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13/10/1997 | LUXEMBOURG | N°10025

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 octobre 1997, 10025


N° 10025 du rôle Introduit le 29 mai 1997 Audience publique du 13 octobre 1997

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Recours formé par Monsieur … PIRE contre le ministre des Transports en matière de permis de conduire

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Vu la requête déposée le 29 mai 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert WILDGEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … PIRE, demeurant …, tendant à l'annulation, sinon à la réformation de deux décisions

du ministre des Transports respectivement des 6 mars et 21 avril 1997, rejetant une demande ...

N° 10025 du rôle Introduit le 29 mai 1997 Audience publique du 13 octobre 1997

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Recours formé par Monsieur … PIRE contre le ministre des Transports en matière de permis de conduire

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Vu la requête déposée le 29 mai 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert WILDGEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … PIRE, demeurant …, tendant à l'annulation, sinon à la réformation de deux décisions du ministre des Transports respectivement des 6 mars et 21 avril 1997, rejetant une demande en obtention d’un duplicata d’un permis de conduire;

Vu l’exploit de signification de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 30 mai 1997, portant signification dudit recours à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 16 juillet 1997;

Vu le mémoire en réplique déposé le 3 septembre 1997 au nom du demandeur;

Vu la note additionnelle déposée le 6 octobre 1997 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Elisabeth ALEX et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … PIRE, né le 18 novembre 1933, de nationalité luxembourgeoise, demeurant actuellement à …, est titulaire d’un permis de conduire luxembourgeois, catégories A, B et E depuis le 10 décembre 1951, renouvelé le 8 décembre 1993, jusqu’au 18 novembre 2004.

Le 20 février 1997, Monsieur PIRE fit une déclaration de vol dudit permis à la brigade de gendarmerie de Luxembourg et le lendemain il introduisit auprès des services du ministère des Transports une demande en obtention d’un duplicata de son permis de conduire.

2 Par courrier daté du 6 mars 1997, le ministre des Transports informa Monsieur PIRE que « selon la directive européenne du 29 juillet 1991 (91/439/CEE), vous devez être en possession d’un permis de conduire délivré par le pays dans lequel vous êtes résident » et lui transmit un duplicata de son permis de conduire avec une durée de validité limitée de trois mois, expirant le 15 juin 1997, tout en lui enjoignant de le « faire transcrire dans les meilleurs délais en permis de conduire de Côte d’Ivoire; le permis de conduire luxembourgeois n’étant plus renouvelé par la suite ».

Suite à une réclamation, introduite le 8 avril 1997 par le mandataire de Monsieur PIRE, le ministre confirma, par courrier du 21 avril 1997, que « le permis provisoire établi pour une durée de 3 mois ne pourra plus être renouvelé ».

Par requête déposée le 29 mai 1997, Monsieur PIRE a introduit un recours en annulation, sinon en réformation contre les décisions ministérielles des 6 mars et 21 avril 1997, pour violation de la loi, sinon pour excès de pouvoir.

A l’appui de son recours, il estime que les décisions reposent respectivement sur une motivation erronée équivalant à une absence de motifs et sur des faits matériellement inexacts équivalant à une erreur d’appréciation manifeste.

Il reproche, en premier lieu, au ministre de fonder ses décisions uniquement sur une directive communautaire du 29 juin 1991, non directement applicable en droit luxembourgeois et d’omettre de préciser le texte légal ayant transposé les dispositions de ladite directive en droit interne.

Dans un deuxième ordre d’idées, il soutient que les décisions ministérielles constituent un retrait pur et simple de son permis de conduire, alors que ni ladite directive ni le règlement grand-ducal du 11 août 1996, modifiant l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques mettant en application les dispositions de ladite directive, ne contiennent de disposition prévoyant que le départ vers l’étranger d’un résident luxembourgeois entraîne l’annulation ou le retrait de son permis de conduire luxembourgeois; qu’il est, au contraire, en droit d’obtenir un duplicata de son permis de conduire, étant donné que, même s’il réside depuis 1966 en Côte d’Ivoire, ses attaches personnelles sont situées exclusivement au Luxembourg, où il se rend régulièrement, afin de retrouver sa famille et ses amis, et, où il assure la gestion et le contrôle d’un complexe immobilier et commercial dont il est le propriétaire.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, aucun texte de loi n’instituant de recours de pleine juridiction en la matière.

Concernant la demande d’annulation, il en soulève en premier lieu l’irrecevabilité tirée du défaut d’intérêt d’agir contre la décision du 6 mars 1997, au motif que le ministre a fait droit à la demande de délivrance d’un duplicata du permis de conduire aux fins de permettre au demandeur de le faire transcrire dans son pays de résidence.

