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10/12/1997 | LUXEMBOURG | N°10359

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 1997, 10359


N° 10359 du rôle Inscrit le 9 octobre 1997 Audience publique du 10 décembre 1997

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Recours formé par Monsieur … RAMOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10359 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 1997 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avo

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N° 10359 du rôle Inscrit le 9 octobre 1997 Audience publique du 10 décembre 1997

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Recours formé par Monsieur … RAMOVIC contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10359 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 1997 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMOVIC, de nationalité yougoslave, demeurant à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 août 1997, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève a été rejetée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 1997;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Patrick GRAFFE, en remplacement de Maître Anne-Marie SCHMIT, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 25 février 1994, Monsieur … RAMOVIC, de nationalité yougoslave, originaire du Monténégro et de religion musulmane, a introduit auprès du ministre des Affaires étrangères une demande en obtention du statut de réfugié politique spécifique prévu pour les réfugiés venant de l’ex-Yougoslavie, ci-après dénommé le « statut particulier ».

Par décision du ministre des Affaires étrangères du 1er mars 1994, l’octroi du statut particulier lui est refusé.

Monsieur RAMOVIC a introduit devant le ministre de la Justice, en date du 13 novembre 1995, une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur RAMOVIC a été entendu en date des 13 novembre 1995, 14 août 1996 et 6 mars 1997 par un agent du ministère de la Justice, sur les motifs à la base de sa demande.

Un rapport du service de police judiciaire, section police des étrangers, a été dressé à son sujet en date du 30 mai 1996, à la suite de son interrogatoire par ledit service de police judiciaire à la date précitée du 30 mai 1996.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 10 juillet 1997, le ministre de la Justice l’a informé, par lettre du 14 août 1997, notifiée le 15 septembre 1997, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants: « vous restez en défaut d’établir une crainte justifiée par une persécution au sens de la Convention de Genève. Les divergences profondes entre vos dispositions (sic!) rendent votre récit invraisemblable. En outre, les poursuites pénales éventuelles en raison de l’infraction d’insoumission ne peuvent pas être considérées en tant que telles comme persécution à caractère politique ».

Par requête déposée le 9 octobre 1997, Monsieur … RAMOVIC a formé un recours en réformation contre la décision du 14 août 1997.

Lors de son audition du 13 novembre 1995 par un agent du ministère de la Justice, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, le demandeur a déclaré qu’il habitait à Sarajevo de 1986 à 1993 et qu’il a dû quitter son domicile à la suite de la réception d’une convocation à se présenter à l’armée; qu’il s’est alors enfui ensemble avec sa mère et sa soeur à Split en Croatie, en date du 15 mars 1993; qu’il était reconnu comme réfugié à Split;

qu’il considérait la convocation à l’armée comme évidente étant donné qu’il n’avait pas encore fait son service militaire; qu’une nouvelle convocation lui parvenait à Split qu’il était obligé de quitter tout en laissant derrière lui sa mère et sa soeur et qu’il a alors rejoint le Luxembourg pour y être logé par son beau-frère.

Il ressort du procès-verbal du service de police judiciaire dressé en date du 30 mai 1996, que le demandeur s’est présenté en date du 25 février 1994 au ministère des Affaires étrangères en vue de l’obtention du statut particulier, en possession d’une carte d’identité bosniaque falsifiée. Il ressort encore de ce procès-verbal que lors de sa demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève en date du 13 novembre 1995, le demandeur a présenté une carte d’identité yougoslave émise à son nom par la commune de Rozaje en date du 4 juin 1992 avec une durée de validité de 10 ans, ainsi qu’une convocation à l’armée, émise en date du 8 février 1993 à son nom. Dans le cadre de son interrogatoire par le service de police judiciaire en date du 30 mai 1996, le demandeur a informé les autorités luxembourgeoises que le récit présenté par lui antérieurement à cette date ne correspondait pas à la vérité et a été inventé par lui de toutes pièces. Il a ensuite fait les nouvelles déclarations suivantes: il serait originaire d’un village appelé Lovnica, situé dans la région de Rozaje (Monténégro), il aurait reçu au cours de l’année 1993 une convocation à l’armée et comme il aurait décidé de ne pas rejoindre l’armée, il se serait caché pendant environ une année au Monténégro auprès d’amis habitant à Spiljani, Nurkovici, Kalaci et Pec respectivement. Il aurait refusé de rejoindre l’armée au motif qu’il craignait d’y être tué et qu’il ne voulait pas combattre son peuple. Il a encore indiqué qu’au cas où il n’y aurait pas eu de guerre, il aurait fait son service militaire normalement. Comme ses amis auprès desquels il 2 aurait été caché lui auraient raconté qu’il serait recherché par la police, sa mère l’aurait encouragé à rejoindre le Luxembourg pour y aller chez ses frères et soeurs. Il aurait quitté le Monténégro en février 1994 et aurait rejoint le Luxembourg en passant par la Hongrie, la Tchécoslovaquie et l’Allemagne. Quant à l’itinéraire suivi au cours de son voyage, il a présenté une toute autre histoire que celle qu’il avait présentée lors de l’audition par un agent du ministère de la Justice en date du 13 novembre 1995. Il a encore indiqué qu’il aurait obtenu la fausse carte d’identité bosniaque par trois personnes originaires de la Bosnie habitant au Luxembourg, qui lui auraient suggéré d’acheter une telle carte d’identité afin de faciliter sa reconnaissance en tant que réfugié.

