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27/11/1997 | LUXEMBOURG | N°10123

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 1997, 10123


N° 10123 du rôle Inscrit le 8 juillet 1997 Audience publique du 27 novembre 1997

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Recours formé par Monsieur … MURTEZANI contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10123 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 1997 par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avoc

ats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURTEZANI, sans état connu, ayant indiqué demeurer à …, ...

N° 10123 du rôle Inscrit le 8 juillet 1997 Audience publique du 27 novembre 1997

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Recours formé par Monsieur … MURTEZANI contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10123 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 1997 par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURTEZANI, sans état connu, ayant indiqué demeurer à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice sinon du commissaire de police judiciaire Guy Koenig, prise en date du 14 septembre 1995 et actée dans un procès-verbal de police du 18 septembre 1995, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève n’a pas été prise en considération;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 1997;

Vu la lettre du 6 octobre 1997 de Maître François MOYSE, déposée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 1997, par laquelle il informe le tribunal qu’il a déposé son mandat et qu’il n’occupe plus pour Monsieur … MURTEZANI dans l’affaire de réfugié politique;

Vu les pièces versées en cause et notamment le procès-verbal du service de police judiciaire du 18 septembre 1995;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en ses plaidoiries.

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Le 10 septembre 1995, Monsieur … MURTEZANI, originaire du Kosovo (Yougoslavie), de confession musulmane, entra sur le territoire de l’Allemagne. Lors de son interrogatoire par les autorités luxembourgeoises, il a prétendu être venu directement du Kosovo.

Le 14 septembre 1995, il a été interpellé au Luxembourg, ensemble avec un autre originaire du Kosovo, dénommé R., par le service de police judiciaire. Lors de cette 1 interpellation il a présenté une demande en obtention du statut de réfugié politique. Le même jour, il a été remis aux autorités allemandes, étant donné qu’il était entré sur le territoire luxembourgeois par la frontière allemande. Ces faits résultent plus particulièrement d’un rapport établi en date du 18 septembre 1995 par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, dont il ressort entre autres que: « … oben erwähnte Ausländer erschienen am 14. September 1995 und stellten einen Antrag auf Anerkennung des Flüchtlingsstatuts. Dieselben erklärten auf direktem Wege von Kosovo nach Luxemburg gekommen zu sein. Eine getrennte Befragung derselben ergab dann allerdings sehr unterschiedliche und abweichende Aussagen, so dass an der Richtigkeit der Aussagen starke Zweifel bestanden.

Bei R. konnte dann auch ein Zugticket Trier-Luxemburg vorgefunden werden.

Derselbe gab dann auch zu seit einiger Zeit mit seinem Kollegen hier resp. in Konz bei einem Freund aufhaltsam gewesen zu sein. Bei MURTEZANI konnte ein solches Ticket nicht mehr vorgefunden werden, doch gab auch dieser zu in Trier gewesen zu sein.

Indem der Antrag unter den gegebenen Umständen nicht angenommen werden konnte und die beiden Ausländer vor ihrer Einreise nach Luxemburg in Deutschland aufhaltsam waren, wurde bei den deutschen Behörden um Rücknahme derselben nachgesucht, welcher Anfrage auch stattgegeben wurde.

Die beiden Kosovoalbaner wurden am 14. September 1995 zu Wasserbillig den deutschen Behörden übergeben.

Seitens den deutschen Behörden wurde uns einige Tage später mitgeteilt, dass der Vater von R. seit mehreren Jahren in Konz legal lebt und arbeitet. Die beiden Ausländer dürften sich also hier illegal aufgehalten haben und lediglich aus finanziellen Gründen nach Luxemburg gekommen sein ».

Par requête déposée le 8 juillet 1997, Monsieur … MURTEZANI a formé un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision prise par les autorités luxembourgeoises en date du 14 septembre 1995 et qui ressort du procès-

verbal précité du 18 septembre 1995 du service de police judiciaire.