3 Quant au moyen tiré de l’absence de motivation, le délégué rétorque que la référence à la directive communautaire No 91/439/CEE du 29 juillet 1991 serait suffisante, étant donné que celle-ci a été également transposée en droit interne. Il ajoute que même dans l’hypothèse où la motivation serait incomplète, il serait admis que l’administration puisse la compléter en cours d’instance.

Au fond, le représentant étatique estime que les décisions critiquées ne sauraient être analysées en un retrait du permis de conduire, dès lors que le ministre a délivré un duplicata tout en informant Monsieur PIRE qu’il devrait faire transcrire son permis luxembourgeois dans son pays de résidence. Selon le délégué il s’agit « d’une décision destinée à faciliter au requérant ses démarches dans son pays de résidence ».

Il s’oppose à la prétention de Monsieur PIRE de faire état de la gestion d’un centre commercial au Luxembourg pour justifier d’un centre d’intérêt au Luxembourg, étant donné que selon la définition communautaire de la résidence normale, la résidence d’une personne dont les attaches professionnelles sont situées dans un lieu différent de celui de ses attaches personnelles et qui, de ce fait, est amenée à séjourner alternativement dans des lieux différents, est censée se situer au lieu des attaches personnelles, à condition d’y séjourner régulièrement. Or, d’après le délégué, il ressortirait du dossier que les attaches personnelles de Monsieur PIRE se situent en Côte d’Ivoire, du moins que ce dernier n’aurait pas pu établir des attaches personnelles qui l’amèneraient à séjourner régulièrement au Luxembourg.

A l’argument de l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt d’agir, le demandeur fait répliquer qu’il aurait intérêt à agir contre les deux décisions ministérielles critiquées, étant donné qu’elles lui causent préjudice en ce qu’elles refusent la délivrance d’un duplicata de son permis de conduire valable jusqu’en 2004.

Quant au fond, il fait rétorquer que, contrairement à l’affirmation du délégué du gouvernement, il n’a pas sollicité un nouveau permis de conduire, mais qu’il a toujours sollicité un duplicata de son permis dont il est titulaire depuis 1951 et qui, par l’effet de sa prolongation en date du 8 décembre 1993, est valable jusqu’au 18 novembre 2004.

Il en conclut que c’est à tort que le ministre a procédé au réexamen de sa situation et requis l’observation des dispositions d’obtention, voire de renouvellement d’un permis.

Par ailleurs et pour le cas où un réexamen serait de droit, le demandeur fait remarquer que ni sa situation, ni les dispositions légales n‘auraient changé depuis le renouvellement du permis en date du 8 décembre 1993.

Il relève finalement qu’il a la nationalité luxembourgeoise; qu’il était titulaire, pendant de longues années et avant qu’on ne le lui ait volé, d’un permis de conduire luxembourgeois; qu’il se trouve actuellement dans une situation équivalant à un retrait de son permis de conduire, bien qu’il ne se trouvât dans aucun des cas limitativement prévus par l’article 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, justifiant un retrait;

finalement, et même en admettant que le départ vers l’étranger justifie le refus de la remise d’un duplicata, il soutient que son départ « n’équivaut pas à un changement de sa résidence normale qu’il conserve au Luxembourg », au motif qu’il y conserve ses attaches personnelles.

4 Concernant la circulaire ministérielle relative à la procédure à suivre en cas de demandes relatives aux permis de conduire, invoquée et versée par le délégué du gouvernement lors des plaidoiries, le demandeur conclut principalement au rejet de cette pièce et il soutient subsidiairement que les circulaires d’ordre interne ne constituent pas une source de droit à l’égard des tiers.

Sur question du tribunal, le demandeur soutient que l’article 90 de l’arrêté grand-ducal précité du 23 novembre 1955 ne serait pas applicable au cas d’espèce, étant donné que le retrait ne serait pas justifié par un des motifs prévus aux points 1), 2), 3), 5) et 6) de l’article 2 modifié de la loi précitée de 1955 et, subsidiairement, pour le cas où le demandeur devrait tomber sous une de ces hypothèses justifiant le retrait, il y aurait lieu d’annuler les décisions critiquées pour ne pas l’avoir entendu préalablement en ses moyens et explications. Sur ce point, le délégué estime que l’administration n’était tenue par une quelconque obligation d’entendre le demandeur, dès lors qu’elle n’a pas procédé à un retrait d’un permis de conduire.

QUANT AU RECOURS EN REFORMATION Encore que le demandeur entend exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions critiquées, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes décisions.

