N° 10183 du rôle Inscrit le 29 juillet 1997 Audience publique du 20 octobre 1997
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Recours formé par Monsieur … FERHAT contre le ministre de la Justice en matière d’expulsion
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Vu la requête déposée le 29 juillet 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Marco FRITSCH, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FERHAT, sans état connu, actuellement détenu au centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant au sursis à exécution d’un arrêté du ministre de la Justice du 30 avril 1997, ordonnant l’expulsion du demandeur, ainsi qu’à l’annulation de ladite décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 1997;
Vu la note additionnelle déposée le 7 octobre 1997 au nom du demandeur;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Nadege OGER, en remplacement de Maître Marco FRITSCH et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.
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Le 30 avril 1997, le ministre de la Justice prit un arrêté d’expulsion, sur base de l’article 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant: 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, à l’encontre de Monsieur … FERHAT, né le…, de nationalité algérienne.
L’expulsion de Monsieur FERHAT était motivée comme suit: « - l’intéressé a été condamné le 9 janvier 1997 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg à une peine de prison de 2 ans dont 6 mois avec sursis ainsi qu’à une amende de 20.000,- LUF du chef -
d’avoir hors les cas prévus par le chapitre 3 titre 9 du livre 2 du code pénal volontairement endommagé les propriétés mobilières d’autrui; - de coups et blessures volontaires; - de 1 menaces verbales d’attentat; - de coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail; - de vol; - de faux en écritures de commerce; - d’usage de faux; - d’escroquerie; -
de tentative d’escroquerie; - de destruction de clôture; - de menaces verbales d’attentat avec ordre ou sous condition; - de violation de domicile qualifiée; - et de coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail ».
Par requête déposée le 29 juillet 1997, Monsieur FERHAT a introduit un recours tendant au sursis à exécution de ladite décision ministérielle, ainsi qu’à son annulation.
A l’appui de sa demande de sursis à exécution, il fait valoir que la décision ministérielle attaquée aurait un effet immédiat à compter de sa notification, sinon, du fait de sa détention, immédiatement après sa mise en liberté et qu’en l’espèce son expulsion du territoire du Grand-
Duché de Luxembourg entraînerait pour lui les pires difficultés afin de se réintégrer dans son pays d’origine, eu égard à la situation de crise politique algérienne. Dans ce contexte, il fait encore exposer qu’il risquerait un grave préjudice lors d’un retour éventuel dans son pays d’origine, parce qu’il se retrouverait très certainement sans emploi, puisqu’il n’y a gardé que très peu d’attaches.
Enfin, il estime qu’en vertu du paragraphe 2 du Protocole numéro 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il ne pourrait être expulsé du Grand-Duché avant l’exercice de son droit de recours, sauf au cas où une telle expulsion serait motivée par des motifs de sécurité nationale ou pour des raisons d’ordre public, qui ne seraient pas donnés en l’espèce.
Quant à sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel attaqué, il reproche au ministre de se baser, afin de motiver sa décision, et pour prouver que par son comportement il a troublé l’ordre public, sur une seule condamnation pénale, étant donné qu’une condamnation pénale ne justifierait pas de plein droit une mesure de police à l’égard de l’étranger condamné.
Il se prévaut du caractère disproportionné de la mesure ordonnée à son encontre par rapport à la condamnation encourue. A cet effet, il fait exposer que hormis les faits ayant conduit à sa condamnation, il ne se serait rendu coupable d’aucune autre infraction à la loi depuis son arrivée sur le territoire du Grand-Duché.
Il estime par ailleurs que les faits sanctionnés par le jugement correctionnel ne revêtiraient pas une gravité telle que l’on devrait considérer son comportement comme constituant une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société.
Il fait encore valoir que la décision ministérielle attaquée compromettrait gravement son équilibre familial étant donné qu’il serait toujours « juridiquement » lié à son épouse, qui résiderait au Grand-Duché.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de la demande en sursis à exécution, au motif que l’arrêté d’expulsion ne serait pas exécuté immédiatement, dès lors que le demandeur arriverait seulement au terme de sa peine d’emprisonnement en date du 31 mars 1998 et que l’affaire serait instruite et en état d’être plaidée et de recevoir une solution au fond.
2 Concernant le fond, il expose qu’en date du 6 septembre 1991, une autorisation de résidence a été délivrée au demandeur; qu’en date du 14 décembre 1992, le demandeur a épousé Madame … à la commune de Differdange; qu’en novembre 1994, les époux ont déménagé à Athus; qu’en juillet 1995, le demandeur est revenu au pays et a reçu une carte d’identité d’étranger valable jusqu’en septembre 2000; que l’épouse du demandeur a introduit une demande en divorce en octobre 1995; que le demandeur a déclaré en date du 22 novembre 1995 son départ du Luxembourg et a remis à cette occasion sa carte d’identité d’étranger et qu’en date du 9 janvier 1997, il a été condamné à deux ans de prison dont 6 mois avec sursis pour diverses infractions.