A l’appui de son recours, Monsieur MURTEZANI fait exposer qu’il a été harcelé par les autorités serbes du fait de sa détention d’une carte du parti politique musulman SDA; qu’il fût même arrêté par lesdites autorités serbes dans une affaire de voiture prétendument volée dans le cadre de laquelle il aurait été frappé puis emprisonné pendant deux jours et que son épouse aurait été violée par des hommes de la milice du dénommé ARKAN. Quant à l’itinéraire suivi par lui pour arriver au Luxembourg, il expose qu’en septembre 1995 il serait parti seul du Kosovo et qu’il serait arrivé directement au Luxembourg, en passant par l’Allemagne. Lors de son arrivée au Luxembourg, en date du 14 septembre 1995, il aurait immédiatement introduit une demande d’asile sur base de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

2 Il indique encore qu’il aurait été entendu par les services du ministère des Affaires Etrangères et par le service de police judiciaire qui aurait dressé le procès-verbal précité daté du 18 septembre 1995.

Il reproche à la décision critiquée de violer l’article 4 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, en ce que sa demande d’asile n’aurait pas été examinée par les autorités luxembourgeoises dans la mesure où il a été reconduit en Allemagne, comme un étranger en situation illégale et que les autorités luxembourgeoises auraient refusé de le considérer comme demandeur d’asile.

Il fait relever ensuite que la décision critiquée violerait l’article 29 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, ci-aprés dénommée « la Convention de Schengen », en ce que les agents du ministère luxembourgeois des Affaires Etrangères auraient refusé de traiter sa demande d’asile qu’il leur avait présentée, en le faisant reconduire à la frontière au motif qu’il ne pourrait pas être cru en ses déclarations.

Il invoque par ailleurs une violation de l’article 32 de la Convention de Genève qui devrait s’appliquer à lui au motif qu’il a introduit une demande en obtention du statut de réfugié politique et que partant il ne se trouvait pas en situation irrégulière au Luxembourg. Par conséquent, il aurait seulement pu être reconduit à la frontière pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public. La reconduite à la frontière tenant toutefois à l’incrédibilité de ses déclarations, motif non prévu par ladite disposition de la Convention de Genève, il n’aurait pas pu être renvoyé en Allemagne sans que sa demande en obtention du statut de réfugié politique ait été au moins sommairement examinée par les autorités luxembourgeoises.

Le demandeur fait encore critiquer la décision litigieuse pour violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, telle que modifiée par la suite, ci-après dénommée «la Convention européenne des droits de l’homme», dans la mesure où il n’aurait eu aucune possibilité « de remettre en question la mesure de reconduite à la frontière et donc le refus implicite mais réel de prendre en compte sa demande d’asile ».

Il fait exposer en outre que la décision critiquée violerait l’article 6 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, au motif que la décision critiquée du 18 septembre 1995 ne reposerait pas sur des motifs légaux. D’ailleurs, le procès-verbal du service de police judiciaire en question contiendrait une indication erronée en ce qu’il indique qu’il aurait rejoint le Luxembourg pour des raisons financières.

Enfin, il fait valoir que la décision litigieuse violerait l’article 7 du règlement grand-

ducal précité du 8 juin 1979 en ce que le procès-verbal du service de police judiciaire précité du 18 septembre 1995 ne lui aurait jamais été officiellement notifié, le mettant ainsi dans l’impossibilité d’exercer un recours contre la décision prise à son encontre.

Le délégué du gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours au motif que la décision à l’encontre de laquelle le demandeur a entendu exercer un recours ne serait pas une décision émanant du ministre de la Justice susceptible d’un recours administratif, mais qu’il 3 s’agirait d’un simple rapport du service de police judiciaire relatant l’exécution d’une remise du demandeur aux autorités allemandes.

Il conclut encore à l’irrecevabilité du recours pour tardiveté au motif que le recours a été introduit plus de 22 mois après le rapport du service de police judiciaire du 18 septembre 1995.

Il conteste ensuite l’intérêt du demandeur à solliciter l’annulation de la remise aux autorités allemandes au motif que le tribunal administratif a, par jugement du 27 mars 1997, décidé que les autorités luxembourgeoises ont correctement interprété la Convention de Schengen en décidant que dans un premier temps l’Allemagne et ensuite la Belgique ont été compétentes pour le traitement de la demande d’asile présentée par lui.

Le délégué conclut encore à l’irrecevabilité du recours en réformation, puisqu’il n’existerait aucune disposition légale ou réglementaire qui prévoirait un tel recours en la matière.