Aucune disposition légale ne conférant compétence, à la juridiction administrative, pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions critiquées.

QUANT AU RECOURS EN ANNULATION En vertu de l’article 31 de la loi modifiée du 8 février 1961 portant organisation du Conseil d’Etat, dans sa teneur antérieure à son abrogation par la loi du 12 juillet 1996 portant organisation du Conseil d’Etat, applicable au présent litige, un recours en annulation est ouvert contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements.

Aucun recours spécifique n'étant prévu en la matière, le recours en annulation est donc en principe admissible contre les décisions ministérielles des 6 mars et 21 avril 1997.

Le moyen d’irrecevabilité du recours en annulation tiré de l’absence d’intérêt d’agir contre lesdites « décisions » ministérielles conduit le tribunal à examiner si ces actes ou l’un d’eux constituent de véritables décisions affectant les droits et intérêts du demandeur qui les conteste.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de 5 produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame (cf. F. Schockweiler, Le Contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 2e éd., 1996, n° 59).

En l’espèce, en demandant la délivrance d’un duplicata du permis de conduire dont il est titulaire depuis le 10 décembre 1951 et renouvelé le 8 décembre 1993, le demandeur n’a ni sollicité un nouveau permis de conduire, ni le renouvellement de son permis, ni encore un permis provisoire d’une durée de validité limitée. Au contraire, il a indubitablement sollicité un second exemplaire ayant la même validité que le permis qui lui a été volé. Les deux décisions ministérielles des 6 mars et 21 avril 1997, en ce qu’elles ne font pas droit à cette demande, sont dès lors de nature à causer grief au demandeur.

Le moyen d’irrecevabilité est partant à écarter et le recours en annulation dirigé contre les décisions ministérielles des 6 mars et 21 avril 1997 ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

L’analyse des décisions litigieuses fait apparaître non seulement l’existence de décisions administratives de refus, mais il s’en dégage également que l’administration a procédé à un retrait dudit permis de conduire. En effet, en refusant de délivrer un duplicata l’administration a de facto retiré le permis de conduire de Monsieur PIRE, dès lors que, à l’échéance de la validité du permis de conduire provisoire, la décision administrative entraîne comme conséquence l’interdiction de faire circuler un véhicule automoteur.

Or, le principe général du respect d’une procédure contradictoire en droit administratif, consacré par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, exige que l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en-dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

Il convient d’ajouter que si la décision de retrait devait être fondée sur une des hypothèses prévues sous les points 1), 2), 3), 5) et 6) de l’article 2 de la loi précitée du 14 février 1955, l’article 90 de l’arrêté grand-ducal précité du 23 novembre 1955 serait applicable en ce qu’il prévoit que ladite mesure administrative à prendre à l’égard du titulaire d’un permis de conduire exige au préalable une enquête judiciaire avisée par le procureur général d’Etat ainsi qu’un avis motivé de la commission spéciale des permis de conduire.

Il ne ressort cependant d’aucun élément du dossier qu’au cours de la procédure qui a abouti aux décisions critiquées le demandeur ait été invité à s’expliquer sur les faits ou fautes qui sont invoqués voire qui lui sont reprochés par l’administration et susceptibles de motiver le retrait du permis de conduire. Pareillement, il ne ressort pas du dossier que l’administration ait procédé à une enquête judiciaire préalable ni qu’un avis ait été pris.

6 En l’espèce, et indépendamment de la nature du ou des motifs qui ont amené l’administration au retrait du permis de conduire du demandeur, l’administration était, en tout état de cause, tenue à donner au demandeur la possibilité d’être entendu préalablement à toute décision de retrait ou à toute décision comportant une sanction administrative équivalente à celle du retrait du permis de conduire.

Il suit des considérations qui précèdent que les décisions ministérielles des 6 mars et 21 avril 1997 sont à annuler pour excès de pouvoir et violation de la loi.

Compte tenu de l’issue du présent litige, les frais sont à mettre à charge de l’Etat, à l’exception des frais de signification du recours introductif à l’Etat, qui restent à charge du demandeur comme ayant été exposés à titre superflu.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, déclare le recours en annulation recevable et fondé, partant annule les décisions du ministre des Transports des 6 mars et 21 avril 1997 et renvoie l’affaire devant ledit ministre, condamne l’Etat aux frais, à l’exception des frais de signification du recours, lesquels restent à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 octobre 1997, à laquelle assistaient:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, M. Legille, greffier assumé.

Legille Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10025
Date de la décision : 13/10/1997

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1997-10-13;10025 ?

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