1 N° 10213 du rôle Inscrit le 7 août 1997 Audience publique du 24 novembre 1997
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Recours formé par Monsieur … KOFFI contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête déposée le 7 août 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOFFI, résidant actuellement à …, tendant à la réformation de deux décisions du ministre de la Justice intervenues respectivement les 6 mai et 7 juillet 1997, la première rejetant sa demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié politique, et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 1997;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 1997 par Maître Marc ELVINGER;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc ELVINGER et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … KOFFI, qui déclare être ressortissant du Togo, a introduit le 24 mars 1994 une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur KOFFI a été entendu en dates des 16 février et 28 septembre 1995 par le service de police judiciaire, sur l’itinéraire emprunté pour arriver à Luxembourg, ainsi que sur les motifs à la base de sa demande. Il a également été entendu par la commission consultative pour les réfugiés en date du 19 juin 1995.
2 Sur avis défavorable de la prédite commission du 26 octobre 1995, le ministre de la Justice l’a informé, par lettre du 6 mai 1997, que sa demande était rejetée aux motifs suivants: « (…) vous n’avez pas établi dans votre chef une crainte justifiée de persécution en vue de l’obtention du statut de réfugié.
Me ralliant aux motifs exprimés par la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’ai soumis votre demande, avis que je joins en annexe, je me vois obligé de vous refuser le statut. » Un recours gracieux, formé le 5 juin 1997, a été rejeté à son tour le 7 juillet 1997.
Par requête déposée le 7 août 1997, Monsieur KOFFI a introduit un recours en réformation contre les décisions des 6 mai et 7 juillet 1997.
Lors des deux auditions précitées des 16 février et 28 septembre 1995, telles que celles-ci ont été relatées dans les rapports du service de police judiciaire, Monsieur KOFFI a affirmé qu’il ne s’était jamais intéressé à la politique menée dans son pays et qu’il n’y avait pas été actif politiquement. Devant la commission consultative, il a cependant soutenu avoir été membre d’un parti politique d’opposition à cause de son employeur. A ce sujet, il a exposé qu’il avait travaillé en tant que vendeur dans une librairie, mais qu’il avait dû quitter son pays début mars 1994, parce que son employeur avait été tué le 17 février 1994 dans son magasin par des soldats au motif qu’il vendait un journal d’opposition interdit par le pouvoir politique en place. Comme d’après les affirmations de Monsieur KOFFI, celui-ci se trouvait déjà à son domicile ce jour-là, les policiers seraient venus à sa recherche, mais qu’il aurait réussi à prendre la fuite; qu’il se serait réfugié auprès d’un ami de son employeur; qu’après 15 jours, un ami de ce dernier l’aurait amené à un aéroport et l’aurait aidé à s’embarquer clandestinement dans un avion cargo; que le vol aurait duré 6 à 7 heures, mais qu’il ne saurait pas indiquer si l’avion avait fait une escale dans un autre aéroport ou non. Il a encore exposé que lorsque la porte d’avion s’était ouverte, il avait vu des hommes blancs et il faisait très froid. Il serait alors descendu de l’avion et aurait demandé en français, à un des hommes, le chemin pour aller en ville et l’endroit où il pourrait rencontrer des hommes noirs. Les hommes blancs auraient été très gentils et ils lui auraient montré le chemin pour quitter l’aéroport en passant par une grande maison blanche. Il aurait pris cette route jusqu’à ce qu’il fit nuit et il aurait dormi dans une cabine téléphonique. Le lendemain, il se serait promené sans but précis, étant donné qu’il ne savait pas où aller. Le soir, quelqu’un l’aurait aidé à trouver une auberge de jeunesse où il avait pu loger.
Il ressort encore du dossier administratif, que la brigade de gendarmerie a été informée par le tenant de la présence du demandeur dans l’auberge, parce qu’il était démuni de papiers d’identité.
Il a dû se présenter au ministère des Affaires Etrangères en date du 7 mars 1994. Ce n’est cependant qu’en date du 24 mars 1994 qu’il a introduit une demande en obtention du statut de réfugié politique.
3 Dans son recours, le demandeur fait valoir plus particulièrement que le rapport d’audition du 17 février 1995, qui n’aurait pas été porté à sa connaissance, retenait comme conclusion qu’avant toute décision sur sa demande, il fallait procéder à la vérification de certaines de ses affirmations auprès des autorités togolaises. Cependant, le ministre de la Justice n’aurait ni procédé à ces vérifications, ni aurait-il sollicité le demandeur à conforter ses déclarations, de sorte que le ministre ne saurait rejeter la demande au seul motif que son récit ne serait pas suffisamment crédible.