A titre tout à fait subsidiaire, il expose que le ministre de la Justice n’a pas pu violer l’article 4 de la loi précitée du 3 avril 1996, étant donné que cette loi n’était pas encore en vigueur au moment des faits.

En ce qui concerne le reproche tiré de la violation de l’article 29 de la Convention de Schengen, il rétorque que cette disposition a pour but d’assurer qu’un seul pays est responsable de l’examen d’une demande d’asile afin d’éviter les réfugiés sur orbite et que le Luxembourg n’a à aucun moment été le pays responsable étant donné que le demandeur serait entré sur le territoire Schengen par la frontière austro-allemande. Par conséquent, seule l’Allemagne aurait été responsable du traitement de la demande d’asile en question, raison pour laquelle il a été remis aux autorités de ce pays.

Quant à la prétendue violation de l’article 32 de la Convention de Genève, il estime que cet article ne serait pas applicable puisqu’il ne s’agirait pas en l’espèce de l’expulsion d’un réfugié reconnu mais de la « remise » d’un demandeur d’asile à l’autorité étrangère qui était compétente pour l’examen de sa demande. En ce qui concerne une prétendue violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, il expose que cet article serait inapplicable en matière administrative, étant donné que seules les matières civiles et pénales seraient visées par cette disposition.

D’après le délégué, la mesure de « refoulement » prise à l’encontre du demandeur serait justifiée par application de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, au motif que cet article permet au ministre de faire éloigner du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au ministre de la Justice, les étrangers non autorisés à résidence qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ou qui ne sont pas en possession de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis. Comme en l’espèce les deux critères prémentionnés auraient été remplis et qu’un autre pays acceptait de reprendre le demandeur, le ministre aurait fait une appréciation correcte de l’article 12 précité.

4 Enfin, en ce qui concerne le reproche d’un défaut de motivation et de notification de la décision à l’intéressé, il fait valoir que dans le cadre de l’article 12 précité, lesdites obligations n’auraient pas à être respectées, étant donné qu’il s’agirait d’une mesure de police et non pas d’une décision visée à l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979.

Dans le cadre de l’examen de la recevabilité de la requête introduite par le demandeur, le tribunal doit d’abord analyser si l’acte contre lequel le recours est dirigé constitue une décision administrative.

Il n’existe aucune condition de forme à remplir par un acte, afin de déterminer s’il constitue une décision. Ainsi, une décision administrative peut être purement orale, pourvu que son existence puisse être établie (C.E. 19 janvier 1966, KAYSER, n° 5989 du rôle).

En l’espèce la prétendue décision aurait été prise en date du 14 septembre 1995 sous une forme non écrite. Comme la partie demanderesse prétend que la décision en question ressortirait en détail du procès-verbal du service de police judiciaire du 18 septembre 1995, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le délégué du gouvernement, il serait donc possible d’établir l’existence de la décision par cet acte écrit postérieur.

Le fait que la décision en question n’a pas été prise sous une forme particulière ne constitue pas un empêchement légal à ce que l’acte en question soit considéré comme constituant une décision, sous réserve toutefois que trois conditions de fond sont remplies.

Tout d’abord, la décision doit être prise par une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés. D’après la pièce et les éléments du dossier, et en l’absence d’informations contraires fournies par les parties au procès, le tribunal est amené à constater que la prétendue décision a été prise par le service de police judiciaire, partant par une autorité administrative habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires.

Comme le procès-verbal dudit service du 18 septembre 1995 indique que les « oben erwähnte Ausländer erschienen am 14. September 1995 und stellten einen Antrag auf Anerkennung des Flüchtlingsstatuts », il est indiscutable que le demandeur a entendu solliciter la reconnaissance du statut de réfugié politique. Etant donné qu’il ressort par ailleurs du même procès-verbal que le demandeur a été remis aux autorités allemandes au motif que c’est l’Allemagne qui serait le pays compétent pour traiter sa demande d’asile comme il y aurait séjourné antérieurement à sa venue au Luxembourg, il faut en conclure que la prétendue décision a été prise en matière de statut de réfugié politique.