Lors de ses deux auditions du 14 août 1996 et 6 mars 1997, il a confirmé ses déclarations antérieures faites en date du 30 mai 1996 au service de police judiciaire en ajoutant toutefois lors de la dernière audition qu’il ne peut pas retourner dans son pays d’origine étant donné qu’il craint que les autorités risquent de l’enfermer, de l’obliger à payer une amende importante, qu’elles risquent de le brutaliser et de l’obliger à aller à l’armée.

Le demandeur reproche à la décision entreprise de ne pas reposer sur des motifs légaux, en ce que le ministre de la Justice aurait fait une fausse appréciation des faits qui gisent à la base de sa demande d’asile, alors que son comportement s’expliquerait par le fait qu’il refuserait de rejoindre l’armée serbe afin d’éviter de devoir faire la guerre en Bosnie contre les musulmans, étant donné qu’il est lui-même de religion musulmane.

Le délégué du gouvernement note tout d’abord que le récit présenté par le demandeur serait semé de contradictions ce qui aurait pour conséquence de laisser planer le doute sur la véracité de son récit de sorte que la crédibilité de son histoire pourrait être mise en doute sérieusement.

En ce qui concerne la situation d’insoumission du demandeur, il relève que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, 2) de la section A de la Convention de Genève. Il ajoute encore que la situation particulière de Monsieur RAMOVIC ne serait pas telle qu’elle laisserait supposer un danger sérieux pour sa personne en cas de retour au Monténégro.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Concernant le reproche formulé par le demandeur à l’encontre de la décision entreprise, tiré de ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève, il convient d’analyser, sur base des éléments du dossier, si le demandeur tombe sous le champ d’application de la Convention de Genève, en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Concernant sa situation particulière, le demandeur fait seulement valoir qu’à défaut d’avoir effectué son service militaire, il aurait été convoqué à plusieurs reprises à l’armée en vue d’y accomplir ledit service militaire. Il aurait toutefois refusé de rejoindre l’armée, puisqu’en temps de guerre, il risquerait de devoir combattre des personnes ayant la même religion que lui.

Il échet de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles-seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile, en l’espèce Monsieur RAMOVIC, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit le prédit article 1er, 2) de la section A de la Convention de Genève.

En l’espèce, le demandeur invoque exclusivement son état d’insoumission en justifiant celui-ci par les motifs qu’il ne souhaite pas se faire tuer à l’armée en temps de guerre et qu’il ne souhaite pas combattre d’autres musulmans. Ces faits allégués par le demandeur à l’appui de son recours, même à les supposer établis, ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux-seuls, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève. En outre, le demandeur n’a pas invoqué des événements qui pourraient être de nature à rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine et qui dénoteraient une persécution de nature à justifier une crainte pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève. Le fait que le demandeur a présenté deux versions des faits différentes est sans influence en l’espèce, puisque le motif à la base de sa demande d’asile est chaque fois le même, à savoir son insoumission.

Il se dégage de ce qui précède que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que la crainte de persécution invoquée par le demandeur n’est pas justifiée au regard des pièces et renseignements dont il disposait.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

4 reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 10 décembre 1997, par le vice-président, en présence du greffier.

Legille Schockweiler greffier assumé vice-président 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10359
Date de la décision : 10/12/1997

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1997-12-10;10359 ?

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