Le demandeur estime, au contraire, quant aux raisons ayant motivé sa fuite, que son récit est précis et en accord avec les événements qui se sont déroulés au Togo à cette époque. Ce serait dès lors à tort que le ministre de la Justice a rejeté sa demande, puisque les conditions auxquelles l’octroi du statut de réfugié politique est subordonné, seraient remplies.
Il conclut par conséquent à la réformation des décisions entreprises, et subsidiairement, demande au tribunal d’ordonner un complément d’instruction sinon de lui accorder un délai pour conforter ses déclarations sur les points pertinents.
Concernant le reproche au ministre de ne pas avoir procédé à de plus amples vérifications permettant d’éclaircir les affirmations du demandeur, le délégué du gouvernement rétorque qu’il n’incombait pas au ministre de procéder aux vérifications nécessaires, mais qu’il aurait appartenu au demandeur d’asile de prouver qu’il remplit les conditions en vue de l’obtention du statut de réfugié. A ce sujet, le représentant étatique se réfère aux commentaires faits au sujet de la charge de la preuve par les auteurs du guide des procédure et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié. Il retient qu’en l’espèce, le demandeur n’avait pas coopéré pour établir son identité et n’avait pas fait preuve de diligence pour conforter son récit, alors qu’il disposait de suffisamment de temps pour compléter son récit et fournir des éléments de preuve au vu de la durée particulièrement longue de l’instruction de sa demande.
Il estime en outre que le récit du demandeur est parsemé de contradictions et d’incohérences qu’un supplément d’instruction n’aurait pas permis d’écarter. Ce serait dès lors à bon droit que le ministre ne lui a pas accordé le bénéfice du doute, vu le manque de crédibilité de son récit.
Quant aux propositions de vérifications contenues dans le rapport du service de police judiciaire du 17 février 1995, auxquelles le ministre n’a pas donné de suites, le délégué du gouvernement retient que les affirmations sujettes à vérification n’auraient pas été contrôlables, vu la situation souvent confuse au Togo et le manque de coopération des autorités togolaises. Il s’agirait en outre de suggestions formulées par un officier de police judiciaire qui ne sauraient lier le ministre de la Justice qui disposerait d’un pouvoir discrétionnaire pour examiner et apprécier les éléments contenus dans le dossier administratif.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur rétorque au reproche qu’il n’aurait pas coopéré pour étayer le bien-fondé de sa demande, que les autorités compétentes ne l’auraient pas impliqué dans la procédure en ne lui communiquant ni les différents rapports établis à son sujet, ni l’avis de la commission consultative. Si l’instruction de sa demande a perduré pendant des années, cela ne serait pas dû à 4 l’intensité de l’instruction de sa demande, mais constituerait la conséquence de phases prolongées d’inactivité totale de la part des autorités compétentes, notamment entre la date de l’avis de la commission consultative et la décision du refus du ministre, prise seulement 18 mois après le prédit avis.
Il estime par ailleurs que le ministre, en exigeant une preuve concrète des faits à la base de sa demande, lui impose une charge de la preuve excessive, étant donné que le délégué du gouvernement dans son mémoire affirme lui-même que des faits précis sont difficiles voire impossibles à vérifier, donc a fortiori à prouver, vu le manque de coopération des autorités diplomatiques togolaises.
En annexe du mémoire en réplique, Maître ELVINGER verse une carte établissant l’appartenance du demandeur au « Comité d’Action pour le Renouveau », que ce dernier a apparemment pu se faire adresser depuis le Togo, ainsi qu’une déclaration émanant du demandeur relatant son parcours ainsi que les raisons qui l’ont amené à quitter le Togo. Il conclut que pour autant que de besoin, le tribunal devrait ordonner une comparution personnelle du demandeur pour se faire une meilleure idée de la crédibilité du récit.
Lors des plaidoiries, le délégué du gouvernement a encore soulevé l’irrecevabilité du recours, l’identité du demandeur n’étant pas établie à défaut, par ce dernier, d’apporter le moindre élément de preuve permettant de vérifier son identité.