Il importe peu de savoir si le service de police judiciaire était habilité à prendre une telle mesure, à partir du moment où l’acte présente les aspects extérieurs de la régularité, même si son auteur n’avait pas le pouvoir de le prendre (cf. F. Schockweiler, Le Contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 2e éd., 1996, n° 49). En l’espèce, le demandeur, en présence de l’acte accompli par le service de police judiciaire, était légitimement fondé à croire que cet acte constituerait une décision administrative comme accomplie par un agent de la hiérarchie administrative agissant dans l’exercice de ses fonctions.

5 En outre, l’acte est de nature à faire grief puisqu’il affecte directement la situation personnelle du demandeur et qu’il risque de lui causer un préjudice individualisé. En effet, l’acte est de nature individuelle et a pour objet de régler une situation déterminée, puisqu’il s’adresse à deux personnes nettement individualisées dans l’acte lui-même.

L’acte constitue enfin une étape finale dans la procédure, ce qui est documenté par la remise définitive du demandeur le jour-même aux autorités allemandes.

Il résulte de ce qui précède, que l’acte incriminé est à qualifier de décision administrative contre laquelle un recours peut être dirigé devant les juridictions administratives.

Aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoyant un recours en réformation en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Seul un recours en annulation a donc pu être formulé par le demandeur.

En ce qui concerne le recours en annulation introduit à titre subsidiaire, le délégué du gouvernement dénie au demandeur tout intérêt à demander l’annulation de la décision critiquée. Ce moyen d’irrecevabilité est à écarter. En effet, c’est à tort que le délégué du gouvernement estime qu’à la suite de la décision du ministre de la Justice du 11 novembre 1996 par laquelle le ministre s’était déclaré incompétent pour examiner la demande d’asile de Monsieur … MURTEZANI, le demandeur n’aurait plus aucun intérêt à demander l’annulation de la remise aux autorités allemandes antérieurement à la prise de la décision subséquente du 11 novembre 1996, étant donné qu’il s’agit de deux demandes d’asile distinctes dans la mesure où les décisions respectives ont été prises sur base de faits différents. Il est par ailleurs indifférent que dans ce contexte, à la suite d’un recours contentieux déposé au secrétariat du Conseil d’Etat le 26 novembre 1996, contre la décision ministérielle du 11 novembre 1996, un jugement du tribunal administratif du 27 mars 1997, ait déclaré ce recours non fondé, et qu’à la suite d’un appel interjeté par le demandeur contre ce jugement, cet appel ait été déclaré irrecevable par un arrêt de la Cour administrative du 10 juin 1997.

C’est ainsi que lors de la présentation de la première demande d’asile au Luxembourg en date du 14 septembre 1995, le demandeur venait, sans sa famille, en provenance directe de l’Allemagne. Par contre, la demande d’asile présentée par Monsieur MURTEZANI et son épouse Madame Mahmudija MURTEZANI-IBRAHIMI, agissant tant en leur nom personnel qu’en leur qualité d’administrateurs légaux de leurs enfants mineurs Elda et Ervin en date du 14 juin 1996 a été faite à un moment où ils sont venus directement de la Belgique après y avoir sollicité la reconnaissance de leur statut de réfugié politique au sujet de laquelle les autorités belges, tout en se déclarant compétentes pour connaître des demandes d’asile présentées, leur ont refusé ledit statut. Alors même que les deux décisions des 14 septembre 1995 et 11 novembre 1996 respectivement, sont toutes les deux des décisions d’incompétence du Luxembourg pour traiter la demande d’asile du demandeur, il échet néanmoins de constater que les éléments de fait à la base des deux demandes ne sont pas identiques. C’est ainsi que la décision du 11 novembre 1996 ne saurait être considérée comme étant une décision confirmative de la décision du 14 septembre 1995. Les deux décisions constituent des décisions distinctes, ayant une existence indépendante l’une de l’autre et le demandeur a partant un intérêt à voir vérifier la légalité de la décision du 14 septembre 1995.

Le délégué du gouvernement conclut encore à l’irrecevabilité du recours en annulation pour raison de tardiveté, au motif qu’il serait introduit 22 mois après la prise de décision.

6 Aucun délai de recours contentieux n’a pu commencer à courir étant donné qu’il ne résulte pas du dossier que la décision a été notifiée au demandeur et que de toute façon elle ne comporte aucune indication quant aux voies de recours, contrairement aux dispositions de l’article 14 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979.

Aucun délai de recours contentieux n’a donc commencé à courir.