Il expose qu’une seule condamnation pénale peut dénoter un comportement révélant une atteinte grave et actuelle à l’ordre public. Il estime que le jugement prononcé le 9 janvier 1997 par la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, à l’encontre de Monsieur FERHAT prouverait à suffisance son caractère dangereux autorisant le ministre à ordonner son expulsion. Il relève que par ledit jugement le demandeur a été condamné du chef 1. d’avoir, hors les cas prévus par le chapitre 3 titre 9 du livre 2 du code pénal, volontairement endommagé les propriétés mobilières d’autrui; 2. de coups et blessures volontaires; 3. de menaces verbales d’attentat; 4. de coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail; 5. de vol; 6. de faux en écritures de commerce; 7. d’usage de faux; 8.
d’escroquerie; 9. de tentative d’escroquerie; 10. de destruction de clôture; 11. de menaces verbales d’attentat avec ordre ou sous condition; 12. de violation de domicile qualifiée et 13.
de coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail.
Le représentant étatique relève encore que ces faits s’échelonnent sur une période allant de mai 1995 à octobre 1996 en insistant sur le fait qu’un grand nombre de procès-verbaux ont été dressés à l’encontre du demandeur depuis son retour au Luxembourg en 1995, qui établiraient qu’il a, d’une façon répétitive, manqué de respect à l’égard des lois en vigueur. Il estime par conséquent que le ministre n’a pas commis de violation de la loi, et que c’est à bon droit qu’il a estimé que la condamnation pénale du 9 janvier 1997 dénoterait dans le chef du demandeur un caractère dangereux tel qu’il constituerait une menace pour l’ordre public au sens de l’article 9 de la loi précitée du 28 mars 1972 et que la mesure d’expulsion était partant justifiée.
En ce qui concerne l’argument invoqué par le demandeur selon lequel l’exécution de la mesure d’expulsion compromettrait gravement son équilibre familial, le délégué du gouvernement rétorque qu’au vu des renseignements dont il disposait, les liens du mariage seraient en instance d’être dissous par voie de divorce. A son avis, une expulsion du Luxembourg ne pourrait de toute façon constituer un empêchement au maintien de la vie conjugale, puisque celle-ci pourrait être reprise et continuée ailleurs.
Dans sa note additionnelle déposée à la demande du tribunal le 7 octobre 1997, le demandeur fait préciser, d’un côté, qu’un jugement de divorce a été prononcé entre parties en date du 3 juillet 1997, et, d’un autre côté, qu’il risque des représailles de la part d’intégristes lors d’un retour éventuel en Algérie, au motif que ces intégristes tenteraient de le dissuader de développer sa société de production en Algérie. Dans ce contexte, il fait exposer qu’en 1995, à l’occasion de son dernier séjour en Algérie, il aurait été agressé, en présence de son épouse, par un groupe d’individus qui n’auraient pas hésité à faire usage d’armes à feu en tirant sur son véhicule. Il devrait donc craindre pour sa vie.
3 Le recours en annulation contre l’arrêté d’expulsion attaqué est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
La demande en sursis à exécution de la mesure d’expulsion est devenue sans objet, l’affaire étant en état de recevoir une solution, au fond, par un jugement définitif.
En vertu de l’article 9 de la loi précitée du 28 mars 1972, l’étranger, qui, par sa conduite compromet la tranquillité, l’ordre ou la sécurité publics, peut être expulsé du territoire luxembourgeois.
Une condamnation pénale, sans constituer une cause péremptoire d’expulsion d’un étranger, peut cependant, de par la teneur et la gravité des faits sanctionnés, dénoter un comportement révélant une atteinte grave et actuelle à l’ordre public et justifier une mesure d’expulsion du territoire.
Il se dégage des pièces versées que Monsieur FERHAT a subi une condamnation définitive à une peine d’emprisonnement de 2 ans dont 6 mois avec sursis et à une amende de 20.000.- francs du chef 1. d’avoir, hors les cas prévus par le chapitre 3 titre 9 du livre 2 du code pénal, volontairement endommagé les propriétés mobilières d’autrui; 2. de coups et blessures volontaires; 3. de menaces verbales d’attentat; 4. de coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail; 5. de vol; 6. de faux en écritures de commerce; 7.
d’usage de faux; 8. d’escroquerie; 9. de tentative d’escroquerie; 10. de destruction de clôture;
11. de menaces verbales d’attentat avec ordre ou sous condition; 12. de violation de domicile qualifiée et 13. de coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail.
Les faits, souverainement constatés par la juridiction pénale dans le cadre du procès ayant donné lieu au jugement du 9 janvier 1997, démontrent un comportement du demandeur compromettant la tranquillité, l’ordre et la sécurité publics.
Il suit de ce qui précède que la décision d’expulsion était légalement justifiée.
Cette considération ne saurait être énervée par les explications du demandeur concernant sa situation personnelle et familiale.
Aux termes de l’article 8 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950, approuvée par une loi du 29 août 1953, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et en vertu de l’alinéa 2 du même article, il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
Or, les faits ci-avant décrits caractérisent le comportement d’un étranger susceptible de compromettre à nouveau la sécurité, la tranquillité, l’ordre et la santé publics et justifient dans les circonstances de l’espèce l’ingérence de l’autorité publique dans le droit de cette personne au respect de sa vie privée et familiale.
4 Il s’en suit que la mesure d’expulsion ne contrevient pas à l’article 8 de la Convention précitée.
Il suit des considérations qui précèdent, que le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
déclare la demande en sursis à exécution sans objet;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 octobre 1997, à laquelle assistaient:
M. Schockweiler, vice président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge M. Legille, greffier assumé Legille Schockweiler 5