Concernant l’irrecevabilité du recours tiré de ce que l’identité du demandeur ne serait pas établie, le tribunal, à défaut d’éléments permettant de retenir que le demandeur a indiqué une fausse identité, est amené à retenir, pour les besoins de la présente procédure, l’identité indiquée par le demandeur.
Le recours en réformation est partant recevable pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.
Concernant le reproche que le ministre aurait dû procéder aux vérifications nécessaires pour établir que le récit du demandeur est en accord avec les événements qui se sont déroulés au Togo et qu’en cas de doute sur la crédibilité des informations fournies par le demandeur, il aurait dû l’inviter à conforter sur ces points son récit, le tribunal relève que la charge de la preuve incombe au demandeur qui doit établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues par la Convention de Genève en vue d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié. Dans le cas d’espèce, le tribunal constate que le demandeur a été entendu et interrogé à 3 reprises, notamment par la commission consultative pour les réfugiés, de sorte qu’il a eu la possibilité de conforter son récit sur les points que la commission estimait particulièrement importants. Cependant les explications fournies par le demandeur, ensemble avec son récit, ont été considérés comme incohérents, vagues et contradictoires, de sorte que la commission n’a pas estimé utile de procéder à un complément d’instruction. Dans ces conditions, il n’appartenait pas au ministre de la Justice de compléter le récit et d’effectuer des recherches pour aboutir éventuellement à un récit plus cohérent.
Concernant le moyen tiré de ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution 5 au sens de la Convention de Genève, le tribunal, statuant en tant que juge du fond, procédera à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Concernant la justification, au fond, du refus d’accorder le statut de réfugié politique, il se dégage de l’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève, que le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut y retourner. » En l’espèce et indépendamment des incohérences retenues par la commission, le demandeur reste en défaut d’établir qu’il risque d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques conformément à l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève.
En effet, concernant sa situation particulière, le demandeur fait valoir que son employeur, un tenancier de magasin de journaux, aurait été tué parce qu’il vendait un journal d’opposition interdit par le pouvoir politique en place. Comme il aurait été employé dans ce magasin, il craignait qu’il subirait le même sort. Il souligne sa crainte de persécution par le fait que le jour du meurtre allégué de son employeur, des policiers se seraient rendus à son domicile et qu’il aurait alors préféré prendre la fuite.
Il reste cependant en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif concernant ces faits. De même, il ne fait pas état de persécutions qu’il aurait vécues personnellement, le fait que des policiers se seraient rendus à son domicile ne pouvant pas être interprété comme une persécution lui rendant la vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte que le meurtre de son employeur, à le supposer établi, n’est pas de nature à justifier dans son chef une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Les faits tels que relatés dans sa déclaration versée au tribunal le 17 novembre 1997 n’apportent pas d’éléments nouveaux quant à la persécution dont il prétend faire l’objet et ne contribuent pas à conforter le récit du demandeur.
Ainsi, les événements dénoncés, à les supposer établis, ne sont pas de nature à rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine et ne dénotent pas une persécution de nature à justifier une crainte pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.
Concernant la carte d’appartenance au « Comité d’Action pour le Renouveau » ci-après dénommé C.A.R., ainsi que l’affirmation contenue dans la déclaration du demandeur qu’il faisait partie d’un mouvement politique, le tribunal relève qu’elles sont en contradiction avec les déclarations initiales du demandeur consignées dans le 6 rapport du service de police judiciaire établi le 17 février 1995: « KOFFI war nach seinen Angaben nicht politisch aktiv gewesen und hat sich auch nicht für die Politik in seinem Lande interessiert. » Dans la déclaration versée ensemble avec le mémoire en réplique, le demandeur fait valoir que « I got a job as a saler in a shop which was owned by BOUTULI a member of a political party called C.A.R.. Later I became a member after seeing their objective of changement ». Nonobstant cette divergence dans la version du récit, le fait d’appartenir à un parti politique ne suffit pas pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié politique, dès lors que le demandeur n’exerçait aucune activité politique.
Il ressort des considérations qui précèdent, que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.
La demande tendant à une instruction complémentaire est à écarter pour être non pertinente et non concluante, étant donné que les événements décrits par le demandeur dans son récit, même à les supposer établis, ne dénotent pas une persécution du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques conformément à l’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève.
Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
rejette la demande tendant à voir ordonner une instructrion complémentaire;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 24 novembre 1997 par le vice-président, en présence du greffier:
7 s. Legille s.Schockweiler greffier assumé vice-président