Le moyen d’irrecevabilité tiré de la tardiveté de l’introduction du recours contentieux est partant à abjuger.

Le recours en annulation étant par ailleurs introduit dans les formes prévues par la loi, il est partant recevable.

La procédure devant les juridictions administratives étant entièrement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent ni représenté à l’audience des plaidoiries, est indifférent, à partir du moment où la requête introductive d’instance a été déposée et que la partie défenderesse a déposé un mémoire en réponse, le jugement est rendu contradictoirement entre parties.

Il ressort du procès-verbal du service de police judiciaire du 18 septembre 1995 que la décision prise en date du 14 septembre 1995 est, malgré les termes vagues et incomplets contenus dans ledit procès-verbal, une décision d’incompétence du Grand-Duché de Luxembourg afin de traiter la demande d’asile présentée par le demandeur.

D’emblée il y a lieu de rejeter le moyen invoqué par le demandeur en ce qu’il reproche à la décision de violer l’article 4 de la loi précitée du 3 avril 1996, étant donné qu’au moment où la décision litigieuse a été prise, la loi en question n’était pas encore en vigueur.

En l’absence de dispositions légales ou réglementaires applicables au niveau national au moment de la prise de décision, la demande d’asile doit être analysée au vu de la Convention de Genève, approuvée par une loi luxembourgeoise du 20 mai 1953 et au vu de la Convention de Schengen, approuvée par une loi luxembourgeoise du 3 juillet 1992, étant entendu que la Convention de Schengen est en vigueur depuis le 26 mars 1995.

La décision d’incompétence du Luxembourg n’a donc pu être prise que sur base des articles 30 et 31 de la Convention de Schengen, dispositions qui sont d’application directe au Luxembourg au vu de leur clarté et de leur précision sans qu’il ait été nécessaire de prévoir des dispositions de droit national de transposition afin de donner effet à ces dispositions de droit international.

Il y a encore lieu d’analyser si la décision a été prise par l’autorité compétente en la matière.

A la lecture de l’arrêté grand-ducal du 1er février 1995 portant énumération des ministères et détermination des compétences ministérielles (Mém. A. 1995 pages 74 et suivantes), entrée en vigueur à la date à laquelle il a été pris, il échet de constater qu’avec effet au 1er février 1995, le ministre de la Justice était compétent, entre autres, en matière d’asile. Il s’agit là d’une innovation par rapport à l’arrêté grand-ducal du 13 juillet 1994 portant 7 constitution des départements ministériels, abrogé par l’arrêté grand-ducal précité du 1er février 1995 (Mém. A. 1994 pages 1164 et suivantes), étant donné qu’à cette époque le ministère de la Justice n’était pas encore compétent en matière d’asile. En effet, avant le 1er février 1995, et suivant un arrangement informel entre les différents départements ministériels, le ministre des Affaires Etrangères, du Commerce Extérieur et de la Coopération était compétent en matière d’asile. Il faut donc en conclure qu’à la date du 14 septembre 1995, date à laquelle la décision litigieuse a été prise, le ministre de la Justice était compétent en cette matière. Il était donc, à cette date, l’autorité administrative compétente pour prendre toute décision en matière d’asile.

Sur base des pièces et éléments du dossier, il échet de constater que ni un commissaire du service de police judiciaire ni même le service de police judiciaire en tant que tel, n’avait compétence pour prendre une décision en matière de droit d’asile. La décision litigieuse a partant était prise par une autorité incompétente dans la mesure où elle a été prise par une autorité autre que celle légalement compétente en vertu des dispositions légales et réglementaires.

Une décision prise par une autorité, dans un domaine classé dans les attributions d’un ministère autre que celui dont elle relève, émane d’une autorité incompétente, et, à ce titre, encourt l’annulation (cf. F. Schockweiler, Le Contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 2e éd. 1996, n° 104). Il y a partant lieu d’annuler la décision critiquée pour incompétence, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués par les parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare justifié et partant annule la décision prise en date du 14 septembre 1995, actée dans un procès-verbal du service de police judiciaire du 18 septembre 1995;

renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice, compétent en la matière;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 27 novembre 1997 par le vice-président, en présence du greffier.

8 Legille Schockweiler greffier assumé vice-président 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10123
Date de la décision : 27/11/1997

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1997-11-27;10123 ?

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