fournir) voire d'aléas inhérents à la conclusion de tout contrat, elles ont pu, en revanche, le cas échéant, créer dans leur esprit certaines expectatives subrepticement déçues par la délibération du conseil communal du 11 juin 1997. - Si ces déclarations et entrevues n'ont dès lors pas créé des droits dans le chef des demandeurs, le comportement de la commune a pu constituer, le cas échéant, un changement d'attitude brusque et inattendu, susceptible éventuellement, non d'entraîner l'annulation de la décision attaquée, mais d'engager la responsabilité civile de la commune. Le tribunal administratif est incompétent pour se prononcer à cet égard.
Quant aux moyens tirés de la contrariété à l'intérêt général de la décision du conseil communal Les demandeurs relèvent que la décision incriminée est motivée par les problèmes liés à l'accroissement du trafic, aux nuisances engendrées par l'exploitation d'une station d'essence, à l'évacuation des eaux de pluie, à la présence d'une ligne de haute tension et d'une conduite d'eau traversant le site, et à la protection du commerce local, et que l'appréciation de ces questions échappe à la compétence de l'autorité communale.
Ils estiment qu'en refusant de mettre à disposition ses terrains, la commune prendrait une décision contraire à l'intérêt général - par ailleurs péremptoirement constaté par la délibération du conseil communal du 11 septembre 1995 -, attitude qui caractériserait le détournement de son pouvoir, lequel doit s'exercer dans le respect de l'utilité publique.
Les pouvoirs conférés aux autorités administratives doivent être exercés par celles-ci en considération du seul intérêt général. En usant de leurs pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils leur ont été conférés, elles commettent un détournement de pouvoir susceptible d'être sanctionné par le juge administratif.
Sous cette réserve, et à condition de respecter les dispositions légales et réglementaires applicables, l'administration est seule juge de l'intérêt général, qui est une notion d'opportunité politique trouvant sa sanction au niveau politique, mais échappant en principe au contrôle du juge de l'annulation.
En l'espèce, il faut rappeler que la commune se voit reprocher en réalité, non un acte positif, mais l'abstention de contracter. Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que comme tout particulier, une autorité publique est libre, en principe, de ne pas contracter, même sans indication de motifs.
Par ailleurs, les demandeurs restent d'une part en défaut de prouver que le conseil communal aurait, par sa délibération du 11 juin 1997, usé de ses pouvoirs dans un intérêt particulier ou dans un intérêt autre que celui pour lequel ses pouvoirs lui ont été conférés. - D'autre part, la commune était libre d'apprécier comme elle l'entendait l'intérêt général et, en fonction de cette appréciation, de décider de mettre à disposition ou non ses terrains. Sauf engagement à respecter, qui n'existe pas en l'espèce, ainsi qu'il vient d'être dégagé plus haut, la commune est libre de ne pas disposer du domaine 12 communal et elle peut changer, au gré de l'évolution de ses considérations politiques, son appréciation de l'intérêt général. En considérant, pour des raisons qu'il n'appartient pas au juge de l'annulation de contrôler, qu'il n'y avait pas lieu de mettre à disposition les terrains lui appartenant, la commune n'a pas apprécié l'intérêt général d'une manière contraire à la loi.
Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, se déclare compétent pour connaître du recours en annulation, déclare le recours irrecevable pour défaut d'intérêt à agir justifié en tant qu'il a été introduit par la société anonyme de droit français SODICHAMP S.A. et par Monsieur … ALAZARD, le déclare recevable pour le surplus, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 15 décembre 1997 par:
M. Ravarani, président, M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Schmit, greffier assumé, s. Schmit s. Ravarani